Celle qui rattrape ceux qui la fuient

En quête de réponses à une question qu'il ne saurait formuler, un Hylien s'aventure sur les sommets gelés du monde. Tandis que dansent les flocons, portés par la main rude du Seigneur-Frimas, il y rencontre l'un des Serpents-Nues, éternel gardien des antiques sources sacrées.

Début de l'hiver - 4 mois 1 semaine 6 jours après (voir la timeline)

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Petite noisette

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L’ambre des flammes crachait une lumière sauvage sur les murs de pierre de la caverne. Dehors, le vent soufflait avec force et véhémence, charriant avec lui les neiges de l’oubli. Peu à peu, le voile d’albe qui habillait les montagnes effacerait chacune des traces de son passage. Il s’était depuis longtemps préparé à cette éventualité. Sans bruit, il laissa son regard glisser le long de son poignet droit, accrochant un instant la marque vorace qui n’avait de cesse de s’étendre.

A ses pieds, le feu crépitait doucement. De petites langues orangées léchaient la marmite en terre cuite dans laquelle il avait mélangé eau et riz. De l’ustensile s’échappait une fumée discrète, mais apaisante. A quelques pas de là, il avait étendu au sol une fourrure, qui lui servait à la fois de lit, d’édredon et de couverture une fois la nuit tombée. Il s’était aussi défait de son scramasaxe, qui reposait sur la roche froide, à quelques pouces seulement de sa couche.

Pour mieux lutter contre la glaciale emprise du Seigneur-Frimas, le vagabond enfila de nouveau les gants qu’il avait retirés le temps d’allumer le feu, puis souffla sur ses doigts. Lentement mais sûrement, l’hiver fardait les Landes d’un manteau de gel. Sur les sommets du monde, sa colère était implacable et inévitable. Il soupira, tandis que la fatigue travaillait son échine ainsi que la pluie érode la falaise, en tirant un petit bol de bois rouge offert par Impa des mois auparavant.

Il avait pourtant l’impression que la Doyenne lui en avait fait cadeau des années plus tôt.

Du coin de l'œil, Sans-Visage s’accorda un regard vers l’entrée de la grotte dans laquelle il comptait se protéger de la Sorgue irascible. Le blizzard, qui avait manqué de le surprendre il y a de cela quelques heures, battait encore les plateaux d’Hebra, élimant les collines et décorant les quelques arbres assez braves pour en piquer l’épiderme. De toute évidence, il lui faudrait attendre. Parce que son voyage s’arrêterait probablement ici, il ne manquait guère de temps. Plus maintenant.

Abandonnant les céréales à cuire, l’Hylien récupéra ses deux outres de peau et s’aventura brièvement à l’extérieur. Un court instant, il contempla le théâtre sur lequel il s’apprêtait à jouer sa dernière pièce. A bien des égards, les dunes d’ivoire constituaient déjà le jardin triste de cette jeunesse qu’il ne lui avait été donné de vivre. Qu’un autre avait vécu pour lui. Cimetière d’un passé nébuleux, sinon fantôme, dont la réalité ancienne n’avait que trop prise sur son propre présent.

Bravant les vents d’Ouest et leurs sanglots d’hermine, il remplit de neige ses deux gourdes.

Retrouvant la chaleur rassurante de son terrier, l’Imposteur décrocha la corde de chanvre – lestée d’une tête de fer – qui pendait à son flanc. Elle ne lui servirait probablement pas avant un moment. Il déposa aussi les deux flasques, avec l’intention de mettre la neige à bouillir après son repas. En silence, regrettant l'absence de l’amie qu’il avait laissée chez l’Etrangère, il se servit un premier bol de riz.



L’eau commençait à bouillir, quand il tira finalement la petite pièce de fer de la poche de cuir suspendue à sa ceinture. Le métal était griffé, par endroits mangé de rouille, et l’accompagnait depuis qu’il avait quitté les plaines de l’Eveil — où il avait dialogué avec un spectre pour la première fois. Laissant son dos esquinté épouser la façade rugueuse de la tanière, il passa le doigt le long de l'emblème dont elle avait été frappé, en d’autres temps ; en d’autres âges.

Un bien étrange oiseau  – un aigle, sans doute – déployait deux larges ailes et pas moins d’ergots. Son imposant buste était surmonté de trois triangles, qu’il savait usuellement d’or pour les avoir aperçus à maintes reprises tandis qu’il arpentait les ruines du Castel. Il avait fini par comprendre qu’il s’agissait des armoiries royales.

Puis, il fit rouler la piécette sur son pouce jusqu’à en dévoiler l’autre gravure ; celle qui l’avait toujours intéressé. Il inspira longuement, cherchant avec difficulté l’air raréfié des hauteurs, avant de plonger le givre de ses yeux dans celui, sans vie, qui lui rendait tout de même son regard. A travers l’alliage, il devinait la rancœur qui animait son unique pupille, le fiel peut-être légitime et l’amertume qu’il avait surement engendré. Un souffle de vapeur perça ses lèvres jusqu’ici scellées. D’épais cheveux, aussi gris que la ferraille, longeaient le profil de la jeune femme.

C’était sur ce visage qu’il avait, des mois durant, posé la voix le guidant depuis son réveil.

