Le Fléau d'Elimith : des maux que nul rempart ne saurait repousser – La Teinturerie du Levant

[Quête Halloween - 2020] - Partie III - Team Il faut sauver le soldat Ryan

Fin de l'automne - 4 mois après (voir la timeline)

Seym

Narrateur

Forte et déterminée, Seym est la principale couturière de la Ville-Blanche. Son corps, fatigué, est marqué par le poids du labeur comme celui du deuil. C'est une femme simple, qui travaille longuement pour assurer la pérennité du foyer qu'elle a construit il y a des années de cela avec son partenaire, Soje. Mère de deux jeunes garçons, dont l'un est décédé il y a des années de cela après avoir poursuivi un petit animal dans les bois jusque dans les bras d'une tribu Boko, elle garde la tête haute autant qu'il est possible de le faire quand on croûle sous toujours plus de dettes.

Jour II - 06 : 08

Retenant à grand-peine le long soupir qui rongeait sa gorge, elle repoussa la porte de la chambre à coucher. En dépit des vapeurs qui, parfois, pouvaient remonter jusqu’à l’étage ; elle fit attention à ne pas la fermer complètement : il n’était pas question qu’elle n’entende pas parler son fils si celui se décidait finalement à s’éveiller et à l’appeler. Ses yeux rougis de fatigue et de chagrin la piquaient plus qu’ils n’auraient bien voulu le montrer.
Pour cela, encore faudrait-il que Sépharo recouvre un jour la voix. Et, de l’aveu même de Nikolas, rien n’était moins sûr.

Au creux de son poing fermé – dont les phalanges avaient d’ailleurs blanchi à vue d’œil – sommeillait justement la fiole de lait de pavot concentré qu’il leur avait offert, à Soje et à elle. Le vieux docteur l’avait prévenue, il s’agissait d’un calmant puissant — trop pour un enfant de son âge. Mais, d’expérience, avait-il ajouté, rien ne faisait effet sur les malades frappés de l’Affliction. L’Apothicaire leur avait dit cependant de ne pas en abuser, craignant d’éventuels effets secondaires survenant après l’espérée guérison. La Couturière suivait donc la consigne à la lettre, quand bien même elle l’avait laissée assez désemparée : que fallait-il faire quand la décoction cessait de faire effet ?

Ainsi que l’avait expliqué le thaumaturge ; Soje et elle se relayaient pour, d’heure en heure, veiller le petit. Ils s'assurent que la fièvre ne montait pas trop et l’aidaient tant bien que mal à boire, à manger. Jusqu’à présent, il avait régurgité l’intégralité de ce que l’on tentait de lui faire avaler.

Sans un mot, de crainte de réveiller Sépharo alors qu’il n’avait plus hurlé depuis un long moment, elle fila jusqu’à l’atelier, un étage en dessous. Son compagnon y avait bricolé deux couchages de fortune, pour qu’il soit possible de laisser au petit autant d’espace que nécessaire. « Tout va-t-y bien ? », s’enquit-il d’ailleurs en la voyant arriver. Ses lucarnes s’attardant un instant sur sa tunique maculée de bile et de maïs bouillie, elle lui fit signe de ne pas s’inquiéter d’un bref geste de la main. « Aye », lança-t-elle sobrement, la fatigue tirant de larges cernes sous ses paupières. Le Teinturier, de son côté, enfilait ses plus lourdes bottes. « J’vais-t’y m’laver, pis changer ça » détailla ensuite la quinquagénaire, souffrant sans mal le regard énamouré de son ami.

"Entendu", souffla Soje qui glissait un long kopis à sa ceinture. Son fil n’était pas très aiguisé, mais peut-être suffirait-il à faire comprendre aux molosses comme aux étrangers qu’il était prêt à se défendre, maintenant. « J’y ai sorti le baquet, mais j’n’ai pas eu l’temps d’eul’remplir », reconnu-t-il alors, aussi penaud que déconfit. « Ouste, », fit Seym, joignant la parole aux gestes de la main. Et elle de poursuivre, d’une voix faussement autoritaire : « File-dont ! Mais ne prend pas de risques... »

Sitôt son céladon parti, la mère de famille entreprit de nettoyer brièvement la tâche qui habillait son âpre tunique. Il était tôt, bien trop pour croiser qui que ce fut au lavoir, aussi décida-t-elle de changer de vêtements après avoir eu l’occasion d’y puiser un peu de l’eau dont ils se servaient usuellement pour laver les tissus. Elle n’aurait qu’à la faire chauffer avant de faire une toilette de chat.

S’armant donc de sa binée ainsi que d’un petit couteau à lame droite, elle s’aventura dehors à son tour. Le voyage ne saurait-être long ; ne pouvait être long : Soje avait justement construit l’auge à quelques aunes de leur domicile. Surtout, elle se devait de rentrer avant la prochaine crise de son enfant. Elle n’en perdrait pas un autre. Plus jamais.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

Après un repas peu consistant en ce qui la concernait, la discrète créature aquatique se sépara de ses nouveaux compagnons, les traits tirés et l’estomac grondant. Tous s’étaient accordés sur une nuit de repos, afin de reprendre leur enquête dans les meilleures conditions possibles. « A demain. » lança-t-elle à Célyse et à Samir en commençant à se diriger vers la rivière. Leurs chamailleries l’avaient amusée pendant la soirée, et avaient apporté un peu de légèreté à cette affreuse situation. Elle espérait néanmoins qu’ils sauraient se tenir face aux personnes qu’ils devaient rencontrer au matin.

La nuit passa à la fois vite et rapidement : Slo’Anh fut efficace pour chasser et recouvrer des forces pour tout ce qu’il restait à accomplir, et aussi pour évacuer tous ses instincts contenus auprès des terrestres. Une fois repue de poissons nettement plus satisfaisants que ce ragoût infernal, elle se lova au fond de l’eau, entre quelques rochers qu’elle avait repérés. Elle était si fatiguée que le sommeil ne tarda pas à l’envelopper, mais elle resta sur le qui-vive et se réveilla de multiples fois avant l’aube tant elle était dans l’expectative.

Un voile un peu plus clair dansant à la surface, au-dessus de sa tête, lui indiqua que les premiers rayons du soleil pointaient le bout de leur nez. « En avant, ma fille. » se motiva-t-elle en imitant la voix de son père. Avant de se mettre en route vers le Domaine une fois cette affaire résolue, elle se promit d’aller serrer ses parents dans ses bras. En attendant, elle remonta à la surface et grimpa sur la berge en un geste rapide et silencieux. Le village était encore tout ensommeillé, compte tenu de l’heure et aussi des langues qui avaient dû se délier jusque tard suite aux événements de la veille.

Elle ramassa le tissu qui lui avait servi de capuchon pour s’en servir à nouveau. Elle n’appréciait pas vraiment cette coutume volée à Playru, mais cela avait au moins le mérite de l’isoler des regards dérangeants quand elle se déplaçait. Une fois bien habillée elle se remit en route vers l’auberge pour retrouver Samir et Célyse.

Contrairement à ses craintes induites par les remarques de la soigneuse humaine, Samir semblait s’être extrait de son lit plutôt à l’heure. Sur le chemin de la teinturerie, il tâcha de lui expliquer qui était qui, et elle répéta ce qu’elle avait appris dans sa tête tout en marchant pour ne pas l’oublier. Sa tête commençait en effet à être bien remplie de noms de personnes qu’elle ne situait pas vraiment, et elle ne voulait pas que cela pollue sa réflexion une fois qu’ils seraient avec la famille du petit malade.

Évidemment, personne ne posait la question - pourtant la politesse ne semblait que très peu limiter les remarques de Célyse - mais tous trois se demandaient comment vraiment gagner la confiance des teinturiers avec la mine peu avenante de Slo’Anh. Leur atout majeur était Samir, qui les connaissait déjà. Pour ce qui était du reste… « On vient d’ailleurs, on fait autrement. On fera peut-être mieux que Nikolas. » affirma-t-elle, la voix durcie par la conviction. Ils devaient trouver quelque-chose. Ils ne pouvaient pas revenir bredouilles. Aucun mal ne pouvait demeurer sans remède, la Zora ne pouvait se permettre de croire le contraire.

Lorsqu’ils arrivèrent, le couple était déjà dehors, les traits si tirés qu’ils évoquaient d’étranges poupées de cires articulées par on ne savait quelle astuce de magicien. Les creux sous leurs yeux avaient pris une teinte presque aussi foncée que les écailles de Slo’Anh, et malgré son habituel détachement, son cœur s'accéléra légèrement face à une détresse si palpable.

Comme prévu, elle laissa Samir expliquer la situation, et les salua simplement d’un mouvement de tête, avant de se perdre dans la contemplation de leurs pieds. Elle espérait qu’une attitude effacée la rendrait moins menaçante à leurs yeux.


Samir


Inventaire

Samir, pour une fois, était debout avant Célyse. Il avait beau avoir l'air léger et insouciant, il était sincèrement inquiet pour le petit. Il avait pris l'habitude de le voir vagabonder, et le savoir cloué au lit à cause d'un mal si grave lui faisait de la peine. Lorsque son amie la rejoint, il essaya de masque son affectation avec une expression détachée et un air taquin.

"Bah alors, tu te refaisais une beauté ? Ca fait une heure que je t'attends !"

Slo'Anh les rejoint peu après, encapuchonnée dans son vêtement. Samir était toujours un peu fasciné par les éclats bleus qui se laissaient voir ci et là par des ouvertures malencontreuses du tissus, mais ils avaient plus urgent que d'assouvir sa curiosité, pour l'instant.

"Bon matin, mesdames. On est tous là ? Allons-y."

Et il pris les devants sur le chemin familier qui les mena à la teinturerie. Il jeta un regard à son équipage, et ne put s'empêcher de se dire que les patrons les laisseraient jamais entrer. Objectivement, les trois compagnons avaient une drôle d'allure. Soge et Seym connaissaient un peu Célyse, de loin, mais ils n'avaient probablement jamais vu de Zora avant, et quelque chose lui disait que dans le climat actuel, ils seraient d'autant plus méfiants. Hm.

"Slo'Anh, j'y pense mais tu ne les connais pas du tout ! Laisse moi te faire un résumé. Soge est le teinturier du village, il tient sa boutique avec sa femme Seym. Ils ont un fils qui s'appelle Sépharo, c'est lui qui est malade. Il doit avoir peut-être dix ans ? Le pauvre. A première vue, Seym n'est pas très avenante, mais elle est gentille en réalité. Soge est plus extravagant habituellement, mais il s'est évidemment assombri avec les derniers évènements. C'est un vrai crève cœur. Si je suis tout à fait honnête, ils risque d'être un peu surpris, comme ils ne te connaissent pas. Mais je vais faire les présentations, ça passera. Ca leur fera une autre piste pour leur petit, ils vont pas cracher dessus."

Le petit groupe marcha en silence pendant un temps, avant que la voix sévère de Slo'Anh ne résonne dans le petit matin.

"On vient d’ailleurs, on fait autrement. On fera peut-être mieux que Nikolas."

Lorsqu'ils arrivèrent, Seym était dehors. Elle avait l'air épuisée, la pauvre. Et sale... ? 

"Seym ? Seym, bonjour, c'est moi, Samir !" Il s'approcha de la pauvre femme, qui avait encore plus mauvaise mine de près. "Oui, désolé de me pointer comme ça, mais... enfin. Hm." Il ne savait pas trop par où commencer. Ses amies comptaient manifestement sur lui pour les introduire, ça semblait après tout logique.

"Alors. Oui, en fait je... je viens pour Sépharo. Je sais que ça ne va pas bien et que c'est un peu compliqué de trouver une solution alors... je viens avec une nouvelle piste." 

Il désigna ses deux compagnes.

"Je suis venu avec deux médecins très compétentes. Vous connaissez déjà Célyse, je vous en ai déjà parlé, elle sait faire des sacrés trucs avec ses aiguilles. Et voici... voici Slo'Anh, elle vient de très loin, et elle aussi est très réputée chez elle. Nous nous disions.... nous avons entendu dire que l'Apothicaire a du mal à trouver de quoi souffre votre fils, alors nous nous sommes dit... nous nous sommes dit que ça vaudrait le coup de tenter avec d'autres experts. Avec un domaine de compétence plus large et d'autres points de vue, on augmente les chances de trouver des indices."

Oh la la. Il était mal à l'aise de voir que son mari n'était pas là, il ne savait pas trop pourquoi. Il ne savait pas non plus comment continuer sa phrase, avec Seym qui les regardait d'un air à se demandait ce qu'ils fichaient là. Il donna un coup de coude à Célyse. Allez, s'il te plaît. Prend le relais, ma grande.


