L'élégie des ruines

Milieu de l'hiver - 6 mois 1 semaine 6 jours après (voir la timeline)

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Petite noisette

Inventaire

La pluie battante ricoche sur les créneaux blanchis par une poudreuse encore dense, oubliés des tribus Boko qui se disputent le contrôle de tout ou partie des ruines de la Cité. Derrière les murs d'une boutique ancienne, jadis couverts d'étals et d'étagères, un feu de camp discret crépite doucement. Ses flammes rouges, dont la cime tire vers l'orangé, lèchent la pierre nue qui compose les parois de la bicoque et projettent une lumière fauve dans la petite pièce ; quand elle ne s'enfuit pas par la mince fenêtre donnant sur les rues enneigées.

Un instant, le givre de ses yeux s'arrête sur le jeune homme encore inconscient ; allongé près du foyer. Engoncé dans ce qui ressemble à une vieille jaque pourpre, le rescapé porte à la ceinture une dague à la garde d'or et frappée d'armoiries similaires à celles qui habillent encore les murs du Château. Ses cheveux longs autant que le cuir usé de ses bottes témoignent de semaines passées à voyager, au bas mot. L'aventurier malchanceux n'est pas le premier à se laisser surprendre par le Seigneur-Frimas, ses doigts glacés, la violence de sa poigne.

Puis, son regard se porte distraitement sur les gravures qui creusent certains des murs de la vieille maison. Du bout des doigts, qu'il garde emmitouflés sous d'épaisses pelisses pour supporter le froid tombé sur Tabanta, l'Hylien essaie de déchiffrer les quelques mots rédigés dans la langue ancienne. C'est un dialecte qu'il ne sait pas lire - pas plus qu'il ne comprend les nouveaux idiômes écrit qu'il a rencontré depuis le début de sa quête - mais il leur faut bien tuer le temps. La nuit ne saurait tarder ; et les pans de la muraille d'Ambi que les Gardiens n'ont su emboutir à l'heure du Fléau se découperont bientôt derrière les massifs d'ardoise qui accompagnent la lune dans sa course. Il est trop tard pour reprendre la route, particulièrement avec un blessé sur les bras.

Et puis... Se concentrer sur les dernières mémoires laissées par un groupe de survivants, piégés dans la carcasse d'une demeure en proie aux flammes, l'aide à ne pas trop penser au reste. Devrait-il se souvenir de ces lieux, des gens qui les habitaient ? De ces inconnus qu'il - que l'Autre - n'a pas su protéger ? Ces ruelles, ces chemins de rondes que patrouillent des Bokoblins pugnace et querelleurs, les a-t-il déjà arpentés en d'autres temps ?

Sur le givre de ses yeux tombent deux suaires de chair, tandis que Sans-Nom cherche à oublier les questions qui remontent déjà. Son bras droit le brûle doucement, comme à chaque fois que le doute le gagne, mais cela aussi il préfère l'ignorer. Ces réponses, il ne les a pas. A certains égards, il ne veut pas les avoir... et il ne les aura de toute façon jamais. Ses doigts, qui glissaient jusqu'à lors sur la roche, se referment en un poing serré à s'en faire pâlir les phalanges. Un soupir discret perce ses lèvres abimées par le froid.

Pourquoi se sont-ils arrêtés ici ?

Pourquoi avoir préféré les ruines d'une Cité, réputées dangereuses, plutôt que les collines et l'étrange Sylve qui les habillent ?

Secouant brièvement la tête, comme pour chasser les pensées qui le travaillent plus que de raison, l'Hylien s'arrache soudainement au mur et s'avance vers la porte qui donne sur une petite esplanade marchande, autrefois dominée par une fontaine sculptée dans une pierre blanche. Sans s'expliquer auprès de Reed, longtemps resté près de l'inconnu inconscient, de son épée de voyage et surtout de sa dague ornée, il pousse les battants de bois que les âges et le mauvais temps ont fini par ronger. Un vent gelé, rendu d'autant plus glaçant que la pluie ne s'est pas calmée, s'engouffre dans la masure qu'il quitte sans bruit.

Jetant sur son chef une capuche de fourrure beige, l'Hylien longe un instant la vieille maison, jusqu'à gagner l'appentis au fond duquel somnole Epona. Il enjambe d'un geste souple la petite barricade de pierre et rejoint la jument ainsi que l'essentiel de leurs provisions. « Salut, toi », souffle-t-il en ramenant son cache-nez sur sa gueule balafrée. Sa main gauche épouse bientôt l'encolure de l'équidé. « C'est un peu étouffant, à l'intérieur... J'aime mieux le froid », poursuit l'ancien homme-lige, probablement davantage pour lui que pour sa camarade. « Tiens, c'est pour toi », fait-il après un instant passé à contempler les échoppes éventrées, abandonnées çà et là sur la place du marché, les statues et les colonnes brisées, les dalles fracassées, les bicoques déchirées par de puissants ergots d'acier Sheikah. Sa main plonge ensuite dans l'une des deux sacoches de selle, dont il tire une pomme, qu'il tend à son amie. Elle l'a bien méritée.

Appuyé contre l'un des derniers piliers soutenant encore une toiture dont le faîtage de chaume a été arraché par les bourrasques et remplacé par la neige, le vagabond laisse son regard sauter de ruines calcinées en ruines calcinées. Le lourd manteau d'albe qui masque les habitations désossées ne suffit pas à cacher l'étendu des dégâts infligés par les Gardiens, il y a un peu plus d'un siècle maintenant. « Je me demande... — », commence-t-il, soudain, avant de laisser mourir sa voix déjà étouffé par l'étoffe. Le verglas de ses yeux s'éloigne tristement des venelles qui séparent encore les maisons lacérées tandis qu'une fois encore, il essaie de fuir la réalité que d'autres n'ont su empêcher. Les doigts de sa main gauche se referment avec force sur son poignet, à quelques pouces seulement du bracelet offert par Pahya.

Soucieux de ne pas souffrir de commentaires et autres interrogations en rentrant, l'Hylien récupère de quoi cuisiner un frugal repas dans l'une des gibecières accrochées à la selle de son amie. Du riz, essentiellement, mais aussi quelques lamelles de viandes séchée. Puis, adressant une dernière caresse à la jument, il fait marche arrière vers le gite improvisé avec Reed.


L'odeur du riz, quoique discrète, emplit les restes du magasin où le duo s'est installé avant de porter secours à un inconnu. Ce dernier, que la perspective d'un repas chaud semble sortir du sommeil, émerge doucement. L'Hylien lui accorde un bref regard, du coin de l'oeil, avant de se pencher de nouveau sur sa préparation. Cela fait un moment, déjà, qu'il cuisine pour deux. Depuis le sauvetage de Quill et de Camailla, le forban et lui ont fait route commune sans qu'il ne sache précisément combien de temps cela durera. Reed l'a invité à rejoindre son équipe, dans le but de regagner ce qui fut autrefois sien, sans pour autant réclamer une réponse immédiate et le sujet n'a pas été de nouveau posé sur la table. Pour l'heure, tous deux voyagent vers le sud et cela lui suffit amplement ; d'autant que l'homme a fini par comprendre qu'il y avait meilleur compagnon de route, pour quiconque espère bavarder.

"Tiens, fait-il simplement, en lui tendant un bol de céramique rouge, gravé de motifs Sheikah et rempli de riz chaud, voilà pour toi."

Sans un mot de plus, Sans-Visage reporte son regard vers le jeune Hylien qui s'est relevé jusqu'à s'asseoir sur la paillasse de peau étendue au sol. « Tu as faim ? », s'enquit-il simplement après quelques secondes, le temps de remplir un second bol, qu'il abandonne à proximité du voyageur. D'expérience, il sait qu'ils ne parlent probablement pas exactement la même langue et qu'un tel geste sera plus simple à comprendre qu'un long discours. Il n'a de toute façon pas le courage de se lancer dans une conversation soutenue ou même dans un échange de sympathies et de banalités. Ce rôle-là, il le laisse bien volontiers à son compagnon d'infortune.


Reed


Inventaire

Le pauvre bougre aurait probablement passé l'arme à gauche si le binome n'avait pas croisé sa route, par chance. Il était à présent en bien meilleure posture qu'il y a encore peu, le teint bleuté.

Dorénavant allongé près du foyer, les flammes le berçaient d'une douce chaleur, si bien que l'homme reprenait peu à peu des couleurs. Il demeurait cependant toujours inconscient, comme plongé dans un profond sommeil.

"Il a finalement survécu ... je ne l'aurai pas parié" s'en était étonné Reed, presque déçu. Il est vrai que le corsaire aurait aimé pouvoir dépouiller l'individu sans remord aucun, c'était d'ailleurs son intention première lorsqu'il s'était approché du corps inanimé, tel un vautour – pensant l'homme mort – et qu'il avait aperçu l'objet finement ouvragé à la ceinture de l'étranger. Si Link ne l'avait pas interpellé pour l'aider à transporter le malheureux, Reed aurait eu tout le loisir de le délester gentiment de tout ce qui lui était surperflu pour son dernier voyage. Effectivement, il était toujours plus facile d'opérer ce type d'exaction sur un mort – ou sur une personne aux portes de la mort – que sur un vivant ... de là à dire qu'il espérait que l'homme ne s'en sorte pas, il n'y avait qu'un pas que le boucanier ne franchissait pas. En effet, il n'espérait aucunement du mal ou pire la mort d'autrui, exception faite pour les anciens membres de son équipage ... mais c'était une autre histoire. Cet homme-ci ne lui avait porté aucun préjudice.

Tout n'était pas perdu pour autant, Link n'était plus avec eux. Seul avec le miraculé, le pirate avait tout le loisir d'observer attentivement la dague. Reed attrapa l'arme délicatement, puis l'inspecta longuement. L'écusson sur le pommeau lui était totalement inconnu, mais les finitions de l'arme et le style lui semblaient familiers. Probablement avait-il déjà vu des équipements similaires, sans forcément pouvoir se remémorer avec précision l'image mentale d'un tel souvenir. La pièce était de très bonne facture et, pour l'oeil avisé, avait beaucoup de valeur. Il ignorait combien de temps il avait passé à parcourir de ses yeux la lame – trop sans doute – car l'objet ne cessait d'attirer son regard encore et encore. Il lui semblait déjà entendre revenir Link. Prestement, il remit la dague à sa place. 
L'odeur alléchante le faisait saliver. Le repas était prêt. Le contenu du bol était basique, mais il fallait s'en contenter. C'était malheureusement leur quotidien depuis leur départ de la colonie Rito. Alors que Reed engloutissait déjà sa première cuillerée, l'étranger sortait de sa torpeur.

