Posté le 22/07/2023 22:26
La pluie battante ricoche sur les créneaux blanchis par une poudreuse encore dense, oubliés des tribus Boko qui se disputent le contrôle de tout ou partie des ruines de la Cité. Derrière les murs d'une boutique ancienne, jadis couverts d'étals et d'étagères, un feu de camp discret crépite doucement. Ses flammes rouges, dont la cime tire vers l'orangé, lèchent la pierre nue qui compose les parois de la bicoque et projettent une lumière fauve dans la petite pièce ; quand elle ne s'enfuit pas par la mince fenêtre donnant sur les rues enneigées.
Un instant, le givre de ses yeux s'arrête sur le jeune homme encore inconscient ; allongé près du foyer. Engoncé dans ce qui ressemble à une vieille jaque pourpre, le rescapé porte à la ceinture une dague à la garde d'or et frappée d'armoiries similaires à celles qui habillent encore les murs du Château. Ses cheveux longs autant que le cuir usé de ses bottes témoignent de semaines passées à voyager, au bas mot. L'aventurier malchanceux n'est pas le premier à se laisser surprendre par le Seigneur-Frimas, ses doigts glacés, la violence de sa poigne.
Puis, son regard se porte distraitement sur les gravures qui creusent certains des murs de la vieille maison. Du bout des doigts, qu'il garde emmitouflés sous d'épaisses pelisses pour supporter le froid tombé sur Tabanta, l'Hylien essaie de déchiffrer les quelques mots rédigés dans la langue ancienne. C'est un dialecte qu'il ne sait pas lire - pas plus qu'il ne comprend les nouveaux idiômes écrit qu'il a rencontré depuis le début de sa quête - mais il leur faut bien tuer le temps. La nuit ne saurait tarder ; et les pans de la muraille d'Ambi que les Gardiens n'ont su emboutir à l'heure du Fléau se découperont bientôt derrière les massifs d'ardoise qui accompagnent la lune dans sa course. Il est trop tard pour reprendre la route, particulièrement avec un blessé sur les bras.
Et puis... Se concentrer sur les dernières mémoires laissées par un groupe de survivants, piégés dans la carcasse d'une demeure en proie aux flammes, l'aide à ne pas trop penser au reste. Devrait-il se souvenir de ces lieux, des gens qui les habitaient ? De ces inconnus qu'il - que l'Autre - n'a pas su protéger ? Ces ruelles, ces chemins de rondes que patrouillent des Bokoblins pugnace et querelleurs, les a-t-il déjà arpentés en d'autres temps ?
Sur le givre de ses yeux tombent deux suaires de chair, tandis que Sans-Nom cherche à oublier les questions qui remontent déjà. Son bras droit le brûle doucement, comme à chaque fois que le doute le gagne, mais cela aussi il préfère l'ignorer. Ces réponses, il ne les a pas. A certains égards, il ne veut pas les avoir... et il ne les aura de toute façon jamais. Ses doigts, qui glissaient jusqu'à lors sur la roche, se referment en un poing serré à s'en faire pâlir les phalanges. Un soupir discret perce ses lèvres abimées par le froid.
Pourquoi se sont-ils arrêtés ici ?
Pourquoi avoir préféré les ruines d'une Cité, réputées dangereuses, plutôt que les collines et l'étrange Sylve qui les habillent ?
Secouant brièvement la tête, comme pour chasser les pensées qui le travaillent plus que de raison, l'Hylien s'arrache soudainement au mur et s'avance vers la porte qui donne sur une petite esplanade marchande, autrefois dominée par une fontaine sculptée dans une pierre blanche. Sans s'expliquer auprès de Reed, longtemps resté près de l'inconnu inconscient, de son épée de voyage et surtout de sa dague ornée, il pousse les battants de bois que les âges et le mauvais temps ont fini par ronger. Un vent gelé, rendu d'autant plus glaçant que la pluie ne s'est pas calmée, s'engouffre dans la masure qu'il quitte sans bruit.
