Posté le 06/04/2021 00:16
"ASSASSIN !", éructa-t-elle comme une furie ; à plein poumons. Le bois de ses soulier pointus claquait sourdement contre les quelques antiques pavés qui habillaient encore le parvis de la Grand-Place, que gardaient quelques miliciens. « MEURTRIER ! », hurla encore la pauvre femme, le souffle rendu fuyant par sa course. Ses lourds habits de travail, rendus pesants par la pluie qui cessait peu à peu, freinaient à peine son avancée. « MONT'-TOI, EMPOISONNEUR ! », tonna encore la jeune femme mangeant rapidement la distance qui la séparait de la demeure du Bourgmestre. Malgré la pèlerine qui recouvrait l'orage de ses cheveux, elle distinguait clairement les hommes d'armes qui protégeaient le logis. L'un d'eux, le plus massif des deux, arma une arbalète avant de la mettre en joue. « TUEUR D'ENFANT ! », persifla-t-elle aussi fort qu'elle était encore en mesure de le faire, la voix fragilisée par l'émotion et par l'effort. « RENDS-MOI ME FILS ! »
Apercevant Clévia au sommet de la butte où avait été construit le logis de Baldin, Jenah s'arrêta un instant — le temps d'un regard, long et chargé d'une haine à nulle pareille. « Bouge pas, la métayère », la menaça alors Auru, avant de cracher sa chique. Il avait parlé d'une voix assez forte pour qu'elle ne l'entende en dépit de la trentaine de pieds qu'il lui restait encore à avaler avant de pouvoir étrangler le serpent qui avait élu domicile aux côtés de la statue de la Déesse-Rivière. Et l'ouvrière agricole de questionner, la langue rendue amère par la colère et le chagrin : « S'non quoi ? Tu vas-tu m'tuer com'vous 'vez laissé me garçon mourir ? »
La chanvre grinça fort, à en faire craquer le bois de l'arbalète. Et le trait siffla.
Un bref moment, alors que s'arrêtait soudainement son cœur, elle crut mourir. Le carreau de fer perça l'étoffe de sa coiffe, manquant de la jeter au sol. « Le prochain te manquera pas, sale pute », siffla-t-il cette fois, tandis qu'un sourire mauvais déchirait sa gueule boursouflée. Il abaissa néanmoins son arme quand l'autre molosse, plus grand et plus fin, l'y invita en appuyant doucement sur la noix de décoche. Haletante, tétanisée de stupeur, le front poissé par les restes de pluie autant que par la sueur, la jeune femme joignit les mains sur sa poitrine ; cherchant doucement après la blessure qu'elle ne trouvait pas. La force qui l'animait jusqu'à lors semblait désormais lui manquer alors que se formait autour d'eux une bien triste ronde — pas si différente de celles que dépeignaient certains contes macabres que l'on racontait parfois lors des veillées.
Du bout des doigts, elle réalisa que le tir avait arraché son capuchon, qu'elle n'avait rien. Il n'en fallait pas plus pour qu'elle ne vive à nouveau pour deux.
"C'EST LUI LE MEURTRIER ET C'EST-TU SUR MOI QUE TU TIRES-TU ?!", s'époumona alors la mère en deuil, que même un feu nourri n'aurait su arrêter. Sans plus s'avancer, elle désigna de l'index la maison du Bourgmestre. « C'EST-Y CE CHIEN QUE TU DEFENDS-TU ?! », invectiva-t-elle encore levant le point de rage. « T'PEUX BIEN TOUS NOUS-Y BUTER, ALORS ! », cracha la Métayère, non sans tirer la serpe qui pendait à sa ceinture. Et de poursuivre, sans marquer la moindre pause : « PARCE QU'ON VIENDRA-TU TOUS, LES UNS APRES LES AUTRES ! A CHAQUE ENFANT MORT UN AUT' DES NOT' S'LEVERA CONT' VOUS ! » Elle parlait vite, de peur qu'Auru ne profite de la moindre pause pour la descendre. Elle l'en savait capable. Il n'était aucune femme des champs pour ignorer ce qu'il était prêt à faire — ce qu'il avait même déjà fait. Aidé de son bandoir, le Cerbère avait déjà armé un second trait sans jamais prêter attention à ce qu'elle pouvait dire. « T'as fini ? », questionna-t-il seulement, tandis que son acolyte pointait l'estoc de sa lance sur elle, comme pour lui interdire de faire un pas de plus.
La foule qui se rassemblait autour d'eux avait beau se faire plus importante, elle ne s'était jamais sentie aussi seule. Personne ne semblait prêt à briser le cercle pour lui porter secours. Pas même quand revint lentement sur elle la bouche d'acier de l'arbalète. « Dernière chance. R'tourne-dont t'occuper de ton logis », s'amusa le garde du corps de Baldin qui braquait sur elle son engin de mort. Prise de panique, elle chercha un regard amical dans l'assistance. Elle ne trouva que celui du vieux Teinturier, dont le premier fils jouait jadis avec son compagnon. « Soje ! », implora-t-elle, le gris de ses yeux noyé par d'épais sanglots qu'elle peinait à retenir. « Tu l'sais-tu comme moi ! Ton gosse aussi l'est malade », reprit Jenah dont les mains tremblaient doucement. « Après Pasu, c'sera l'tour d'Sepharo et... et... » La jeune femme dût contenir ses pleurs, mais le vieil artisan fit un pas. Puis un second.