"Tu as faim ?"

Cette question ne lui était assurément pas adressé. Il tourna alors la tête vers le rescapé, pour constater qu'il était éveillé.

"Oh ... tu as bien failli y passer l'ami" lança Reed au principal intéressé.

Il continua sur le ton de la plaisanterie.

"Bienvenu dans notre établissement, le repas est servi ! N'hésite pas à envoyer tes compliments au chef "

Il ignorait si son interlocuteur l'avait compris ou même s'il l'avait simplement écouté. Il poursuivit tout de même plus calmement.

"Je suis Reed ... Qu'est-ce qui t'amène dans cette galère, l'étranger ?"

Il était peut-être un peu prématuré pour engager une conversation, le voyageur n'avait peut-être pas encore totalement retrouvé ses esprits.


Ludrick

Mascotte incontournable

Inventaire

Il avait sous-estimé la violence des tempêtes de montagnes lors des hivers. Il n'avait jamais pu connaître de telles choses depuis son petit village. Il n'en connaissait l'existence et les risques que de par les quelques voyageurs qu'il avait croisé dans le village et à l'extérieur. Malgré tout, sa curiosité l'avait poussé à braver les dangers de cet endroit. Tel un enfant touchant pour le premère fois une flamme, il avait besoin de se heurter à ceux-ci pour s'en rendre compte. Il était naïf et n'avait pu se rendre compte de ses propes limites. L'aventurier était persuadé que les laines qu'il avait fourré dans ces vêtements suffiraient. Elles avaient toujours suffit se dit-il alors qu'il traversait le froid climat des montagnes. Un tissus venant couvrir le bas de son visage ainsi que des gants. Ludrick remerciait ses parents qu'ils lui avaient offert quelques vêtements d'hiver avant qu'il ne quitte sa terre natale. 

Cela faisait maintenant quelques heures que le blizzard s'était levé et l'avait forcé à se réfugier au sein de vieilles ruines. Un maigre feu était allumé à ses pieds tandis qu'il griffonnait sur un morceau de parcemin. Le voyageur gravait les endroits qu'il avait croisé lors de sa route parmis la région hivernale. Il regrettait juste de ne pas savoir écrire, le guerrier aurait aimé les nommer, il en était incapable. L'Elimithois se contentait d'y noter des symboles dont il était le seul à connaître la signification. Peut-être aurait-t-il dû demander à Zelda de lui apprendre mais il n'avait pas voulu lui imposer plus, la pauvre était déjà bloquée à l'auberge. Ses pensées le ramenèrent à son village, cet endroit qu'il avait fui peu après ce qu'il y avait vécu aux côtés des étrangers. Cet endroit qui lui avait donné naissance lui semblait inconnu. Le fils d'Alistair ne s'y sentait plus chez lui, il y étouffait et décida de s'en aller malgré l'hiver arrivant.

Une rafale se glissant dans les briques dans la bâtisse vint souffler le feu qui lui tenait chaud. Il se précipita sur les braises pour les souffler dans l'espoir de les raviver.

"Merde... Merde... !" Il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps par un tel temps sans les flammes. Voyant bien qu'il n'arrivait plus à l'allumer, il se sentit perdu. Que devait-il faire dans une telle situation ? Il n'en avait pas une seule idée, il ne pouvait que supposer et parier que l'une de ses idées lui permettrait de voir un autre jour se lever. 

Lentement, Ludrick s'éveilla de sa torpeur. La chaleur des flammes le ramenait dans le monde des vivants. Grâce aux deux étrangers, sa vie était sauve, pour le moment. Le voyageur ouvrit ses yeux pour faire face à un toit délabré qu'il ne reconnaissait pas. Il se releva doucement en prenant appuie sur le sol. Ses forces ne semblaient pas encore revenue et il avait du mal à comprendre où il était, faisant face à ces deux inconnus. Il vint vérifier que son héritage ne manquait pas, sa main se logeant à sa hanche. Heureusement, elle y était, sa fidèle dague. Du regard, le guerrier chercha ses affaires avant que l'étranger masqué ne lui adresse la parole. Ludrick prit quelques instants avant de comprendre que c'était à lui qu'il lui parlait. Il se pointa lui-même du doigt avant de se saisir du bol quand le jeune homme glissa le contenant à ses côtés. Son estomac criait famine donc le repas était des plus bienvenue. Après quelques bouchées pour combler son corps faible et son esprit embrumé, il remercia le premier voyageur d'un geste de la tête. 

"Merci beaucoup." adressa-t-il à la même personne avant de se tourner vers le second, lui faisant la conversation. Comment avait-il fini comme ça ? Il n'arrivait pas à s'en rappeler. Ses derniers souvenirs dataient de bien avant qu'ils ne le trouvent dans la poudreuse. "Je... Ne me rappelle pas. Je me souviens juste de mon feu qui s'est éteint... Ensuite, c'est flou." Il ne pouvait que supposer que les deux voyageurs étaient ses sauveurs. "Vous m'avez sauvé, n'est-ce-pas ? J'en suis reconnaissant. Malheureusement, j'ai rien à vous offrir en échange... Peut-être quelques provisions comme de la viande séchée ?" 

Il se pencha vers le feu pour y tendre ses mains juste devant, récoltant la chaleur des flammes. Il avait encore besoin de se réchauffer. Le riz et ce feu lui suffisaient pour ça. "Je m'appelle Ludrick, un voyageur qui souhaite découvrir le monde." Il connaissait le nom de l'homme aux cheveux rouges mais celui aux cheveux blonds avait été bien plus discret. Il aurait aimé connaître l'identité de son deuxième sauveur pour le remercier convenablement. "Et ton nom ? Je ne suis pas sûr de l'avoir entendu... Désolé si c'est le cas."


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Petite noisette

Inventaire

Juché non loin, le vieux forban prend sa relève alors que son regard glisse du survivant au discret foyer sur lequel cuit encore un peu de riz. Les deux hommes discutent, quoi que brièvement. Le second, dont ils ignorent encore tout ou presque, est de loin le plus bavard mais il ne fait aucune mention des traces qui les ont poussés à s'aventurer derrière les murailles que les araignées mécaniques des Anciens ont partiellement jetées à terre, il y a près d'un siècle. Il ne parle que d'un feu de camp, qu'ils ont d'ailleurs trouvé éteint en découvrant celui qui, à ce moment-là, ressemblait davantage à un cadavre qu'à un rescapé. Dehors, un vent froid comme l'acier souffle entre les bicoques abandonnées et les maisons en ruines. Sa rage, parfois, fait chanter les stalactites qui habillent certaines des vieilles masures. L'élégie de vestiges anciens, le triste récitatif des débris de jadis.

L'Hylien ne bronche pas, quand Ludrick évoque les quelques effets dont il peut se défaire pour les récompenser. Sans doute Reed sera-t-il plus intéressé par cette conversation, quand bien même le forban se doute qu'ils n'en tireront rien de particulier. Cela fait quelques semaines, maintenant, que les deux compagnons de route arpentent ensembles les Confins de Tabanta, en quête d'un Sud que la neige rend difficile à rejoindre. Trop peu de temps, sans doute, pour prendre toute la mesure d'un homme mais assez pour en comprendre certains des rouages importants. A chaque fois qu'il est venu en aide à autrui, l'ancien chevalier de la princesse – un titre honorifique plutôt qu'un véritable signe de noblesse, le jeune homme d'alors n'ayant jamais eu le sang bleu ou possédé de terrain – l'a fait sans demander son reste. Il y a peu de chances que cela change aujourd'hui.

Ses doigts se referment doucement sur un troisième bol gravé de motifs Sheikah, plus vieux que les deux précédents. Tout le long du bois courent des figures anciennes, appartenant à des légendes oubliées, dont la plus récente remonte prétendument à des milliers d'années. Sans un mot, tandis que le turquoise des yeux de leur invité d'infortune se posent sur lui avec insistance, l'autrefois homme lige se sert une bouchée du repas qu'il a préparé un peu plus tôt. Bientôt, sa main part à l'assaut de son sac, duquel il récupère un petit flacon de verre rempli d'une poudre rouge comme les rubis.  C'est à ce moment-là que Ludrick s'accorde finalement une deuxième question.

Un silence lourd tombe sur les décombres du vieux gourbi, tout juste perturbé par le crépitement discret des braises ainsi que le sifflement des givres perturbés par le vent, dehors.

Sans un mot, Sans-Visage relève le verglas de ses yeux, qu'il porte dur, sur Ludrick. Son regard est austère, son intonation froide — presque tranchante. « Mange », lance-t-il seulement.

Le liège qui maintenait les épices Gorons scellées saute avec un "pop" caractéristique, quand le vagabond se décide enfin à agrémenter son plat. La plupart des Hyliens qu'il lui a été donné de rencontrer n'ont guère apprécié la saveur de cet ingrédient, que les Gens-de-Pierre utilisent régulièrement (systématiquement ?) pour assaisonner leurs propres mets. Compte tenu de la poigne avec laquelle le Seigneur-Frimas tient les restes de la ville, le jeune homme ne s'accorde que quelques grammes de la poudre de rubis : la sensation de chaleur qu'elle peut théoriquement prodiguer n'est qu'une illusion et en consommer trop pourrait donc s'avérer dangereux. 

"Voyageais-tu seul ?", questionne-t-il à son tour, non sans baisser le masque qui cachait jusqu'à présent la moitié de son visage, griffé par les cicatrices. Une seconde fois, Gueule Cassée pose sur Ludrick un regard grave. L'état dans lequel ils ont trouvé le campement du survivant ne laissait guère présager la présence d'autres victimes. Pour autant, ce sont les traces d'une caravane toute entière qui les ont menés jusqu'aux murs de la vieille cité — et qui leur ont donc permis de retrouver le jeune aventurier. « Nous suivons la piste d'une caravane qui passait en bordure de la ville », précise finalement Sans-Nom, dont le regard fuit désormais à travers la presque-fenêtre qu'un boulet a jadis ouvert dans le mur. Il ne se souvient pas bien de cette époque durant laquelle certains des soldats du Royaume marchaient armés de bâtons-de-feu et poussaient des craches-ferrailles jusqu'aux sommets des remparts.