Célyse


Inventaire

Lorsque Célyse sortit de sa chambre pour retrouver le point de rendez-vous fixé avec ses compagnons du jour, ce fut sans grande surprise qu'elle découvrit la présence agitée de Samir sur le palier de l'auberge. Celui-ci avait pris l'habitude de se lever de plus en plus tôt lors de leur long trajet du désert Gérudo jusqu'à Elimith, en s'habituant progressivement au rythme matinal de la doctoresse. Qui plus est, il devait s'inquiéter pour le petit.
 
Samir était comme ça. Il se souciait trop des autres pour son propre bien.

"Je suis à l'heure," lui répliqua-t-elle sur un ton caustique. "Et t'as raison, je me maquillais. Il va bien falloir convaincre ton patron qu'il peut nous laisser voir son marmot malade. Et j'aime pas parler." 

Il allait sans dire que Célyse n'avait pas très bien dormi non plus. Elle espérait que son fond de teint, ainsi que le baume rouge qui maculait ses lèvres, distrairait les autres de ses cernes et des traits de tension qui lui plissaient légèrement le front. Fort heureusement, Slo'Anh arriva juste avant que Samir ne se lance dans une longue critique de ses boucles emmêlées, qu'elle n'avait pas eu le courage de gérer ce matin. Elle salua sa consoeur Zora d'un bref signe de tête, avant d'emboîter le pas du Gérudo. Direction la teinturerie.

Tandis que le garçon du désert comblait le silence en décrivant ses employeurs à la femme des eaux, Célyse se perdit brièvement dans ses sombres contemplations. Il commençait à y avoir beaucoup d'enfants malades. Et de morts. Comment endiguer une épidémie qu'on ne comprenait pas ? Comment trouver un remède à ce poison que personne ne semblait reconnaître ?

Seym apparut bientôt dans leur champ de vision, un baquet adroitement calé contre sa hanche. Elle avait les traits tirés et le visage pâli par la fatigue et les tracas. Célyse la salua également d'un bref signe du menton, avant de darder son regard de jais sur Samir. Elle s'en remettait entièrement à lui pour les introduire à la couturière, et celui-ci s'en tira bravement. Sa voix se fit cependant de plus en plus empressée, comme s'il cherchait à s'arracher les mots des lèvres le plus vite possible. Le Gérudo se sentait mal à l'aise, et elle ne savait pas pourquoi. Il finit par lui adresser un coup de coude dans le bras, qui s'apparentait plus à une bousculade qu'autre chose. La femme-médecin adressa un regard agacé à son compagnon, avant de soupirer et de s'avancer vers la mère épuisée. Elle lui tendit la main, pour une poigne franche et ferme. 

"Je suis Célyse. Nous sommes médecins depuis trois générations dans mon village," avança-t-elle avec sérieux. "J'ai soigné des maladies très différentes sur la route, et je continue à pratiquer depuis que je suis arrivée à Elimith. Florène vient me consulter tous les jours à l'auberge. J'ai guéri des petits bobos, des otites, des diarrhées et des fièvres, mais aussi des boutons et des crevasses chez les enfants de tous les âges. Je travaille à base de mélange de plantes, et j'utilise une technique ancestrale de pose d'aiguilles pour apaiser les douleurs." 

"Samir m'a dit que votre petit ne va pas bien. Je prends très au sérieux tout ce qu'il m'a rapporté, et je m'engage à faire de tout mon possible pour le soulager, même juste un peu. Je suis venue avec ma consoeur Slo'Anh," elle adressa la concernée d'un signe de sa main libre, "car celle-ci est une érudite de la science dans son peuple, et c'est une spécialiste des maux infantiles." Elle ne cilla pas en ajoutant cette précision.

"Seym, je sais que la situation est grave." Elle baissa légèrement la voix. "Plus grave que ce qu'on pourrait penser. Ou que ce qu'on voudrait nous faire croire."  Elle fixa droit dans les yeux la couturière, en priant pour que celle-ci lise dans son regard toute sa détermination à aider, à chercher, à comprendre ce qui frappait son fils. "Seriez-vous d'accord pour m'en dire plus sur ce qui arrive à Sépharo ?"


Seym

Narrateur

Forte et déterminée, Seym est la principale couturière de la Ville-Blanche. Son corps, fatigué, est marqué par le poids du labeur comme celui du deuil. C'est une femme simple, qui travaille longuement pour assurer la pérennité du foyer qu'elle a construit il y a des années de cela avec son partenaire, Soje. Mère de deux jeunes garçons, dont l'un est décédé il y a des années de cela après avoir poursuivi un petit animal dans les bois jusque dans les bras d'une tribu Boko, elle garde la tête haute autant qu'il est possible de le faire quand on croûle sous toujours plus de dettes.

Le regard fatigué, empreint d’une lassitude de celle que l’on ne pouvait combattre et surtout lâche, la mère de famille se retourna vers le trio qui l’accostait de si bon matin. «  ‘Coûtez, je… », tenta-t-elle d’interjeter, alors qu’elle achevait de remplir sa binée. Mais Samir, qu’elle n’avait hélas pas reconnu à sa seule voix, ne lui en laissa pas le temps. Véritable moulin à paroles, le Gérudo se lança dans l’un des ses éternels monologues. Après tout, il avait déjà fait preuve de beau-parler par le passé…

Seulement, ce jour-là était spécial. Il n’avait rien de comparable à l’autre fois, quand le vagabond avait émergé des bouches voraces de la Forêt, grimpé le chemin de terre et poussé les portes de la Cité-Commerce ; à la recherche d’un endroit où l’on aurait besoin de ses talents. Aujourd’hui, elle était pressée, mortellement inquiète, à bout de souffle. Quelques aunes plus loin, seulement, son enfant était peut-être mourant et cette seule idée la terrorisait bien trop pour qu’elle n’accorde à l’excentrique jeune homme le temps qu’il requérait d’elle. 

Elle ne l’avait simplement pas. 

Pourtant, trop préoccupée pour réaliser la présence d’une non-humaine dans la troupe de son employé, elle s'entendit céder. « Je… Hmpf.. — Fais-y vite, Samir. Pô' l'temps pour long », maugréa-t-elle alors, sans doute sensiblement moins avenante que l'apprenti couturier ne l’avait connue jusqu’alors. Récupérant le baquet alourdi d’une eau claire, elle le cala fermement entre son bras et sa hanche. Puis, dardant deux yeux éreintés sur ce bigarré rassemblement, elle prit une grande inspiration, comme pour mieux s’armer contre cette nouvelle épreuve que Le'thi plaçait devant elle. Son front était strié de rides, creusant sa chair comme autant de tranchées de terre tandis ses doigts, usés par le labeur, blanchissaient à vue d’œil. 

Elle retint un soupir de soulagement en réalisant que le pauvre garçon n’était pas venu réclamer le reste de la paie il y a quelques jours promise. Elle aurait compris, en effet, qu’il cherche à fuir la cité au plus vite après les événements de la veille. Après tout, sommeillait désormais une dague à son propre flanc. Mais elle n'avait pas un sou en poche et moins encore le courage de négocier aujourd'hui.

Au lieu de quoi, le jeune homme venait avec deux médecins ; qu’il avait l’air d’estimer davantage que Nikolas. Les sourcils froncés et le visage trahissant son scepticisme à cette idée, elle garda cependant le silence. Comme son ami, elle était bien plus douée pour écouter que pour interrompre. Ramenant une mèche rebelle derrière son oreille, la Couturière se prit un temps à espérer. Peut-être pourrait-on effectivement sauver son bambin ? Après tout, si efficace s'était montré le vieil Apothicaire, le raisonnement du Gérudo semblait faire sens. Et puis, contrairement aux deux étrangers qu'avait rencontré Soje la veille, aucun d'eux ne ressemblaient à un envouteur, un marabout ou un voleur d'enfant. « Je… Euh..., souffla d'abord l'artisane, dont le sel teintait doucement la crinière, P'têt ben qu't'as-tu raison, mon garçon. » Elle demeurait hésitante ; et cela s'entendait d'ailleurs dans sa voix. Elle n'en avait pas moins du mal à fermer tout à fait la porte.

Au fond d'elle, une voix l'intimait à davantage de prudence. Une autre, cependant, brûlait d'envie d'y croire.

S'avançant assez pour lui tendre une paume ouverte qu'elle saisit assez machinalement, Célyse entreprit à son tour de la convaincre. La longue liste des afflictions qu'elle choisit de décrire tira une grimace à la mère de famille qui ne connaissait pas la moitié des mots que lançait la jeune savante. Elle lui donnait l'air d'être une érudite. Une femme intelligente, probablement plus que toutes celles qu'elle fréquentait à Elimith, qui en savait bien assez pour ne pas risquer de blesser le petit. « D'solée, m'dame Célys' », fit l'Aînée, avec une révérence non dissimulée mais aussi un peu de mal à articuler sans qu'elle ne se l'explique. « Samir m'a-t'y surement parlé d'vous, mais j'ai dû oublier », avoua-t-elle ensuite, sa main serrant avec poigne celle de l'inconnue. Plus que jamais, elle appréhendait la menace qui pesait sur son fils et pourtant la jeune doctoresse et son coloré camarade lui inspiraient bien involontairement un certain optimisme.

Jusqu'au moment où la thaumaturge insista de nouveau sur la Zora qui les accompagnait. Le charbon de ses yeux glissa du visage de l'Hylienne jusque sur les écailles de la femme poisson, s'attardant un bref instant — tout juste le temps de réaliser ce qu'on exigeait d'elle. Depuis sa plus tendre enfance, Seym avait entendu parler des enfants des eaux, de leurs dents aiguisées comme des épées ainsi que de leur faim de loup. Un violent frisson secoua son échine tandis que chutait lourdement la jale qu'elle transportait encore. Le clapot sournois de l'écume se changeant en tourbe la ramena à la réalité, alors que Célyse vantait tous les mérites de la coruscante chimère cachée sous un drap.  « Pardon, pardon », implora-t-elle, rassurée de n'avoir éclaboussé personne. « J'vais-tu d'voir filer », reprit-elle ensuite, la pulpe des doigts épousant de nouveau le bois humide. « 'Fait trop longtemps qu'j'y suis d'hors », se justifia-t-elle ensuite, évitant soigneusement le regard des trois étrangers. Puis, remplissant de nouveau le vieux seau tout en rassemblant son courage, l'Artisane les questionna tous trois « Vous pensez-tu vraiment pouvoir 'faire que'que-chose pour mon garçon ? »

Elle n'avait guère d'autre piste dans l'immédiat. Le remède de Nikolas n'avait pas vocation à guérir son petit, il avait très clair à ce sujet. Elle n'avait donc plus le choix.

"V'nez dont ave-moi", lança-t-elle alors, joignant l'invitation d'un geste de la tête ; non sans déloger la même mèche qui l'agaçait déjà un peu plus tôt. « J'peux pô dire grand-chose, parce que j'sais pô c'qu'il a, eul'p'tit », avoua-t-elle bien impuissante, mais désireuse de donner autant de détails qu'elle le pouvait. « Eul'vieux Nikolas lui a-t-y donné un produit pour qu'y dorme. Sans ça, il parle tout l'temps dans son sommeil, pis il hurle. Pourtant, ç'fait des jours et pis des jours qu'on l'a pô vu éveillé. Des fois, quand eul'truc d'Nikolas fait plus effet, y bouge comme un poisson qu'on aurait-tu sorti d'l'eau... », expliqua-t-elle ensuite, en chemin vers la Teinturerie du Levant. Réalisant rapidement la maladresse de son propos, elle s'excusa auprès de la Zora. « D'solée, maît' Zora, je... j'décrit ça comme j'ypeux. J'voulais vraiment pas êt... v'savez... Malpolie ? », s'essaya-t-elle, affrontant sa terreur du mieux qu'elle pouvait pour le sort de son enfant. « Ca s'ra sûrement plus clair quand vous l'verrez », murmura-t-elle enfin, poussant la porte de l'atelier.

La vieille fabrique exsudait encore l'odeur des pigments qui, chargés dans d'épais sac de jute habillaient l'établi de son compagnon. Au centre de la pièce, un trou avait été creusé dans la dalle pour accueillir le feu. Il était cerclé de tiges de fer noir desquelles pendaient un crochet ou suspendre l'un des deux récipients de cuisson que le couple utilisait régulièrement. L'un servait à la cuisine, l'autre au travail des matériaux le nécessitant. Sans un mot, Seym déposa sa binée non loin. « Soje l'est pô là, pis va pas rentrer tout'de suite m'est avis. L'est parti inspecter les puits après c'qui s'est dit hier », expliqua-t-elle ensuite, avant de prendre la main de Célyse. « V'nez dont, m'dame Célys', j'vais-t-y vous montrer où qu'c'est que dort l'ptit ».

