Au début, il ne sentit qu'une longue caresse, remonter le long de sa joue, comme léchant son visage lentement d'une langue de chaleur. Puis, ce fut un piaillement d'oiseau qui envahit un pan de son rêve, suivi d'un autre, puis un chant harmonieux s'élevant tout autour de lui, à peine étouffé par les volets de bois mal fermés. Progressivement, il comprit que le contact agréable sur sa peau était celui d'un astre déjà fort pressé, lancé à plein dans sa course effrénée. Son corps commença à se rappeler à lui, à mesure que le quittait la langueur d'un sommeil trop profond pour être honnête. Ses jambes raides, son dos douloureux, son bras... Plus encore. Prudemment, Arkaï ouvrit un oeil, le referma devant l'agressivité de la lueur qui envahissait sa chambre, puis refit une tentative, plus décidée. Enfin, il ferma sa bouche restée ouverte tout ce temps. Et en voyant ce sur quoi elle reposait, il se jeta en arrière, brusquement réveillé.
« Merde ! Chiasse ! Brodequin à mille culs ! » jura-t-il tout en s'emparant du rouleau de parchemin à moitié ouvert sur lequel il avait dormi... et visiblement bavé sans retenue une fois entre les bras de la nuit. « Quel con, mais quel con ! »
Fébrile et tremblant, il amena le papier en pleine lumière et constata avec un soupire soulagé qu'à peine quelques caractères étaient gâchés. Rien de très grave, même si il lui faudrait sûrement demander de l'aide et un peu d'encre à Zelda ou Canel pour arranger ça. L'esprit plus clair, il se souvint avoir tenté, la veille, malgré son épuisement, de s'astreindre aux exercices de lecture que la princesse lui avaient prescrit. Une belle réussite, à n'en pas douter.
« Une de plus. » se lamenta-t-il en secouant la tête devant sa propre bêtise et en reposant le parchemin sur le sol. Brusquement ramené au socle de ses émotions après cette envolée angoissée, le garçon se laissa retomber sur sa paillasse, clignant de ses yeux fatigués devant la lumière du jour.
Le jour.
LE JOUR ! DÉJÀ ?!
Jurant une fois de plus sur le même ton que précédemment, il s'efforça de s'habiller aussi rapidement que ce sournois de soleil semblait s'être levé. Au moment, où il serrait sa ceinture sur son vêtement de bushi, son regard s'attarda sur un bout de parchemin qu'il avait visiblement bousculé dans sa précipitation. Le prenant, il y reconnut des caractères tracés avec une maîtrise qui trahissait leur autrice à mille lieux, de même que cette manière ancienne de dessiner les "g". S'attardant longuement sur chaque dessin avec application, Arkaï lut moins difficilement qu'il ne s'y serait attendu ;
« Au... ber... gue. Auberge ? Elle n'est quand même pas... ?! »
Dévalant quatre à quatre les marches de la tour du moulin jusque dans la pièce de vie principale, le jeune sheikah se retrouva non pas en présence de son amie comme il l'avait imaginé la veille. A la place, il fit face à un Canel visiblement très amusé par la situation. Avant même qu'un Arkaï essoufflé n'ait le temps d'expliquer, le savant désigna la porte et lui confirma, « Je l'ai entendu sortir avec les premières lumières, elle doit être au village maintenant. »
Le garçon le remercia d'un coup de menton, cependant que son attention était déjà complètement tournée vers cette porte et au delà, il sentit brusquement une main agripper fermement sa capuche et le tirer en arrière. L'assistant de Pru'ha lui mit alors autoritairement des boules de riz dans la main et lui dit « Pour vous deux. N'allez pas tomber d'épuisement avec toute cette histoire. »
Arkaï ne sut pas quoi répondre et se contenta d'acquiescer bêtement, pris au dépourvu. Le geste lui rappelait son vieux maître, aussi sentit il sa gorge se serrer mais son impatience eut raison de l'émotion qui l'étreignait et il sortit en courant, en ayant rangé les boulettes dans une poche, sans égard pour le vieux battant de bois, dévalant la pente aussi vite que ses jambes le lui permettaient.