Il ne se rappelle que du nom que d'aucuns leurs donnaient alors : les porte-morts.

"Reed a trouvé des flèches", reprend l'Hylien, qui n'a toujours rien avalé. Entre ses deux mains, épousant ses paumes gantées, le bol de riz dégage une douce chaleur. « Elles étaient plantées dans le bois de la caravane. L'une d'entre elles a été broyée par les rayons de la roue », poursuit-il, non sans un regard pour son camarade. Sans son intervention, dont la motivation exacte n'a pas été discutée jusqu'à présent, ils n'auraient probablement pas pu identifier la nature réelle du danger. « La bête qui tirait la caravane manquait à l'appel, de même que les éventuels survivants de l'assaut. C'est une large traînée de sang qui nous a mené jusqu'à toi », achève Sans-Visage, sans évoquer tout de suite les Bokos, qui pourraient être responsables. Il n'a pas de certitudes à ce sujet et ce n'est pas parce qu'un trait est rudement réalisé que la fabrication leur en revient naturellement. D'autant qu'il arrive que certains recyclent les flèches qui leurs sont envoyés. Il en sait lui-même quelque chose...


Reed


Inventaire

Les souvenirs du voyageur étaient flous. Le froid avait du altérer sa mémoire. Il se souvenait cependant toujours de son nom – ce qui était plutôt rassurant – et de ses intentions : découvrir le monde. Plutôt original comme motivation en ces temps troublés. Qu'y avait de plus à découvrir dans ce monde à part d'autres ruines comme celles dans lesquelles ils se trouvaient déjà ?

"Enchanté Ludrick ! Ne t'en fais pas pour ça, garde tes provisions, nous avons de quoi manger pour l'instant"

Reed porta la main au menton, feignant une réflexion, puis l'émergence d'une idée soudaine.

"Cependant ... accompagne nous quelques temps ... quelques heures, quelques jours ... à toi de voir ... je pense que tu es bien trop faible pour repartir en l'état"

Le forban poursuivit, dissimulant un sourire.

"Et puis comme ça tu auras l'occasion de racheter ta dette d'une façon ou d'une autre ..."

Une paire de bras en plus ne pouvait être que bénéfique pour le binôme.

Peu loquace d'habitude, c'est avec surprise et attention que Reed écouta Link raconter à l'étranger comment ils étaient arrivés jusqu'à lui. Tout en continuant son repas comme si de rien n'était, Reed ne perdait pas une miette de cette scène, scrutant soigneusement et discrètement les réactions de l'étranger dans le but d'y déceler un quelconque signe ou indice.

Comme pour prouver la véracité du récit de son compagnon d'infortune, le flibustier sortit de son manteau un reste de flèche qu'il lança en direction de Ludrick.

"Attrape !"

Il déposa son bol, maintenant vide, avant de reprendre.

"Est-ce que tu as vu quelque chose à propos de cette caravane ? Une piste que l'on pourrait suivre ?"

Reed marqua une pause, laissant à l'homme le temps de rassembler de vagues souvenirs ... ou de construire un mensonge.

"Alors ? ..." s'impatienta t-il face au mutisme de l'homme, plongeant son regard dans les iris turquoises.

"Je ne veux t'accuser de rien mais ... est-ce que nous pouvons te faire confiance ou bien ... est-ce que tu es de mèche avec eux ?". Le ton n'était plus sympathique, ni amical, en total contraste avec ses premières paroles. La rupture de ton et la question aussi directe, faussement maladroite, étaient intentionnelles. Reed savait manier les mots. Méfiant envers l'étranger, le but de la manœuvre était de le déstabiliser afin de pouvoir jauger plus facilement de sa sincérité.


Ludrick

Mascotte incontournable

Inventaire

Les deux hommes semblaient se méfier de lui. Quelque chose des plus naturels étant donné qu'ils ne se connaissaient pas et qu'ils étaient simplement tombé sur lui par hasard, aux portes de la mort. Il aurait sûrement agi de la même manière à leur place. L'un d'eux, le plus chaleureux, lui donna son prénom et était bien plus bavard contrairement à son compagnon qui refusa de le lui donner. Seul le froid glacial de ses yeux lui répondit. L'Elimithois mangea alors le contenu de son bol sans insister. Plus curieux qu'il ne l'aurait dû l'être, il observa l'étranger tandis qu'il baissait son masque et ne s'attendait pas à voir de telles cicatrices En plus grand nombre que les griffures sur le visage de Reed. Quelle genre de vie avait-il mener ? Par respect et discrétion, il n'en fit aucune remarque.

"Oui, j'étais seul..." Il s'apprêtait à développer un peu quand ils abordèrent la caravane. Cela lui rappela quelque chose. Une chose qu'il avait sur le bout de la langue. Soudain, ça le frappa et une grande surprise se marqua sur son visage. Il était à la recherche de cette caravane lui aussi. Deux de ses amis en faisaient partie quand il se séparèrent. Il attrapa la flèche l'examinant de près. Il n'était pas un pro dans ce domaine mais il avait déjà eu l'occasion d'en voir la fabrication ou d'en apprendre un peu. Il fronça les sourcils quand il se fit accuser d'être de mèche. D'après les observations qu'il avait pu faire de lui-même sur lieu de l'attaque, il soupçonnait lui aussi les bokos. Qui serait assez fou pour tenter de faire alliance avec eux ? "Au vu des flèches et de l'état du lieu où l'attaque eut lieu, je n'accuserais pas des humains en premier lieu. Et j'imagine difficilement des bokos et bandits s'allier. Je comprends ton accusation mais tu as dû en arriver à la même conclusion, non ?" Est-ce qu'il devait leur donner des infos sur Célyse et Samir ? Il supposait que oui. Deux personnes mal intentionnées ne l'aurait pas sauvé et l'aurait juste dépouillé. "Je me souviens. J'étais à leur recherche aussi. Avant de me faire surprendre par le blizzard." Il prit une autre cuillère de riz pour la mastiquer quelques secondes et l'avaler. La chaleur du plat lui faisait du bien. "J'ai eu le chance de tomber sur les restes avant. Malheureusement, la neige avait déjà recouvert certaines traces. Deux de mes proches amis accompagnaient la caravane. En parcourant la région, j'en ai entendu parler et je me suis dirigé aussitôt vers la montagne." Ces deux personnes avaient fait beaucoup pour lui et son village, il lui avait sembler naturel qu'il risque sa vie pour partir à leur recherche. "Un grand gerudo et une hylienne aux cheveux noirs. Est-ce que ça corresponds avec certaines de vos informations ?"

En attendant d'avoir les réponses qu'il cherchait auprès de ses deux nouveaux compagnons d'infortune, il termina le contenu du bol avant de le déposer au sol. Si seulement il pouvait repartir tout de suite mais ce serait juste du suicide, c'est ce qui était le plus frustrant. Son poing se referma sur lui-même, Ludrick maudissant ce blizzard. "Je payerais ma dette en vous aidant à retrouver les survivants. Nos objectifs s'alignent." Cependant, il ne savait comment s'adresser au deuxième jeune homme et l'appeler par des "hey" ou des "Toi" n'était pas ce qu'il aurait voulu. Un surnom ferait l'affaire, au moins, temporairement. Il posa son regard sur lui, faisant tourner ses méninges. Son regard bleu glacial pouvait rappeler la région où ils se trouvaient. "Tabanta" lui vint naturellement. C'était aussi l'endroit de leur infortune rencontre. "Excuse-moi. Je respecte le fait que tu ne veuilles pas me dire qui tu es mais pour éviter tout confusion, est-ce que je peux t'appeler Tabanta ? Je n'aime pas m'adresser à des gens par des hé toi ou autre." Le jeune guerrier finit par chercher dans son propre sac avant de sortir un bout d'os aiguisé et une corde en mauvais état. Des éléments typiques que les bokos utilisaient pour faire certaines de leurs armes. "J'ai déjà vu ces monstres utiliser ces matériaux pour faire leurs armes. Je l'ai pris avec moi en espérant trouver de quoi comparer."


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Petite noisette

Inventaire

Le bol ouvragé dégage une chaleur paisible, entre ses mains cachées sous l'étoffe. Sans mot, le regard braqué sur l'étranger qu'il écoute avec attention, l'Hylien tâche d'ignorer la douleur qui lui ronge les doigts. Ses phalanges, que le tissu ne recouvre pas, blanchissent doucement. Le feu de camp, qui sépare Sans-Nom de ses deux compagnons d'infortune, jette une lumière fauve sur l'ancienne bicoque en ruine. Sans doute celle-ci suffira-t-elle à masquer son trouble, tandis que Ludrick plaide sa cause. Le jeune homme n'a visiblement pas apprécié les insinuations presque maladroites de Reed. Les sourcils froncés du bretteur, la hanche toujours alourdie par une dague à quillons d'or, témoignent mieux de son sentiment que ne pourrait le faire son argument. Peut-être n'a-t-il pas autant voyagé que d'aucuns ne pourraient le penser, s'il estime encore que ceux qui fabriquent les flèches sont toujours ceux qui les tirent. Pour autant, il n'a pas tort : la Cité est tombée depuis longtemps aux mains de plusieurs tribus Bokos, dont l'une est aujourd'hui dirigée par une bête énorme, grande comme trois hommes et au chef décoré d'une large corne ; à en croire les informations communiquées par Teba lors de leur séjour au sein de la Colonie Rito. Impossible de dire, de l'aveu même des éclaireurs ailés, s'il s'agit d'un Bokoblin particulièrement massif ou d'un Moblin née d'une étrange union.

Ses lèvres demeurent scellées, quand le rescapé reprend, après un bref instant. Toujours aussi concentré sur le récit de Ludrick, le vagabond dévoile deux baguettes Sheikah, elles aussi gravées de motifs anciens représentant les Dieux d'autrefois affrontant le Fléau qu'il lui a fallu défaire. Bientôt, le bois s'enfonce dans le riz et, tandis que leur infortuné camarade explique avoir pris en traque la même caravane qu'eux, il s'accorde une première bouchée. De toute évidence, le jeune aventurier ne s'attendait pas à être ainsi surpris par la neige et la colère du Seigneur-Frimas. Elles avaient aussi compliqué leur avancée et c'est face à l'ire de l'Hiver qu'ils avaient eux-mêmes du chercher refuge au sein du vieux Bourg. En temps normal, ni le forban ni l'ancien homme-lige n'auraient souhaité s'aventurer dans l'enceinte de la Ville-Close. 