Entraînant la doctoresse à l'étage, probablement suivie de la Zora et de leur acolyte, elle s'arrêta un instant devant la porte de l'unique chambre de la bâtisse. Appuyant son oreille contre le bois, elle fut soulagée de n'entendre aucun bruit. Doucement, elle pénétra la pièce où Sepharo occupait le seul lit de toute la famille. D'obscures ténèbres alourdissaient les lieux, que la fièvre avait rendu humide.

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Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

En un sens, même si le Gerudo avait volontiers accepté de se faire le porte-parole du groupe, Slo’Anh ne le sentait pas vraiment plus à l’aise que Célyse et elle-même. Pour ne pas faciliter l’échange, la pauvre mère était complètement distraite - à juste-titre d’ailleurs -, cherchant à fuir la discussion au plus vite. Mais la confiance du grand jeune homme fonctionna et maintint son attention, le temps qu’il présente les deux médecins, aussi atypiques qu’inconnues.

« D'solée, m'dame Célys'. Samir m'a-t'y surement parlé d'vous, mais j'ai dû oublier. » commença-t-elle, n’ayant visiblement les ressources nécessaires que pour une seule personne à la fois. Fort bien, cela arrangeait bien la Zora qui n’était vraiment pas à l’aise à l’idée de devoir faire bonne impression. Elle aurait volontiers souri pour avoir l’air plus aimable, mais généralement ce stratagème n’avait pas du tout l’effet escompté. Et en effet, la teinturière ne tarda pas à poser ses yeux exténués sur la scientifique des eaux, et se figea, le temps que son esprit se décompose et se recompose pour savoir réellement comment agir. Classique, mais pas rassurant pour la suite. Slo’Anh se contenta de hocher la tête en une salutation humble et discrète. Mais la femme laissa tomber ce qu’elle portait dans ses bras, laissant l’eau s’écouler sur le sol. Au moins si je dois rentrer, je le ferai avec le bonheur d’avoir les pieds mouillés… relativisa-t-elle mentalement à sa manière.

Mais contre toute attente, Seym les invita à la suivre jusqu’à la chambre de son garçon. La Zora ressentit un petit frisson d’excitation à l’idée d’aller plus loin que ce que son pessimisme avait envisagé. Elle fut cependant rapidement rattrapée par la crainte, pas vraiment préparée à faire face à la souffrance qu’on lui avait décrite un peu plus tôt, surtout sur un être si petit. Elle voulait par ailleurs être à la hauteur, surtout face à l’expression qu’elle lisait dans le regard de cette maman inquiète qui voulait croire en elle, mais pas trop de peur de tomber encore plus haut. C’était exactement l’état d’esprit de la nageuse à chaque nouvelle piste dans sa quête personnelle de sauver son peuple, et elle la comprenait ainsi plus que jamais.

« J'peux pô dire grand-chose, parce que j'sais pô c'qu'il a, eul'p'tit. Eul'vieux Nikolas lui a-t-y donné un produit pour qu'y dorme. » Voilà qui les avancerait bien si tous les symptômes de Sepharo avaient été gommés par ils ne savaient quelle substance psychotrope… Le regard qui passa entre eux dût être plus éloquent que désiré, car aussitôt, Seym précisa : « Sans ça, il parle tout l'temps dans son sommeil, pis il hurle. Pourtant, ç'fait des jours et pis des jours qu'on l'a pô vu éveillé. Des fois, quand eul'truc d'Nikolas fait plus effet, y bouge comme un poisson qu'on aurait-tu sorti d'l'eau… » Gênée, l’Hylienne chercha désespérement à rattraper ses mots comme  un enfant cherche à rattraper les graines du pissenlit sur lequel il aurait soufflé de toutes ses forces. Mais même si elle avait nettement peur de Slo’Anh, elle esquissa quelques excuses qui touchèrent la jeune Zora. « Aucun problème. Mieux vaut dormir que d’être à l’agonie inutilement. » la rassura-t-elle de sa voix bienveillante de grande sœur.

Apparemment, ils étaient seuls dans l’établissement, le père de famille étant parti explorer les puits. Sans doute y croiserait-il leurs compagnons de la veille. Le cœur de la Zora se serra un instant en pensant à Ludrick. Les enfants étaient tombés malades en traînant dans ces environs, et Slo’Anh avait bien du mal à discerner ce qui le séparait de l’enfance, tant il paraissait jeune. Pourvu que rien ne lui arrive pria-t-elle silencieusement. Par ailleurs, le fait d’entendre encore parler de ces puits attira son attention, car si quelqu’un pouvait en explorer les tréfonds, c’était bien elle, bien qu’elle ne fut pas la seule Zora en ville à cet instant.


Ils arrivèrent enfin devant la chambre du petit. Après une légère vérification, la mère soupira, sans doute car elle n’avait rien entendu de choquant. Lorsqu’ils entrèrent, ils durent d’abord accommoder leurs yeux à la dense obscurité qui régnait sur les lieux. Ce fut moins long pour la chasseresse des profondeurs. De même, l’humidité ambiante la revigora légèrement, mais elle ne douta pas du côté étouffant de la pièce pour ses camarades terrestres.

« Bonjour Sepharo. » murmura-t-elle en s’agenouillant d’un côté du lit, laissant l’autre côté à Célyse. Son leurre frontal brillait légèrement pour apporter un peu plus de lumière aux yeux diurnes de sa consœur. « Si jamais tu nous entends, nous sommes venus essayer de te sauver. » annonça-t-elle, tout aussi doucement. Elle voulut y joindre un de ces gestes tendres qui lui venaient naturellement envers les enfants, mais elle se ravisa, se disant que la génitrice de celui-ci n’apprécierait pas vraiment de voir la main d’un dangereux prédateur sur sa petite tête.

Elle commença son examen silencieusement, avec toute la douceur dont elle était capable, véritablement soucieuse de ne pas casser ce si petit être. Plusieurs questions tournèrent dans sa tête, qu’elle éludait aussi rapidement. Il mangeait la même chose que ses parents, ainsi un problème d’empoisonnement aurait touché toutes les familles, pas seulement les enfants. Un virus peut-être ? Mais de ce qu’elle avait lu, les enfants en guérissaient plus vite, et étaient moins touchés, pour la plupart. D’un autre côté, tout ce qu’elle avait entendu évoquait davantage un naufrage dans un de ces troubles incurables de l’humeur. Mais tous, d’un seul coup ? Cela n’avait aucun sens… A moins qu’il n’aient eu peur - vraiment très peur - de quelque chose qu’ils auraient vu en jouant ensemble ? Les deux soigneuses posaient tour à tour leurs questions, chacune suivant sa méthode.

« Etait-il étrange le dernier soir où vous l’avez vu rentrer ? » demanda-t-elle à la mère, tout en scrutant une pigmentation un peu jaune de la peau, à certains endroits, ce qui était révélateur de grosses frayeurs. Elle avait vu le cas récemment, chez une jeune femme dont le frère avait mis des grenouilles dans le lit. Elle avait été si choquée par l’événement, que son foie en avait été tout déréglé. Dans cette situation néanmoins, l’obscurité ne leur permettait de différencier que différentes nuances de gris et de noir. « A-t-il un peu mangé ? C’est bien passé ?  » demanda-t-elle quand-même pour tester son hypothèse. Mais elle était peu convaincue, chacun réagissant différemment face à la peur. A moins qu’ils n’aient vu quelque-chose de vraiment terrifiant, plus encore qu’elle ne pouvait l’être à leurs yeux. Le puits… Par tous les Océans, elle voulait vraiment faire fausse route.

Mais quoi d’autre, alors ? Un instant, elle abandonna son examen et fixa son attention sur Célyse, fixant son regard ça et là sur son visage et ses mains, comme pour structurer sa propre pensée. Certaines drogues pouvaient rendre fou. Plusieurs Zoras avaient ainsi perdu l’esprit en abusant des champignons phosphorescents marins. Mais, toujours de la même manière, toute cette bande paraissait bien jeune pour déjà goûter à de tels vices. En tout cas à Elimith. Elle ne se sentait pas vraiment efficace, dans le genre ange gardien à cette heure…

« Les Gardiens ! » prononça-t-elle sans qu’un son ne franchisse ses lèvres. Elle ne les avait pas vus de ses propres yeux, mais on lui avait parlé de ces champs d’anciennes machines qui se dressaient dans les plaines. On racontait également qu’on travaillait dessus au laboratoire du village. Et si un mauvais bout de métal avait fait des siennes ? Un empoisonnement par les métaux pouvait tout à fait expliquer les symptômes. Et la structure plus fragile des enfants expliquait aussi la rapidité plus importante des symptômes. Sans doute que cela ne tarderait pas à arriver chez les plus grands.

Elle se releva avec peu de souplesse, mais assez doucement pour n’impressionner personne, et fit machinalement le tour de la chambre. « Vous savez si votre fils rapporte des trésors de ses sorties ? » demanda-t-elle à nouveau. Peut-être avait-il rapporté ici le métal incriminé, ce qui continuait de le rendre malade ?  Sinon, il faudrait aller chercher sur leur terrain de jeu… Et dans les fameux puits s’il le fallait.

Elle attendit que Célyse termine elle aussi son enquête pour échanger avec elle - puis avec la mère du pauvre enfant -  sur ses hypothèses.


Célyse


Inventaire

A partir du moment où Célyse pénétra la chambre noire, rendue moite par la fièvre du gamin, toute son attention se focalisa fermement sur une seule et unique personne. Son nouveau patient n'était pas le plus petit ni le plus frêle qu'elle ait eu à prendre en charge jusqu'ici, mais elle n'avait jamais vu quelqu'un dans un tel état. Le pied plus léger qu'un coup de vent, elle s'avança silencieusement jusqu'à la couche où gisait l'enfant. Son souffle était si profond qu'on aurait pu le croire déjà parti dans l'autre monde. Mais non. Il finirait par se réveiller encore, et à plonger dans un océan de souffrances. A cette pensée, la doctoresse pinça si fort des lèvres que celles-ci en perdirent toute pigmentation.

D'une main experte, et malgré tout avec une infinie délicatesse, la femme médecin posa sa paume contre le front de Sépharo. Celui-ci brûlait comme une fournaise. Les yeux noirs et acérés de la jeune femme passèrent sur la couette qui recouvrait le corps inerte de l'enfant. Ses doigts vinrent soulever les draps avant de les replier sur eux-mêmes, de façon à découvrir les bras de son sujet d'étude. En le saisissant doucement par le poignée, elle retourna son bras droit pour y découvrir ses veines, boursouflées par une violente activité sous la peau. Le mal qui le rongeait avait déréglé tout son système sanguin.

Sans mot dire, son regard remonta le long de son épaule pour se déposer sur le visage chétif de son patient. Les lèvres de celui-ci présentaient un aspect étrange, qu'elle aurait pu visualiser comme un eczéma virulent, sinon pour la teinte rougeâtre irrégulière, semblables à des brûlures, qui trahissait autre chose. Un empoisonnement ? Refusant de produire un diagnostic hâtif, Célyse continua son examen minutieux. Elle déposa un seul index sur l'estomac du petit, qu'elle palpa à peine. Celui-ci était tendu. Aussi gonflé que les veines qui palpitaient à son poignet.

La doctoresse releva son visage austère vers la mère éplorée qui se tenait à ses côtés, alerte et prête à tout pour sauver le fruit de ses entrailles. Son fils adoré. Un pincement indescriptible vint saisir son coeur à cette pensée, encore. Plus que de la tristesse, cela ressemblait à de la jalousie. 

(Jamais personne ne l'avait regardée comme ça.)

« Regardez le contour de ses lèvres. » Le ton délibérément neutre, la femme-médecin pointa du doigt la bouche de Sépharo. « Les marques se rapprochent d'une brûlure. Son ventre est gonflé, et tout son système sanguin s'active fort. Comme si son corps voulait se débarrasser de quelque chose. Il a dû ingérer quelque chose qu'il ne devait pas. » Et maintenant, c'est passé dans son sang, faillit-elle ajouter. Mais un seul coup d'oeil à la mère suffit à la dissuader de trop en dire. Cela ne servait à rien de rajouter une couche d'angoisse supplémentaire. Et surtout pas de fatalité. 

