Un fléau apaisé

Le vent emporte tout.

Fin de l'automne - 4 mois 1 jour après (voir la timeline)

Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

Sa main tremblait.

Malgré ses poings serrés à s'en faire mal, malgré le fil de ses ongles s'enfonçant dans la peau, il ne parvenait pas à s'en empêcher. Masquant au mieux son trouble sous le pli ample de son vêtement, Arkaï écoutait, avidement, comme s'il eut été un assoiffé égaré à qui l'on aurait tendu une coupe en plein désert. Son esprit était suspendu aux paroles de Ludrick. Ludrick qu'il avait récemment cru coupable, qui l'impressionnait de par la dignité de sa posture, malgré sa blessure de la veille. Ludrick, qui disait au revoir à son amie, et peut être plus encore, dans une autre vie, dans un monde moins cruel. 

Il ne nous appartient pas de reproduire ses mots, qui ne sont s'inscrivent pas dans notre histoire. Peut être même ne furent ils pas prononcé pour que d'autres ne les entendent, mais le jeune Sheikah ne pouvait pas forcer ses oreilles à s'en couper. La gorge serrée, le poing trahissant son émotion, il s'efforçait de ne pas abimer l'instant, comme si le moindre son de sa voix eut suffit pour rompre le charme et ruiner la beauté de la scène. S'en tenant à la règle du village caché, il se tenait en retrait, observateur, acteur au mieux involontaire. Il laissait Elimith vivre l'évènement, déterminé à se faire oublier, comme il l'avait lu dans un des plus vieux rouleau du monastère, si ancien qu'on avait dû lui traduire la devise en Sheikah moderne : « A jamais dans les ombres, jamais loin de la lumière. ». Cela lui allait très bien, ce jour là. La dernière chose qu'il voulait fut qu'on remarqua son état.

Aussi patient qu'un Sheikah se doit de l'être, il se laissa oublier au milieu du champ où les cendres de Maryl venaient d'être dispersées par Ludrick, donnant à chacun des Elimithois en deuil le temps du recueillement, de quelques mots éloquents, du silence qui en disait plus encore. De tout cela, il se nourrit. Il les engloutit en son sein, comme pour combler un gouffre intérieur, que rien ne semblait pouvoir remplir. Pas une larme ne perla sur ses joues. Bien qu'il fut profondément touché par ces sentiments jaillissant d'années de secrets mortifères, ce drame n'était pas le sien. Pas le sien.

Lorsqu'il fut seul, tout les autres étant certainement partis assister à la destruction du puits maudit grâce à l'aide de Pru'ha, il se leva. Sa main tremblait alors qu'il s'avançait au milieu du champ. Le vent s'engouffrait dans son vêtement, un vent d'hiver, froid, mortel, ou revigorant, ou les deux à la fois. Au milieu du champ déjà vide de sa récolte, le regard perdu au delà de la dentelle de collines et de ravins qui parsemait la toile du paysage jusqu'à cet horizon barré des deux gardiens jumeaux dressés vers le ciel, Arkaï se sentit soudain bien seul, complètement perdu. Ces dernières années, son costume de Sheikah, jusqu'à son nom lui parurent parfaitement étrangers. Le vent, lui, était resté le même. Un vent de mort, et de ressentiment. La vengeance des morts, pourchassant les vivants sur son char terrible, tirés par les chevaux du ressentiment. Alors qu'une bourrasque faisait s'envoler ses cheveux dans son visage et comme enserrait sa nuque, il se raidit.

« Pardon, maman. Pardon pour tout. »

Son murmure se perdit dans le vent.

« Enfin ! J'ai failli t'attendre ! »

C'était un autre Arkaï qui bondit sur ses pieds en voyant arriver Zelda, sur le chemin qui menait au laboratoire, à la sortie d'Elimith. Ils s'étaient séparés plus tôt dans la journée, le Sheikah faisant désormais suffisamment confiance aux élimitois pour ne pas se sentir obligé de la suivre au pas. Néanmoins, il se connaissait assez pour savoir que rentrer sans elle ne serait qu'une source d'inquiétude, surtout en cas de nuit hivernale précoce qui ferait travailler son imagination. Il l'avait donc attendu, pour tout cela, et pour laisser derrière lui le Arkaï du champ.