Dehors, le vent souffle encore avec force et méchanceté. Son râle, sifflant, s'insinue entre les murs de leur abri de fortune, glissant à travers les brèches creusées par les Araignées mécaniques d'autre fois.

L'Hylien n'a pas besoin de demander pourquoi le jeune homme suivait le convoi et l'explication avancée lui semble satisfaisante — plausible. Reed sera peut-être plus suspicieux que lui – il a bien remarqué que l'ancien nautonier a besoin de motifs plus tangibles avant de se décider à risquer sa peau – mais le Garçon-Sans-Nom a des raisons de croire l'inconnu. En vérité, il aurait sans doute agi de la même façon, peu ou prou, s'il s'était retrouvé dans une situation comparable. Peut-être aurait-il fait preuve d'une meilleure préparation, peut-être pas. Dans tous les cas, il se serait lui aussi élancé à la recherche des amis évoqués par l'étranger. Une nouvelle fois, sa poigne se resserre sur le bol offert par Impa il y a maintenant plus d'un an, alors qu'il s'éveillait à peine et s'apprêter à débuter sa quête. Incapable d'envisager – ou même de concevoir – la vérité qui aurait du le frapper à l'instant, il laisse le survivant poursuivre et décrire les proches sommairement les proches qu'il veut retrouver. 

Une femme, Hylienne, aux cheveux noir. Un Gérudo, de grande taille, au moins comparé aux gens nés loin du Désert.

Les dents serrées, l'Hylien se force à avaler une seconde bouchée. Les épices Gorons relevaient légèrement le goût du riz — trop peu pour empêcher que son esprit ne vagabonde et que son cœur ne s'emballe. Bientôt, le plat à peine entamé quitte ses paumes redevenues froides. La chaleur réconfortante qu'il dégage ne parvient plus à l'atteindre. Ludrick finissant son propre bol, il pousse vers lui le récipient qu'il abandonne. « Mange », souffle-t-il une nouvelle fois, reprenant enfin la parole après le long monologue du jeune homme qu'ils avaient sauvé. Il en faudra davantage pour qu'il ne récupère l'ensemble de ses forces et lui-même n'a de toute façon plus l'envie d'avaler quoique ce soit. 

Les poings sur les genoux, les phalanges tout aussi pâles qu'auparavant, il s'apprête à se relever quand le rescapé s'exprime une fois de plus. Le garçon est bavard, peut-être plus que Reed encore. Il explique qu'il entend repayer une dette en les aidant à retrouver ses propres camarades. Le givre de ses yeux remonte sans mot sur le regard turquoise de l'aventurier, aussi dur que froid. D'un geste rapide, Sans-Visage relève le masque qui lui mange jusqu'au nez, dissimulant tout ou partie de sa gueule cassée. L'air froid, pourtant, continue de cristalliser le souffle qui perce ses lèvres.

Il préfère ne pas répondre. Il ne s'agit de toute façon pas d'une question, mais bien d'une affirmation, et il se contente donc d'un regard entendu à Reed. Le Forban, espère-t-il, comprendra ce qu'il s'apprête à faire. Peut-être en a-t-il déjà assez des sauvetages, après celui de Quill et de Camailla. Leur camarade n'est visiblement pas en mesure d'accompagner qui que ce soit en l'état ; sauf à avoir été préservé par magie des engelures que le froid et le blizzard ont tenté de lui offrir. 

Une fois encore, c'est Ludrick qui brise le silence en s'enquérant du nom qu'il est ou non en droit de lui donner. Le verglas de son regard toise une seconde l'étranger, alors que le Fils-de-Personne s'enfèrre dans un mutisme de plus en plus profond. Sans un autre mot à l'attention du jeune homme, il se relève, récupérant par la même occasion sa lame de chasse et tourne les talons.


Le sang imprègne la neige, pourtant fraiche. Malgré le vent et la poudreuse, certaines traces persistent. Les tribus Boko qui arpentent encore les ruines de Lynna ne comptent parmi les plus subtiles. Il a déjà vu certaines de ces créatures faire preuve d'une discrétion réelle, d'une habileté à la chasse comparable à celles d'humains entraînés. Ce n'est pas le cas ici. Sans doute, en s'installant ainsi qu'ils l'ont fait, les Bokos ont trouvés d'autres solutions pour nourrir les leurs et n'ont pas eu besoin de traquer une proie depuis des années. Les doigts suivant le manteau d'hermine et le genou enfoncé dans l'albe rougie qui tapisse le sol, le jeune homme relève les yeux. Près de l'une des arches partiellement éventrées par une guerre ancienne, il distingue la marque de deux corps, allongés. La pierre a du servir de coupe-vent et a préservé les traces. Il repère aussi les empreintes de pas d'au moins un individu, partant du point de repos avant que le Seigneur-Frimas ne commence à souffler sur sa piste.

Le poing fermé sur la gaine de cuir de son scramasaxe, qu'il n'a pas pris le temps de renouer à sa ceinture, l'ancien chevalier contemple aussi les longues lignes discontinues tracées, à l'évidence, par la carcasse d'un cheval tiré par un Moblin (ou, peut-être, une troupe de Boko en nombre). « 'Chier... — », soupire-t-il d'une voix étouffée par l'étoffe qui lui ronge le nez et qui masque ses lèvres, de toute façon trop faible pour trancher à travers la chanson du Galerne Rito. Le givre de ses yeux cherche, sans interruption, le chemin que les rescapés auraient pu suivre avant ou après avoir échappé à leurs assaillants. Il a le sentiment que les deux inconnus – les amis de Ludrick, peut-être – ont joué les morts face à leurs attaquants, avant de partir après eux. La plupart des Boko n'abandonnent pas les cadavres de leurs ennemis, mais il arrive que certains finissent par s'en désintéresser. Sans doute le cheval a-t-il semblé plus goûteux que les deux voyageurs.

Conscient du peu d'option dont bénéficiaient alors les rescapés, l'Hylien reprend sa traque en direction des bâtisses que le vent, l'âge et la guerre n'ont pas suffi à souffler. Une neige dense ralentit sa course et habille les murs de pierre, autrefois peints de milles et une couleurs. Le souvenir de certains des motifs demeure peut-être gravé dans la mémoire de l'Autre, dont il tâche d'ignorer le regard qui pèse sur sa nuque, et il persiste çà-et-là sur certaines bicoques. Ce n'est que quand il repère la lueur asphyxiée d'un feu de camp qu'il se décide à s'engager dans l'une d'entre elles. Sa paume gauche épouse la hampe du couteau de chasse, qu'il reste prêt à tirer au clair. 

Ses yeux de verglas, fatigués par la pénombre, peinent à faire sens de ce qu'il voit en s'avançant vers le fond de la bâtisse. Il croit en effet distinguer deux personnes, dont l'une apparaît grande, ainsi que l'avait annoncé Ludrick. Mais il n'est pas certain qu'elles soient seuls. « Je cherche les survivants de la caravane qui a été attaquée », lance-t-il d'une voix légèrement enrouée mais qui se veut rassurante. Pourtant, sa posture trahit sa méfiance pour quiconque sait quoi regarder : il demeure trapus, prêt à bondir en dehors du chemin d'une dague ou d'une hache et ses deux mains sont toujours fixées à sa propre lame. « C'est Ludrick qui m'envoie », affirme-t-il ensuite, espérant ainsi gagner la confiance des survivants et calmer ceux qui pourraient se laisser aller à la panique.


Célyse


Inventaire

Alors que Célyse se préparait à quitter Elimith pour le domaine Zora il y avait de cela plus de deux mois, elle croisa la route d'une voyageuse à l'auberge. Cette rencontre changea drastiquement tous ses plans. 

La voyageuse répondait au nom d'Elif, et elle avait entendu parler d'un médecin prodige qui s'était installé quelque part dans les confins de Tabanta. D'après elle, cet homme serait capable de soigner tous les maux. Elle n'avait malheureusement pas su lui dire grand chose de plus sur cet homme miraculeux, à part qu'il résidait dans un campement à Tabanta, et qu'aucune maladie ne semblait lui résister. Mais plus intéressant encore, il s'agirait apparemment d'un spécialiste des malédictions.

Célyse était une fervente femme de sciences. Elle ne croyait pas particulièrement en la magie, et encore moins en ses pouvoirs bienfaiteurs. Mais depuis le tragique événement qui l'avait amenée à confronter le fantôme d'un puits, au coeur d'une explosion épidémique qu'elle n'avait pas été en mesure d'endiguer, elle n'était plus sûre de rien. 

Aux dernières nouvelles, son village était toujours frappé de cette étrange affliction qu'aucun médecin n'avait été en mesure de guérir.
Et s'il s'agissait d'un événement surnaturel, comme ce fut le cas pour la malédiction lancée par la petite Maryl, aucun remède ordinaire ne serait en mesure de sauver son village. Seul un mage le pourrait.
Et puis, cela faisait plus de deux ans qu'elle avait quitté son foyer. Se rapprocher de celui-ci lui permettrait d'avoir des nouvelles de sa famille... bien qu'elle se refusait catégoriquement à rentrer, tant qu'elle n'avait pas trouvé un remède. C'était une question d'honneur.

Lorsqu'elle avait quitté la table d'Elif pour faire part à Samir de ses trouvailles et de ses réflexions, celui-ci n'avait pas protesté face à son brusque changement de plan. Sa seule réaction avait été de taquiner la doctoresse sur le soi-disant béguin que la voyageuse aurait eu pour elle, ce qui n'avait pas manqué de faire réagir Célyse au quart de tour. Samir, je suis une femme ! Avait-elle rétorqué, sans pouvoir dissimuler tout à fait son trouble. Cela n'avait pas eu l'air de perturber le Gérudo, qui s'était contenté de lui adresser un regard entendu, avant de partir préparer ses propres affaires.

Le duo s'était mis en route assez rapidement après cela, non sans une longue procession d'au revoir dans la Cité-Commerce. Célyse était soulagée de reprendre la route, mais Samir avait été affecté par tant d'adieux... tout du moins, pendant une petite demi-journée. Le jeune homme avait tendance à se remettre vite des départs précipités. Peu encombrés qu'ils étaient, et grâce à la puissance de Milh, leur fidèle jument à la couleur de sel, les deux acolytes s'étaient dirigés en direction des terres de Tabanta. Ils finirent par croiser la route d'une caravane qui voyageait dans la même direction qu'eux, et conscients que voyager à plusieurs étaient plus sûr que de continuer seuls, cela faisait plus d'une semaine qu'ils avançaient avec le groupe.