Elle déposa ses yeux sur le visage de Seym, et attendit patiemment que celle-ci accepte de croiser son regard avant de continuer : « Le soir où il est rentré à la maison. Juste avant de tomber malade. Savez-vous ce qu'il a fait de sa journée ? Etait-il avec d'autres enfants, et si oui, avec qui ? Où est-ce qu'ils ont l'habitude de jouer ? » Cela complèterait le tableau, avec les questions posées par Slo'Anh dans la même foulée.

La femme des rivières s'exclama subitement, émettant alors l'hypothèse d'un empoisonnement par les métaux. Célyse n'y connaissait rien en technologies antiques, mais il était vrai que ceux-ci ne fonctionnaient apparemment pas comme des objets ordinaires. Peut-être que la théorie de la malédiction pouvait se confirmer, en ce sens que les Gardiens étaient impliqués... Mais comment vérifier ce postulat quand on ne s'y connaissait pas en antiquités ?

Et surtout, qu'est-ce que Sépharo a mangé ou bu exactement, avant de rentrer chez lui ce jour-là ?

Célyse se hasarda donc à une dernière question : « Savez-vous où est-ce que les enfants mangent et boivent lorsqu'ils sont seuls ? »


Samir


Inventaire

Samir observait les deux doctoresses en se sentant un peu inutile. Il fixait, les lèvres pincées, le pauvre petit qui souffrait en silence dans la pénombre de la pièce, frustré de son impuissance. Il faisait chaud et moite, ici, et Samir avait envie d'ouvrir toutes les issues pour laisser entrer l'air et la lumière. On pouvait pas se reposer dans ces conditions.

Même s'il devait se rendre à l'évidence, ce n'était pas un ou deux rayons de soleils qui allait remettre l'enfant sur pieds. Il observa d'abord Slo'Anh, puis Célyse l'examiner, mener leur enquête sur le petit corps boursouflé, à la recherche d'indices pouvant expliquer le mal. Il remarqua le regard éploré et angoissé de la mère, qui semblait ne pas oser entraver leur quête, mais qui n'avait pas l'air complètement rassuré non plus. Samir se rapprocha d'elle, et lui posa simplement une main ferme et bienveillante sur l'épaule. Pour le coup, ils étaient tous avec elle dans ce merdier: tellement d'enfants étaient touchés, que ça ne devrait pas tarder à toucher d'autres personnes. Ca puait, en tout cas.

"Regardez le contour de ses lèvres. Les marques se rapprochent d'une brûlure. Son ventre est gonflé, et tout son système sanguin s'active fort. Comme si son corps voulait se débarrasser de quelque chose. Il a dû ingérer quelque chose qu'il ne devait pas."

A l'interjection de Célyse, Samir aussi se pencha sur l'enfant. Il avait tout le visage abîmé, les veines boursouflées, le ventre déformé. Il était dans les vapes, assommé par la drogue providentielle qui l'empêchait de souffrir. Pauvre gars.  En tout cas, les deux cerveaux moulinaient dur, ce qui le rassurait un peu. Elles avaient matière à réfléchir, et semblait arriver à des conclusions. Même si Célyse, comme à son habitude, n'était pas très délicate. Samir lui jeta un regard désapprobateur. C'est bien de faire son travail, mais son interlocutrice était une mère aux abois, pas une mamie qui souffrait d'arthrose.
Le Gerudo adressa un sourire qu'il voulait rassurant à Seym. 

 "Ne nous en voulez pas, s'il vous plaît. On est un peu expéditifs afin de recueillir le plus d'informations... et savoir s'il a gardé quelque chose sur lui ou ingéré un mauvais truc nous aiderait beaucoup. Une fois, une cousine a mangé un fruit amené du marché. Son ventre a gonflé et son visage s'est couvert de plaques rouges. Elle avait des spasmes, comme lui. Du coup si on identifie bien ce qu'il a mangé, ça pourrait orienter..."

Sa voix s'amenuisa progressivement. Dans la lourdeur de la pièce, elle lui semblait presque absurde à résonner comme ça. Il pérorait, ne sachant trop que dire. Il ne savait pas non plus pourquoi il sortait cette anecdote du désert, lui qui en parlait si peu en général. Surtout que ça s'était mal fini pour cette fille. Et que la crise d'allergie n'avait duré que quelques minutes, pas des jours et des jours. Probablement qu'il était frustré de ne pas savoir observer les corps malades. Et qu'à cet instant précis, lui qui d'habitude était très content de se laisser guider, il aurait bien aimé pouvoir prendre les choses en main.

"Veuillez m'excuser", ajouta-t-il. "Je vous laisse continuer".


Seym

Narrateur

Forte et déterminée, Seym est la principale couturière de la Ville-Blanche. Son corps, fatigué, est marqué par le poids du labeur comme celui du deuil. C'est une femme simple, qui travaille longuement pour assurer la pérennité du foyer qu'elle a construit il y a des années de cela avec son partenaire, Soje. Mère de deux jeunes garçons, dont l'un est décédé il y a des années de cela après avoir poursuivi un petit animal dans les bois jusque dans les bras d'une tribu Boko, elle garde la tête haute autant qu'il est possible de le faire quand on croûle sous toujours plus de dettes.

Le bois grinça doucement tandis qu'elle fermait la porte derrière eux, une fois les deux doctoresse et leur compagnon Gerudo entrés. La Couturière n'avait pas encore eu l'occasion d'en parler, mais elle craignait que le petit ne s'échappe dès que la douleur l'arracherait au sommeil. A plus d'une reprise déjà, il avait tenté de soulever le doux suaire que déposait sur lui le Poisson-Rêve. C'était aussi de peur qu'il ne rejette de nouveau son étreinte que le vieux Nikolas avait tenu à ce que l'enfant ingère le remède : il ne voulait pas le voir déambuler à demi-éveillé, dans un état second entre vie et mort. L'Hylienne, dont elle avait entendu un peu de bien de la part de certains clients venu faire rapiécer leurs tuniques, s'était déjà approchée. Elle avait cependant été devancée par la Zora qui, déjà, parlait à son bambin. Avant d'elle même la presser de questions.

"Je... euh... — ", commença-t-elle alors, tandis que l'obscurité ambiante masquait l'air décontenancé que gravait la surprise sur son visage. Les interrogations de ses bien étranges commensaux la prenaient plus au dépourvu qu'elle ne l'aurait imaginé. Pas parce qu'elle ne s'y était pas préparée : Nikolas les lui avait déjà posées plus d'une fois. Et pourtant, chaque fois qu'elle narrait ce récit, la commerçante se souvenait surtout combien elle avait été incapable de protéger les siens. « C't'a dire que... », reprit la mère de famille, qui restait toujours près de l'entrée de la chambre, de crainte de déranger les deux drogueuses à l'œuvre. Jusqu'à ce que l'une ne l'appelle.

Le battant de bois, épousant enfin le châssis qui gardait le passage, cessa alors de couiner.


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Seym s'approcha doucement, à tout petit pas. Les doigts entortillés comme autant d'entrelacs travaillés qu'il lui arrivait de broder sur les robes de Clevia, elle se pencha avec tendresse et prudence sur le visage de son enfançon, qu'elle connaissait si bien. Il avait le nez de son père qu'avait aussi eu son frère et le regard perçant de sa grand-mère. C'était un garçon vif, intelligent et ingénieux. Son sourire lui manquait, mais désormais ses belles lèvres étaient déformées par l'affliction. L'Apothicaire n'avait pas su expliquer ce qui pouvait provoquer ce genre de cicatrices, ni dire si elle disparaîtraient un jour. « Les gens ne boivent généralement pas du feu », avait-il répondu, témoignant de sa perplexité, autre aveu d'impuissance.

Encore aujourd'hui, ses entrailles  étaient plus nouées que le maquis de ses phalanges.

Le visage de Sepharo était mangé de furoncles tantôt rougeoyants ; tantôt blancs comme l'albe du manteau d'hiver. La commissure de ses lèvres était aussi grignotée de petites lacérations sans que personne ne puisse dire ce qui aurait pu provoquer ça au village. Sous son poil rendu livide par l'angoisse se creusaient de poches plus larges encore que celles qui, sans relâche bêchaient ses propres joues où celles de Soje. Pourtant, ils n'avaient eu droit qu'à quelques heures de repos par paire de nuits, depuis que l'état du petit avait commencé à empirer.

"J'saurais pô vraiment v'dire c'qu'il a-t-y fait avant de... avant d'venir c'qu'il es-tu maîntenant", avoua la mère de famille, qui se sentait un peu bête. Demeurée cachée - ou presque ! - derrière la jeune femme à la crinière de corbeau, elle joua discrètement de ses mains, comme pour dissimuler son mal-être. « Ca c'pô vraiment fait com'ça », reprit la Couturière, dont le regard bordeaux bondissait inlassablement de Célyse à Slo'Anh à la recherche d'un peu de secours, de quelques mots. Elle avait besoin de savoir que son fils n'était pas encore condamné, de s'entendre dire qu'elle ne l'avait pas tué en en faisant trop peu. Les deux doctoresses restèrent silencieuse, dans l'attente - sans doute - de ce qu'elle pourrait leur dire. « J'crois ben qu'pour d'autres enfants c't'allé pu vite, mais pour Sepharo ça n's'pas fait d'suite », détailla-t-elle, tandis que se perdait l'étoffe de son tablier entre son pouce et son index. Elle restait interdite devant l'enthousiasme de la Zora, ne comprenant pas bien de quels "gardiens" cette dernière pouvait parler. Les seuls dont elle avait jamais entendu mention étaient comparables à des araignées géantes, toutes de fer drapées et dévoraient leurs proies plutôt que de les rendre malade.

"C'la dit, c'fait quelqu'mois qu'il est-y amoureux", reconnu la maman, dont les yeux cramoisis tiraient vers le noir et fixaient désormais les sabots pointus. L'information aurait pu paraître anodine, mais la jeune élue avait poussé le garçonnet à changer son attitude. Et puis... La Macrale présentait un intérêt particulier pour les bidules de l'Ancien monde. En outre, on la disait voleuse de petits. Rien de tout cela ne pouvait être véritablement anodin, si ?

"Avec Lariz, qu'est pô tombé m'lade en mêm' temps qu'Sepharo j'crois ben, ils..." La Couturière s'arrêta un moment, la gorge comme écrasée à l'idée de ne plus jamais entendre les récits pourtant fantasques de son deuxième fils. Quelques jours auparavant, encore, elle lui faisait pourtant la leçon quand il revenait le visage tout barbouillé de terre des abords du laboratoire. « 'Ramènent pô vr'ment d'trésor. Gardent tout dans eules'yeux », fit-elle sobrement après un instant, désignant de deux doigts les billes de charbons rouge qui, à la lueur de lanterne ornant le front de la Zora, brillaient derrière ses paupières, aussi lourdes que fatiguées. Et d'asséner, après une seconde de répit. « Y... Y passaient pas mal d'temps pô loin d'vieux Moulin, où qu'c'est qu'elle vit eula'Shikah et pis son vieux cam'rade. Au d'ssus d'chez eules'Bouviers. » Pas de quoi y voir un lien pour le thaumaturge de la Cité-Commerce, qui rejetait en bloc ces superstitions primitives.

La gorge rendue sèche par le désarroi autant que par la lourdeur de la pièce, Seym finit par se taire tandis que l'enfant des flots et la doctoresse aux aiguilles envisageaient d'autres questions ; gardées pour l'heure secrètes. Le ton de l'Hylienne était toujours aussi... ascète et mettait l'artisane assez mal à l'aise. Elle lui rappelait Nikolas, mais en plus froide encore. Peut-être était-ce un trait courant chez les garde-malade et autres rebouteux. Sentant sans doute sa gêne, Samir décida de prendre le relais. Le Gerudo, guère plus euphorique qu'elle ne l'était, raconta comment l'une de ses cousines avait failli succomber à un fruit provenu des dunes. Il faisait preuve de bien davantage d'empathie que sa compagne, mais l'artisane n'était pas sûr de faire le lien.

"Merci", souffla-t-elle, tout de même, tandis que sa large paume épousait l'épaule de son ancien - après tout, elle n'avait plus de quoi le payer - employé. « L'a pas mangé quek'chose d'bizarre j'crois. L'avale que c'que j'avale-tu aussi », détailla-t-elle tout de même. Et de préciser, l'amertume encore en bouche : « En c'moment, c'est surtout des gâteaux d'seigle ». Baldin avait récemment envoyé Datoh et Mutoh préciser qu'il ne serait pas en mesure de régler les recolorations et les retouches réalisées sur les vêtements de sa famille avant la fin de la crise que traversait la Ville-Close. En attendant, il leur faudrait donc survivre avec le peu d'économie qu'ils avaient donc. Soje avait déjà envisagé la revente de certains des biens que lui avait légué les siens, jadis. « A c'propos Samir, m'dame Célys', maît' Zora... », commença alors la vieille femme ; réalisant enfin dans quel pétrin elle venait de les fourrer, elle et son compagnon.