Une violente bourrasque s’engouffra dans le couloir de pierre où il avait monté bivouac, soufflant d’un seul coup le feu et le tirant à sa rêverie. Remontant sur son nez le tissu qui masquait sa gueule-cassée, il rangea le petit mémento de fer et se saisit de la lame précédemment laissée à ses côtés. Avant de se laisser engloutir par l’insatiable goulot de l’Hiver.

Rien n’aurait pu le préparer à ce qu’il attendait dehors.

Le souffle coupé comme si on l’avait frappé en pleine poitrine, le voyageur resta un temps interdit. L’air manquait autant que par le passé mais, cette fois, c’était la surprise qui l’étranglait mieux qu’aucun nœud. Une lumière chaude – presque trop, pour ses yeux habitués à la lueur fauve qui régnait jusqu’à lors sur la caverne – attira subitement son regard vers le haut.

Sur un talus d’os, de grès et de verglas, se dressait le Serpent d’Amarante dont le corps, massif, sinuait jusque derrière l’horizon. Une quarantaine de coudées, au moins, les séparaient.

Deux cornes plus grandes que lui coiffaient un regard pourpre, qu’il devinait en train de le jauger. Au sol, d’étonnantes rafales soulevaient en cyclone une galaxie de flocons saltimbanques et danseurs. Sans trop savoir pourquoi, Fils-de-Personne se hissa d’un bond sur un rocher que les neiges n’avaient pas encore tout à fait gommé. La chevelure battue par le vent, il découvrit son visage avant d’héler la majestueuse bête.

Un instant, tandis que pesait sur sa nuque l'œil rouge du fier Animal, les mots qui lui brûlaient la langue restèrent coincés derrière ses lèvres.

Je viens d’une contrée à l’Est, où demeure l’Esprit des Bois. Serais-je arrivé sur les terres du Seigneur Écarlate, qu’il m’a dit de trouver ?”, questionna-t-il, d’une voix aussi forte qu’il lui en était encore possible, alors qu’il tutoyait à grand peine les cieux. Ses doigts se refermèrent davantage encore sur la gaine de cuir ; à en blanchir les phalanges cachées sous ses manicles. Il reprit, non moins révérencieux, mais tonnant encore : « Seriez-vous l’Ancien Dieu des Montagnes ? »


Depuis bien des jours, le Dragon l'avait senti arpenter les étendues glacées en l'appelant de ses vœux. Il avait pourtant hésité avant de répondre à son appel et de lui accorder son temps. Bien qu'infini, celui-ci était précieux, et il ne voyait que peu d'intérêt à aider quelqu'un qui avait déjà abandonné. Néanmoins, le jeune homme n'était pas n'importe qui, quoiqu'il puisse en penser, et la faiblesse des humains n'était pas de sa seule faute.
Sans doute croyait-il qu'il avait accompli sa tâche et qu'il avait droit au repos. L'humanité était ainsi faite, leur court passage sur terre les empêchait de voir plus loin. Pour eux, le sort de leur monde avait pour seul intérêt leur survie. Mais le vieil Ordrac, lui, appréhendait un ensemble plus vaste. Et il savait que le mal qui rongeait les landes n'avait pas complètement disparu. Les lamentations de son frère loin à l'Est en étaient une preuve.

Même si elle faisait partie de son domaine, il n'avait pour habitude que de longer la chaîne d'Hebra, rarement de s'y aventurer profondément et encore moins de s'y poser. 
Ses pattes griffues s'enfoncèrent dans la neige, mais à sa proximité cette dernière fondit rapidement, dévoilant une roche qui ne voyait que rarement la lumière du jour.  Au sol, une trace se creusa ainsi dans l'épaisse couche de poudreuse, suivant son corps sinueux alors que les flocons s'évaporaient à sa rencontre. La scène aurait déjà eu de quoi paraître surnaturelle à quelqu'un qui n'aurait pas été jugé digne de le voir, mais le spectacle de ce géant au corps vermeil était sans nul doute plus surprenant encore.

Il patienta en silence, attendant que l'humain sorte du petit renfoncement où il s'était réfugié. Il ne frémit pas non plus lorsque ce dernier apparut, alerté par sa présence, et se contenta encore d'observer, alors que le jeune homme bravait la tempête pour s'adresser à lui. Quelques secondes s'écoulèrent, où seul le bourdonnement du vent était audible, avant qu'il ne daigne répondre au moins partiellement.

"Je sais qui tu es." Sa voix caverneuse avait résonné, mais uniquement dans la tête du jeune homme. La mâchoire du Dragon n'avait pas bougé. "Et je sais pourquoi tu es là."

Il n'eut que quelques pas agiles à faire pour s'approcher jusqu'à pouvoir pencher la tête à hauteur de l'humain, tout en gardant une légère distance avec lui. Il se montrait prudent, et pas seulement pour protéger la petite créature de ses flammes. Ses naseaux humèrent les odeurs qu'il charriait avant de se redresser pour s'éloigner à nouveau. Expirant, il laissa échapper une légère fumée.

"Je sens d'ici ce qui te ronge. Crois-tu bon d'apporter dans la Montagne ce que tu éloignes de la Forêt ?"

Aux confins du royaume et loin de tout, ce territoire était un des rares bastions à n'avoir été que peu souillé par le Fléau. Il n'avait pas consenti à cette rencontre sans raison, mais s'il en entrevoyait les bénéfices possibles, il était aussi scandalisé par le risque toléré par le vieil Arbre. L'ancien Dieu savait combien l'Esprit des Bois pouvait être attaché au jeune humain.