Dire que leur voyage avait pris une tournure drastique relevait d'un bel euphémisme.

La séquence qui suivit l'attaque des Bokos demeurait un peu floue dans l'esprit de Célyse. Ce fut un carnage. Un cheval fut tué en premier, et les gens tentèrent de s'enfuir par toutes les directions. Dans la cohue, quelqu'un bouscula Samir, et celui-ci se cogna la tête contre un rebord de la caravane, avant de s'effondrer. Leur jument Milh, qui n'était pas attachée à la caravane, partit au grand galop et disparut en quelques secondes sous la neige. 

Et Célyse, qui avait passé toute sa vie à s'entraîner pour ce moment, pour mourir au combat la lame au clair, l'honneur sauf...
Célyse analysa la horde d'ennemis qui s'abattait sur eux, et choisit la route de la survie.
Célyse fit la morte.

Elle s'étala dans la neige à côté de Samir, sans savoir si celui-ci était mort, ou s'il avait simplement perdu connaissance suite au coup qu'il s'était pris sur le crâne. Elle ne releva pas la tête une seule fois, peu importe les bruits qu'elle entendit, les pieds si proches des Bokos tout autour d'eux, et la respiration lourde d'une créature plus grande, plus inquiétante que ces derniers. Elle ne remua pas d'un pouce, pas même lorsque les bruits de pas s'éloignèrent progressivement, et que les derniers cris s'éteignirent. Les minutes défilèrent, jusqu'à ce qu'elles lui paraissent devenir des heures, avant qu'elle ne finisse par se redresser.

La voie était libre.

Elle prit le pouls de Samir, et lâcha un soupir tremblant lorsqu'elle constata que celui-ci était encore en vie. Elle s'empressa d'appuyer sur ses points de qi, jusqu'à ce que le Gérudo revienne à lui en un sursaut douloureux. Sans rien lui expliquer, elle l'entraîna à sa suite, et ils coururent comme si leur vie en dépendait. C'était d'ailleurs très probablement le cas.

A l'abri dans une petite maison tout en longueur, Célyse s'empressa de faire un feu, tandis que Samir cédait à la panique. Où était leur jument ? Où est Milh ? La vision de l'autre cheval de la caravane, décapité sans sommation, leur revint avec effroi à l'esprit. Il fallait qu'ils retrouvent leur jument, coûte que coûte. C'était de toute façon leur seule voie de salut.

Du coin de l'oeil, Célyse repéra une ombre mouvante à l'entrée de la modeste bicoque qui leur servait d'abri. Par pur instinct nerveux, elle dégaina son sabre, qu'elle positionna vers la silhouette qui se détachait de la pénombre. 

Un humain, tout aussi emmitouflé qu'eux. Une longue cicatrice lui fendait le visage.

Célyse ne baissa pas sa garde. Elle lui jeta un regard féroce, plus consciente que jamais de la présence de Samir derrière elle. Celui-ci était encore secoué. Si l'étranger décidait de les attaquer, elle était la seule à faire rempart entre eux deux. « Qu'est-ce que vous voulez ? » Aboya-t-elle d'une voix que l'appréhension rendait plus rauque que d'ordinaire. « On n'a rien sur nous. Allez-vous-en. »

« Je cherche les survivants de la caravane qui a été attaquée, » prononça l'inconnu. Sa voix sonnait légèrement enrouée, comme si cela faisait longtemps qu'il n'avait pas utilisé celle-ci. L'expression de son visage se voulait rassurante, mais Célyse reconnaissait bien la tension qui lui courbait l'échine. Il avait la posture d'un guerrier prêt à se battre.

Contre toute attente, l'étranger ajouta, comme une arrière-pensée : « C'est Ludrick qui m'envoie. »

L'effet fut immédiat. La main de Samir se posa sur l'épaule armée de Célyse, la sommant de baisser son arme. Surprise d'entendre ce nom dans un endroit si lointain, la doctoresse s'exécuta. 

Le garçon du désert dépassa sa compagne par la droite pour pouvoir s'avancer vers l'étranger. Tout son visage s'était illuminé en entendant le nom de son ami d'Elimith. « Ludrick ! Ca fait longtemps que j'ai pas entendu ce nom.  »

(Célyse trouvait cela assez gonflé de sa part. Ca ne faisait que deux mois qu'ils étaient partis.)

Sans se soucier de passer devant la lame de sa compagne, le garçon du désert adressa un grand sourire à l'homme balafré, avant de lui demander sans arrière-pensée : « Comment il va ? Comment il sait qu'on est ici ? » Il parut réfléchir à la question pendant un instant, avant d'ajouter : « Et toi, comment t'as su qu'on est ici ? »

Il n'y avait que de la curiosité dans son regard. Aucune trace de méfiance. Par ce seul nom, il acceptait de lui faire confiance. 
Après tout, c'était de Ludrick dont il s'agissait.


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Petite noisette

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Les doigts de l'Hylien grimpent jusqu'au sommet du masque de tissu qui lui dévore le visage. D'un geste bref, il descend l'étoffe alors que son regard s'adapte peu à peu à la pénombre ambiante. La maison dans laquelle les deux inconnus ont trouvé refuge est plus longue qu'elle n'est large et ils se sont installés aussi loin que faire se peut du seuil, dans lequel il se tient encore. La lumière faiblarde de la lune, qui éclairait la neige avec fureur dehors, peine ici à passer. Le feu de camp qu'ils ont allumé pour lutter contre le froid jette sur les murs un éclat ocre, presque aveuglant. Pourtant, il en distingue assez pour repérer le wakizashi dressé par la jeune femme derrière laquelle se cache un grand gaillard. Le Gérudo sans doute. Son regard abandonne un instant la lame de l'étrangère, pour longer les parois de la vieille bicoque en quête d'éventuels autres survivants, mais il ne voit personne. S'ils étaient plus nombreux après l'assaut, les autres rescapés ont du fuir ailleurs.

Sans mot, avec l'espoir de permettre une désescalade rapide, le jeune homme entreprend de se détendre. Sa main gauche quitte la fusée de son scramasaxe, sculptée dans le bois d'un cerf, et le voilà qui la lève bien en évidence pour signaler la nature réelle de ses intentions. Une fois de plus, le vagabond tâche d'ignorer la flamme qui ronge son bras. Avant qu'il n'ait l'occasion de dire quoique ce soit de plus, l'ami de Ludrick passe devant sa garde du corps. Sa voix, ronde comme les ergs du désert, résonne entre les cloisons de la masure. Elle est chargée d'un sourire franc. A l'évidence, le jeune homme qu'il a arraché à la poigne du Maître de l'Hiver n'a pas menti. Curieux – et visiblement bavard, à l'image de son compagnon d'infortune –, le Gérudo reprend vite la parole ; d'autres questions lui brûlant la langue. C'est sans hésitation, d'ailleurs, qu'il vient se placer devant l'ancien homme-lige.

Convaincu que le danger est levé, Sans-Nom laisse tomber le bras qui le brûle contre son flanc. Il s'avance également d'un pas, pour ne pas prendre le risque de rester trop visible de l'extérieur et d'ainsi trahir leur emplacement.

Son interlocuteur le dépasse de plus de deux têtes, au bas-mot. Il a la peau matte qu'arborent la plupart des gens de son peuple (ou, à tout le moins, celles de la tribu de Makeela Riju) et une longue chevelure rousse encadre un regard vert, pétillant d'excitation. Quelque chose, chez l'étranger, inspirerait presque l'optimisme ou la bonhomie. Comme si rien ni personne, et moins encore une troupe de Bokoblins, ne pouvait percer sa bonne humeur.

"Il va bien, déclare sobrement l'Hylien, qui doit lever la tête pour pouvoir soutenir le regard du Gérudo, il s'était laissé surprendre par le brouillard quand nous l'avons trouvé."

Le givre de ses yeux glisse, un instant, du rouquin à la jeune femme qui est restée légèrement en retrait. Elle à l'air considérablement plus méfiante que son camarade. Plus discrète aussi. Tout étonné qu'il soit de voir une Hylienne tenir un sabre Sheikah, il demeure silencieux à ce sujet. Les chemins que les Dieux tracent pour les mortels sont souvent plus sinueux qu'il n'y paraît. « Mon compagnon veille sur lui en ce moment », reprend-il après un instant, soucieux de bien faire comprendre que le pauvre hère n'a pas été dépouillé puis abandonné une nouvelle fois à la colère du Seigneur-Frimas. Un soupir profond naît et meurt dans sa gorge, avant d'avoir l'occasion de percer ses lèvres gercées par le froid. Son souffle, comme celui des deux rescapés s'étiole en fumeroles et en nuages opalins avant d'être balayé par le vent froid qui s'immisce par les fissures et les lézardes qui sillonnent la vieille bâtisse.

"Il n'a pas dit grand-chose...", reconnaît tout de même l'Hylien, qui n'a pas l'intention d'éviter les questions du Gérudo. Rien ne sert d'alimenter la suspicion de sa compagne de route, déjà sur les nerfs. Et lui de poursuivre, ensuite : « ... simplement qu'il suivait votre convoi avant l'attaque. » Impossible, pour lui comme pour Reed, de vérifier si Ludrick avait dit vrai à ce propos. Le jeune homme était coincé sous une poudreuse épaisse quand ils l'avaient retrouvé et toutes les traces de ce qu'il avait pu entreprendre auparavant avait été effacées par le Magnat d'Ivoire. « Il était inquiet pour vous deux », juge-t-il bon de préciser finalement. Avant d'asséner, prosaïquement, sa conclusion : « Pour ma part, j'ai suivi la trace des Bokoblins. »

Une nouvelle fois, le verglas de ses pupilles parcourt l'ancienne pièce à vivre, que les âges, la guerre et les pillages ont laissée plus nue qu'un os. « Je peux vous escorter jusqu'à notre camp, si vous êtes en état de voyager », propose alors le vagabond, le regard encore perdu dans le vague. Une question lui brûle encore les lèvres. « Y a-t-il d'autres survivants ? »


Célyse


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Quelque chose se détendit dans la ligne des épaules de la jeune femme, lorsque l'étranger évoqua l'inquiétude de Ludrick à leur sujet. Son visage resta prudemment neutre, mais elle ne paraissait plus aussi aux aguets.