Jetant sur son chef une capuche de fourrure beige, l'Hylien longe un instant la vieille maison, jusqu'à gagner l'appentis au fond duquel somnole Epona. Il enjambe d'un geste souple la petite barricade de pierre et rejoint la jument ainsi que l'essentiel de leurs provisions. « Salut, toi », souffle-t-il en ramenant son cache-nez sur sa gueule balafrée. Sa main gauche épouse bientôt l'encolure de l'équidé. « C'est un peu étouffant, à l'intérieur... J'aime mieux le froid », poursuit l'ancien homme-lige, probablement davantage pour lui que pour sa camarade. « Tiens, c'est pour toi », fait-il après un instant passé à contempler les échoppes éventrées, abandonnées çà et là sur la place du marché, les statues et les colonnes brisées, les dalles fracassées, les bicoques déchirées par de puissants ergots d'acier Sheikah. Sa main plonge ensuite dans l'une des deux sacoches de selle, dont il tire une pomme, qu'il tend à son amie. Elle l'a bien méritée.
Appuyé contre l'un des derniers piliers soutenant encore une toiture dont le faîtage de chaume a été arraché par les bourrasques et remplacé par la neige, le vagabond laisse son regard sauter de ruines calcinées en ruines calcinées. Le lourd manteau d'albe qui masque les habitations désossées ne suffit pas à cacher l'étendu des dégâts infligés par les Gardiens, il y a un peu plus d'un siècle maintenant. « Je me demande... — », commence-t-il, soudain, avant de laisser mourir sa voix déjà étouffé par l'étoffe. Le verglas de ses yeux s'éloigne tristement des venelles qui séparent encore les maisons lacérées tandis qu'une fois encore, il essaie de fuir la réalité que d'autres n'ont su empêcher. Les doigts de sa main gauche se referment avec force sur son poignet, à quelques pouces seulement du bracelet offert par Pahya.
Soucieux de ne pas souffrir de commentaires et autres interrogations en rentrant, l'Hylien récupère de quoi cuisiner un frugal repas dans l'une des gibecières accrochées à la selle de son amie. Du riz, essentiellement, mais aussi quelques lamelles de viandes séchée. Puis, adressant une dernière caresse à la jument, il fait marche arrière vers le gite improvisé avec Reed.
L'odeur du riz, quoique discrète, emplit les restes du magasin où le duo s'est installé avant de porter secours à un inconnu. Ce dernier, que la perspective d'un repas chaud semble sortir du sommeil, émerge doucement. L'Hylien lui accorde un bref regard, du coin de l'oeil, avant de se pencher de nouveau sur sa préparation. Cela fait un moment, déjà, qu'il cuisine pour deux. Depuis le sauvetage de Quill et de Camailla, le forban et lui ont fait route commune sans qu'il ne sache précisément combien de temps cela durera. Reed l'a invité à rejoindre son équipe, dans le but de regagner ce qui fut autrefois sien, sans pour autant réclamer une réponse immédiate et le sujet n'a pas été de nouveau posé sur la table. Pour l'heure, tous deux voyagent vers le sud et cela lui suffit amplement ; d'autant que l'homme a fini par comprendre qu'il y avait meilleur compagnon de route, pour quiconque espère bavarder.
"Tiens, fait-il simplement, en lui tendant un bol de céramique rouge, gravé de motifs Sheikah et rempli de riz chaud, voilà pour toi."
Sans un mot de plus, Sans-Visage reporte son regard vers le jeune Hylien qui s'est relevé jusqu'à s'asseoir sur la paillasse de peau étendue au sol. « Tu as faim ? », s'enquit-il simplement après quelques secondes, le temps de remplir un second bol, qu'il abandonne à proximité du voyageur. D'expérience, il sait qu'ils ne parlent probablement pas exactement la même langue et qu'un tel geste sera plus simple à comprendre qu'un long discours. Il n'a de toute façon pas le courage de se lancer dans une conversation soutenue ou même dans un échange de sympathies et de banalités. Ce rôle-là, il le laisse bien volontiers à son compagnon d'infortune.