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Petite noisette

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Les deux perles de Grenat le percèrent aussi aisément que ne l'aurait fait un trait, tandis que le géant demeurait muet. Malgré les pelisses dans lesquelles il s'était engoncé, un frisson lui secoua l'échine. Lentement mais sûrement, le vent mourait autour d'eux — comme si la seule présence du Maître des Montagnes suffisait à apaiser le blizzard colérique. Bientôt, alors qu'émergeait doucement l'astre de la nuit, c'est le silence qui se fit assourdissant. Impatient sans doute, autant qu'il n'était intimidé, il resserra instinctivement la poigne sur le couteau de chasse qu'il avait emmené avec lui, par réflexe hérité d'une ancienne vie plus que par réelle nécessité. Sous ses manicles de fourrure, ses phalanges mordaient le cuir de la gaine avec plus de force qu'il n'en fallait pour y laisser la mémoire de ses doigts.

Sans faillir, et sans plus savoir ce qu'il attendait de cette rencontre, il soutint le regard de la déité dont le corps immense serpentait entre les Dents-de-Pierre et de Verglas.

Puis, le Rois-Rubis se décida à lui répondre. D'une voix puissante, aussi profonde que sourde et aussi sépulcrale qu'elle n'était ample, il jugea bon de l'investir de tout son être ; de la tête jusqu'aux chevilles. La pourpre-guivre n'avait pas bougé - pas même la lèvre ! - et pourtant, l'Hylien avait dû lutter pour réprimer les tressaillements qui avaient manqué de le saisir. Le timbre de la bête était caverneux ; aux accents presque gutturaux, presque primaires. C'était un chant ancien, à faire plier les sommets, à forger ou à commander les acmés d'un monde sauvage. Derrière la bête, la chaîne d'Hebra n'avait pas ployé et les quelques pins qui en piquaient l'arête n'apparaissaient pas moins fiers. Il en aurait fallu bien plus au vagabond pour réaliser que la bête majestueuse s'adressait directement à son esprit.

Alors que le Dragon l'assurait de l'étendue de sa connaissance, le voyageur manqua de s'avancer à sa rencontre ; les poumons brûlés par le gel qui attaquait jusqu'à l'air lui-même et les mâchoires écrasées sous le poids de questions qu'il n'osait poser. Il n'aurait su dire ce qui, au dernier moment, le retint soudain mais il laissa le Seigneur-Écarlate s'approcher assez pour pouvoir le humer. Le souffle du céleste animal n’était pas moins fort que sa parole et, l’espace d’un bref instant, il crut que le Dieu d’autrefois souhaitait le dévorer. Quand ce dernier se recula finalement, deux filets de fumerolles compactes dansaient le long de ses naseaux.

Le Serpent d’Amarante lui adressa la parole une seconde fois. Son corps sinueux flambait d’une lueur hiératique, mais sa langue lui parut plus froide que la tombe.

"Je… — Je ne sais pas", articula-t-il enfin, avec humilité, après quelques secondes passées à réfléchir à la question soulevée par l’Hydre à la crinière de feu. Le givre de ses yeux caressa l’albe des montagnes sans bruit, tandis que son regard épousait la beauté sereine de la voûte du monde. Du pied, il avait foulé des neiges éternelles et intouchées sans véritablement appréhender les conséquences de ses actes. Le Doyen de la Forêt l’avait enjoint à chercher l’Ancien Dieu des Montagnes ; mais jamais ne l’avait-il encouragé à arpenter les Landes, traînant à sa suite pour tout voile la rancœur, la hargne et la colère.

Un sentiment de culpabilité chevillé au corps, il s’accorda un dernier instant à contempler la blanc lacis que la lune illuminait peu-à-peu de ses fils d’argent. Les mots et les interrogations qui, des semaines durant, avaient motivé son ascension rendaient l’âme au creux de sa gorge, à mesure que ne s’amenuisait sa volonté. Fort du peu de courage qui lui restait encore après des mois de combats acharnés ; étouffé jusqu’à l'asphyxie par une lassitude sans nom, il s’était engagé dans cette quête moins pour se sauver que pour savoir vers où avancer. Il réalisait désormais combien il avait été irresponsable. Bientôt, sans doute, il toucherait du doigt son propre égoïsme, l’hypocrisie de sa supplique.

"Je sais ce qui m’attend", avoua-t-il, alors que le gel de ses yeux cherchait encore après l’horizon. Il avait du mal, désormais, à soutenir les flammes inquisitrices qui brillaient au fond des pupilles carmins du Dragon. « Je le sais, parce que je l’ai vu », concéda ensuite Gueule-Cassée, dont le regard glissait à la rencontre de la main droite. « Ce que j’ignore, en vérité, c’est ce que j’espérais », reprit-il après avoir marqué une brève pause. Il n’était pas sûr de ce qu’il pouvait ou non dire à l’Esprit. « Je n’ai pas peur du sort qui m’est réservé », fit-il alors, tournant cette fois la tête vers le Serpent-à-Plumes-Rouges. Sa robe de feu jetait une lumière tantôt ocre tantôt vermeil sur le visage fatigué du voyageur. Après un bref moment, il prit le temps de se corriger : «... Je crois. » Il avait encore en mémoire les douloureuses crises qui le paralysaient parfois, à toute heure du jour ou de la nuit. Il n’avait pas non plus oublié les stigmates aperçus jadis sans les comprendre. Un soupir discret perça ses lèvres gercées de froid autant que de solitude.