Le sourire du Gérudo, cependant, diminuait progressivement au fur et à mesure que l'homme au visage balafré avançait dans ses propos. Il finit par lâcher, l'air visiblement inquiet : « Aucune idée. Je suis tombé dans les pommes, et le temps de revenir à moi, Célyse m'a pris par le bras et on s'est enfuis. » Il jeta un regard interrogateur à sa compagne, dans l'espoir que celle-ci élabore un peu plus.

L'Hylienne haussa les épaules, avant d'ajouter simplement : « Peut-être qu'il y en a quelques uns. La plupart sont morts pendant l'assaut. Certains ont peut-être réussi à s'enfuir, mais ils sont partis de leur côté. »

Samir lui coupa presque la parole lorsqu'il ajouta : « Mais il faut qu'on retrouve Milh. » Il triturait nerveusement sa longue natte flamboyante, tout en enchaînant : « C'est notre jument. Elle a une robe blanche, plutôt grande, une pure sang Gerudo. Je pense qu'elle s'est échappée pour fuir l'assaut, elle aussi. » Il ajouta fièrement: « C'est une brave bête. »

Sans se soucier de la bienséance, le Gérudo s'empressa de saisir les mains de l'inconnu entre les siennes. « Jeune homme, je dois la retrouver. Cette jument, c'est toute ma vie. » Son regard se faisait implorant. « Vous avez pu suivre les traces des Bokoblins. Est-ce que vous pourriez retrouver Milh comme ça ? En suivant la trace de ses sabots ? »


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Petite noisette

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Un soupir silencieux perce les lèvres scellées de l'Hylien. Vue de l'extérieur, l'attaque des Bokos paraît extrêmement violente. Il sait très bien la brutalité dont ces créatures peuvent faire preuve et tout porte à croire que les quelques survivants éventuels évoqués par la jeune femme avancent au devant de leur trépas, si personne ne leur vient en aide. Soucieux d'en savoir davantage, il s'apprête à demander des précisions susceptibles de faciliter ses recherches mais il n'en a pas l'occasion : le grand Gérudo, l'air visiblement inquiet, intervient de nouveau et coupe sa camarade d'infortune. Le regard de verglas de l'ancien Prodige revient sur l'étranger dont le visage se dessine en rides contrites et en plis soucieux. D'une main, il joue avec la natte de feu qui cascade sur son épaule, longeant son échine. Le pauvre hère évoque un autre nom, qu'il ne connait pas encore. Milh. Un cheval, suppose-t-il, avant que son interlocuteur ne lui donne raison. L'ami de Ludrick décrit un animal puissant et vif, s'il a pu échapper aux griffes des Bokoblins. 

Sans un mot, l'esprit occupé parce qu'il a pu voir, le vagabond jette sur ses yeux froids deux suaires de chair. La caravane qu'ils ont trouvé, Reed et lui, n'était tirée que par une seule bête, dont il a pu observer certains des restes alors qu'il traquait les survivants. Le blizzard a beau se calmer petit à petit, il n'est pas sûr que les traces de la jument persistent dans la poudreuse, particulièrement si elle s'est éloignée de l'ancienne cité d'Ambi, où les murailles et les enceintes de la ville-close coupent partiellement le chemin de la tempête. Sans eux, il n'aurait certainement pas pu retrouver les deux survivants.  Et pourtant, tandis que ses pensées le ramènent à sa propre amie, Epona. « Je... », commence-t-il avant d'être interrompu par le goliath du Désert. L'aventurier anxieux insiste. Sans prévenir, il se saisit des mains de Gueule-Cassée, comme pour mieux l'implorer.

Un frisson soudain secoue l'échine de l'ancien chevalier.

D'un geste brusque, presque impétueux, il arrache sa main droite à la poigne du Gérudo. 

Le regard usuellement polaire de l'Hylien se voile de surprise, glissant sur le poing qui tient toujours fermement la gaine de son couteau de chasse, tandis qu'il recule d'un pas. Le verglas qui brille au fond de ses yeux est exempt de la moindre malice quand, enfin il le concentre de nouveau sur ses vis-à-vis. La femme au wakizashi lui paraît plus tendue qu'elle ne l'était jusqu'à présent et il n'est pas sur de comprendre précisément ce qui se passe dans la tête de Cheveux-de-Feu. Conscient, toutefois, que l'air se fait sans cesse plus électrique, il tâche de retrouver le calme qu'il a subitement perdu. Un long souffle s'échappe de ses lèvres gercées avant de s'effilocher en sillons albâtre, abandonnés à la voracité du Maître de l'Hiver. « Pardonne ma surprise, toi dont j'ignore le nom », lance-t-il seulement, cherchant ensuite le vert des yeux du jeune homme. Sa paume gauche, libre de toute entrave, se referme sur le bras qu'il a abruptement soustrait à l'étreinte du Gérudo un instant plus tôt. « Je ne m'attendais pas à... — », poursuit-il, sans trop savoir comment terminer sa phrase. Sous ses mitaines, les phalanges du voyageur palissent doucement. 

Plutôt que de s'expliquer, il décide finalement de passer à autre chose. « Je tâcherai de la retrouver », confirme-t-il, l'air plus sûr de lui maintenant qu'il n'est plus question de ce qui vient de se passer.  Une petite voix, au fond de son crâne l'invite d'ores et déjà à reconsidérer : il n'est pas en mesure de faire des promesses qu'il se sait potentiellement incapable de tenir. Particulièrement dans un tel contexte où il lui faut aussi escorter les deux rescapés et, peut-être, partir en quête d'autres survivants. Dans tous les cas, poursuit la voix, un deuxième cheval serait un allié de poids pour transporter les blessés ; si tant est que la jument ne soit pas déjà perdue.

Et puis... Lui non plus n'aurait pas abandonné sa camarade. Mieux que quiconque, sans doute, il comprend le désarroi du Gérudo. « Avant cela, il nous faut rejoindre le camp », souligne-t-il encore, non sans pointer la sortie de la pointe de sa lame, toujours cachée dans son fourreau de cuir bouilli. De l'index et du majeur, il couvre sa gueule marquée par le combat contre le Fléau, prêt à s'engouffrer dans les venelles faîtes névés.


Célyse


Inventaire

La réaction de l'étranger fut pour le moins surprenante.
Ce dernier arracha sa main de la prise de Samir, avant de reculer d'un pas brusque et de saisir la garde de son couteau de chasse.

La réaction de Célyse fut immédiate : son pied gauche recula à son tour et elle s'ancra fermement au sol, la main posée sur le pommeau de son sabre. Tout son corps était aux aguets, tandis que son visage n'exprimait plus qu'une extrême neutralité. 

Ses yeux acérés ne quittaient pas le visage balafré du jeune homme, comme pour l'avertir une dernière fois. 
S'il dégainait son arme contre le Gérudo, elle le tuerait.

« Wow ! » Samir leva les deux mains devant lui, manifestant son intention pacifique. Il ne fit pas un geste pour se protéger. A la place, il se contenta de fixer d'un air légèrement amusé, légèrement penaud, cet étrange bonhomme qui réagit de façon si disproportionnée. Ca lui rappelait quelqu'un d'autre. « Désolé, mon gars. Je voulais pas t'effrayer. »

L'homme balafré finit par briser le silence,  « Pardonne ma surprise, toi dont j'ignore le nom. » Il recouvrit son bras de son autre main, comme si Samir l'avait blessé. « Je ne m'attendais pas à... — »

Samir se demanda pourquoi il parlait comme ça. Sûrement un homme de lettres. Il s'empressa d'ajouter, les mains toujours levées vers son interlocuteur : « Non, non, c'est moi. Je n'aurais pas dû te toucher sans te demander ton accord. »

Désireux de changer de sujet au plus vite, l'étranger à la balafre s'avança prudemment : « Je tâcherai de la retrouver. »

Un large sourire illumina le visage du Gérudo. Celui-ci esquissa un geste affectueux pour taper sur l'épaule de son interlocuteur, avant de se raviser en plein mouvement et de laisser retomber son bras de façon un peu maladroite. « C'est vrai ? Merci. C'est vraiment très gentil de ta part. »

Derrière, comme une ombre, Célyse s'était faufilée jusqu'à se retrouver aux côtés de son compagnon de route. Elle toisait fixement l'inconnu, encore méfiante suite à sa dernière réaction, mais l'hostilité avait disparu. Un peu à contrecoeur elle lui indiqua :  « Si tu trouves des survivants sur la route, ramène-les moi. Je suis médecin. Je peux les soigner. »

Elle ne s'attarda pas dessus et partit éteindre le feu pour pouvoir se préparer à partir. Sans ajouter un mot, elle tendit les affaires de son compagnon du désert, avant de s'emmitoufler dans son manteau de neige. En quelques instants, ils étaient tous les deux prêts à partir.

Maintenant qu'il a repris un peu du poil de la bête, le Gérudo s'avança avec assurance jusqu'à l'inconnu masqué avant de lui tendre la main : « Moi, c'est Samir. Et toi ? » Curieux comme un chat, il ne put s'empêcher d'ajouter : « Tu voyages tout seul ? »


Reed


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Les yeux de Reed ne quittaient pas le rescapé. L’étranger semblait sincère. Il s’expliqua en exposant les faits, sans essayer de dissimuler la vérité.
 
Il eut un léger rictus lorsque le voyageur avança l’argument de l’alliance invraisemblable entre Hylien et boko pour défendre sa cause. Certes, ces-derniers étaient primitifs, sauvages, brutaux, bêtes … mais ces qualificatifs n’étaient pas exclusifs à leur race. De nombreux Hyliens possédaient eux aussi ces attributs détestables. Et comme dit le proverbe « Qui se ressemble s’assemble ». Il n’était dès lors pas impossible que des individus du même acabit trouvent un terrain d’entente.

Peu importe la défense du pauvre bougre accusé à tort, elle n’était à présent plus nécessaire aux oreilles du boucanier. Reed n’avait pas décelé de signe de dissimulation de la part de son interlocuteur. Il lui accordait dorénavant une part de sa confiance – toujours dans les limites du raisonnable évidemment.

"Je payerais ma dette en vous aidant à retrouver les survivants. Nos objectifs s'alignent."

