« Epargne-moi tes supplications, je ne suis pas ce genre d’homme » lança-t-il au voyageur.
« Mais … cela m’appartient, je ne vous donnerai rien » cria l’homme d’une voix mal assurée.
« Je n’ai pas envie d’en arriver là, mais si tu refuses d’obtempérer tu ne me laisses pas d’autres choix … », répliqua Reed, posant la main sur le manche de son sabre.
Et déjà il dégainait, s’avançant vers le voyageur, qui malgré la peur tira au clair la lame qu’il portait à la ceinture.
« N’approchez pas ! » cria le voyageur.
Reed, à hauteur de frappe, feinta l’attaque. L’homme en posture défensive leva haut sa lame pour parer un coup qui ne vint pas. Et tandis que l’épée du voyageur brillait dans les airs, Reed agrippa de sa paume gauche l’avant-bras du malheureux, poussa encore un peu plus l’amplitude du mouvement de son adversaire jusqu’à ce que le coude de ce dernier lui arrive à hauteur d’épaule. Simultanément, d’un coup sec de pommeau sur le poignet, il désarma l’homme.
L’épée tomba au sol, suivit rapidement de son propriétaire qu’un coup de coude bien placé dans les naseaux avait fait basculer en arrière.
L’ex-capitaine envoya valser du bout du pied la lame, puis brandit son sabre dans la direction du pauvre individu qui palpait son nez rougi par l’impact.
« La prochaine fois c’est mon sabre que je t’enfonce dans le pif ! Donne, maintenant ! » s’exclama le vagabond, comme exaspéré par ce refus légitime.
Le voyageur se déchaussa avec hâte, lui lança son long manteau de fourrure, se pressa ensuite jusqu’à son épée qu’il ramassa, puis détala dans une course folle.
« Qu’est-ce qu’on se les pèle ici » marmonna Reed, avant de s’équiper.
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Les bottes étaient légèrement trop petites, peu importe il s’y habituerait puisqu’elles avaient l’énorme avantage de lui octroyer une protection conséquente contre le froid. Le manteau quant à lui l’enveloppait complètement, si bien que la température extérieure lui était devenue plus supportable.
Progressant vers le nord depuis quelques jours, Reed avait constaté que la fraicheur n’avait fait que croitre au fil de la distance parcourue. Le froid s’était fait de plus en plus présent et l’homme n’aurait pu continuer son périple sans s’habiller en conséquence. Ce voyageur, chaudement habillé, était une aubaine pour lui qu’il se devait de saisir pour ne pas perdre de temps. Il était d’ailleurs peut-être déjà trop tard car Reed était à pied, et l’homme qu’il pourchassait était à cheval.
Dire que la piste était maigre était un doux euphémisme. Il n’avait aucune autre information que la direction où était parti l’individu qu’il semblait avoir reconnu, monté sur un cheval lancé au triple galop. Le seul élément qui lui avait permis d’identifier l’homme était le tatouage que le cavalier arborait sur l’avant-bras, et qu’il avait aperçu une fraction de seconde lorsque les deux hommes s’étaient croisés sur la route. Mais avait-il d’autres choix que de suivre la même direction ? Hors de question de laisser filer la moindre chance de retrouver l’un des parjures responsables de la destitution du capitaine.
Au fil du voyage et du temps qui passait sans réelle avancée dans sa traque, il avait commencé à douter, à perdre peu à peu espoir, ne trouvant sur sa route rien de remarquable. Arriverait-il seulement à trouver d’autres indices pour continuer ? Rien n’était moins sûr. Il n’allait tout de même pas monter indéfiniment vers le nord en suivant le sillon laissé par le passage des voyageurs. Devait-il renoncer ? Un homme raisonnable l’aurait sans doute fait, mais le désir de vengeance de Reed le rendait aveugle, même face à l’évidence.
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D’abord semblable à une énorme masse noire amorphe dans le paysage, les contours de l’immense créature divine lui apparurent de plus en plus nets au fur et à mesure de sa lente avancée. Quand enfin il fut possible à ses yeux de discerner la forme de l’oiseau, il fut pris d’un effroi soudain. Il était stupéfait, comment un animal de cette taille pouvait exister ? L’image d’un tel colosse lui glaçait le sang. Quand il aperçut finalement les rouages et les pièces de métal qui composaient la bête, il se sentit bien stupide d’avoir pu croire une seule seconde que la créature était faite de chair et de sang – et il en fut même soulagé. Cependant, bien qu’artificiel, la présence du volatile mécanique lui inspirait toujours une subtile angoisse qu’il ne pouvait réfréner.
Sur le pic dominé par l’oiseau, il apercevait également des structures de bois, semblables à des habitations. Elles paraissaient accrochées à même la roche. Peut-être trouverait-il des informations sur celui qu’il recherchait chez ces autochtones – ou bien mieux encore, sur la personne en question. C’est donc d’un pas décidé qu’il se remit en route, avançant toujours plus près de l’immense rocher et du géant perché.
A proximité de l’édifice, il s’arrêta net. La silhouette d’un voyageur, avait attiré son attention. Son cœur s’emballa soudain quand il aperçut la monture qui l’accompagnait. S’agissait-il du cavalier qu’il recherchait ? Il s’approcha discrètement, tentant d’étouffer autant que possible ses déplacements. L’homme semblait ne pas avoir remarqué sa présence. Finalement assez proche, la déception l’envahit quand il s’aperçut qu’il s’était fourvoyé. Il jaugea la situation. L’homme ne semblait pas être une menace, peut-être pourrait-il l’aider ?
Positionné derrière le voyageur à une quinzaine de mètres, il ne voulait pas l’effrayer ni le surprendre. Ainsi il s’avança lentement, sans chercher à étouffer ses pas afin d’annoncer son arrivée.
« Salutations voyageur ! » lança Reed, effectuant un léger signe de tête. Il s’avança un peu plus, les paumes visibles, ouvertes et dirigées vers l’homme, comme pour attester de ses intentions pacifiques.
« Peut-être pourriez-vous m’aider ? »
Il marqua une pause, scruta le visage de l’étranger à la recherche d’une approbation, puis enchaina.
« Je recherche un vieil ami … Est-ce que vous avez croisé récemment un cavalier ? Armoire à glace, cheveux châtains, tatoué sur l’avant-bras ? … »
Sans attendre de réponse immédiate, l’ex-capitaine secoua la tête, se tapa la main sur le front et continua.
« J’en oublie mes bonnes manières, mes excuses … ».
« Mon nom est Reed », et il lui tendit la main, un sourire des plus sympathique et aimable sur le facies.