Si le Dragon appréciait la sincérité du petit être, il était en revanche exaspéré par l'habitude des humains à remettre leur sort entre les mains des Dieux. Il était si facile de se décharger de ses responsabilités en les confiant à d'autres à coup de prières. Pourquoi cheminer au bout du monde sans attentes particulières ? Quel gâchis de temps et de ressources que de courir après une Chimère.

"Peut-être pensais-tu qu'il suffisait de me trouver et de formuler un vœu." La voix caverneuse était faussement douce, presque railleuse. "Que j'aurais alors concentré toute ma puissance dans le but de te venir en aide, à toi, tout spécialement." Petit à petit, la voix venue du fond des âges se changea en un ton plus dur, accusateur. "En quel honneur ? Tu dis que tu as vu ce qui arrivait..." Le vieux Gardien entendait les lamentations d'une Nature souillée. Il écoutait, impuissant, les sanglots de chaque être vivant qui subissait encore la morsure du Fléau que les humains avaient laissé se répandre sur le Monde. "Si c'était si simple, ne crois-tu pas que j'aurais déjà purifié ces Terres ?"

Le Serpent Enflammé ne lâchait pas des yeux le jeune homme. Il n'attendait pas de lui de réponse particulière, seulement qu'il comprenne sa place et sa valeur. Ni plus ni moins qu'une autre vie. Le petit rouage d'une machine complexe et infiniment plus grande, qui n'était rien sans les autres, mais tout aussi essentiel à son équilibre global.
Le vieil Ordrac entrouvrit sa gueule, dévoilant des rangées de dents toutes plus grandes que l'Hylien qui lui faisait face. Un rire caverneux retentit dans la tête du jeune homme alors que le Dragon reprenait la parole.

"Si c'est la douleur qui t'effraie, je pourrais facilement abréger tes souffrances. Il y a plein de façons pour ça, aucune ne te plairait."

Bien sûr, il n'avait aucune intention de dévorer le jeune Champion d'Hylia. Cela ne lui aurait rien apporté. Il ne l'aurait pas blessé en temps normal, et il comptait encore moins l'approcher dans l'état où il était. Mais le regard toujours fixé sur l'humain, il guettait ses réactions plus encore que ses paroles. S'il le bousculait, c'était pour le tester. Parce qu'il avait des projets et qu'il avait besoin de s'assurer qu'il était en mesure de les réaliser. Sans ça, il ne lui serait d'aucune utilité et il n'avait pas de raison de s'attarder plus longtemps.
Sans trop se préoccuper de la réponse que pouvait lui faire le jeune homme, il enchaîna pour préciser sa pensée. Ses crocs étaient à nouveau cachés, et son ton moqueur avait fait place à un ton plus solennel, presque peiné.

"Tu ne m'avais encore jamais vu, mais moi si. Je te voyais arpenter les Landes." Il avait suivi avec attention le voyage de cette petite créature. Bien plus impressionné qu'à présent, il avait vu la détermination dans ses yeux. Il avait senti la flamme qui brûlait dans son cœur pourtant désorienté. "Ton regard était différent alors."

Il avait laissé entendre que ce que l'Hylien espérait de lui était complexe, mais rien n'indiquait que ce soit impossible pour autant. Simplement, il ne suffirait pas d'un vœu. Il n'y avait nulle promesse, nulle récompense. Pas plus que la certitude de réussir. "Dis-moi, es-tu prêt à lutter ?"
Il pouvait le guider, lui partager son savoir, mais il ne serait pas question d'un simple voyage. Seul le jeune homme pouvait se sauver lui-même et, c'était là l'espoir du Dieu de la Montagne, soigner aussi les blessures de son Domaine. Alors peut-être les risques insensés tolérés par le Vieil Esprit de la Forêt auraient été utiles. S'il échouait en revanche, ils auraient tous deux gaspillé leur énergie pour rien. Et s'il n'essayait pas réellement, encore plus. Le Dragon n'avait pas manqué de remarquer avec dépit l'absence de l'Épée qui avait été confiée à l'Élu des Déesses. "Sinon, pourquoi devrais-je perdre mon temps, si tu es déjà résolu à ton sort ?"

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Petite noisette

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Le vague à l'âme de ses yeux se perdait de nouveau entre les Dents-de-Pierre blanches qui déchiraient les nuées et l'horizon. L'Esprit parlait vrai, sans doute. Peut-être avait-il espéré qu'un simple souhait aurait suffit à le délivrer du mal – des maux, en vérité – dont il souffrait. Des semaines durant, il avait arpenté les routes jusqu'à gagner les confins de l'Occident, suivant à tâtons l'ultime conseil que le vieil Arbre avait été en mesure de lui donner. Jamais n'avait-il questionné les raisons qui l'avaient poussé à traverser la Sylve des Dragons avant de sillonner le domaine Rémige jusqu'à gagner les Hauts-plateaux d'albâtre. Lentement mais sûrement, la voix du Doyen de la Forêt l'avait porté jusqu'aux cimes du monde et aujourd'hui il rencontrait le Serpent de Feu qu'il avait si longuement cherché.