A la suite de ces paroles, Reed plongea ses pupilles dans celles de Ludrick, jaugeant une nouvelle fois de sa sincérité. Le forban hocha légèrement la tête en signe d’approbation de cette alliance nouvelle.

« Qui se ressemble s’assemble »  marmonna-t-il pour lui, amusé.

Il déplaça son regard du survivant vers Link, à l’autre bout de la pièce. Lorsqu’il comprit ses intentions, il ne put retenir un bruyant soupir agacé. « Sa bonté le perdra » pensa-t-il.

Link resta silencieux face aux sollicitations de Ludrick, et s’en alla, sans un seul mot.

« J’te conseille de pas bouger l’asticot ! Tu es bien trop faible pour le suivre … »
Assis à côté du feu, Reed fixait la danse des flammes. Après ce départ soudain, l’homme se sentait obligé de justifier le mutisme de son acolyte.

« Ne te méprends pas, il n’a rien contre toi en particulier … ». Reed plongea son regard au cœur du brasier.

« Son nom est Link … je le connais depuis peu, mais c’est un brave gars ! Crois-moi »

Le flibustier resta silencieux quelques secondes, puis reprit
 
« Si tu veux mon avis, je crois qu’il … qu’il est brisé … enfin, ce n’est qu’une supposition »

Le terme fit écho à sa propre personne. Les souvenirs refirent alors brusquement surface tandis que les flammes dansaient de plus belle. Il ignorait tout du passé de Link, mais une chose était sure, ses motivations étaient bien plus nobles que les siennes. La vengeance et la cupidité étaient les seules choses qui l’animaient au fond. Le contraste était absolu.
 
« Il n’a pas hésité à se mettre à dos une abomination mécanique, crachant le feu, pour me permettre de secourir deux pauvres Ritos »

Reed avait maintenant toute son attention dirigée vers les flammes.

« Courage ou folie ? Je n’en sais rien, mais je sais qu’à sa place j’aurais probablement agi différemment »

D’un geste, il envoya dans le foyer un bout de bois pour le raviver.

« Bien, je ne vais pas tourner autour du pot. Parle-moi de ces amis, qui sont-ils pour toi ? »

Est-ce que cette recherche valait la peine de risquer leurs pauvres carcasses, pensa-t-il. Link avait la main sur le cœur, c’était tout à son honneur mais ce n’était pas le cas du corsaire. Non pas qu’il ne souhaitait aider personne, entendons-nous. Mais les temps étaient durs et il espérait ne pas risquer sa peau pour des broutilles.

Toujours près du feu, Reed attrapa une bouteille – cadeau du peuple Rito – et s’enfila une grande rasade du liquide à l’aspect douteux.


Ludrick

Mascotte incontournable

Inventaire

Le moins bavard des compagnons d'infortune lui tendit un bol encore à moitié rempli de riz. Sans réfléchir, il l'attrapa entre ses mains, remerciant le jeune homme d'un sourire et d'un hochement de la tête. Même s'il n'avait osé le dire, il avait encore faim, son corps lui réclamant des forces alors qu'il récupérait. Son regard se dirigea immédiatement vers les gravures, son doigt ganté passant dessus. Il était persuadé de reconnaitre le style des Sheikah. Même s'il n'avait jamais communiquer avec beaucoup d'entre eux ou été dans leur village caché, il lui avait été donné de voir certains de leurs symboles sans pour autant en connaitre les significations. Les deux derniers Sheikah lui étant donné de voir datant d'avant son départ du village. Il fronça les sourcils, malgré lui, face à cette découverte. Comment avait-il pu la mettre la main dessus ? Ils n'était pas spécialement connu pour leur partage quand à leurs objets culturels. Il releva les yeux vers l'inconnu, essayant de soutirer la moindre information. Il semblait Hylien comme lui du peu qu'il avait vu de son apparence mais après avoir vu un Gerudo adapté à la culture Sheikah, tout était possible comme un Hylien devenu Sheikah. C'était ça ou alors, il avait tué l'un d'eux pour dérober leurs affaires. L'homme semblait généreux et l'avait sauvé mais chacun dissimulait des vices. Il hésita à lui en demander plus, certaines questions lui brûlant les lèvres mais il n'était pas vraiment en situation ou position de faire ça. Il décida de les mettre de côté pour plus tard. "Merci pour ton bol. Ne t'inquiètes pas, je te le rendrai, il a l'air précieux." Ce fut le seul commentaire qu'il se permit quand au bol avant d'approcher celui de son visage pour en manger le contenu. Très vite, une odeur l'interloqua, alors qu'il s'apprêtait à mettre une cuillère en bouche. Il renifla, essayant d'en déterminer la cause mais il n'avait jamais senti une  telle chose. Avait-ce un rapport quand à la fiole qu'il sortit un peu plus tôt. Dans tous les cas, l'odeur lui ouvrait  encore plus l'appétit. Et il fut étonné de la saveur qu'il découvrit en goûtant sa première bouchée. Il avait eu beau vivre dans la Ville-Marchande depuis sa naissance, jamais, il n'avait connu un telle chose. Cette saveur nouvelle suffisait à le convaincre qu'il avait fait le bon choix en partant, il lui restait tant à découvrir. 

Alors que l'homme aux yeux glacials se leva pour s'en aller, sans un mot. Il posa le bol ouvragé devant lui avant de tenter de se relever. Il était hors de question qu'il parte sans lui à la recherche de ses amis. Il voulait les retrouver et sa présence pour aider à les apaiser. Sans écouter Reed lui interdisant de bouger, il tenta de se lever sur ses deux jambes, mais celles-ci, aussi faible que celles d'un nouveau-né, il chuta lamentablement dans la neige. "Putain....!" Il dût à se résoudre à écouter Reed et rester en place. Il jeta un dernier regard vers le voyageur, inquiet. "Mais ça ira pour lui seul avec les choses qui rôdent ?" Ironique venant d'un homme qui avait voyagé seul et risqué de mourir.
Après un moment dans le silence dont Ludrick profita pour dévorer le contenu du bol, Reed le brisa et justifia l'inconnu à sa place. Il posa son regard sur les flammes, acceptant qu'il devrait attendre de ses nouvelles pour savoir ce qui leur était arrivé. "Ses yeux... Ils sont tristes. Son regard semble résolu." Il constata tandis que le forban mentionnait qu'il avait l'air brisé. Une grande inquiétude pour l'homme était né en lui quand il put apercevoir son regard mais pas une inquiétude parce qu'il pouvait être dangereux. Il tourna la tête vers lui, ses yeux affichant sa grande surprise suite à ses mots. Une abomination mécanique ? Était-ce seulement possible ? "Mais c'est imprudent  de sa..." Il se tût soudain, la vérité le frappant. Il aurait sûrement fait pareil. Non, il aurait fait pareil. Reed aurait agit différemment, c'était certain. Il semblait plus rusé. Rusé mais une certaine bonté en lui, étant donné qu'il avait accepté de l'aider. Il soupira, admettant sa malheureuse ressemblance avec Link. "J'aurais sûrement fait la même chose que lui. Témérité peut être folie, hein ?" Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres alors qu'il se rappelait les paroles de son père sur sa grande témérité depuis son enfance. Il prit une petite branche sur le sol avant de triturer quelques cendres dans le centre de la flamme, ses yeux rivés dessus. La chaleur de celui-ci était terriblement rassurant.

Reed finit par lui poser une question. Le fait de penser à ses deux amis le firent sourire bien plus qu'il n'aurait pu le penser. Il tourna le visage vers lui, son doux sourire témoignant de son affection pour les deux disparus. "Ils m'ont sauvé, eux aussi." Il ricana, admettant sa propre faiblesse, ce qui aurait pu ne pas surprendre l'homme, après tout, eux aussi l'avaient sauvé. Il continua. "Je suis tombé sur un moblin tandis que je voyageais. Ils m'ont sauvé et je les ai, ensuite, accompagnés à Elimith, l'endroit d'où je viens. Et là-bas, ils n'ont pas arrêté de m'aider aussi. C'est pour ça que je tiens à les sauver. Ils m'ont tendu la main quand j'en avais besoin, c'est seulement naturel que je leur tende la mienne en retour." Ils faisaient partit de ceux ayant aidé à résoudre la malédiction, il ne voulait même pas imaginer ce qu'il se serait passé s'ils n'avaient pas été là. Il finit par pointer avec curiosité la bouteille que l'homme prit pour en boire le contenu. "Qu'est-ce que c'est ?" L'un de ses sourcils se releva alors qu'il tentait d'en deviner le contenu. "J'ai jamais vu une boisson comme ça." Encore une nouvelle surprise, la curiosité de l'aventurier était titillé et ravie. Tant de nouvelles choses, il voulait savoir. Il lui restait encore quelques provisions et l'ambiance au coin du feu s'y prêtant, il prit son sac pour en sortir un morceau de tissus bien emballé. Il l'ouvrit avec attention pour dévoiler des morceaux de bœuf séchés. Il prit l'un des morceaux entre ses doigts avant de le tendre à son interlocuteur, un sourire aux lèvres. "Tiens, il m'en reste quelques-uns." 


Link

Petite noisette

Inventaire

Le visage de nouveau couvert par un masque d'étoffe, l'Hylien observe ses deux nouveaux compagnons d'infortune se préparer. Quand la jeune femme explique être médecin, il se contente d'un hochement de tête entendu ; les lèvres de nouveau scellées sous le tissu. L'espace d'un instant, tandis que le brûle encore le bras qu'a saisi le Gérudo, il envisage de lui parler du mal qui le ronge. Sans-Nom reste pourtant silencieux, son regard de givre accompagnant les gestes des deux rescapés. L'un éteint le feu d'un mouvement rapide alors que l'autre se glisse dans un épais manteau de fourrure. Après un instant, l'esprit vagabond et décidé à se remémorer les mots de l'Ancien Dieu de la Montagne, il laisse ses yeux s'aventurer dehors. La tempête semble s'être calmée et si la nuit avance avec hargne, des faisceaux d'argents descendent doucement des cieux, jetant sur la neige une lumière d'albe. Il n'y a plus qu'à espérer que la jument des deux voyageurs n'est pas partie trop loin. Une part de lui s'inquiète moins que d'aucuns pourraient le penser : il sait les chevaux capables d'une affection toute particulière et jusqu'à présent Epona a toujours su retrouver son chemin jusqu'à lui. Ceci étant dit, il n'a jamais laissé son amie s'enfuir à proprement parler. Moins encore en plein blizzard.