« On en a fini pour aujourd'hui je crois. » déclara-t-il sur un ton badin, comme pour souligner leur réussite insolente. « Il se débrouilleront sans nous à partir de maintenant, au moins pour un moment. » Tout n'était pas rose à Elimith. Le jeune Sheikah ne pouvait s'empêcher de penser à cette pauvre femme battue et laissée pour morte en prison, dont il avait appris le sort plus tôt. Tant que des brutes comme les gros bras du maire sévissait, la tragédie ne serait pas loin. Mais au fond, qui sait ce qui pourrait tomber sur le village sans eux ? Arkaï prenait doucement conscience de la difficulté du rôle que s'imposaient les Sheikahs : Les ombres étaient confortables, mais y résider dressait une barrière entre soi et le reste du monde. Il y avait le monde des Sheikahs, et celui d'Elimith. L'un et l'autre pouvaient se croiser, et guère plus. C'étaient aux élimitois de faire leurs propres choix, pour le meilleur et pour le pire.

« J'ai croisé la vieille bi... Le vieux Nikolas. Il est optimiste pour les enfants. Apparemment, ils ont commencé à se remettre. »

Sa voix s'était faite plus douce, plus grave aussi. On pouvait lire le soulagement sur son visage fatigué, un sourire sur ses traits tirés. Brusquement, sans prévenir, il tira Zelda à lui et l'étreignit par les épaules.

« Merci. D'avoir su croire en eux, quand j'y arrivais plus. »

Au fond, sans elle, il serait rentré au laboratoire sans rien vouloir savoir de plus, se contentant d'adopter la posture confortable de Pru'ha. Dans les ombres, loin de la lumière. Pas son problème. Sauf qu'évidemment, ça ne pouvait pas être aussi simple. Ca ne devait pas l'être, ou bien le clan perdait sa raison d'être, et lui avec. Aussi soudainement qu'il l'avait attiré à lui, Arkaï prit conscience de la gêne de la situation et il relâcha son étreinte. Puis, l'air embêté, dansant sur un pied puis un autre, il demanda, 

« Et du coup, pour Haya... On lui dit quoi ? »

Son aînée dans le clan avait de bonnes raisons de ne pas être présente mais rien ne disait qu'elle serait ravie d'apprendre leur histoire à son retour. A vrai dire, tout indiquait qu'elle ne le serait pas.


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

L'ancienne princesse ne s'attarda pas plus que de raison à la veillée en l'honneur de Maryl. Une fois les cendres dispersées, le puits détruit et les discours et hommages terminés elle s'accorda seulement un peu de temps pour discuter avec Naye. Elle tenait à lui raconter en personne ce qui était arrivé et à s'assurer que la jeune femme allait bien avant de reprendre sa route vers le laboratoire.
Elle se sentait un peu mélancolique, et pas seulement parce qu'elle sortait de ce qu'on aurait pu qualifier de veillée funèbre. Malgré son soulagement que l'affaire soit enfin résolue, et elle priait d'ailleurs pour que l'état des enfants finisse par suivre, elle ne pouvait s'enlever l'impression d'un terrible gâchis. Un goût amer lui restait en bouche, que cette cérémonie n'avait pas pu apaiser.

Elle sourit néanmoins en voyant Arkaï bondir devant elle alors qu'elle atteignait la sortie du village. Zelda n'avait pas surveillé ce qu'il faisait, ni même s'il avait assisté aux adieux pour Maryl ou à la destruction du puits mais que ce soit le cas ou non elle ne comptait pas lui faire de remarque à ce sujet. La façon dont chacun vivait ces événements était très personnelle. Celle qui avait perdu son titre de souveraine hocha la tête quand son ami affirma que les Elimithois pouvaient se débrouiller sans eux à présent. "Il le faudra bien." Tu ne peux pas être responsable de tout le malheur du monde. C'est ce qu'elle essayait de se répéter jusqu'à s'en convaincre. Elle avait beau savoir qu'elle devait cesser de tout voir au travers du prisme de ses échecs, elle ne pouvait faire taire la petite voix qui lui demandait si ce genre de chose aurait pu arriver, ou du moins être passée sous silence si longtemps, dans l'Elimith qu'elle avait connu. Si la ville avait encore été supervisée par sa famille, que la garde y était restée présente, que les ressources à disposition avaient été plus conséquentes... Peut-être que ça aurait abrégé le drame. Peut-être pas. Le monde aurait évolué tellement différemment, qui pouvait savoir ?