Pourtant, il n’osait guère le regarder en face. Il ignorait même quoi lui dire.

Avait-il seulement arpenté les Landes en quête du salut qu'on lui avait promis ? Ou s’était-il seulement lancé dans une nouvelle errance sans fin par craindre de peu à peu se perdre ? Il n'aurait su dire s'il souhaitait véritablement ce qu'il était venu demander. Peut-être parce qu'il n'y avait jamais réfléchi : il savait pertinemment que la libération finirait, un jour, par venir. C'était inévitable et pourtant il n'aurait su l'attendre patiemment. Pas ainsi. La langue nouée et la gorge sèche alors que ne tourbillonnaient les larmes de neige, il resta silencieux tandis s'agaçait le Maître des Montagnes. Sous les fourrures épaisses de son habit d'hiver, son avant-bras le brûlait avec vice. Sans un mot, sa main gauche glissa doucement le long de la rancœur qui le rongeait jusqu'à l'os.

Offensé ou outré, sans doute, le Suzerain Ecarlate dévoila une rangée de crocs à l'ivoire plus pur que le manteau d'hermine tapissant les Hauteurs d'Hébra. Avant d'apporter, pour la première fois, une réponse à ses questions. « Peut-être », souffla seulement l'Hylien, le regard fixé sur les menaçantes mâchoires de la Bête. Cette fois, il n'avait pas crié — la distance qui les séparaient encore l'avait probablement rendu inaudible. Et de poursuivre, aussi serein qu'il avait pu l'être jusqu'à présent, mais la voix plus forte. « Cela suffirait vraisemblablement à me délivrer, en effet ». Lentement, il laissa le givre de ses pupilles dériver alors que les sanglots de gel portés par le vent s'écrasaient sur le blême linceul qui étouffait les sommets. « Pourquoi ne pas l'avoir fait, alors ? », lança-t-il ensuite, brisant d'une unique interrogation le règne renaissant du mutisme sur la tenure du Seigneur-Frimas.

La guivre rouge avait été claire : sa seule présence constituait un péril pour l'intégralité des montagnes. En se tenant là, face à lui, il mettait en danger tout ce qui trouvait encore la force de vivre ; si haut que l'air venait à manquer. Sans doute menaçait-il aussi jusqu'au sol qu'il foulait du pied. Pourtant, le Dragon-à-Plumes ne s'était contenté que d'un rire caverneux, froid et tranchant comme la glace.

Préférant ignorer sa question, le Roi-Grenat darda sur le vagabond un regard plus lourd encore que l'acier qui pesait encore sur son échine il y a peu. Une fois de plus, l'Imposteur s'enfonça dans le silence, refermant les bras sur son torse comme pour conserver un peu de la chaleur qu'il sentait finalement le quitter. La galerne malicieuse, chargée en amertume, le giflait avec toute l'indolence que renfermaient encore les Massifs Immaculés. Derrière son épaule fatiguée, engoncée dans les pelisses et les doublures, il devinait déjà le spectre en train de l'observer — de le draper de son mépris. Et tandis qu'il sentait le souffle moribond de l'Autre caresser sa nuque, il fut secoué d'un frisson. 

Les yeux plantés dans la poudreuse qui recouvrait déjà ses chaussons de fourrure, Sans-Visage tâcha de se redresser, doucement.

Il n'aurait su dire si c'était le froid où les mots de l'Esprit qui avaient manqué de le jeter à terre.

"Je ne suis pas cet homme-là", murmura-t-il enfin, après un long moment. Six mois seulement s'étaient écoulés, depuis son assaut sur le Château et l'affrontement qui l'avait finalement mené ici. Ou peut-être était-ce sept ? Sur ce genre de détails, la mémoire lui manquait parfois, mais il savait combien il n'avait plus envie de revivre pareil enfer. Il se rappelait bien assez la douleur, la panique, les insomnies. Il n'avait pas oublié non plus les fantômes qui hantaient ses nuits, les cauchemars, les hallucinations. Il se souvenait la colère et le sang. Il revoyait ses mains rouges autant qu'il ne flairait l'odeur âcre de la chair meurtrie par le feu azur des Gardiens. Le grincement mesquin de leurs ergots mécaniques, le vrombissement du combat battaient encore ses tympans. « Les choses étaient différentes, alors », finit-il ensuite par reconnaître, évitant toujours le regard carmin et chargé d'orgueil de l'animal céleste. « J'ai fait ce que je devais faire, ce que l'on exigeait de moi », dit-il alors d'une petite voix, presque davantage pour lui que pour le Dieu avec qui il conversait où que pour la chimère qui l'accompagnait où qu'il aille, comme pour tenter de se convaincre qu'il n'aurait plus à reprendre les armes. Qu'il n'aurait plus à mener bataille.

Sur son avant-bras droit, sa main s'était fermée comme un poing ; à s'en faire blanchir les phalanges.