La voix puissante du Gérudo l'arrache à sa rêverie et le verglas de ses pupilles revient vers l'intérieur sombre de la bicoque. Il lui faut un bref moment pour se réhabituer à la pénombre ambiante ; en total contraste avec l'iridescence nacrée qui habille les anciennes voies pavées de la Ville-Close. L'étranger tend la main, comme pour entériner un accord. Pris au dépourvu, l'Hylien fait passer le scramasaxe (qu'il garde dans sa gaine, l'estoc vers l'extérieur, et qu'il n'a jamais attaché à sa hanche) d'une paume à l'autre, avant de répondre à l'appel de son vis-à-vis de la gauche. Alors qu'il sent les doigts solides du jeune homme se refermer sur les siens, Samir se présente et enchaîne les questions. Ses dents grincent sans bruit, alors qu'il l'interroge sur un sujet tout à la fois si trivial et si essentiel. « Non », lâche-t-il seulement, en réponse. Et lui de poursuivre, un peu moins abrupt : « Un autre homme m'accompagne. » Puis, mettant un terme à la poignée de main, l'Hylien invite ses deux camarades à ouvrir la marche. Vieille habitude de soldat, sans doute, mais il n'a jamais aimé montrer son dos à des inconnus armés. 

Sans s'attarder plus que de raison, l'ancien homme-lige s'engouffre à son tour dans la ruelle blanchie par la poudreuse. Le froid est mordant, comme si l'air aspirait toute la chaleur conservée sous ses pelisses. Les sourcils froncés et les yeux plissés, il se met en quête de la moindre trace susceptible de trahir la présence d'un Bokoblin ou d'une créature similaire. Un silence de mort est retombé sur l'antique Cité d'Ambi, charrié par un vent mesquin et sifflant. D'un geste bref, il ramène le doigt devant sa bouche, cachée sous la trame de son masque, pour faire comprendre à Samir et son amie de ne pas faire de bruit. Ce n'est pas parce que les rouges restent discrets qu'ils ne sont pas attentifs. Puis, de sa main libre, il indique la direction à suivre. Le givre de son regard arpente les coulées de neige, en quête de la moindre information concernant Milh, la jument qu'il s'est engagé à retrouver. Il sait bien qu'il ne se mettra pas en route avant d'avoir ramené les deux survivants (qu'il n'a heureusement pas à porter ou à soutenir) mais tout indice est bon à prendre.

Une fois de plus, la mémoire et le sens de l'orientation du jeune homme s'avèrent être de précieux alliés. Longeant les murs des masures et des gourbis que le temps n'a pas su jeter au sol pour ne pas alerter les maîtres des lieux, la troupe progresse doucement mais sûrement vers leur destination. Cela fait quelques heures, tout au plus, qu'il a quitté le camp établi avec l'aide du forban, à en croire la course des étoiles. Pas de quoi soupçonner que les choses aient pu mal tourner et pourtant, il a hâte d'arriver. S'il n'a jamais rien dit à ce propos – comme à bien d'autres sujets, d'ailleurs –, Gueule-Cassée n'est pas dupe. Il sait bien que Reed et lui portent sur le monde deux regards très différents, incompatibles peut-être. Quelque chose, chez le balafré, continue à inspirer sa prudence. Quelque chose de plus profond, de plus intrinsèque aussi, que la seule armure dont il s'est involontairement drapé quand la Princesse l'a jeté à l'assaut d'un royaume dévasté par Démon ancestral, strié de sa haine et teinté de son éternelle rancœur.

De temps à autres, alors qu'ils avancent, son regard glisse sur les deux survivants qui ont accepté de le suivre. Il ouvre désormais la marché, bien contraint de leur montrer le chemin.


Ses doigts douloureux, transis de froid, accrochent la pierre délavée, que les pluies et le temps ont achevé de lisser çà et là. Son autre main toujours alourdie par le couteau de chasse, qu'il n'a pas tiré de son fourreau, l'Hylien longe les angles de la vieille maison, jusqu'à ce que les lézardes qui déchirent ses murs laissent filtrer un peu de la lumière fauve que projette le feu allumé à l'intérieur. « C'est ici, souffle-t-il d'une voix discrète et étouffée par l'étoffe de son cache-nez, je vais entrer le premier pour ne pas surprendre Reed. » Sans un mot de plus, l'ancien chevalier reprend la marche, contournant les auvents éventrés qui habillent certaines des façades de la bicoque et sous lesquels somnole son amie à robe rousse. La neige crisse doucement sous le cuir doublé de ses bottes, assez fort sans doute pour l'arracher aux vertes prairies de Marlon. Tandis que gronde dans sa gorge le début d'un hennissement, le vagabond s'avance à sa rencontre et baisse son masque. « Tout doux, tout doux », lance-t-il tendrement, le ton chargé d'affection. Sa bonne main épouse l'encolure de l'animal, qui semble se calmer en le reconnaissant. « Ce n'est que moi — », fait-il encore en cherchant le regard de la jument. « Tu peux te rendormir. »

A contrecœur, il se décide à laisser Epona et passe finalement le chambranle de la bâtisse, dont la porte à été arrachée il y a des dizaines d'années déjà. « Je suis de retour », annonce-t-il avec plus de vigueur, ne sachant pas combien la brève panique de son amie a pu alerter Reed ou attirer l'attention de Ludrick. Une chaleur douce occupe encore la maison, dont les parois se colorent d'un jaune faiblard à mesure que le feu ne ronge les derniers fagots de bois jetés dans l'âtre. « Je ramène deux personnes », poursuit-il, non sans deviner le regard des deux Hyliens sur lui. Sans s'interrompre, il dépose sa lame près du reste de ses (maigres) effets. Puis, précisant sa pensée, il ajoute : « Un Gérudo et une Hylienne. »

Se tournant enfin vers Samir et sa camarade, il les invite à le suivre d'un geste de la main.


Célyse


Inventaire

Ainsi, l'étranger ne voyageait pas seul. Célyse dû faire taire cette petite voix insistante qui lui susurrait à l'oreille qu'ils se dirigeaient tout droit vers un guet-apens. Et si c'était vraiment le cas ? Si Ludrick n'était pas en mesure de se battre avec eux, s'il était blessé par exemple, ou affaibli, ce serait du deux contre deux. Et Samir rechignerait à faire du mal à quelqu'un. Donc du un contre deux. Un frisson d'appréhension glissa sur la nuque de la doctoresse. T'es parano, ma pauvre. Si Samir t'entendait, il te fixerait avec ces grands yeux que tu détestes, ceux qui te font comprendre que t'as un grain. Mais c'était comme ça qu'elle avait été éduquée : à toujours anticiper le pire. C'était dur de laisser de côté toute une vie passée sous ce précepte.

En silence, plus à l'affût que des souris, le trio traversa les ruines d'une cité ancienne, dont Célyse ne connaissait pas le nom. L'épaisse poudreuse masquait le bruit de leurs pas. Il y avait quelque chose d'étrange, sinistre et mystérieux à la fois, que de traverser une ville désertée, recouverte par la neige. Mais l'anxiété saisissait tant et si bien la jeune femme qu'elle ne s'attarda pas plus sur ce tableau paradoxalement calme et inquiétant.

Ils s'arrêtèrent finalement devant une vieille bâtisse. Célyse vit tout d'abord le cheval à la robe rousse, que l'étranger s'empressa d'apaiser par une caresse et quelques mots. La gorge nouée, l'Hylienne pensa à Milh. Sa jument lui manquait. Rationnellement, elle savait bien que celle-ci avait peu de chance de survie dans cet environnement hostile, mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer un miracle.

L'étranger entra le premier dans la maisonnée, et Samir s'engouffra à sa suite. Célyse jeta un dernier regard au cheval roux, dont la longue crinière blanche se fondait dans le paysage. C'était une belle bête. Elle finit par entrer à son tour, juste à temps pour voir son compagnon Gérudo foncer tout droit vers une personne qu'elle ne s'attendait pas à revoir si tôt dans son périple.

« Ludrick ! C'est vraiment toi ! » Samir souriait si largement qu'il emplissait la pièce de sa bonne humeur. Il s'arrêta devant son ami, qui se trouvait bien en chair et en os devant lui. « Je suis vraiment content de te voir. Qu'est-ce que tu fais là ? »

« Pousse-toi. » La doctoresse coupa sèchement le Gérudo. Elle le rejoignit avant de le dépasser, et de s'agenouiller auprès de l'aventurier d'Elimith. Sans mot dire, elle palpa le pouls du jeune homme, à son cou d'abord, puis à son poignet, avant de procéder à une inspection superficielle de son état général. Ses yeux sévères finirent par croiser les siens. « Tu n'es pas blessé. » Ca ne sonnait pas vraiment comme une question. Mais quelque chose parut se détendre dans sa silhouette maigre et tendue une fois qu'elle put confirmer cette information de ses propres yeux.

Elle se redressa avec précaution, avant de se tourner vers l'étranger qui les avait conduit jusqu'ici. Tout aussi sérieusement, elle lui adressa un bref hochement de tête. « Merci. » Puis, en se tournant vers le troisième individu, dont le visage était également marqué par plusieurs cicatrices. Sans doute peu à l'aise dans cette situation, elle s'adressa au duo : « Je vois que Ludrick est encore en hypothermie. Merci de vous être occupé de lui. » Et suite à ces propos, elle s'inclina d'un mouvement un peu raide, presque militaire.

Samir n'avait pas tant de scrupules. Pendant que sa compagne de route parlait, il s'était installé au coin du feu, et sortait quelques maigres provisions de son sac. Il lui restait du pain, qu'il avait lui-même pétrit à la façon Gérudo, ainsi qu'un peu de fromage d'Elimith. Il sortit un petit couteau pour pouvoir couper cela et le partager tout naturellement avec le groupe. « Quelle chance ! On ne s'attendait pas à trouver du monde ici. Encore moins des Bokoblins, vous allez me dire. On a eu de la chance que vous soyez venus nous chercher. » Il tendit une tranche de pain et du fromage à Ludrick, avant de couper une nouvelle tranche, qu'il tendit à l'homme aux trois balafres. « Moi, c'est Samir. Elle, c'est Célyse. Et vous deux ? Comment on vous appelle ? » Il tourna son attention vers le jeune homme mystérieux, et insiste simplement: « Tu ne m'as pas répondu, la première fois. »