La bonne nouvelle sur l'état des enfants annoncée par le jeune homme tira l'Hylienne de ses pensées. Son sourire s'élargit en pensant aux vies sauvées, et au repos que pourrait bientôt prendre le vieil homme. N'était-ce pas ce sur quoi il valait mieux se concentrer ? Elle murmura sur un ton vibrant "Alors on a vraiment pu faire une différence…" Sa crainte d'être devenue complètement impuissante sans sa magie avait de quoi s'apaiser légèrement. La Déesse soit louée : au moins n'avait-il pas été question d'affronter un fantôme.
L'antique prêtresse fut surprise quand Arkaï l'attira dans ses bras. Elle ne sut pas vraiment comment prendre ses remerciements. Certes, une fois lancée elle n'avait jamais vraiment voulu abandonner l'idée d'apporter l'aide qu'elle pourrait aux habitants, et ce quoi qu'il ait pu arriver par le passé. Pourtant, elle espérait trouver le temps de discuter avec Ludrick une fois que l'émotion serait retombée. Pour s'excuser, parce que même si elle ne regrettait pas d'avoir exploré toutes les possibilités, elle était heureuse de s'être trompée à son sujet et admettait bien volontiers son erreur. Elle glissa une main dans le dos de son ami en cherchant quoi lui répondre. "Je ne sais pas, j'essayais juste de faire ce qui était en mon pouvoir…" Et sans doute aurait-elle plus mal vécu un abandon ou un échec qu'elle ne voulait bien se l'avouer. Heureusement pour elle, les événements avaient tourné en leur faveur, si amère que soit la conclusion. Le Gerudo finit néanmoins par la lâcher, l'air un peu mal à l'aise en évoquant ce qu'ils pourraient bien en raconter à Haya.

"D'abord, on devrait peut-être éviter de dire que tu as assommé quelqu'un avec une pelle." La jeune femme avait parlé sur un ton un peu malicieux en fronçant les sourcils d'un air sévère que contredisait le sourire resté sur ses lèvres. Elle avait eu le temps de prendre du recul sur ce qui s'était passé mais sur le coup elle avait été réellement médusée. Elle avait beau manquer d'idées pour arriver à calmer et ramener leur suspect, elle n'aurait pas vraiment imaginé qu'ils en arriveraient à de telles extrémités. La stupeur et le choc avaient cependant eu l'occasion de retomber depuis, et avec eux les reproches qu'elle avait à faire sur ce genre de méthode et qui sur le coup avaient été passés sous silence à cause de l'urgence. L'effet avait finalement été celui recherché et elle préférait s'en satisfaire. Mais quel mal à le taquiner un peu là-dessus ?

Ceci dit, à part quelques menus détails elle n'avait pas les mêmes appréhensions qu'Arkaï, elle avait plutôt l'impression d'avoir fait du bon travail et que la Sheikah aurait de quoi être fière de ce qu'ils avaient aidé à accomplir. "Je peux éviter de dire que je me suis baladée toute seule si tu préfères." Était-ce ce qui l'inquiétait ? Au final il ne lui était rien arrivé, même si là encore il y avait une part de chance. Il y avait pourtant un détail qu'elle allait à présent devoir aborder auprès de ses deux compagnons de voyage. "En fait… Il y a aussi quelque chose que je ne t'ai pas encore dit." Zelda n'estimait pas que ce soit bien grave dans la mesure où cela ne changerait pas leurs plans initiaux mais ça restait malgré tout une décision qu'elle avait prise seule. "Lorsque j'ai interrogé Florène, elle n'était pas très disposée à parler… Et je n'avais rien sur moi pour marchander avec elle…" N'était-ce pas un peu ironique ? Fut un temps où elle aurait pu promettre monts et merveilles à n'importe qui, sa seule réputation aurait suffit en guise de gage. À présent elle se baladait avec quelques maigres souvenirs en guise de possessions, obligée de s'en remettre à d'autres pour son confort matériel. "J'avais peur de passer à côté de quelque chose d'essentiel, alors en échange de ses informations, je me suis engagée à travailler pendant quelques temps à l'auberge. De toute façon, on avait prévu de rester pour un moment…" Du coin de l'œil, elle guettait la réaction de son comparse, ne sachant pas trop ce qu'il allait en penser. Ce serait un bon premier test avant de l'annoncer à Haya.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

