L'élégie des ruines

Milieu de l'hiver - 6 mois 1 semaine 6 jours après (voir la timeline)

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Petite noisette

Inventaire

La pluie battante ricoche sur les créneaux blanchis par une poudreuse encore dense, oubliés des tribus Boko qui se disputent le contrôle de tout ou partie des ruines de la Cité. Derrière les murs d'une boutique ancienne, jadis couverts d'étals et d'étagères, un feu de camp discret crépite doucement. Ses flammes rouges, dont la cime tire vers l'orangé, lèchent la pierre nue qui compose les parois de la bicoque et projettent une lumière fauve dans la petite pièce ; quand elle ne s'enfuit pas par la mince fenêtre donnant sur les rues enneigées.

Un instant, le givre de ses yeux s'arrête sur le jeune homme encore inconscient ; allongé près du foyer. Engoncé dans ce qui ressemble à une vieille jaque pourpre, le rescapé porte à la ceinture une dague à la garde d'or et frappée d'armoiries similaires à celles qui habillent encore les murs du Château. Ses cheveux longs autant que le cuir usé de ses bottes témoignent de semaines passées à voyager, au bas mot. L'aventurier malchanceux n'est pas le premier à se laisser surprendre par le Seigneur-Frimas, ses doigts glacés, la violence de sa poigne.

Puis, son regard se porte distraitement sur les gravures qui creusent certains des murs de la vieille maison. Du bout des doigts, qu'il garde emmitouflés sous d'épaisses pelisses pour supporter le froid tombé sur Tabanta, l'Hylien essaie de déchiffrer les quelques mots rédigés dans la langue ancienne. C'est un dialecte qu'il ne sait pas lire - pas plus qu'il ne comprend les nouveaux idiômes écrit qu'il a rencontré depuis le début de sa quête - mais il leur faut bien tuer le temps. La nuit ne saurait tarder ; et les pans de la muraille d'Ambi que les Gardiens n'ont su emboutir à l'heure du Fléau se découperont bientôt derrière les massifs d'ardoise qui accompagnent la lune dans sa course. Il est trop tard pour reprendre la route, particulièrement avec un blessé sur les bras.

Et puis... Se concentrer sur les dernières mémoires laissées par un groupe de survivants, piégés dans la carcasse d'une demeure en proie aux flammes, l'aide à ne pas trop penser au reste. Devrait-il se souvenir de ces lieux, des gens qui les habitaient ? De ces inconnus qu'il - que l'Autre - n'a pas su protéger ? Ces ruelles, ces chemins de rondes que patrouillent des Bokoblins pugnace et querelleurs, les a-t-il déjà arpentés en d'autres temps ?

Sur le givre de ses yeux tombent deux suaires de chair, tandis que Sans-Nom cherche à oublier les questions qui remontent déjà. Son bras droit le brûle doucement, comme à chaque fois que le doute le gagne, mais cela aussi il préfère l'ignorer. Ces réponses, il ne les a pas. A certains égards, il ne veut pas les avoir... et il ne les aura de toute façon jamais. Ses doigts, qui glissaient jusqu'à lors sur la roche, se referment en un poing serré à s'en faire pâlir les phalanges. Un soupir discret perce ses lèvres abimées par le froid.

Pourquoi se sont-ils arrêtés ici ?

Pourquoi avoir préféré les ruines d'une Cité, réputées dangereuses, plutôt que les collines et l'étrange Sylve qui les habillent ?

Secouant brièvement la tête, comme pour chasser les pensées qui le travaillent plus que de raison, l'Hylien s'arrache soudainement au mur et s'avance vers la porte qui donne sur une petite esplanade marchande, autrefois dominée par une fontaine sculptée dans une pierre blanche. Sans s'expliquer auprès de Reed, longtemps resté près de l'inconnu inconscient, de son épée de voyage et surtout de sa dague ornée, il pousse les battants de bois que les âges et le mauvais temps ont fini par ronger. Un vent gelé, rendu d'autant plus glaçant que la pluie ne s'est pas calmée, s'engouffre dans la masure qu'il quitte sans bruit.