Le Serpent d'Amarante ayant visiblement fini de l'interroger, il lui accorda le temps dont il avait besoin pour reprendre contenance. Poussant un profond soupir, Gueule-cassée jeta sur ses yeux deux suaires de vélin et tenta de conjurer une à une les images qui revenaient l'assaillir. « Je ne veux plus me battre, fit-il simplement, j'ai vu assez de sang. »


En silence, le Dragon contemplait l'Hylien face à lui. Ce dernier lui semblait si fragile, presque chancelant alors qu'il se perdait dans ses souvenirs avec un déferlement d'émotions. Cette sensibilité des humains, elle était leur force autant que leur plus grande faiblesse. Elle l'avait toujours intriguée, alors qu'au fil du temps il les avait vus capables du pire comme du meilleur. Mais il ne comprenait pas toujours leurs caprices, et le Dieu de la Montagne renifla, agacé, avec la même impression que si les Déesses avaient poussé jusqu'à lui un jouet cassé.

"Je n'ai pas parlé de sang." Le ton n'était pas un reproche, seulement une affirmation. "La vie même est un combat, et elle l'est sans doute davantage à présent, dans ce que ce monde est devenu." L'Esprit fixa le Héros un instant avant de préciser sa pensée. "Je me moque des méthodes que tu choisiras. Si tu penses pouvoir survivre sans plus verser une goutte de sang, libre à toi." Le Serpent Divin n'était pas particulièrement axé sur la violence, pas plus qu'il n'était choqué par ce qu'il avait pris l'habitude de voir parmi les humains. Le souhait du jeune homme lui semblait irréaliste. Pour autant, tant qu'il ne s'agissait pas d'un aveu d'abandon, le défi piquait son intérêt et un rictus déforma sa mâchoire alors qu'il ajoutait : "Je serais curieux de voir ça."
Son apparent amusement ne dura pourtant pas. "En revanche... Quand tu dis que tu as terminé ce qu'on exigeait de toi..." Ils arrivaient au nœud du problème. Là où le jeune humain estimait sa tâche finie, elle ne l'était pas aux yeux du Dragon. "De qui parles-tu... ? De feu votre Roi ? De la Prêtresse Royale... ?" Ordrac n'attendait pas de réponse précise. Il était déjà certain que les Déesses, si attachées qu'elles puissent être à leur Héros, n'avaient pas pu le libérer de son Devoir alors que le Mal suintait toujours des plaies de leur Royaume. "Tu me vois au regret de t'annoncer qu'ils ne dictent pas toutes les règles." Le Seigneur des Montagnes ne s'intéressait que de loin à la façon dont s'organisaient les habitants d'Hyrule entre eux, tant qu'ils ne brisaient pas l'équilibre sur lequel il veillait. Mais cette hiérarchie n'avait pas de valeur à ses yeux. Tout au plus, il reconnaissait la Déesse qui marchait parmi eux, mais ce faisant elle avait choisit d'abandonner son statut il y avait déjà bien longtemps.

"Tu m'as demandé pourquoi je ne t'ai pas libéré par la Mort.", reprit-il. "Ton temps ici n'est pas terminé. Et je n'ai pas l'impression que les Déesses en aient fini avec toi." La réponse lui avait semblé évidente, mais peut-être le jeune homme avait-il besoin de l'entendre. "Ce n'est de toute façon pas à moi d'en décider. Et si toi tu avais fait ce choix, tu n'aurais pas eu besoin de venir me voir." Son voyage avait dû être long et éprouvant, il n'aurait eu que peu d'intérêt pour une fin pareille. C'était une des raisons pour lesquelles Ordrac avait finalement décidé de rencontrer le jeune homme brisé. Pour ça qu'il s'entêtait, espérant revoir dans le regard du Héros la flamme de détermination qu'il avait espéré retrouver et qu'il l'aurait rassuré sur l'avenir du Monde.

"Ne bouge pas." Le Dragon approcha à nouveau, observant le petit être et réfléchissant à la meilleure façon de procéder. L'ordre ne souffrait pas de contradiction, et une de ses pattes se posa non loin de Link, faisant fondre la neige sous elle, suivie bien vite par une autre encore plus proche mais qui resta en suspension à quelques centimètres du sol. "Monte. Et accroche-toi." D'un œil suspicieux, il surveilla le jeune homme qui s'exécutait. Prêt à l'éjecter s'il ne se montrait pas assez prudent à son goût. Une fois satisfait, le cou du Géant Incandescent se déploya, laissant échapper des étincelles autour de lui. Le vent autour d'eux se fit plus agité, mais il ne s'inquiétait pas pour l'humain, assez loin de son corps pour ne pas être brûlé, mais suffisamment proche pour ne pas geler malgré la brise glacée. Alors qu'un tourbillon de vent se formait autour du Serpent Carmin, ses autres pattes quittèrent le sol à leur tour et il prit son envol. Son corps ondulant s'éleva avec grâce vers les cieux, emportant avec lui le Héros des Landes. Il grimpa haut, mais s'arrêta bien avant de dépasser les nuages. Il voulait garder une bonne visibilité sur les paysages alentours.

"Regarde autour de toi. Tu ne le vois sans doute pas aussi bien que moi, mais ces Terres agonisent toujours." Les étendues enneigées étaient parmi les plus épargnées, mais ça et là gisaient des mares de corruption visibles depuis l'Azur. Le Château qui perçait à l'horizon au loin en était sans doute le meilleur exemple. "Vas-tu encore me dire que tu as fini de nettoyer ce que vous avez lâché sur le Monde ?"

