Posté le 03/10/2020 22:49
Il n'était pas censé être là. Il n'était pas censé être là. Ses sœurs pouvaient finir leurs négociations à tout moment. Il les avait vu entrer dans l'échoppe de leur fournisseuse, et il savait que parfois, leurs pourparlers pouvaient durer des heures. Et que parfois, ils pouvaient durer cinq minutes. Quand elles l'attraperaient, il passerait un mauvais quart d'heure, mais il commençait à en avoir sa claque, d'obéir sagement. Il avait entendu un éclat de voix, un bruit qui parlait de la tante d'une étrangère, un peu plus loin dans le marché. Une étrangère avec des pouvoirs magiques. On avait l'habitude de l'exotisme, ici, mais Samir n'était après tout pas un habitué. Alors, profitant que ses gardiennes ne l'aient pas laissé entrer dans l'échoppe, il alla vers la tente de la magicienne. Couvert de la tête aux pieds, marchant dans l'ombre et longeant les étals de légumes, à petit pas, il passait inaperçu.
Comparée aux autres échoppes, cette tente semblait étrangement misérable. Le tissu était certes épais, mais pas très bien monté, et tressaillait aux quelques rares coups de vent. Toute magicienne qu'elle fut, l'étrangère n'était pas une monteuse de tente. D'où venait-elle ? Que venait-elle faire ici ? Pourquoi est-ce qu'on parlait d'elle au Bazar ? Il vit une femme sortir. Une guerrière, qui marchait étrangement, avec un bras bloqué. Est-ce que l'étrangère s'amusait à bloquer les bras des gens ? Intrigué, il s'installa, caché derrière un charriot. Quelle sorte de pouvoir avait-elle ?
Ses pensées vagabondèrent. Il avait beau venir d'un peuple de nomades, il n'avait jamais voyagé loin. L'édifice, bien que médiocrement mis en place, attirait l'œil. Il venait manifestement d'ailleurs. Patiné par la route, il racontait des histoires d'usure et de chemins. Qui qu'elle soit, elle était là en transit, et portait déjà quelques kilomètres derrière elle. Samir soupira. Quand elle aura fait son affaire ici, son voyage reprendra sûrement. Partir quand on le voulait, et s'arrêter où on le semblait bon... L'idée lui donnait tant le vertige qu'elle lui sembla blasphématoire.
Il resta probablement longtemps devant cette petite tente. Plongé dans ses rêveries d’échappatoires, il oublia momentanément la fureur de ses chaperonnes, ou le danger d’être un homme seul au milieu de toutes ces grandes guerrières. Dans l’activité du marché, on le laissait plutôt tranquille, à part peut-être quelques regards surpris ou méprisants dont il ne tenait plus compte. Est-ce qu’il pourrait rentrer ? Est-ce qu’il oserait ? Il n’avait pas d’argent. C’était une femme. Il était tiraillé, déchiré entre sa curiosité et son éducation, entre sa soif d’histoires et sa honte. Alors il ne bougeait pas, et il regardait.
« À votre avis, quel genre de personne vit là dedans ? Et qu'est-ce qu'il peut bien y faire ? »
Oh non. Samir sursauta. Il essaya de ne pas paniquer. Ça arrivait, qu’une guerrière essaye de lui parlait. Il lui suffisait d’être droit, silencieux, et de ne pas répondre.
« Je m'appelle Béryl. »
Hm. Elle ne partait pas… Dissimulé sous ses voiles, Samir tourna son visage vers l’inconnue. Ses yeux, seuls visibles, étaient baissés, mais il les leva timidement vers son interlocutrice. Elle n’avait pas l’air hostile. Elle avait l’air plutôt gentil.
« J'avoue que je suis curieuse... »
« C’est une médecin. Je crois. Je vois des personnes entrer et sortir en allant plus ou moins mieux. »
Il sembla soudain réaliser ce qu’il impliquait.
« Je veux dire. Je n’épiais pas. Je… je passais par là. Mes sœurs ne sont pas loin, je les attendais, elles vont revenir bientôt. »
Il s’inclina légèrement vers la femme, un peu raide.
« Excusez-moi. Si vous voulez… si vous voulez entrer, allez-y donc. Je ne faisais pas la queue. »