Jetant sur son chef une capuche de fourrure beige, l'Hylien longe un instant la vieille maison, jusqu'à gagner l'appentis au fond duquel somnole Epona. Il enjambe d'un geste souple la petite barricade de pierre et rejoint la jument ainsi que l'essentiel de leurs provisions. « Salut, toi », souffle-t-il en ramenant son cache-nez sur sa gueule balafrée. Sa main gauche épouse bientôt l'encolure de l'équidé. « C'est un peu étouffant, à l'intérieur... J'aime mieux le froid », poursuit l'ancien homme-lige, probablement davantage pour lui que pour sa camarade. « Tiens, c'est pour toi », fait-il après un instant passé à contempler les échoppes éventrées, abandonnées çà et là sur la place du marché, les statues et les colonnes brisées, les dalles fracassées, les bicoques déchirées par de puissants ergots d'acier Sheikah. Sa main plonge ensuite dans l'une des deux sacoches de selle, dont il tire une pomme, qu'il tend à son amie. Elle l'a bien méritée.

Appuyé contre l'un des derniers piliers soutenant encore une toiture dont le faîtage de chaume a été arraché par les bourrasques et remplacé par la neige, le vagabond laisse son regard sauter de ruines calcinées en ruines calcinées. Le lourd manteau d'albe qui masque les habitations désossées ne suffit pas à cacher l'étendu des dégâts infligés par les Gardiens, il y a un peu plus d'un siècle maintenant. « Je me demande... — », commence-t-il, soudain, avant de laisser mourir sa voix déjà étouffé par l'étoffe. Le verglas de ses yeux s'éloigne tristement des venelles qui séparent encore les maisons lacérées tandis qu'une fois encore, il essaie de fuir la réalité que d'autres n'ont su empêcher. Les doigts de sa main gauche se referment avec force sur son poignet, à quelques pouces seulement du bracelet offert par Pahya.

Soucieux de ne pas souffrir de commentaires et autres interrogations en rentrant, l'Hylien récupère de quoi cuisiner un frugal repas dans l'une des gibecières accrochées à la selle de son amie. Du riz, essentiellement, mais aussi quelques lamelles de viandes séchée. Puis, adressant une dernière caresse à la jument, il fait marche arrière vers le gite improvisé avec Reed.


L'odeur du riz, quoique discrète, emplit les restes du magasin où le duo s'est installé avant de porter secours à un inconnu. Ce dernier, que la perspective d'un repas chaud semble sortir du sommeil, émerge doucement. L'Hylien lui accorde un bref regard, du coin de l'oeil, avant de se pencher de nouveau sur sa préparation. Cela fait un moment, déjà, qu'il cuisine pour deux. Depuis le sauvetage de Quill et de Camailla, le forban et lui ont fait route commune sans qu'il ne sache précisément combien de temps cela durera. Reed l'a invité à rejoindre son équipe, dans le but de regagner ce qui fut autrefois sien, sans pour autant réclamer une réponse immédiate et le sujet n'a pas été de nouveau posé sur la table. Pour l'heure, tous deux voyagent vers le sud et cela lui suffit amplement ; d'autant que l'homme a fini par comprendre qu'il y avait meilleur compagnon de route, pour quiconque espère bavarder.

"Tiens, fait-il simplement, en lui tendant un bol de céramique rouge, gravé de motifs Sheikah et rempli de riz chaud, voilà pour toi."

Sans un mot de plus, Sans-Visage reporte son regard vers le jeune Hylien qui s'est relevé jusqu'à s'asseoir sur la paillasse de peau étendue au sol. « Tu as faim ? », s'enquit-il simplement après quelques secondes, le temps de remplir un second bol, qu'il abandonne à proximité du voyageur. D'expérience, il sait qu'ils ne parlent probablement pas exactement la même langue et qu'un tel geste sera plus simple à comprendre qu'un long discours. Il n'a de toute façon pas le courage de se lancer dans une conversation soutenue ou même dans un échange de sympathies et de banalités. Ce rôle-là, il le laisse bien volontiers à son compagnon d'infortune.


Reed


Inventaire

Le pauvre bougre aurait probablement passé l'arme à gauche si le binome n'avait pas croisé sa route, par chance. Il était à présent en bien meilleure posture qu'il y a encore peu, le teint bleuté.

Dorénavant allongé près du foyer, les flammes le berçaient d'une douce chaleur, si bien que l'homme reprenait peu à peu des couleurs. Il demeurait cependant toujours inconscient, comme plongé dans un profond sommeil.