Son regard, qui s'était doucement habitué à la pénombre, balaya brièvement la pièce. « J'sais ben qu'c't'un peu tard, mais... » Ses sourcils se froncèrent, alourdis par l'autre inquiétude qui l'envahissait. Elle n'était pas aussi importante que celle qui motivait l'essentiel de son existence ces derniers jours, mais elle se maudissait déjà d'être trop honnête. « Soje et pis mé, on a pô... — »

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARRRH ! —"

Coupée dans son élan par un cri sépulcral, Seym s'arrêta soudainement. Le petit avait hurlé et, comme un diable monté sur ressort, s'était redressé en position assise. Ses yeux était encore fermés, et ses lèvres saignaient.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Célyse


Inventaire

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Au cri agonisant de l'enfant, la tête de Célyse bascula si vite qu'elle faillit se blesser au cou. Elle se précipita sur Sépharo pour l'empoigner fermement par les épaules, sans chercher à le plaquer en arrière. Elle appuyait juste assez pour l'empêcher de se déboîter quelque chose. Le gamin paraissait possédé par une force qui le dépassait de loin, et elle craignait qu'il ne se blesse à force de s'agiter. En tournant à peine le menton vers ses deux compagnons d'infortune, la doctoresse aboya sèchement : « Samir ! Va faire bouillir de l'eau et ramène-moi ça tout de suite ! »

Elle enserra le petit de ses deux bras et l'étreignit fort, très fort, pour pouvoir le maintenir dans sa position. Bien que maigres, ses bras possédaient des muscles secs et noueux. Peu importe combien il criait, elle ne lâcha pas prise. Toujours dans l'urgence, mais sans le ton impérieux qui avait caractérisé sa première invective, elle s'adressa cette fois à la mère pour lui demander : « Seym, vous êtes couturière. Auriez-vous des sangles en cuir pour pouvoir attacher Sépharo ? Les sangles les plus longues que vous avez. Et si Nikolas vous a laissé des calmants pour le petit, pourriez-vous les ramener ? Nous devons tout faire pour éviter qu'il se blesse. Et vite. »

Entre deux secousses, Célyse s'autorisa à lâcher d'un bras le gamin, un bref instant, juste le temps de tirer sa sacoche d'aiguilles de soin hors du pan de kimono qui recouvrait sa poitrine. Elle extirpa d'un geste habile quatre aiguilles de tailles différentes et, toujours d'une seule main, elle passa son majeur sur le haut du crâne de l'enfant. Celui-ci s'arrêta à la cime de sa tête, sur un point précis, auquel elle apposa sa plus grande aiguille. Son doigt glissa alors jusqu'à l'arrière d'une oreille, à la jonction de sa nuque, avant d'y apposer une seconde aiguille. Une troisième, de même taille que la seconde, se déposa à l'opposé, derrière son autre oreille. Et enfin, la femme médecin alla chercher un dernier point sur le milieu du front de son patient, où elle inséra sa dernière aiguille, la plus petite et la plus active de tous.

« Mes aiguilles devraient l'engourdir d'ici peu, » expliqua-t-elle à son entourage, sans trop savoir à qui elle s'adressait : elle n'avait pas suivi tout ce qui se passait dans la pièce autour d'elle tant l'enfant avait accaparé toute son attention. « Je les ai posé sur tous les points actifs du sommeil. Cela ne lui garantira pas un repos profond ni réparateur, mais au moins, il ne pourra pas se faire mal s'il dort. »

Toujours libérée d'une seule main, la doctoresse fouilla cette fois dans le pan de son hakama afin d'en extirper un mouchoir en coton et un tout petit pot d'onguent. Elle eut plus de difficulté à ouvrir ce dernier du bout des doigts, mais une fois que ce fut fait, elle y imbiba une partie du tissu pour porter celui-ci aux lèvres de Sépharo. En portant à sa bouche le côté sec de son mouchoir, elle essuya d'abord le sang qui coulait le long de son menton et effleura à peine ses plaies ouvertes pour éviter de les fissurer d'avantage. Puis elle y appliqua l'onguent, qui avait pour principal objectif de mettre une couche de graisse protectrice sur les blessures, d'apaiser la douleur, et d'hydrater la peau abîmée autour de chaque écorchure.

Une fois que cela fut fait, elle jeta un regard derrière elle. Juste à temps pour voir Samir revenir avec de l'eau bouillie dans un seau. A l'aide d'un bol qu'il avait ramené, elle touilla l'eau pour que celle-ci ne soit plus aussi brûlante à boire. Elle testa la température elle-même en portant le bol à ses lèvres. Lorsque cela lui parut buvable, elle amena le bol jusqu'à la bouche de l'enfant.

« Ca fait mal, je sais, » lui parla-t-elle tout bas, comme s'ils étaient seuls dans la pièce. Comme s'il ne venait pas tout juste d'hurler à mort, jusqu'à lui en faire vriller les tympans. « Mais tu vas boire, » lui intima-t-elle fermement, sans mordant. Sa main libre vint cueillir le dessous de sa nuque, d'une poigne déterminée. Presque tendre. Avec la conviction de celle qui ne lâcherait rien. « Parce que tu dois vivre. »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

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Slo’Anh écoutait d’un air concerné les propos de la teinturière, son visage au repos étant particulièrement fermé. « Arrête de faire la gueule ! » lui répétait sans cesse sa grande sœur, ce qui avait le don de la mettre de mauvaise humeur alors qu’elle ne l’était pas initialement. Sa voix forte résonnait dans son esprit comme si elle lui avait crié directement dans les oreilles la fit presque sursauter. Elle tâcha de décroiser les bras et de détendre le haut de son visage pour ne pas rebuter la pauvre Seym. Elle vivait déjà l’enfer, et elle savait que Nikolas n’était pas la personne à laquelle les Divinités avaient fourni le plus de tact, et c’était pourquoi elle se refusait à être un fardeau supplémentaire pour la mère éplorée. « Tout peut-être intéressant. » l’encouragea-t-elle alors qu’elle s’excusait presque de leur donner des détails semblant anodins. Un peu naïvement, la Zora se demanda si c’était le coeur empli d’amour du gamin qui l’avait épargné plus longtemps que les autres du fléau qui les dévorait.

Elle continua alors son exposé, mais celui-ci commençait à durer, et les ressources attentionnelles de la chercheuse aquatique ne lui permettaient plus vraiment d’écouter pleinement et de faire ses conjectures à toute vitesse en parallèle. Elle se demandait en arrière-plan mental où leur interlocutrice pouvait bien en venir quand…
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARRRH ! — »

Ni une ni deux, la chasseresse était déjà à l’autre bout de la petite pièce, en position défensive et les crocs sortis. Ce cri paraissant sortir d’un autre monde que le leur - que le sien en tout cas - lui avait hérissé tous les ailerons, et elle ne parvenait pas à calmer sa fréquence cardiaque, même en ayant compris que c’était simplement le petit qui hurlait. Elle avait entendu des gémissements et des cris depuis que Nikolas l’avait prise sous son aile, mais celui-ci lui avait glacé le sang, comme il ne lui était arrivé que très rarement.

Fort heureusement, Célyse avait agi avec plus de sang-froid qu’elle - ce qui était fort cocasse au vu de leurs métabolismes respectifs - et avait déjà entrepris de secourir le petit humain. En luttant contre les instincts qui la poussaient à s’éloigner, Slo’Anh s’approcha de l’Hylienne pour l’aider à le contenir, mais elle était plus forte qu’elle n’en avait l’air. Il repoussa vivement sa grande main de Zora lorsqu’elle le toucha, et la chaleur de sa peau la choqua plus que la première fois où elle avait constaté sa fièvre.

« Samir ! Va faire bouillir de l'eau et ramène-moi ça tout de suite ! » avait-elle demandé, et l’apprentie soigneuse ne pouvait qu’adhérer. Il fallait de toute urgence faire baisser la température de ce pauvre diable. L’eau serait plus propre après avoir bouilli que celles des environs dans lesquelles Slo’Anh se laissait volontiers aller, mais un instinct cria ‘FROID’ dans sa grande tête ornée de nageoires. Ce sentiment fut renforcé à la vue des cloques sur le visage et le cou du malade. Si le feu avait été liquide, on aurait pu parier qu’il s’en était envoyé plusieurs pintes à l’image de ses pairs les soirs de fête.

Voyant que la doctoresse s’en sortait parfaitement seule, elle suivit l’élan des autres en attrapant à la volée les linges laissés là pour rafraîchir le front de Sepharo. Tous s’affairaient en tous sens comme dans une fourmilière sur laquelle aurait frappé le bâton tenu par un enfant. Courant aussi vite que ses jambes maladroites lui permettaient, elle retourna là où ils avaient rencontré Seym et s’empara d’un récipient laissé là à sécher, et le remplit de l’eau bien froide de l’auge qui s’y trouvait. Elle y jeta les linges pour qu’ils s’imbibent et rapporta le tout en boitillant jusqu’à la chambre, en hésitant plusieurs fois sur le chemin.

De retour après ce qui lui avait paru une éternité, elle étala les bandes, glacées par le souffle de l’automne, sur les membres et le tronc du petit être, de manière à couvrir la plus grande surface possible. Elle prit son temps, sans trop traîner non plus, de manière à ne pas nuire aux efforts de sa consoeur. Sepharo ne semblait vraiment pas apprécier. « Ça fait mal, je sais, mais tu vas boire, parce que tu dois vivre. » lui avait murmuré Célyse d’une manière bien plus maternelle qu’elle n’aurait pu l’envisager. « Oui, il le faut. » renchérit-t-elle sur un ton similaire. La Zora se pelotonna pour prendre le moins de place possible afin de laisser le champs libre à ses compagnons pour remplir leur part de l’entreprise désespérée de sauver cette pauvre petite chose.


Samir


Inventaire

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Alors qu'il était absorbé par la mère, qui cherchait désespérément une cause au mal de son enfant, le cri du garçon lui glaça les sangs. Il fit un bond, surpris, tournant vivement la tête vers Sépharo, qui était méconnaissable. Sa peau était rougie, et semblait subitement brûlante, rien qu'à la vue. Le sang coulait sur son menton, ses yeux étaient révulsés - quoique fut le feu qui le rongeait de l'intérieur, il venait de se réveiller.

L'ordre de Célyse le sorti de sa stupéfaction. De l'eau. Oui, de l'eau, vite. Où y avait-il de l'eau dans cette fichue baraque ? Paniqué, Samir bredouilla: "Oui, oui je suis dessus, j'arrive !" et manqua de bousculer la pauvre teinturière au passage, alors qu'il sortait en trombe de la pièce. De l'eau, du feu. De l'eau, au lavoir. On évitera les puits de cette ville. Du feu, au rez-de chaussée. Il dévala en trombe les escaliers qui menaient à l'atelier. Où gardaient-ils leurs récipients ? Il chercha fébrilement, renversant outils et tissus par terre, avant de les trouver bêtement, proche du foyer. Ca fera l'affaire. Il ira les rincer sur place. Et il rangera... Il rangera demain. Ou tout à l'heure. Il ne servait pas à grand chose d'autre de toutes façons, ne possédant pas un dixième des connaissances médicales des érudites qui l'accompagnaient.

Il réprima le début d'amertume qui le prenait - il n'en avait pas l'air comme ça, mais il détestait se sentir inutile", et s'aventura dehors. Ses talons claquaient sur les pavés alors qu'il courait comme il avait rarement couru, et qu'il arrivait, essoufflé, au point d'eau. Il lava les contenants avec soin, il ne voulait pas lui ficher une infection, et les remplit à ras. Vite, purée. C'était lourd, il ne voulait pas renverser son précieux butin, alors il ne pouvait pas cavaler comme à l'aller. Le chemin du retour lui sembla horriblement long. Les marmites étaient lourdes, et menaçaient de se renverser à chaque pas un peu brutal. Il serra les dents, et avança lentement, mais patiemment, vers l'atelier.

En arrivant, il entendu les bruits d'affairement à l'étage. Tout le monde avait l'air de s'activer. Allez, vite, il ne fallait pas perdre plus de temps que ça... Il accrocha le premier récipient à l'âtre et alluma le feu, avec empressement, essayant d'aviver le feu avec le soufflet qui trainait là. Que c'était long, que c'était long... Aux premières bulles qui frémissaient à l'étage, il empoigna la première marmite, accrocha l'autre, et la laissa à chauffer tandis qu'il remontait avec son butin brûlant.

"Me voilà, je..."