Tout jeune et vigoureux qu'il était, Arkaï ne s'en trouva pas moins essoufflé en moins de temps qu'il n'en mis à accomplir la moitié du chemin, aussi ralentit il au moment d'entrer dans le bourg. Outre son coeur emballé, il avait également constaté que le calme régnait en maître, ce qui à minima signifiait que Elimith ne connaissait pas un scandale pareil à l'avant veille. Peut être s'en faisait il pour rien. Après tout, Zelda lui avait bien montré qu'elle savait ce qu'elle faisait. Mais au fond, le sheikah gardait la crainte en lui de la fois de trop, où la princesse tenterait le destin par excès de confiance en elle ou en les autres. Aussi, prenant garde à ne pas attirer l'attention sur sa silhouette par trop reconnaissable, il pressait le pas en maudissant chaque toise, chaque pied et chaque pouce qui le séparaient de cette foutue auberge. Il n'avait qu'une envie ; pouvoir se tenir au côté de Zelda, prêt à mettre à l'épreuve quiconque le pousserait à défendre son serment.
Cependant, lorsque Arkaï arriva dans le spectacle de son amie visiblement saine et sauve, il ne se précipita pas vers elle. Une autre présence l'incitait à ne pas se dévoiler aussitôt. La tignasse de Ludrick réveilla le souvenir des paroles de la princesse, autour du feu, quelques heures auparavant. Malgré ce qu'ils avaient vécu ensemble, le sheikah sentait bien que sa confiance dans le jeune elimithois était naïve, déplacée à ce stade. Il allait falloir touiller la marmite pour en détacher la vérité collée au fond, pour reprendre une expression de Shingen. Aussi décida-t-il de quitter la route et de contourner les quelques maisons qui le séparait encore de l'auberge le plus discrètement possible. Et bien qu'il ait dû intimer le silence à une grand-mère protestant contre sa présence près de son fil à linge, Arkaï eut le sentiment de rejoindre le bâtiment sans avoir été repéré. Aussi se colla-t-il au mur le plus proche de ses deux compagnons d'aventure, tout en restant hors de vue. De là, des bribes de conversation lui parvinrent. Et ce qu'il entendit suffit à lui faire comprendre qu'une fois de plus, Zelda s'était avérée plus lucide et maline que lui.
Il jura intérieurement, furieux d'avoir cru au petit numéro innocent de celui dont il avait pensé un peu trop vite la veille s'être fait un ami. Décidément, il avait encore beaucoup à apprendre avant de pouvoir se débrouiller seul. Emporté par sa colère, Arkaï ne fit même plus attention au reste de la conversation et en manqua un bon morceau. En revanche, ce qu'il ne manqua pas fut le tiraillement nerveux dans la voix de Ludrick. Cette nervosité sembla envahir l'air autour d'eux, traverser le mur de crépis contre lequel Arkaï reposait son épaule, et l'emporta lui aussi. Il risque un regard, vit la main de son "ami" se promener sur la garde de son arme. Aussitôt, la main d'Arkaï plongea sans hésitation à l'intérieur de son kimono, au fourreau caché à sa ceinture. A la manière des Sheikahs, il quitta sa cachette, s'approcha lentement derrière Ludrick. A cet instant précis, le sheikah aurait été prêt à tout, même au pire. Tout ce dont il avait besoin, c'était d'un signal, discret, infime. Il ferait ce pour quoi il avait été formé, forgé. Mais en un regard avec Zelda, il comprit que le danger avait passé, et que tout cela était hors de question à présent. Aussi se contenta-t-il d'approcher, lentement et discrètement, avant de finalement se révéler en poursuivant la question de la princesse, d'une voix glaciale,
« La vérité maintenant, Ludrick. C'est la seule issue qu'il te reste. Qu'il nous reste. » finit-t-il, plus grave encore.
Au fond, Arkaï ne parvenait pas à se défaire de cette impression tenace qu'autour d'eux s'était tissée une toile vicieuse, pleine de mensonges et de non-dits, qui les mettait tous en danger. Il était temps d'en finir, et si le garçon se trouvait être la clé du mystère, alors le sheikah ne le lâcherait pas avant d'en avoir vu le fond... Quitte à attiser un peu le feu sous la marmite. Son regard trouva la page entrouverte du journal de Zelda, et le fusain dans sa main. Peut être avait elle déjà fait remonter la vérité, elle. Mais ce que voulait Arkaï, c'était qu'on cesse de lui mentir. Même si les pages grattées par son amie contenaient le fin de l'histoire, rien n'aurait la même valeur que la parole sincère de Ludrick.