"Il a finalement survécu ... je ne l'aurai pas parié" s'en était étonné Reed, presque déçu. Il est vrai que le corsaire aurait aimé pouvoir dépouiller l'individu sans remord aucun, c'était d'ailleurs son intention première lorsqu'il s'était approché du corps inanimé, tel un vautour – pensant l'homme mort – et qu'il avait aperçu l'objet finement ouvragé à la ceinture de l'étranger. Si Link ne l'avait pas interpellé pour l'aider à transporter le malheureux, Reed aurait eu tout le loisir de le délester gentiment de tout ce qui lui était surperflu pour son dernier voyage. Effectivement, il était toujours plus facile d'opérer ce type d'exaction sur un mort – ou sur une personne aux portes de la mort – que sur un vivant ... de là à dire qu'il espérait que l'homme ne s'en sorte pas, il n'y avait qu'un pas que le boucanier ne franchissait pas. En effet, il n'espérait aucunement du mal ou pire la mort d'autrui, exception faite pour les anciens membres de son équipage ... mais c'était une autre histoire. Cet homme-ci ne lui avait porté aucun préjudice.

Tout n'était pas perdu pour autant, Link n'était plus avec eux. Seul avec le miraculé, le pirate avait tout le loisir d'observer attentivement la dague. Reed attrapa l'arme délicatement, puis l'inspecta longuement. L'écusson sur le pommeau lui était totalement inconnu, mais les finitions de l'arme et le style lui semblaient familiers. Probablement avait-il déjà vu des équipements similaires, sans forcément pouvoir se remémorer avec précision l'image mentale d'un tel souvenir. La pièce était de très bonne facture et, pour l'oeil avisé, avait beaucoup de valeur. Il ignorait combien de temps il avait passé à parcourir de ses yeux la lame – trop sans doute – car l'objet ne cessait d'attirer son regard encore et encore. Il lui semblait déjà entendre revenir Link. Prestement, il remit la dague à sa place. 
L'odeur alléchante le faisait saliver. Le repas était prêt. Le contenu du bol était basique, mais il fallait s'en contenter. C'était malheureusement leur quotidien depuis leur départ de la colonie Rito. Alors que Reed engloutissait déjà sa première cuillerée, l'étranger sortait de sa torpeur.

"Tu as faim ?"

Cette question ne lui était assurément pas adressé. Il tourna alors la tête vers le rescapé, pour constater qu'il était éveillé.

"Oh ... tu as bien failli y passer l'ami" lança Reed au principal intéressé.

Il continua sur le ton de la plaisanterie.

"Bienvenu dans notre établissement, le repas est servi ! N'hésite pas à envoyer tes compliments au chef "

Il ignorait si son interlocuteur l'avait compris ou même s'il l'avait simplement écouté. Il poursuivit tout de même plus calmement.

"Je suis Reed ... Qu'est-ce qui t'amène dans cette galère, l'étranger ?"

Il était peut-être un peu prématuré pour engager une conversation, le voyageur n'avait peut-être pas encore totalement retrouvé ses esprits.


Ludrick

Mascotte incontournable

Inventaire

Il avait sous-estimé la violence des tempêtes de montagnes lors des hivers. Il n'avait jamais pu connaître de telles choses depuis son petit village. Il n'en connaissait l'existence et les risques que de par les quelques voyageurs qu'il avait croisé dans le village et à l'extérieur. Malgré tout, sa curiosité l'avait poussé à braver les dangers de cet endroit. Tel un enfant touchant pour le premère fois une flamme, il avait besoin de se heurter à ceux-ci pour s'en rendre compte. Il était naïf et n'avait pu se rendre compte de ses propes limites. L'aventurier était persuadé que les laines qu'il avait fourré dans ces vêtements suffiraient. Elles avaient toujours suffit se dit-il alors qu'il traversait le froid climat des montagnes. Un tissus venant couvrir le bas de son visage ainsi que des gants. Ludrick remerciait ses parents qu'ils lui avaient offert quelques vêtements d'hiver avant qu'il ne quitte sa terre natale. 

Cela faisait maintenant quelques heures que le blizzard s'était levé et l'avait forcé à se réfugier au sein de vieilles ruines. Un maigre feu était allumé à ses pieds tandis qu'il griffonnait sur un morceau de parcemin. Le voyageur gravait les endroits qu'il avait croisé lors de sa route parmis la région hivernale. Il regrettait juste de ne pas savoir écrire, le guerrier aurait aimé les nommer, il en était incapable. L'Elimithois se contentait d'y noter des symboles dont il était le seul à connaître la signification. Peut-être aurait-t-il dû demander à Zelda de lui apprendre mais il n'avait pas voulu lui imposer plus, la pauvre était déjà bloquée à l'auberge. Ses pensées le ramenèrent à son village, cet endroit qu'il avait fui peu après ce qu'il y avait vécu aux côtés des étrangers. Cet endroit qui lui avait donné naissance lui semblait inconnu. Le fils d'Alistair ne s'y sentait plus chez lui, il y étouffait et décida de s'en aller malgré l'hiver arrivant.

