Sa main tremblait.
Malgré ses poings serrés à s'en faire mal, malgré le fil de ses ongles s'enfonçant dans la peau, il ne parvenait pas à s'en empêcher. Masquant au mieux son trouble sous le pli ample de son vêtement, Arkaï écoutait, avidement, comme s'il eut été un assoiffé égaré à qui l'on aurait tendu une coupe en plein désert. Son esprit était suspendu aux paroles de Ludrick. Ludrick qu'il avait récemment cru coupable, qui l'impressionnait de par la dignité de sa posture, malgré sa blessure de la veille. Ludrick, qui disait au revoir à son amie, et peut être plus encore, dans une autre vie, dans un monde moins cruel.
Il ne nous appartient pas de reproduire ses mots, qui ne sont s'inscrivent pas dans notre histoire. Peut être même ne furent ils pas prononcé pour que d'autres ne les entendent, mais le jeune Sheikah ne pouvait pas forcer ses oreilles à s'en couper. La gorge serrée, le poing trahissant son émotion, il s'efforçait de ne pas abimer l'instant, comme si le moindre son de sa voix eut suffit pour rompre le charme et ruiner la beauté de la scène. S'en tenant à la règle du village caché, il se tenait en retrait, observateur, acteur au mieux involontaire. Il laissait Elimith vivre l'évènement, déterminé à se faire oublier, comme il l'avait lu dans un des plus vieux rouleau du monastère, si ancien qu'on avait dû lui traduire la devise en Sheikah moderne : « A jamais dans les ombres, jamais loin de la lumière. ». Cela lui allait très bien, ce jour là. La dernière chose qu'il voulait fut qu'on remarqua son état.
Aussi patient qu'un Sheikah se doit de l'être, il se laissa oublier au milieu du champ où les cendres de Maryl venaient d'être dispersées par Ludrick, donnant à chacun des Elimithois en deuil le temps du recueillement, de quelques mots éloquents, du silence qui en disait plus encore. De tout cela, il se nourrit. Il les engloutit en son sein, comme pour combler un gouffre intérieur, que rien ne semblait pouvoir remplir. Pas une larme ne perla sur ses joues. Bien qu'il fut profondément touché par ces sentiments jaillissant d'années de secrets mortifères, ce drame n'était pas le sien. Pas le sien.
Lorsqu'il fut seul, tout les autres étant certainement partis assister à la destruction du puits maudit grâce à l'aide de Pru'ha, il se leva. Sa main tremblait alors qu'il s'avançait au milieu du champ. Le vent s'engouffrait dans son vêtement, un vent d'hiver, froid, mortel, ou revigorant, ou les deux à la fois. Au milieu du champ déjà vide de sa récolte, le regard perdu au delà de la dentelle de collines et de ravins qui parsemait la toile du paysage jusqu'à cet horizon barré des deux gardiens jumeaux dressés vers le ciel, Arkaï se sentit soudain bien seul, complètement perdu. Ces dernières années, son costume de Sheikah, jusqu'à son nom lui parurent parfaitement étrangers. Le vent, lui, était resté le même. Un vent de mort, et de ressentiment. La vengeance des morts, pourchassant les vivants sur son char terrible, tirés par les chevaux du ressentiment. Alors qu'une bourrasque faisait s'envoler ses cheveux dans son visage et comme enserrait sa nuque, il se raidit.
« Pardon, maman. Pardon pour tout. »
Son murmure se perdit dans le vent.
«
Enfin ! J'ai failli t'attendre ! »
C'était un autre Arkaï qui bondit sur ses pieds en voyant arriver Zelda, sur le chemin qui menait au laboratoire, à la sortie d'Elimith. Ils s'étaient séparés plus tôt dans la journée, le Sheikah faisant désormais suffisamment confiance aux élimitois pour ne pas se sentir obligé de la suivre au pas. Néanmoins, il se connaissait assez pour savoir que rentrer sans elle ne serait qu'une source d'inquiétude, surtout en cas de nuit hivernale précoce qui ferait travailler son imagination. Il l'avait donc attendu, pour tout cela, et pour laisser derrière lui le Arkaï du champ.
« On en a fini pour aujourd'hui je crois. » déclara-t-il sur un ton badin, comme pour souligner leur réussite insolente. « Il se débrouilleront sans nous à partir de maintenant, au moins pour un moment. » Tout n'était pas rose à Elimith. Le jeune Sheikah ne pouvait s'empêcher de penser à cette pauvre femme battue et laissée pour morte en prison, dont il avait appris le sort plus tôt. Tant que des brutes comme les gros bras du maire sévissait, la tragédie ne serait pas loin. Mais au fond, qui sait ce qui pourrait tomber sur le village sans eux ? Arkaï prenait doucement conscience de la difficulté du rôle que s'imposaient les Sheikahs : Les ombres étaient confortables, mais y résider dressait une barrière entre soi et le reste du monde. Il y avait le monde des Sheikahs, et celui d'Elimith. L'un et l'autre pouvaient se croiser, et guère plus. C'étaient aux élimitois de faire leurs propres choix, pour le meilleur et pour le pire.
« J'ai croisé la vieille bi... Le vieux Nikolas. Il est optimiste pour les enfants. Apparemment, ils ont commencé à se remettre. »
Sa voix s'était faite plus douce, plus grave aussi. On pouvait lire le soulagement sur son visage fatigué, un sourire sur ses traits tirés. Brusquement, sans prévenir, il tira Zelda à lui et l'étreignit par les épaules.
« Merci. D'avoir su croire en eux, quand j'y arrivais plus. »
Au fond, sans elle, il serait rentré au laboratoire sans rien vouloir savoir de plus, se contentant d'adopter la posture confortable de Pru'ha. Dans les ombres, loin de la lumière. Pas son problème. Sauf qu'évidemment, ça ne pouvait pas être aussi simple. Ca ne devait pas l'être, ou bien le clan perdait sa raison d'être, et lui avec. Aussi soudainement qu'il l'avait attiré à lui, Arkaï prit conscience de la gêne de la situation et il relâcha son étreinte. Puis, l'air embêté, dansant sur un pied puis un autre, il demanda,
« Et du coup, pour Haya... On lui dit quoi ? »
Son aînée dans le clan avait de bonnes raisons de ne pas être présente mais rien ne disait qu'elle serait ravie d'apprendre leur histoire à son retour. A vrai dire, tout indiquait qu'elle ne le serait pas.