Célyse était penchée sur le petit, et trempa son bol sans ménagement dans l'eau bouillie.

"Ça fait mal, je sais, mais tu vas boire, parce que tu dois vivre."

La peau du petit s'était déjà recouverte de cloques, protégées par des langes, que Slo'Anh avait du poser, et tenu par des sangles. Samir se passa la main dans les cheveux, tendu. La température de la pièce elle-même était montée. Il jeta un œil à la mère, tétanisée sous l'évènement. Ne sachant trop que faire, il alla chercher le deuxième récipient, qui débordait en bas, et éteignit le feu. Il lui glissa lorsqu'il remonta: "Ne vous en faites pas. Il se trouve entre les mains des deux meilleurs médecins d'Elimith."

S'avançant vers Célyse, il lui demanda:

"J'aime pas être dans vos pattes mais... Vous avez besoin d'autre chose ? Est-ce que je peux aider ?" 


Seym

Narrateur

Forte et déterminée, Seym est la principale couturière de la Ville-Blanche. Son corps, fatigué, est marqué par le poids du labeur comme celui du deuil. C'est une femme simple, qui travaille longuement pour assurer la pérennité du foyer qu'elle a construit il y a des années de cela avec son partenaire, Soje. Mère de deux jeunes garçons, dont l'un est décédé il y a des années de cela après avoir poursuivi un petit animal dans les bois jusque dans les bras d'une tribu Boko, elle garde la tête haute autant qu'il est possible de le faire quand on croûle sous toujours plus de dettes.

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La thaumaturge se retourna vers elle, tandis qu’entre ses frêles bras elle maintenait son faible petit. Elle venait d’aboyer avec véhémence sur son camarade, mais la Couturière n’aurait su s’en offusquer.  Elle avait beau apprécier sincèrement Samir, elle n’en demeurait pas moins concentrée sur Sépharo. Ces cris n’étaient plus inhabituels — ils survenaient régulièrement, particulièrement quand le soleil n’était pas encore levé. Et pourtant, à chaque fois ils lui glaçaient le sang. Cette fois encore, le seul son de cette voix sépulcrale avait hérissé les poils de son échine, noué son estomac. Il avait comme paralysé le temps lui-même. Plus loin, à l'opposé du lit, la chasseresse Zora semblait s’être figée, prête à porter l’assaut sans pour autant pouvoir bouger. Elle avait sorti griffes et crocs, mais demeurait aussi immobile que ces statues érigées en d’autres temps. 

Ce fut le Gerudo qui, le premier, se libéra de cette effrayante sclérose capable de stopper jusqu’à la course des sables de l’infini. Bientôt il filait au rez-de-chaussée, en quête de ce qu’avait pu exiger la jeune Hylienne. Elle tenait encore son fils avec force, quand elle sollicita son aide. 

"Je… euh… —", bredouilla-t-elle tant bien que mal, plus intimidée par le hurlement guttural qu’elle ne l’aurait cru. « Des sangles d'cuir… », répéta l’artisane, encore un peu béate. Elle avait ce que demandait l’étrangère et elle comprenait très bien ce qu'elle voulait en faire : Nikolas lui avait d’ores et déjà expliqué qu’il lui arrivait avec les enfants des Métayers qui occupaient toutes ses paillasses. Certains, lui avait-il affirmé, étaient plus tourmentés encore que son bambin.  « J'dois p'voir trouver c'la… Mais j’y ai rien d’aussi solid' qu’eul'Apothicaire… », avoua-t-elle, contrite. Seym craignait que les efforts de l’acupunctrice ne suffisent pas. 

Stressée et paniquée, elle quitta la chambre aussi vite que le lui permettaient ses sabots pointus, à la recherche de lamelles de peau bouillie qu’elle n’avait pas encore cousue. Baldin et Clévia ne les ayant pas payés depuis des lustres, ils avaient eu du mal à refaire leurs stocks. 

La mère de famille savait où aller et revint donc plus vite que Samir, mais pas avant que la femme-poisson. La Dame-Ecaille posait des linges humides sur le corps de son enfant. Son petit crâne fragile était cerclé de traits de fer. Le cuir lui tomba des mains avant même qu’elle n’ai pu s’annoncer. « Qu’est-ce… — », commença la quinquagénaire, proprement horrifiée. Du sang et du pus continuaient à couler des cloques purulentes ceinturant les lèvres de Sépharo. « Qu’est-ce qu'vous faites à mon p'tit ?! », hurla-t-elle, la voix étouffée par la peur et ses paumes qui, spontanément, étaient venues couvrir sa bouche. Elle ignorait tout des sciences obscures que pratiquait la presque-Sheikah. 

La réponse de Célyse fut sobre, presque clinique. Sans doute trop pour vraiment convaincre la Couturière.  

Mais avait-elle encore le choix ?

Ramassant son maigre butin, avec lequel il serait à peine envisageable de saucissonner l’enfançon et non de l’attacher au lit comme le faisait Nikolas, elle s’approcha doucement. Les quelques aiguilles qu’elle pouvait discerner lui semblaient trop courtes et trop fines pour véritablement blesser quelqu’un, là où elles avaient été enfoncées. Elles ne lui semblaient pas si différentes de celles qu’il lui fallait utiliser au quotidien et elle savait qu’elle ne pourrait pas tuer un homme de cette façon. Sauf à les enduire de poison…

"C’est… — C’est-y tout c'qu'j'ai…", fit-elle discrètement, devenue considérablement plus méfiante à l’encontre des étrangers que Samir avait ramené sous son toit. « Dame Célys', maît'-Zora… », demanda-t-elle néanmoins, pleinement consciente que d’autres avaient déjà fait appel aux services de la soignante. « Z'avez-vu l'état d'mon p'tit… J'sais ben qu'eul'Bourgmestre veut pas qu'il aille chez Nikolas, mais… — », poursuivait-elle avant d’être soudainement interrompue. 

Le Gerudo venait d’arriver. Il venait les bras chargés d’une large marmite d’eau chauffée, ainsi que l’avait exigé la doctoresse. Aidée de la Zora, elles avaient déjà ligoté Sepharo et le forcèrent à boire un peu, à même le bol de bois. Le silence revint alors qu’on allongeait le petit. Dehors, la lune gouvernait encore à la nuit, mais quelque chose avait changé. L’atmosphère était différente. 

C’était comme si, pour la première fois depuis des minutes si longues qu’elles en étaient devenues des heures, la sérénité s’imposait de nouveau sur la pièce à coucher. 

Seym s’accorda un soupir, suivi d’un discret sourire alors que le petit d’Homme semblait s’endormir comme un enfant.

Et puis, le bruit de sa hargne envahit l'air. Dans un craquement sourd, la tête de l'enfant parti sur la gauche, puis sur la droite, alors qu'il ne se débattait. Le mouvement était brusque et certainement dangereux pour ses cervicales, mais rien ne semblait pouvoir l'arrêter. D'épaisses larmes, cachées derrière ses paupières fermées, couraient le long de ses joues creusées par la famine.

"Je t'ai pas tué ! Je t'ai pas tué ! —", gémit alors le gamin d'une petite voix brisée par les sanglots. Une forte odeur d'urine souillait la pièce. « Je suis pas Link ! Je t'ai pas tué ! », reprit-il encore, secouant son pauvre crâne d'est en ouest assez fort pour s'imposer une commotion. Le silence revint un instant accompagné d'un frimas d'épouvante, qui avait même refroidi le lourd caquelon du Gerudo. « SEPHARO ! » Hurla Seym, se jetant à son chevet. Son visage s'était décomposé dès les premiers mots. Et puis repris la tempête.

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! ", cria une fois de plus le garçon, dont les yeux ne s'ouvraient toujours pas. Un sang noir inondait ses narines et s'écoulait désormais de ses oreilles. Sa peau virait au gris. « JE PROMET ! JE T'AI PAS TUÉ ! C'ÉTAIT PAS MOI ! JE T'AI PAS TUÉ ! JE SUIS PAS LINK ! »

Le corps entier du petit s'était fait poisseux, quand les premières lueurs du jour frappèrent enfin les volets. Entre les planches de bois rabattues sur les fenêtres vides un rayon pénétra l'obscurité de la chambre. Les pesants suaires de chair du petit glissèrent au-dessus de ses yeux, dévoilant deux pupilles terrorisées et lestées de larmes. « Maman... — », souffla l'enfant dans un murmure, fixant le fond de la pièce, toujours caché dans les ténèbres. « Elle te regarde. — »

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Célyse


Inventaire

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Un court instant de répit, qui ne dura guère.

Célyse n'eut pas même le temps de soupirer qu'un râle à en glacer le sang s'arracha des lèvres du petit Sépharo. Comme possédé par une force supérieure, son crâne partit sur un côté, puis de l'autre, en un craquement douloureux. La doctoresse laissa tomber le bol qu'elle tenait dans sa main, afin de saisir le visage du petit entre ses paumes rêches. Peine perdue. Les larmes coulaient à grands flots sur les joues creusées de l'enfant. « Je t'ai pas tué ! » s'écria-t-il soudain. « Je t'ai pas tué ! »

Une odeur d'urine parvint au nez de Célyse. La panique la poussait vers de maigres tentatives d'entrave sur le corps du gamin, mais elle ne passa pas à côté de l'information. Seules de rares circonstances amenaient un marmot de son âge à se pisser dessus. Dans ces circonstances, c'était clairement la peur qui l'emportait sur tout le reste. Mais la peur de quoi ?

La peur de qui ?

« Je suis pas Link, souffla Sépharo d'une voix cassée. Je t'ai pas tué ! »

Un silence suffoquant s'installa dans la chambre.

Le visage de Célyse avait tant pâli qu'il en était devenu blême.

« SEPHARO ! » Hurla la mère du petit, tout en se précipitant à son chevet. Elle bouscula la doctoresse qui, sonnée, ne lutta pas pour conserver sa place. Mais déjà, l'enfant criait. Le son se faisait si strident que les oreilles de Célyse se mirent à siffler. Un sang noir tel qu'elle n'en avait jamais vu s'écoulait par tous les orifices du visage de son patient. Sa peau se faisait de plus en plus terne, plus proche des mourants. « JE PROMET ! JE T'AI PAS TUÉ ! C'ÉTAIT PAS MOI ! JE T'AI PAS TUÉ ! JE SUIS PAS LINK ! »

Link. Le mot résonna longuement, comme un point d'interrogation. Quatre lettres infimes, qui constituaient un nom. La clé qui leur permettrait de comprendre cette énigme peut-être, faute de la résoudre.

L'aurore pointait à peine entre les volets de la chambre poisseuse lorsque Sépharo ouvrit les yeux. Son regard restait braqué sur le fond de la pièce, qui restait blottie dans l'obscurité. « Maman... » Seule la terreur se reflétait sur son frêle visage. « Elle te regarde. »

La doctoresse était complètement tétanisée. Pétrifiée sur place. Elle n'osait pas tourner la tête vers le coin sombre de la salle, de crainte de ce qu'elle pourrait y trouver. Son regard d'ordinaire déterminé, infaillible, vacilla un instant. Mais malgré la peur qui dévorait toutes ses certitudes, ses yeux ne quittèrent pas Sépharo une seule seconde. 

Seule la main de Samir, qui se posa sur son épaule, parvint à l'arracher de sa transe. Elle expira tout l'air qu'elle avait gardé contenu dans ses poumons, d'un souffle tremblant. Puis elle inspira à la suite. Juste une fois.
D'un mouvement lent, très lent, elle vint s'accroupir au chevet de l'enfant, pour parvenir à sa hauteur. « Qui regarde ta Maman, Sépharo ? A qui tu parles, à quoi elle ressemble ? »

Le petit amorça à peine un mot que Célyse le saisit par la joue. Contre toute attente, le feu était revenu dans son regard acéré. C'était elle qui paraissait subitement possédée. L'urgence de la situation, l'empressement de vouloir comprendre abaissa son ton d'une belle quinte, et sa voix sortit un peu rauque : « Quand est-ce qu'elle est morte ? Et comment ? »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

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Pas peu fière de constater que l’eau avait effectivement calmé le petit humain, Slo’Anh s’autorisa, à l’instar de ses compagnons, à respirer à nouveau. Elle réprima une grimace, agressée par la composition de l’air, par définition bien trop sèche comparée à celle de l’eau dans laquelle elle se sentait à l’aise. Mais un peu d’oxygène dans son cerveau qui fonctionnait à toute allure depuis de longues heures, ainsi que dans ses muscles contractés par le stress n’était pas de refus et faisait tout de même un peu de bien.