Une rafale se glissant dans les briques dans la bâtisse vint souffler le feu qui lui tenait chaud. Il se précipita sur les braises pour les souffler dans l'espoir de les raviver.

"Merde... Merde... !" Il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps par un tel temps sans les flammes. Voyant bien qu'il n'arrivait plus à l'allumer, il se sentit perdu. Que devait-il faire dans une telle situation ? Il n'en avait pas une seule idée, il ne pouvait que supposer et parier que l'une de ses idées lui permettrait de voir un autre jour se lever. 

Lentement, Ludrick s'éveilla de sa torpeur. La chaleur des flammes le ramenait dans le monde des vivants. Grâce aux deux étrangers, sa vie était sauve, pour le moment. Le voyageur ouvrit ses yeux pour faire face à un toit délabré qu'il ne reconnaissait pas. Il se releva doucement en prenant appuie sur le sol. Ses forces ne semblaient pas encore revenue et il avait du mal à comprendre où il était, faisant face à ces deux inconnus. Il vint vérifier que son héritage ne manquait pas, sa main se logeant à sa hanche. Heureusement, elle y était, sa fidèle dague. Du regard, le guerrier chercha ses affaires avant que l'étranger masqué ne lui adresse la parole. Ludrick prit quelques instants avant de comprendre que c'était à lui qu'il lui parlait. Il se pointa lui-même du doigt avant de se saisir du bol quand le jeune homme glissa le contenant à ses côtés. Son estomac criait famine donc le repas était des plus bienvenue. Après quelques bouchées pour combler son corps faible et son esprit embrumé, il remercia le premier voyageur d'un geste de la tête. 

"Merci beaucoup." adressa-t-il à la même personne avant de se tourner vers le second, lui faisant la conversation. Comment avait-il fini comme ça ? Il n'arrivait pas à s'en rappeler. Ses derniers souvenirs dataient de bien avant qu'ils ne le trouvent dans la poudreuse. "Je... Ne me rappelle pas. Je me souviens juste de mon feu qui s'est éteint... Ensuite, c'est flou." Il ne pouvait que supposer que les deux voyageurs étaient ses sauveurs. "Vous m'avez sauvé, n'est-ce-pas ? J'en suis reconnaissant. Malheureusement, j'ai rien à vous offrir en échange... Peut-être quelques provisions comme de la viande séchée ?" 

Il se pencha vers le feu pour y tendre ses mains juste devant, récoltant la chaleur des flammes. Il avait encore besoin de se réchauffer. Le riz et ce feu lui suffisaient pour ça. "Je m'appelle Ludrick, un voyageur qui souhaite découvrir le monde." Il connaissait le nom de l'homme aux cheveux rouges mais celui aux cheveux blonds avait été bien plus discret. Il aurait aimé connaître l'identité de son deuxième sauveur pour le remercier convenablement. "Et ton nom ? Je ne suis pas sûr de l'avoir entendu... Désolé si c'est le cas."


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Petite noisette

Inventaire

Juché non loin, le vieux forban prend sa relève alors que son regard glisse du survivant au discret foyer sur lequel cuit encore un peu de riz. Les deux hommes discutent, quoi que brièvement. Le second, dont ils ignorent encore tout ou presque, est de loin le plus bavard mais il ne fait aucune mention des traces qui les ont poussés à s'aventurer derrière les murailles que les araignées mécaniques des Anciens ont partiellement jetées à terre, il y a près d'un siècle. Il ne parle que d'un feu de camp, qu'ils ont d'ailleurs trouvé éteint en découvrant celui qui, à ce moment-là, ressemblait davantage à un cadavre qu'à un rescapé. Dehors, un vent froid comme l'acier souffle entre les bicoques abandonnées et les maisons en ruines. Sa rage, parfois, fait chanter les stalactites qui habillent certaines des vieilles masures. L'élégie de vestiges anciens, le triste récitatif des débris de jadis.