« Haha, tu plaisante ! J'en suis fier de ce coup de pelle, je compte bien m'en vanter au moins jusqu'à la nouvelle année ! »

Arkaï partit d'un rire sonore, amplifiée par les collines autour à la manière d'une cathédrale. Au fond, le Sheikah se doutait bien que la taquinerie de Zelda ne valait pas validation de pareille méthode, mais comme l'avait dit un illustre maître d'art martial du clan caché : « Eh. Tant que ça marche... ». Et puis au delà de l'urgence de la situation, le bushi avait eu le temps de se rendre compte que l'ex princesse comptait sur des méthodes plus subtiles que les siennes pour résoudre les problèmes. Quand bien même il la respectait profondément, le jeune homme en quête de son chemin ne se sentait pas poussé à emprunter celui de son amie. La voie du guerrier lui plaisait trop, tout comme l'idée de pouvoir être les muscles lorsque le reste échouerait. En revanche... bien sûr, pour ce qui était de se vanter devant Haya... C'était une toute autre histoire. D'ailleurs, il répondit vigoureusement par l'affirmative lors que Zelda évoqua l'idée d'en dire le moins possible sur leur séparation de la veille. Les yeux écarquillés devant la perspective de leur camarade découvrant la chose, le Sheikah non confirmé déglutit longuement avant d'ajouter,

« On devrait éviter de lui mentir. La crédulité ne fait clairement pas partie de son vocabulaire. Par contre... Le moins possible lui en dire... Oui, ça serait encore le mieux, je pense. »

Le désordre régnant sous son crâne n'en était pas au moins où Arkaï se figurait pouvoir tenir une affabulation avec les yeux carmin d'Haya plantés dans les siens. A tous les coups, à la manière d'aiguilles médicinale qui fait se crisper un muscle, sa langue s'actionnerait toute seule et il déballerait tout. Mais si il se contentait d'endormir ses soupçons... Ca se tentait. Au pire, qu'est-ce qui pouvait bien arriver ? Aussi vite que cette question lui était venu, le garçon cessa d'y penser tant les scénarios catastrophes se bousculaient aux portes de son esprit. Fort heureusement, ce fut plus aisé lorsque Zelda amorça clairement une confidence, sur un ton assez inquiétant. Rapidement, il se demanda avec anxiété ce que son amie avait bien pu mettre en gage pour obtenir ses renseignements. Quand bien même ceux ci s'étaient révélés précieux et même décisifs, le sheikah craignait de devoir gérer à nouveau une crise, cette fois entre le village et eux. La vérité le rassura.

« Hum. Pourquoi pas après tout. Si tu m'avais demandé hier combien de temps on devait rester, j'aurai bien plaidé pour qu'on fasse nos affaires en vitesse et qu'on se barre par le premier chemin en embarquant la vieille-gosse sous le bras. Mais... » Il s'arrêta l'espace d'un instant et se retourna vers le village qu'ils commençaient à dominer, la route grimpant à présent franchement la colline. «... A présent, je dirais qu'on est pas moins bien ici qu'ailleurs. A part au village caché, bien sûr ! » se reprit-il avec un air embarrassé, presque honteux d'avoir failli oublier de préciser l'évident. « Alors autant prendre notre temps. On n'a qu'à attendre déjà que Haya revienne, que mon bras se remette et puis l'arrivée du printemps. »

Devant le paysage où on apercevait au loin les premières neiges s'accrocher aux plus hauts sommets, signes que la saison fraîche ne tarderait pas à recouvrir d'un voile blanc les collines, Arkaï prit soudainement conscience d'un détail et demanda à Zelda, plein d'un enthousiasme enfantin,

« Hey ! Ca sera ton premier hiver depuis un moment, non ? Remarque ça a pas dû changer depuis le temps. On devait déjà faire des batailles de neige et de la luge à l'époque ! Moi j'ai découvert ça au monastère, c'est génial ! »

Puis, se souvenant de ce qu'elle venait de lui annoncer, il prit un air plus sérieux pour se demander ouvertement, « J'espère qu'ils comptent pas te faire trimer, en bas. Faudrait pas que tu passe ton hiver à bûcher. Bah ! Au pire, je te prendrais des jours de travail, c'est le moins que je puisse faire ! Daijobu ? »

Arkaï ne pouvait s'empêcher de faire passer du sheikah dans sa bouche, lorsqu'il s'emportait. Le fruit de plusieurs années à imiter ses pairs, mais il ignorait à quel point la princesse maîtrisait la langue, aussi se reprit il aussitôt, en bafouillant, « Euh... d'accord ? »


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

La jeune femme fut surprise de constater que son ami ne regrettait en rien le fameux coup de pelle, mais il avait la chance que son indignation ait eu le temps de retomber et elle préféra ne pas relancer le sujet. Elle fut soulagée de savoir que, malgré tout, ils s'accordaient sur le fait de taire ce détail quand ils raconteraient leurs mésaventures.