Cette vue emplissait de tristesse et de dépit le Dragon. Impuissant, il observait le paysage se transformer à chacun de ses passages. La Nature avait repris ses droits après les batailles qui avaient défiguré les plaines. Ces dernières avaient laissé à la place des villes humaines de larges cicatrices fumantes, de véritables cimetières à ciel ouvert. Il avait vu avec soulagement la faune et la flore reprendre centimètre par centimètre leurs droits sur ces territoires abandonnés. Il les avait nourris de son pouvoir, avait surveillé chaque jour leur progression. Il avait répandu la vie où il le pouvait. Mais cette souillure menaçait tous ses efforts.

D'une de ses pattes libres, à côté de celle qui tenait Link, il indiqua de hauts pics qui se dessinaient sur l'horizon. "Ces monts au loin... Que vous appelez Montagne de Lanelle..." Il se doutait que le jeune homme ne pouvait pas entendre comme lui les cris de détresse qui s'en échappaient. Il ignorait si l'Esprit de la Forêt avait eu cette considération en tête. Ou si les Déesses avaient juste répondu à ses prières. Dans tous les cas, il espérait ne pas se tromper en faisant confiance à leur Élu. "Imprime-la dans ton esprit. Une réponse à tes questions pourrait se trouver là-bas." Mais avant de détailler ce qu'il entendait par là, il reprit la direction du sol, en serpentant doucement dans l'air, pour finir par poser sur la terre ferme le jeune Hylien, à l'endroit exact d'où il l'avait arraché.
Le Dieu de la Montagne aurait besoin de toute son attention, et il n'était pas sûr que les cieux soient le meilleur endroit pour ça pour un humain. Attendant que le jeune homme retrouve son équilibre sur la terre ferme, il lui posa une question en guise de préambule. "Que sais-tu de moi et de mes semblables ?"

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Petite noisette

Inventaire

De nouveau, l'odeur rance du fer emplit ses narines. Sur sa langue, il devinait le sang et son goût aigre ; tandis que le beffroi martelait ses tympans avec rage. La sueur poissait son front, gonflait ses tempes — au loin ; les lamentations et les cris des siens mouraient lentement, rongés par les flammes austères des Cerbères mécaniques. Une eau pourpre, souillée de rancœur autant que de haine, courait le long de ses bras, lardait les mains sur lesquelles il avait eu le malheur de poser le regard. Autour de lui, la montagne s'était effacée, mangée d'un feu cramoisi que le vent d'Hiver n'aurait su balayer. Il fut pris d'un discret frisson - qui n'avait rien à voir avec le froid - alors que sa paume gauche se refermait durement sur son avant-bras droit.  Dans son dos, le regard de l'Autre s'était fait moins insistant mais n'avait pas disparu.

En quelques mots, le Serpent d’Amarante le ramena à la réalité. Le timbre caverneux du Dragon résonna au fond de son crâne sans parvenir à conjurer toutes les images qui le harponnaient jusqu’à l’asphyxier peu à peu. La douleur dans son bras se fit plus intense alors que, sous la fourrure des mitaines, ses phalanges semblaient blanchir jusqu’à l’os. Le visage fermé - du moins, autant que ne le permettait les stries balafrant son nez et ses joues - il tâcha de se concentrer de nouveau sur le récit que lui faisait le Céleste animal. Le souffle commençait à lui manquer. Fermant les yeux comme pour s’arracher à un monde qui n’existait plus, il inspira doucement.

De qui parles-tu... ?”, questionna le Maître des Monts, de sa voix rauque. « De feu votre Roi ? De la Prêtresse Royale... ? »

Sous les suaires de vélin s’invita alors un visage qu’il avait longuement scruté. Il tranchait radicalement avec l’essence de souffre qui avait envahi ses naseaux ; avec les rigoles écarlates dans lequel il n’avait eu de cesse de s’embourber. Peu à peu, s’accrochant tant bien que mal à ce familier portrait, sa respiration se fit moins véloce — moins saccadée. Lentement mais sûrement, l’air froid des Hauts-Plateaux revint lui brûler les poumons. La peur qui irriguait ses veines fanait avec apathie, engourdie d’engelures, sans doute. Puis, il déposa sur l’hermine deux soupiraux de givre drapés d’une fatigue qu’il ne parvenait plus à combattre.

En silence, Sans-Nom laissa le Seigneur-Grenat poursuivre son monologue ; non sans grincer des dents parfois. Il se refusa à répondre quand la Guivre le renvoya à des Déesses dont il ne connaissait rien ou au rôle qu’il était supposé jouer. La mascarade lui pesait d’autant plus qu’il en savait la fin plus proche. Quand bien même ne viendrait-elle pas de la main – ou plutôt, de la patte – de l'Ancien Dieu de la Montagne.

Quand le Serpent-à-Cornes s’avança vers lui, ses doigts endoloris libérèrent enfin son bras meurtri.

La patte grande ouverte, il l’invita à grimper, ce que fit l’Hylien sans jamais se départir de son scramasaxe. Une fois installé, il noua la lanière de cuir qui entourait la gaine à sa ceinture et puis observa avec attention l’ordre de la créature mythique. Sa paume épousa doucement l’ergot de jaspe rouge, dont les écailles projetaient une singulière ardeur tiède qui ne demandait qu’à l’englober. « Qu’est-ce que… — », commença-t-il alors, aussi étonné que pris au dépourvu. Bientôt, l’exhalation du Seigneur-Frimas lui imposa le silence. Sans un mot de plus, le Dieu-Gardien des chaînes d’Hebra s’élança vers la mer de nuages.