Laissant un peu de place à l’enfant, et d’intimité à sa mère qui venait à sa rencontre, la Zora porta son regard vers la faible lumière de la lune qui filtrait à travers les interstices de la construction. C’est dans cette ambiance silencieuse que le bruit fendit l’air et éclata leur précieuse petite bulle de quiétude.

Pas besoin de regarder. Ce craquement sec, glaçant, étouffé et tranchant à la fois, la chasseresse ne le connaissait que par cœur. Décroche la tête. C’était l’astuce première pour se débarrasser d’une grosse proie. C’était en leur rompant le cou qu’elle et ses congénères venaient à bout des gros poissons et petits mammifères marins dont ils se nourrissaient ou qu’ils rapportaient à la surface. Le fonctionnement était le même pour les squelettes de bipèdes comme les leurs. Le son différait légèrement à la surface : il était encore plus sinistre, encore plus dégoûtant. Cette version-là, elle ne l’avait entendue qu’une fois, mais le souvenir était encore frais dans sa mémoire meurtrie par la mort.

Toutes ces réminiscences se bousculaient dans sa grande tête en forme de poisson, quand une idée aussi saugrenue qu’affreuse les chassa. Célyse avait-elle tué le garçon ? Elle n’eût pas le temps de tourner sa propre tête en direction de Sepharo, que le bruit retentit encore. Et encore, et encore… « Mais qu’est-ce que... » bredouilla-t-elle, estomaquée par le spectacle qui s’offrait à ses yeux écarquillés. La tête du pauvre gamin se tournait en tout sens, à une vitesse déconcertante, comme s’il avait été agrémenté d’éléments mécaniques très travaillés. Mais l’apprentie soigneuse l’avait manipulé, elle savait qu’il s’agissait d’un petit être vivant, et non pas d’une machine.

Terrifiée, elle s’avança malgré tout, tout doucement. Mais la voix agonisante du petit la stoppa dans son élan. « Je t’ai pas tué ! Je t’ai pas tué ! » répétait-il en boucle, sa petite voix de plus en plus faible, réhaussée parfois de ses hurlements presque surnaturels dont il semblait avoir le secret. Il disait également ne pas être Link. Ce nom n’était pas inconnu aux oreilles de l’enfant du Banc. Un véritable culte de la haine était mené au Domaine et ailleurs contre un mystérieux protagoniste ayant autrefois porté ce nom. De son côté, Slo’Anh essayait de mettre un peu d’air dans son eau en se disant que leur ancienne Suzeraine avait aimé ce protagoniste au point de lui donner sa vie. Pour être aimé comme ça, on devait sans doute être un chic type. Ou le pire manipulateur, mais l’histoire sonnait bien moins romanesque ainsi.

Cependant, à présent, la Zora était à des nœuds et des nœuds de ces considérations. « Mais à qui parle-t-il ? » demanda-t-elle en s’accrochant au premier regard qu’elle croisa, à savoir celui de Samir. A bien y regarder, il n’y avait qu’eux dans la pièce. Et pourtant…

« Maman… Elle te regarde. » Absolument personne ne regardait Seym à cet instant. Étaient-ils si seuls que cela ? Une vague de panique encore plus violente que la précédente vint ébranler toutes ses convictions. Leurs compétences ne suffisaient pas, et qui étaient-ils si l’Après jouait dorénavant contre eux ? Elle eut envie de les abandonner, de s’enfuir et de ne jamais revenir dans ce village maudit. Mais qui serait-elle à agir de la sorte ? Un grossier protagoniste, encore un…

Elle fut devancée par Célyse qui chercha à en apprendre davantage sur cette autre personne. Elle aurait sans doute posé les mêmes si elle avait su réagir un peu plus tôt. Cette entité était sûrement la clé, et de toute évidence pas une maladie.

Semblant trouver un second souffle et un calme exemplaire, malgré une lueur impressionnante qui animait ses iris, la doctoresse humaine entra dans la perspective du pauvre diable, et le questionna autrement, avec le même prisme que lui. « Quand est-ce qu'elle est morte ? Et comment ? » Et surtout… « A quel endroit ? » ajouta-t-elle, soucieuse de courir secourir leurs amis si la réponse ne lui plaisait pas.


Samir


Inventaire

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Célyse n'eut pas le temps de lui répondre. Ils entendirent, tous, un craquement horrible, inhumain. Le bruit d'un cou qui se tord, qui se tue. Pourtant, l'enfant gémissait encore, et Samir sentit une sueur froide lui tremper le dos. Il était terrifié. C'était définitivement pas normal. C'était définitivement pas naturel.
Le cri de Sepharo lui perça les tympans.

"JE PROMET ! JE T'AI PAS TUÉ ! C'ÉTAIT PAS MOI ! JE T'AI PAS TUÉ ! JE SUIS PAS LINK !"

Il vit la mère épleurée au chevet de l'enfant, terrassée par la douleur et la peur, il vit Slo'Anh tentant de s'avancer prudemment vers le petit possédé. Mais dans cette situation étrange, la réaction de Célyse l'interpella. A cette dernière phrase prononcée par le garçon, elle avait changé de couleur et levé vers lui des yeux pleins de questions. Apparemment, ça l'avait secoué encore un peu plus que les autres. Curieux.

"Qu'est-ce qui te prend...?" commença-t-il à chuchoter vers elle.

Mais encore une fois, le malade les interrompit. Semblant enfin se calmer, blottit contre sa mère, il ouvrit des yeux sans vie, et pleins de larmes.

"Maman... Elle te regarde."

Samir se figea. Quoi ? Quoi encore ? Qu'est-ce que c'était que ce merdier ? Il se tourna vivement vers le coin de la pièce que fixait le gamin, prêt à se battre s'il le fallait. Mais rien. Il n'y avait rien. Ou est-ce qu'il n'y avait vraiment rien ? Encore une fois, il jeta un œil à Célyse. Elle semblait pétrifiée. Il posa, lentement, une main sur son épaule.

"Ca va ?"

Bien sûr que ça n'allait pas. Le petit hallucinait des monstres invisibles. Il hallucinait sûrement. Ce n'était pas possible, autrement. Impossible. Et il avait besoin de Célyse. C'était elle, le cerveau de l'opération.
Il vit les deux médecins enfin se précipiter vers l'enfant. Par les déesses. Leurs camarades se baladaient dans ces rues, à la recherche d'il ne savait quoi, quand un meurtrier et des fantômes se promenaient dans la ville.

"... Et qui est Link ? Qu'a-t-il fait ?"


Seym

Narrateur

Forte et déterminée, Seym est la principale couturière de la Ville-Blanche. Son corps, fatigué, est marqué par le poids du labeur comme celui du deuil. C'est une femme simple, qui travaille longuement pour assurer la pérennité du foyer qu'elle a construit il y a des années de cela avec son partenaire, Soje. Mère de deux jeunes garçons, dont l'un est décédé il y a des années de cela après avoir poursuivi un petit animal dans les bois jusque dans les bras d'une tribu Boko, elle garde la tête haute autant qu'il est possible de le faire quand on croûle sous toujours plus de dettes.

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"Vous n'auriez pas du faire ça. Vous n'auriez pas du faire ça", chuchotait l'enfant, qui ne bougeait plus. Ses yeux s'était révulsés et ses pupilles avaient presque disparues. Maintenu par les lanières de cuir et vidé des forces qui, la nuit l'avaient habité, il était retombé sur le dos. Raide. Son teint demeurait blafard, presque gris, tandis que ses doigts se faisaient de plus en plus rêches. De plus en plus durs. Une étrange odeur de sel et de diatomées, trop subtile encore pour être discernée par le nez humain, envahissait doucement la pièce. Dans son délire, le petit fixait le plafond, absent — ailleurs. Comme s'il avait finalement gagné un autre monde. « Vous n'auriez pas du faire ça », répéta-t-il une troisième fois alors que se multipliaient les questions autour de lui. 

Seym, elle, était horrifiée.

Le visage décomposé par la tristesse autant que par l'angoisse, elle s'approcha davantage du petit ; caressant son front devenu poisseux d'une sueur étrange. « Sepharo... », murmura-t-elle doucement, la voix brisée par les pleurs. « Tout va-tu ben s'passer, m'man est-y-là », ajouta-t-elle ensuite tant bien que mal, tâchant de faire le vide dans sa tête. Il n'y avait plus que son fils qui comptait. Elle ne souhaitait pas ressasser les vieux souvenirs douloureux qui, un à un, remontaient à la surface. « Person' n'va dont t'faire-tu d'mal. J'y laisserai pas. » Sous ses doigts fatigués, elle sentait le crâne chaud de l'enfant. Il vivait. Il fallait qu'il vive. Mais elle ne saurait le protéger seule. Soje non plus ne pourrait pas faire grand chose. Il s'était mis en tête d'explorer le puits, dont le garçonnet avait parlé parfois, et elle n'avait pas refusé quand bien même la possibilité l'avait effrayée : Nikolas l'avait dit très clairement, pour l'heure il n'avait pas la moindre idée de la nature du mal qui frappait les jouvenceaux et les jeunes hommes de la cité.  Il avait dit qu'une autopsie aurait pu l'aider, mais que le Bourgmestre s'était opposé à ce qu'il la pratique.

Dès lors, ils n'avaient simplement pas d'autre choix. Elle savait l'accès au ventre du vieux puits dangereux. Plusieurs pierres s'étaient descellées avec le temps et elle avait en mémoire le récit d'accidents, jadis. Elle ne se souvenait pas assez bien pour en narrer l'histoire précise, mais elle en connaissait largement assez pour savoir qu'elle aurait préféré ne pas voir son compagnon de toujours partir avec son ancien équipement de milicien en plus de sa corde à crochet, prêt à s'aventurer dans la citerne souterraine. D'autant plus en étant convaincue qu'il n'y avait rien à y trouver que de l'eau. C'était la confiance autant que l'affection, sans oublier le désespoir qui les animait tous les deux, qui l'avait finalement poussée à le laisser partir, le matin même. Peut-être ne l'aurait-elle pas fait si elle avait su le sort que réservait cette journée à la chair de sa chair. 

Célyse, Samir et Slo'Anh n'avaient pas l'air plus rassurés qu'elle ne l'était. Pourtant, tandis qu'elle cherchait à doucement calmer le sang de son sang, les interrogations s'enchaînaient une à une. Elle n'en pouvait plus de ces intarissables questionnement qui, indéniablement, fatiguaient le petit plus qu'ils ne l'aidaient. « Vous n'auriez pas du faire ça », répondit seulement Sepharo, après une énième question sur ses délires. La Couturière de Celle qui regardait. Son fils l'avait déjà évoquée, quand il parlait de la voix du puits qu'avait aussi entendu l'enfant de Jenah. Le vieil Apothicaire estimait qu'il ne s'agissait que d'une folie de plus, provoquée par la fièvre. Elle n'avait pas envisagé qu'il affirme cela pour les apaiser, Soje et elle. « Y-sé rien », siffla-t-elle entre ses dents, moins aimable, en se retournant soudainement vers les trois comparses. « Faut arr'ter 'vec les questions. Ca l'fatigue », fit-elle encore, sans toutefois sortir les crocs. Elle était inquiète et pouvait devenir une véritable lionne quand la situation l'exigeait. Mais elle n'était pas sotte : elle savait encore reconnaître la maladresse de la méchanceté. « Vous... N'au... Vous n'au... Vous n'au... n'auriez pas... pas du faire ça », hucha une cinquième fois le gamin, la respiration sifflante et la gorge sans cesse plus faible. Sur ses yeux, rendus lourds de sommeil, étaient tombés deux suaires de vélin.

C'est à ce moment-là que Samir se décida néanmoins à poser la question. Celle à laquelle elle avait la réponse.

Celle à laquelle elle ne voulait pas répondre.

Un silence de mort retomba sur la pièce, tandis que l'artisane s'assurait que l'enfançon s'endormait bel et bien. Un souffle saccadé soulevait son thorax, son si petit thorax, par à-coup. Elle se rongeait les sang, mais la situation semblait se calmer. Ces derniers temps, les nuits s'étaient toujours montrées plus dures que les jours. « Link », fit-elle finalement, en prenant une dernière fois la température de Sepharo, présentant toujours son dos aux deux doctoresse et au Gerudo, « Link, c'est... c'tait eul'frère d'Sepharo », avoua-t-elle finalement. Elle renifla alors à grand bruit, comme pour mieux cacher sa peine. De nouveau touchée par le mutisme, elle s'accorda une seconde, le temps de retrouver un peu de contenance. Puis, elle se releva et tourna les talons jusqu'à voir chacun de ses vis-à-vis. « A... Avec Soje, 'commence à croire qu'n est... qu'n'est maudits », déclara-t-elle ensuite, en plusieurs fois. Le sujet était visiblement difficile à aborder. Et elle de poursuivre, non sans renifler de nouveau : « 'Tout cas, les Dieux s'rient d'nous, j'crois. » Elle passa la main sous son nez, les yeux rendus humides par le chagrin et l'effroi.