Zelda hocha la tête quand il fut question d'éviter de mentir à Haya avant de hausser les épaules d'un air résigné. "De toute façon, elle en entendra probablement parler au village. Nous ne pouvons pas savoir quels détails circuleront." De ce qui s'était passé exactement au cimetière, ils étaient les seuls témoins et personne n'avait de raison d'avoir relevé ses déambulations seule mais il ne servait à rien de cacher qu'ils avaient pris part à l'enquête. L'ancienne princesse n'avait de toute façon pas l'impression d'avoir grand-chose à se reprocher sur ce point. Au contraire, elle était plutôt fière à l'idée d'avoir pu infléchir les événements. Un peu comme une revanche sur son impuissance passée.

Elle avoua ensuite le contrat oral qu'elle avait contracté et elle fut rassurée de voir que son compagnon ne semblait pas fâché. L'idée de pouvoir passer quelques temps à Elimith plaisait aussi à l'Hylienne. À présent, l'ambiance allait certainement s'adoucir au village et l'auberge lui permettrait de rencontrer des gens. Un emploi du temps bien rempli lui éviterait de passer toutes ses journées à s'occuper l'esprit avec de dangereuses machines au sujet desquelles son esprit n'était toujours pas entièrement apaisé ou à anticiper anxieusement sa rencontre avec les Zoras, qu'elle redoutait autant qu'elle la savait nécessaire.

Arkaï évoqua ensuite l'hiver et le fait que les jeux offerts par la neige avaient dû lui manquer. Un regard un peu triste passa sur son visage, bien vite effacé lorsque le jeune homme proposa, chaleureusement et si spontanément qu'il en mêlait les langues, de prendre sa relève si elle était surchargée. C'était touchant et rassurant mais peut-être s'était-il mépris sur les raisons de son chagrin. "Ne t'en fais pas, je ne pense pas qu'ils me retiendront aussi longtemps. C'est juste que..." Il n'était pas seulement question des dernières années où elle n'avait pu ni voir ni toucher le moindre flocon. Le plaisir simple de dévaler une pente enneigée ou d'une bataille de boules de neige ne lui était pas si familier qu'il semblait le penser.

Elle hésita un instant à s'étendre sur le sujet mais à présent qu'elle avait commencé à parler, il attendait probablement qu'elle continue. "Je n'étais pas aussi entourée ni aussi libre que tu sembles le penser, je voyais tout ça de loin..." Plus jeune, elle était entourée d'adultes occupés et qu'elle le veuille ou non, une distance se créait automatiquement avec les autres enfants. Ce fossé dû à son rang s'était creusé avec l'âge alors qu'elle était de plus en plus scrutée et qu'on plaçait sur ses épaules la pression induite par sa lourde mission. Encore à présent, il lui arrivait de se sentir coupable de se détendre et de s'autoriser à avoir l'esprit léger, mais la tâche qu'on lui avait confiée était finie. Heureusement.

"J'ai déjà vu de la neige bien sûr et pas qu'un peu puisque j'ai voyagé jusqu'à Hebra. Pourtant... Je n'ai jamais fait de luge, ni de bataille de boules de neige... J'ai bien essayé avec Link mais..." Elle se rappelait vaguement, une fois devenue plus à l'aise avec son garde du corps, avoir tenté de lui lancer une boule de neige pour démarrer une petite bataille amicale comme elle avait vu faire d'autres enfants. Mais cet idiot n'avait jamais répliqué et, vexée et gênée, elle s'était renfrognée sans parvenir à exprimer plus clairement ce qu'elle attendait de lui. Elle n'avait évidemment pas retenté l'expérience par la suite. Son visage prit une moue un peu agacée à ce souvenir. "... Eh bien disons que ça n'a pas marché. J'aimerais bien découvrir ça, mais je suis une novice, il faudra être patient avec moi."