L'Hylien ne bronche pas, quand Ludrick évoque les quelques effets dont il peut se défaire pour les récompenser. Sans doute Reed sera-t-il plus intéressé par cette conversation, quand bien même le forban se doute qu'ils n'en tireront rien de particulier. Cela fait quelques semaines, maintenant, que les deux compagnons de route arpentent ensembles les Confins de Tabanta, en quête d'un Sud que la neige rend difficile à rejoindre. Trop peu de temps, sans doute, pour prendre toute la mesure d'un homme mais assez pour en comprendre certains des rouages importants. A chaque fois qu'il est venu en aide à autrui, l'ancien chevalier de la princesse – un titre honorifique plutôt qu'un véritable signe de noblesse, le jeune homme d'alors n'ayant jamais eu le sang bleu ou possédé de terrain – l'a fait sans demander son reste. Il y a peu de chances que cela change aujourd'hui.

Ses doigts se referment doucement sur un troisième bol gravé de motifs Sheikah, plus vieux que les deux précédents. Tout le long du bois courent des figures anciennes, appartenant à des légendes oubliées, dont la plus récente remonte prétendument à des milliers d'années. Sans un mot, tandis que le turquoise des yeux de leur invité d'infortune se posent sur lui avec insistance, l'autrefois homme lige se sert une bouchée du repas qu'il a préparé un peu plus tôt. Bientôt, sa main part à l'assaut de son sac, duquel il récupère un petit flacon de verre rempli d'une poudre rouge comme les rubis.  C'est à ce moment-là que Ludrick s'accorde finalement une deuxième question.

Un silence lourd tombe sur les décombres du vieux gourbi, tout juste perturbé par le crépitement discret des braises ainsi que le sifflement des givres perturbés par le vent, dehors.

Sans un mot, Sans-Visage relève le verglas de ses yeux, qu'il porte dur, sur Ludrick. Son regard est austère, son intonation froide — presque tranchante. « Mange », lance-t-il seulement.

Le liège qui maintenait les épices Gorons scellées saute avec un "pop" caractéristique, quand le vagabond se décide enfin à agrémenter son plat. La plupart des Hyliens qu'il lui a été donné de rencontrer n'ont guère apprécié la saveur de cet ingrédient, que les Gens-de-Pierre utilisent régulièrement (systématiquement ?) pour assaisonner leurs propres mets. Compte tenu de la poigne avec laquelle le Seigneur-Frimas tient les restes de la ville, le jeune homme ne s'accorde que quelques grammes de la poudre de rubis : la sensation de chaleur qu'elle peut théoriquement prodiguer n'est qu'une illusion et en consommer trop pourrait donc s'avérer dangereux. 

"Voyageais-tu seul ?", questionne-t-il à son tour, non sans baisser le masque qui cachait jusqu'à présent la moitié de son visage, griffé par les cicatrices. Une seconde fois, Gueule Cassée pose sur Ludrick un regard grave. L'état dans lequel ils ont trouvé le campement du survivant ne laissait guère présager la présence d'autres victimes. Pour autant, ce sont les traces d'une caravane toute entière qui les ont menés jusqu'aux murs de la vieille cité — et qui leur ont donc permis de retrouver le jeune aventurier. « Nous suivons la piste d'une caravane qui passait en bordure de la ville », précise finalement Sans-Nom, dont le regard fuit désormais à travers la presque-fenêtre qu'un boulet a jadis ouvert dans le mur. Il ne se souvient pas bien de cette époque durant laquelle certains des soldats du Royaume marchaient armés de bâtons-de-feu et poussaient des craches-ferrailles jusqu'aux sommets des remparts.

Il ne se rappelle que du nom que d'aucuns leurs donnaient alors : les porte-morts.

"Reed a trouvé des flèches", reprend l'Hylien, qui n'a toujours rien avalé. Entre ses deux mains, épousant ses paumes gantées, le bol de riz dégage une douce chaleur. « Elles étaient plantées dans le bois de la caravane. L'une d'entre elles a été broyée par les rayons de la roue », poursuit-il, non sans un regard pour son camarade. Sans son intervention, dont la motivation exacte n'a pas été discutée jusqu'à présent, ils n'auraient probablement pas pu identifier la nature réelle du danger. « La bête qui tirait la caravane manquait à l'appel, de même que les éventuels survivants de l'assaut. C'est une large traînée de sang qui nous a mené jusqu'à toi », achève Sans-Visage, sans évoquer tout de suite les Bokos, qui pourraient être responsables. Il n'a pas de certitudes à ce sujet et ce n'est pas parce qu'un trait est rudement réalisé que la fabrication leur en revient naturellement. D'autant qu'il arrive que certains recyclent les flèches qui leurs sont envoyés. Il en sait lui-même quelque chose...


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