"C'fait ben treize hivers qu'l'a disparu, maint'nant", détailla la mère de famille, après un bref instant de vide, qui lui avait semblé être une éternité. « L'aurait-y eu vingt-deux ou vingt-trois cycles s'l'était encor'-là. Personn' sait-y vr'ment c'que c'est qu's'est passé. Alistair dit qu'c'est eulé'Rouges, 'dehors d'village. » Une fois de plus Seym fit une pause. Elle inspira longuement, pour retenir les coups de butoirs des pleurs qui s'accumulaient sous sa rétine. Son regard s'était brouillé, alors que ses yeux s'embuaient. Elle refusait de perdre un troisième petit, un deuxième fils. « En vrai, Link c'tait un garçon... diff'rent », finit par préciser la Couturière, hésitante, ne sachant pas comment le dire autrement. On lui avait si souvent dit qu'elle avait accouché d'un fou, d'un sadique, d'un bon à rien ou d'un pervers qu'elle avait beaucoup de mal à être lucide sur son enfant. Il n'avait rien été de tout cela, elle n'en doutait pas une seule seconde : les gens étaient simplement mauvais, peu tolérants de ce qu'ils ne comprenaient pas. Mais les insultes avaient fini par abimer son cuir autant qu'elles n'avaient pu peser sur la nuque du petit. Elle déglutit avant de s'expliquer : « Y-parlait pas beaucoup, voir pu du tout à la fin. L'aimait pas non pu qu'on l'r'gad ou r'gad eulé-gens. Pis, l'avait tendance à souvent s'dod'liner et ça f'sait peur aux aut'. Du coup l'gens l'ont pô cherché ben longtemps. » 

Seym avait encore en mémoire les trois derniers mois avant la disparition du petit. Sur son âme, ils étaient marqués au fer rouge. Du jour au lendemain, l'enfant avait cessé de parler. Il n'avait plus dit un mot - pas à personne ! - et s'était refermé comme une huitre. Son seul intérêt s'était porté sur un petit écureuil qu'il avait sauvé d'un piège, aux abords de la Ville-Close. Et puis un jour, il était parti. Lirriz, la fille d'Epicèle, et Hamel avaient dit l'avoir vu poursuivre un rongeur par-delà les murs. Baschua, posté à la barbacane, avait aidé aux recherches, se sentant sans doute coupable de n'avoir rien remarqué.

Rien de tout cela n'avait servi à quoique ce soit.

"Sepharo, l'a pas connu Link", reprit toutefois la vieille Couturière. « L'est né quelqu'mois après la disparition. J'tais d'jà un peu grosse quand c't'arr'vé. Pis, 'vec Soje... » Elle réfléchissait maintenant à haute voix. Le sujet, sous son toit était devenu tabou. Bien sûr, son compagnon et elle n'avait pas oublié leur premier fils. Une petite statue de pierre avait été dressée derrière leur demeure, devant laquelle ils abandonnaient une offrande chaque jour ; généralement un repas. L'hiver venu, ils l'habillaient de vêtement rouge, comme pour protéger son esprit du froid. Mais ils n'en avaient jamais parlé à son petit frère. Ses mots restèrent en suspens une bonne trentaine de secondes « 'Vec Soje, on'a j'mais parlé d'Link a Sepharo. »

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Célyse


Inventaire

[ Ce texte était caché à certain(e)s participant(e)s dans le cadre de l'event "Le Fléau d'Elimith : des maux que nul rempart ne saurait repousser", à présent qu'il est terminé le contenu est accessible à tous ]

Célyse se rendit compte avec beaucoup de retard de l'effet que toutes leurs questions provoquaient chez le petit. Celui-ci se crispait d'une manière quasi-surnaturelle, les yeux révulsés. « Vous n'auriez pas dû faire ça, » ne cessait-il de murmurer en boucle, jusqu'à ce que sa voix s'éteigne dans sa gorge rouée. La phrase, prononcée comme une litanie, arrache un frisson d'angoisse à la doctoresse. Elle s'était penchée sur le petit avec précipitation, mais avec la supplication de Seym qui insistait sur le fait que son enfant ne savait rien, elle finit par reculer pour lui laisser la place de respirer. Pas que cela changea grand chose à l'état général de son patient. Le petit corps de celui-ci retomba sur le matelas, avec une raideur cadavérique.

Un silence étouffant s'installa alors dans la chambre.

Seym se pencha vers son fils pour prendre sa température. Sans regarder le trio qui l'assistait tant bien que mal dans cette scène de malheur, ce fut elle qui, contre toutes attentes, leur apporta une réponse au mystère.

Link était le frère de Sepharo. Un enfant singulier, disparu quelques mois avant la naissance du second fils. Ni le père ni la mère n'avait jamais parlé de celui-ci à leur dernier né... Et pourtant, c'était bien son nom qui sortait de la bouche du petit. Ce frère dont il ne devrait même pas soupçonner l'existence.

D'une main peu assurée, Célyse essuya la sueur froide qui perlait à sa nuque. La situation la sortait complètement de sa zone de confort. Elle était une femme de sciences. Seule la raison médicale lui parlait. Et pourtant... Ce qui se passait dans cette pièce n'avait aucun sens.

« Seym, je... » Elle se tut un instant, hésitante, avant de continuer :
« Je suis désolée d'apprendre ça. »

Perdue dans ses pensées, elle mit un temps avant de lui demander, d'une voix atténuée par le doute :« Comment c'est possible ? Comment Sepharo peut connaître ce nom ? Si ce ne sont pas juste des bouffées délirantes, alors... » Elle ne termina pas sa phrase. Cela lui paraissait tout simplement grotesque.

Après de longues secondes de silence pensif, la doctoresse se donna une tape brutale sur la joue, comme pour se réveiller de sa paralysie temporaire. Le feu revint dans ses yeux sombres. Elle semblait avoir recouvré son esprit vif, et toutes ses capacités cognitives. Sur un ton plus décisif, elle reprit, et cette fois entièrement tournée vers la mère de foyer : « Seym, s'il vous plaît. Pourriez-vous nous dire dans quelles circonstances précises votre fils aîné a disparu, il y a treize ans ? »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

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Quelques gouttes de culpabilité vinrent troubler encore plus la grande mer en ébullition qui ravageait le monde intérieur de la jeune Zora. Le petit était déjà en train de donner le peu de forces qu’il avait au mal qui le rongeait, et voilà qu’ils le fatiguaient avec leurs questions qui s’obstinaient à demeurer sans réponses. « Pardon, bonhomme… » murmura-t-elle au petit terrestre qui gisait tout près d’elle. Elle mima une caresse le long de son visage abîmé en suivant les courbes de ses joues et de sa petite mâchoire sans le toucher.

Pudique, elle recula machinalement lorsque Seym vint s’occuper de son enfant. Alors que son attention était moins focalisée, elle réalisa à quel point elle suffoquait ici. Elle essayait de respirer, mais c’était comme si elle inspirait dans le vide, ne remplissant qu’à moitié ses poumons déjà fatigués par la respiration amphibie qu’elle leur imposait. C’est alors qu’elle réalisa ce qui la perturbait à ce point : l’odeur. Elle ne l’avait pas remarquée, jusqu’ici, car elle lui était particulièrement familière. Mais en y repensant, elle n’avait rien à faire dans cette saleté de pièce sans eau.

Perdue dans sa réflexion, elle se raccrocha au récit de Seym au moment où elle parlait de ce fameux Link. Rien à voir avec le traître de l’ancien temps, en réalité, non. C’était le nom de leur premier fils, mort des années auparavant. Silence pesant, et gène ne firent que l’étouffer davantage alors que leurs regards se croisaient, peinés et maladroits. Ce fut Célyse qui s’excusa pour eux de remuer tous ces mauvais souvenirs.

« Sepharo, l'a pas connu Link. L'est né quelqu'mois après la disparition. J'tais d'jà un peu grosse quand c't'arr'vé. Pis, 'vec Soje… 'Vec Soje, on'a j'mais parlé d'Link a Sepharo. » précisa-t-elle alors, comme s’il s’agissait d’une anecdote familiale comme une autre, aussi triste fut-elle. Et c’est l’Océan tout entier qui se déversa sur Slo’Anh, manquant de la plaquer au sol comme les lames de fond qui emportaient les mauvais nageurs vers le large. A nouveau, elle n’eut besoin que d’échanger un regard avec Samir et Célyse pour exprimer sa pensée, et fort heureusement ce fut la brune qui la porta à la connaissance de la teinturière. La Zora, elle, était paralysée, la terreur venant lui encercler la gorge comme une algue bien trop longue et collante.

Des flash de conversation interceptées dans son dos quand elle passait sur les disparitions d’enfants - hélas devenues presque monnaie courante au village - l’assaillirent mais se mélangèrent au tumulte de son esprit sans pouvoir être exprimés de façon intelligible. Ses dents à elle étaient bien petites comparées aux crocs immenses de la peur qui s’étaient plantés dans son échine et ne voulaient plus en ressortir. Tout doucement, elle s’était rapprochée de Samir, ou plutôt de l’eau à côté de laquelle il se tenait, en réalité. Elle se sentit un peu mieux et put enfin respirer un peu mieux.

« Il n’a pas pu l’inventer… » murmura-t-elle à l’intention de ses compagnons. Célyse était visiblement du même avis et tâcha de trouver une autre explication rationnelle que les bouffées délirantes, mais elle vit à son expression qu’elle aussi commençait à penser à l'impensable. Hélas, aussi terre à terre et mer à mer qu’elles puissent être, elles se dirigèrent sur cette piste absurde, et Célyse interrogea la pauvre mère sur le décès de Link et ses circonstances, pendant que Slo’Anh écoutait en ignorant de toutes ses forces la voix sinistre qui répétait dans sa tête qu’elle ferait mieux de ne jamais arrêter de regarder derrière son épaule.

Non, les morts restaient morts, il devait y avoir une autre explication… Une larme roula sur son visage, la faisant sursauter, habituée au milieu aquatique dans lequel elle ne les sentait jamais couler.


Samir


Inventaire

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Bien qu'ayant les yeux ouverts, le petit semblait avoir atteint un état de mi-sommeil, l'air absent, le regard vide. Tout de moins, la crise avait l'air de s'être calmée. Samir essaya d'ignorer la litanie sortant de la bouche de l'enfant, en vain. Sépharo ressemblait à une créature d'outre tombe. C'était terrifiant, et désolant. 


Au moins aussi désolant que l'histoire narrée par Seym, en réponse à sa question. Samir pouvait très bien s'imaginer le petit Link, différent et discriminé. Il pouvait bien s'imaginer la cruauté du village, et leur soulagement non dissimulé lorsque le petit avait disparu. Il pouvait s'imaginer la rage et l'impuissance des parents, alors qu'un autre bébé était en route. L'heureux évènement de la naissance du cadet entachée par la perte de l'ainée, qui devait planer autour de cette famille comme un fantôme du passé.


Un fantôme. 

Samir se crispa. Lui était un homme simple, un homme d'histoire racontée au coin du feu, un homme de légendes murmurées au creux de la nuit. Il entendait l'hésitation de ses scientifiques de compagnes, et il serra les poings avant de terminer la pensée qui flottait dans la pièce.

"Vous savez, dans ma culture, on croit aux esprits."

Il ne poursuivit pas. Ca ne servait à rien. Cette pauvre femme était au bout du rouleau, et tout le monde se tenait, tendu et anxieux, ignorant tant bien que mal le coin hanté de cette pièce. Il déglutit.

"Je suis vraiment désolé qu'il soit arrivé tout ça à votre famille, Seym... qu'il arrive tout ça à votre famille", ajouta-t-il en jetant un oeil au petit demi-cadavre crispé sur le lit. Un ange passa à nouveau. Il ne se sentait pas de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Ca lui semblait très impoli, et cruel. Mais une part de lui se disait qu'il fallait que quelqu'un se dévoue à la poser, pour faire avancer le diagnostic. Et une autre part de lui se disait qu'il valait mieux que ça sorte de quelqu'un que Seym connaissait un minimum.

"Et je suis désolé de vous demander ça, mais..." Il prit une grande inspiration. "Sépharo a dit: 'Je ne t'ai pas tué. Je ne suis pas Link.'" 

Un autre silence passa.

"Est-ce que vous savez à qui - à quoi - il fait référence ?"