"Bouge pas non plus, l'vieux moche", lança le gorille, dont l'arbalète changea un temps de cible. Jusqu'à ce que tonne une voix forte, faite pour dominer celle de tous les autres.
"SILENCE", exigea le Bourgmestre du haut de son estrade. Derrière lui se tenait la femme qui partageait sa couche ; laquelle tenait dans ses bras leur fils, le jeune Koryl. Il avait la peau blanche comme neige mais ses lèvres semblaient encore intactes « Par tous les dieux, baisse ton arme mon ami, lança-t-il ensuite à l'attention d'Auru en descendant une à une les marches de pierre qui reliait sa maisonnée à la Grand-Place, nous sommes des gens civilisés, pas de vulgaires Bokos des plaines ! »
Tandis que le soldat s'exécutait, le Seigneur des Métayers - ainsi que l'appelaient certains des citoyens les plus pauvres, avec un ressentiment à peine masqué - s'avança doucement à la rencontre de la foule. Talen et Auru s'écartèrent pour le laisser passer alors que Datoh et Mutoh encadraient encore Clévia. « Crois moi, douce Jenah, je suis désolé de ce qui t'arrive », commença l'ancien ouvrier agricole, une main sur le cœur et l'autre tendue droit vers la jeune femme, paume ouverte aux cieux. « Je n'ai pas tué ton garçon. C'est le mal, le même dont souffre aujourd'hui Koryl, qui l'a emporté », souffla-t-il alors. En amont, la mère de l'enfant leva le petit aussi haut qu'elle le pouvait ; pour que tous puissent le voir. Victime de la fièvre, il fut alors pris d'une violente, quoique brève, quinte de toux. Partout dans l'assemblée, certains reculèrent de crainte ou de dégoût. « Déjà avant qu'il ne tombe malade, j'ai fait mon... — », tenta-t-il de poursuivre avant d'être subitement coupé.
"BEN SUR QUE SI, TU L'AS TUE !", mugit la jeune femme, dont les phalanges blanchissaient à force de s'enfoncer dans le cuir qui bandait la hampe de sa serpe. « C'EST-Y PAS TOI QUI A DIT AU VIEUX NIKOLAS D'PÔ L'ACCUEILLIR ? C'EST-Y PAS TOI QUI L'A LIVRE A LA FOUTUE VOIX DU PUITS ?! », rugit-elle encore, s'avançant d'un pas. Elle était secouée de frissons brutaux et incontrôlable. « Je n'ai jamais... — », tâcha de se défendre le Bourgmestre. Mais Jenah ne le laissa pas faire. Du doigt, elle pointait déjà Soje, qui s'était rapproché en même temps qu'Auru et dont le visage était devenu livide à l'évocation de la vieille citerne. « ET MAINT'NANT TU R'FAIS-TU PAS L'COUP A SEPHARO ?! »
Sans prévenir, la Métayère se jeta sur le Bourgmestre, frappant de la tranche de sa serpe — à la recherche de sa gorge.
Elle n'eut pas le temps de porter son assaut.
D'un coup du fût aussi fauve que faste, Auru lui brisa le nez avant de lui faire éclater l'arcade sourcilière. Le silence retomba soudain sur la Grand-Place, tandis que s'effondrait la pauvre hère. Son sang rouge dessinait de fines rigoles entre les pavés éparses.
"Talen, fit-il à l'attention de son camarade, attache la démone avant qu'elle ne se réveille." Opinant du chef, l'autre homme entrepris rapidement de ligoter la Métayère tandis qu'une grimace horrifiée déformait la gueule du Bourgmestre. Conscient, sans doute, qu'on l'observait sous toutes les coutures, il n'eut besoin que d'un bref instant pour reprendre contenance. « Voyez, mes amis, ce que peut nous faire faire la souffrance — », héla-t-il alors la foule prise d'effroi. « Cette femme, vous la connaissez tous, est quelqu'un de bien. Mais elle souffre... et cette souffrance la pousse à la violence autant qu'à la calomnie. » Son regard croisa un instant celui du Teinturier, tétanisé comme les autres.
"Nous ne pouvons tolérer pareil danger en nos murs. Particulièrement aujourd'hui, alors que la Déesse de la Rivière semble nous avoir oublié. C'est pourquoi il nous fallait intervenir", se justifia-t-il ensuite, usant de tout le charme qui lui avait été confié pour rassurer les siens. Quand Auru lui souffla quelque chose à l'oreille, il acquiesça d'un bref signe de tête. « Nous vous protégeons. Nous vous soignons. Nul ne saurait bénéficier de passe-droit, pas même mon fils. Jenah aussi sera soignée », fit-il ensuite, avant de marquer un court arrêt durant lequel il épousa la foule toute entière de ses yeux. « Nikolas l'a dit, il craint que la maladie ne puisse altérer le comportement des victimes. En attendant qu'elle ne représente plus un danger pour qui que ce soit, nous allons la garder en sécurité dans les geôles de la Cité. Et bientôt, nous festoierons de nouveau en sa compagnie », assura-t-il encore, avec autant d'aplomb qu'il lui était possible de le faire.
Et de conclure, avant de lentement se retourner, suivi de ses molosses : « Pour l'heure, j'ai une ville à sauver. »
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