L'on dit parfois de l'espoir qu'il peut être plus contagieux que les pires maladies, et Arkaï manqua de peu de le constater, à mesure que la princesse dévoilait devant lui ses échecs, ses doutes passés et son passé évanoui dans les âges. Ses paroles jouaient à ses oreilles une mélodie agréable, joyeuse, qui l'emportèrent presque dans leur enthousiasme... Presque. Il avait sur la langue comme un goût de déjà vu, qui lui venaient des nombreuses et interminables conversations échangées avec son maître, sur le même sujet. Ayant foulé ce chemin maintes fois, il en reconnaissait presque chaque pierre, chaque pavé. Avec à la clef, comme toujours, ce gouffre insondable, ce mur infranchissable : La question du choix. Et tandis que Zelda, comme Shingen, enjambait l'abime sans effort, lui se retrouvait paralysé devant, pétrifié par cette question sans réponse.
Son regard plongé dans celui, trouble et inquiétant, du reflet agité, Arkaï se demandait quelle part son libre arbitre pouvait il bien revendiquer dans ce qui l'avait mené au point où il était. Quelle était sa responsabilité à lui, dans cette avalanche qui l'avait emporté depuis son premier souffle ? Comment pouvait il croire au choix quand on ne lui en avait jamais laissé ? Entre deux phrases de Zelda sur sa possible culpabilité, il murmura un brin de poésie que son maître lui avait un jour lu et qui s'était aussitôt gravé dans sa mémoire, par sa beauté ambiguë.
« Imparfaites,
Ce sont les pierres,
Qui font la route. »
Tout ce qui lui plaisait se trouvait dans ce doute, caché entre les vers, et présent également au fond de son esprit. Certes, la route ne saurait être parfaite, et l'erreur est une part naturelle du monde... Mais où se trouve leur liberté, si elles ne sont que cela ; des pierres, déposées là par la terre, le vent, et un caprice du destin ?
Il ne révéla pas sa lecture du poème à Zelda. Il ne désirait pas la contredire ouvertement, ni même la couper. Arkaï n'avait que trop conscience de la beauté du geste de la princesse, qui daignait rouvrir pour lui un chapitre douloureux de sa vie. Il compris n'avoir jusque là fait qu'effleurer la surface de ce qu'elle avait pu vivre, supporter, encaisser, pour accomplir quelque chose d'aussi grand. A vrai dire, le Fléau ne l'avait lui-même que peu touché... Grâce à elle. Sans son héroïsme, peut être que le mal aurait déjà balayé le monde entier, ramenant la ruine du royaume au statut de répétition avant le grand final. Arkaï s'écarta alors légèrement de la jeune femme, presque inconsciemment, en prenant conscience de leur différence. Toute sa vie, on a attendu d'elle qu'elle révèle sa vraie nature ; son problème résidait dans ce qu'elle n'était pas.
Arkaï, lui, n'avait jamais eu le droit d'être. Quand à la révélation, tous ne craignaient que cela, lui le premier.
Il fut tenté de se renfermer, jusqu'à ce qu'il l'entende évoquer sa mère, et le poids de son absence.
A cet instant, le garçon sentit en lui comme un choc ; un impact semblable à un poing cognant sur la porte de sa mémoire. Sa gorge se serra, et sa position lui parut soudain très inconfortable. Poussé par son instinct, il se sentit une violente envie de décamper à toutes jambes, mais heureusement, Zelda ne s'attarda pas sur le sujet. A la place, elle évoqua un nom qui ne représentait pour Arkaï qu'un bruissement, une rumeur qui avait circulé parfois au village ces derniers mois ; Link. Malgré sa curiosité, il n'avait jamais pu apprendre quoi que ce soit d'intéressant à son sujet. Son maître, d'habitude si loquace, semblait comme soumis à un interdit sacré le concernant. Mais si Zelda l'avait connu, à l'époque, qu'elle l'avait vu se battre "jusqu'à son dernier souffle"... C'était évident, ça ne pouvait pas être la même personne ! Après tout, nommer ses enfants à partir des noms des martyrs du Fléau n'avait rien de rare.
En tout cas, tout dans l'attitude de la princesse indiquait que cet inconnu lui était plus cher qu'un simple soldat ou même chevalier. Il restait l'hypothèse qu'il s'agisse d'un de ses parents, mais la mélancolie qui se lisait dans son regard perdu au loin ne pouvait mentir. Elle en était amoureuse. Encore ? Après tout ce temps ? Cette pensée serra de douleur le coeur d'Arkaï. Quelle tragédie. Il n'avait jamais vu les conséquences du Fléau que comme des faits lointains, des ruines couvertes de mousse et des fantômes du passé. A présent, il lui semblait avoir devant les yeux un drame bien plus réel que tous les romans du monde. Honteux de lui avoir demandé un tel effort de mémoire, Arkaï s'écarta de l'eau et répondit, encore profondément incertain, mais sur un ton qui se voulait rassurant quand au doute de la princesse sur l'utilité de ses paroles,
« Zelda... mes souvenirs sont trop flous pour savoir si ce que tu as vécu me concerne... Mais cela j'espérais entendre quelque chose de ce genre, aujourd'hui. Alors merci. » Il aurait aimé lui rendre son sourire, lui rendre un peu de son charme, mais tout cela commençait à peser lourdement sur son humeur. Sa voix se brisa alors qu'il poursuivait, « J'espère simplement que si le moment vient, contrairement à toi, je trouverais la force de réprimer ce que je suis. Après tout, je n'ai rien d'un sauveur, moi. »
En tout cas pas de l'avis d'Impa.
Arkaï eut conscience qu'il mettait la jeune femme dans une situation difficile, entre une amie et un inconnu envers qui elle n'avait fait preuve que de bienveillance. Il s'efforça donc de relever un peu la lippe, comme pour atténuer l'acidité de ses derniers mots, et reprit avec un peu plus de légèreté, « Si cela te dit, je pourrais tenter de composer quelque chose avec tout ça. Pas juste pour la princesse, mais aussi pour toi. Et pour Link. » Il ignorait si la proposition était correcte mais le souvenir de cet homme semblait avoir tant marqué Zelda... Cela pourrait peut être l'aider à faire son deuil ?
Machinalement, Arkaï repensa à ce qu'elle lui avait dit sur Link, sur son rôle dans cet instant béni. Peut être était ce ça, la clef ? La bonne personne, celle qui saurait empêcher le destin de frapper. Mais qui ? Shingen lui avait clairement fait comprendre qu'il ne saurait pas l'être. Alors, naturellement, le regard d'Arkaï se fixa sur Zelda. Aussitôt, les paroles de dame Impa lui revinrent en mémoire. Il revit sa colère, sa haine, ses mots chargés de pouvoir. Aurait il à défier cela, aussi, pour se sauver ? Il allait reprendre la parole, se confier véritablement à la princesse, lorsqu'il aperçut Haya qui venait vers eux. Alors que la sheikah signifiait à la princesse que c'était à son tour d'être reçue par la doyenne, le garçon se referma et déclara d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu,
« Il serait impoli de faire attendre Dame Impa. »
Et sur ce, il se leva en remettant ses armes en place, salua bas bien que rigide comme une momie, et pris la route du monastère. Tandis qu'il s'éloignait, Arkaï se retourna l'espace d'un instant, fit un geste dont il ne put dire si Zelda l'avait vu, et continua sa route. Bien que le jour ne soit pas très avancé, il lui restait encore une chose à faire avant de rentrer.