Ce ne devait cependant pas être très compliqué, et évoquer des jeux et des envies qu'elle avait été si longtemps obligée de refouler la poussait presque à espérer que les premiers flocons se mettent à tomber immédiatement. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle retrouve un sourire enjoué. Pour les batailles elle improviserait, et pour la luge… Ce qu'elle avait pu tester et qui s'en approchait le plus, c'était les courses de morses des sables. Urbosa avait été une des rares à voir et prendre le temps de distraire la petite fille qu'elle était avant d'être une souveraine. Son ami connaissait-il cette pratique ? Elle regarda un instant Arkaï en entremêlant ses doigts machinalement, dans une tentative de contenir l'interrogation qui avait failli franchir ses lèvres. Elle se souvenait combien sa question sur ce qu'il avait connu avant le monastère avait pu le fermer comme une huître. Malheureusement, parmi ses défauts, la curiosité occupait une bonne place. Avant que le silence ne s'éternise et pour masquer sa gêne, elle s'entendit demander sur un ton moins naturel qu'elle ne l'aurait souhaité et qui laissait peut-être entrevoir que ce n'était pas la seule chose à avoir traversé son esprit "… Et est-ce qu'il y a d'autres jeux amusants auxquels vous occupiez votre temps ?"


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

Ses doigts claquèrent comme des sabots de cheval sur la pierre, en rompant brusquement le silence cotonneux qui s'était avachi sur leur conversation, à mesure que l'ex princesse se renfermait sur elle-même. Pas la première fois qu'elle faisait le coup à Arkaï qui, inconscient de sa responsabilité dans cette introspection, commençait à trouver le réflexe pesant. Alors que le regard d'azur de Zelda reprenait un peu de sa vivacité, il lui intima, sur un ton taquin et faussement impérieux,


« Hey. On sort de la boite à souvenirs ! »


A vrai dire, il se savait bien fort gonflé d'oser demander ce qu'il avait tant de mal à faire lui-même, mais le garçon voyait bien que tout ce qui relevait du compagnon perdue de son amie la plongeait dans un tourment douloureux à observer. Le monde est ainsi fait qu'on tolère bien plus aisément chez soi ce qui nous révolte chez les autres, et Arkaï ne supportait plus de voir la joie s'effacer sur le visage de sa camarade chaque fois que sa mémoire lui renvoyait celui de son héros disparu.


« Si cet imbécile... tu me permets de l'appeler comme... ? » demanda-t-il sans vraiment attendre la réponse, « Si cet imbécile a été infoutu de te partager ça, on s'en chargera ! Et y a de quoi faire ! » s'enthousiasma-t-il en embrassant les collines autour d'eux, les embrassant des yeux, son imagination les enveloppant déjà d'un épais voile d'opale noble à la manière des montagnes enserrant le village Sheikah.


« Les pentes seront parfaites pour glisser ! Et pour les batailles de neige, ça m'étonnerait pas que les enfants du village nous suivent ! Pour les soirées, le mieux c'est les parties de cartes autour du feu, mais on peut aussi jouer à se cacher dans les bois les jours où il neige en poudreuse... »


Inspiré par tout ce qu'il voyait autour de lui, emporté par ses souvenirs, Arkaï ne retenait plus sa joie et son impatience. Il lui semblait sentir à nouveau le choc des projectiles glacés que lui envoyait Haki la meilleure viseuse du groupe, ou la détresse fausse que lui inspirait Ishori le colosse quand il le pourchassait dans les congères. Autant d'amis qui avaient quitté le monastère avant lui, appelés à remplir leur devoir, à devenir des Sheikahs au service de la famille royale... Comme lui, à présent. Ce fait résonna en lui, apaisant son excitation sans toutefois parvenir à la briser. Il se reprit néanmoins un peu plus formellement, en une posture et une voix d'avantage travaillées.


« Excuse moi, c'était un peu... Enfantin. Pas très digne d'un bushi. Mais... » Il repensa à la jeune fille dont ils avaient aidé à apaiser l'esprit, à son jeune âge, à la vie qu'elle aurait pu avoir. Un temps dont personne ne devrait être privé. Et sans trop y réfléchir, il lui flanqua une petite pichenette sur le front, indolore mais provocatrice.


« ... T'as pas mal d'hivers à rattraper avant d'être vraiment une adulte, toi aussi ! »