Ils grimpèrent haut ; jusqu’à ce que le gel commence à habiller ses sourcils à nus ; à l’approche d’une estampe dont l’encre était piquée de flocons d’ivoire. Au loin, la dame au front d’argent balayait les Landes de l’albe de son regard. Mangé de froid malgré la protection du Dragon, il souffla doucement sur ses mains dans l’espoir de les réchauffer, avant de laisser le spectacle l’absorber une fois de plus.

Ce n’était pas la première fois qu’il lui était donné d’observer le Monde depuis les cieux. Comme la fois passée, il restait sans voix. L’Ancien Royaume, à ses yeux, n’avait rien de ruines ainsi que la vieille Impa avait maintes fois pu le lui répéter alors que commençait sa quête, il y a plus d’un an. Au contraire. De ce tableau dont on lui offrait le loisir de contempler émanait une sérénité qu’il se prit à envier.

Pourtant, il savait combien les réalités pouvaient diverger, entre ici et là-bas.

L’espace d’un instant, il aurait aimé profiter du joyau que l’on plaçait devant lui.

Qu’il lui faudrait bientôt quitter. Pour le meilleur, sans doute.

Peut-être.

Un simple coup d'œil vers le vide l’aida à réaliser combien il serait simple de se laisser tenter. Le Seigneur-Écarlate n’avait pas menti : il lui suffisait de s’avancer d’un pas, d’un unique pas, pour abandonner derrière lui le mal qui le rongeait, s’éviter le supplice qu’on lui avait promis. Il avait déjà contemplé les abysses ; aussi ne lui restait-il qu’à plonger. La chute serait rapide et ces dernières images imprimées sur le givre de ses yeux.

Le Magnat-Grenat attira son attention sur les marais de hargne qui brillaient, çà-et-là, d’une lumière mauve, presque violacée. Ils inondaient encore les abords du vieux Castel et l’Hylien savait d’expérience que la peste de Cinabre qui animait jadis le Seigneur-Sanglier n’avait fini de se répandre. Il l’avait vue partout où ses pas l'avaient mené, du Désert Gerudo au Mont du Péril, en passant par les plaines de Tabanta, où résidait une partie du peuple Rémige.

De cela, il n’était pas responsable.

Je n’ai rien lâché sur le monde”, asséna-t-il, le regard désormais dardé sur ce qu’il pouvait voir du Dieu Ancien, coincé entre ses griffes, peinant à masquer l’indignation et le ressentiment qui l’avait saisi. La Bête Céleste ne l’entendrait probablement pas – ou peut-être que si, au contraire – mais elle ne lui répondit pas. Soudain, sa langue brûlait des reproches qu’il n’avait pu adresser à qui que ce soit depuis un an, éveillés par la malhonnêteté et l’ingratitude d’un Esprit qu’il avait, un temps, cru digne de confiance. « Le Seigneur-Sanglier était des vôtres, pas des miens », poursuivit-il ensuite, agité – pour la première fois en plusieurs semaines, sinon mois – par les accusations dont Zelda et lui faisaient aujourd’hui l’objet.

Il ignorait tout, pourtant, des origines humaines que d’aucuns prêtaient parfois, en d’autres temps, à la créature qu’il lui avait fallu affronter.

Le Maître des Cieux ne se soucia guère de ses propos ou fit mine de l’ignorer. Coupant court à un débat d’avance stérile – pour peu qu’il ait seulement pu entendre ce que déclarait Sans-Visage –, il désigna de l’ergot le Mont de Lanelle ; que l’Hylien ne connaissait que peu. Il s’y était rendu, alors qu’il avait involontairement dévié de la Voie que d’autres avaient décidé de tracer pour lui. Sans doute était-il temps d’y retourner.

Agacé, ou désireux d’entretenir une réelle conversation, les Seigneurs des Cimes s’immergea dans la nuit et sombra doucement vers le manteau de farine qui recouvrait les Dents-de-Pierre en contrebas. Le vent fouettait ses tempes quand ils commencèrent à descendre.

Il fut presque déçu de retrouver la terre ferme, mais s’arracha tout de même à la paume du Dragon d’un petit bond. Ses bottes rembourrées de pelisse s’enfoncèrent en crissant dans la poudreuse, qui n’avait eu de cesse de retomber depuis leur départ. Il tournait encore le dos au Suzerain des Montagnes quand celui-ci l’interpella de nouveau, d’une unique question.

Se figeant un instant, le regard perdu dans l’ombre de la caverne qui lui faisait face et où il avait monté bivouac, il finit par tourner les talons. « Pas grand-chose », reconnut-il sans honte en dépit de ce qu’il avait pu dire précédemment. « Je sais ce que le Doyen de la Forêt a pu me dire », détailla-t-il ensuite, sans s’attarder plus précisément sur ce que cela signifiait.

Je ne savais que où chercher”, avoua-t-il ensuite, le regard plongé dans la neige, qu’il grattait du bout du pied. Il ne lui était pas venu à l’idée que, en dehors de l’Arbre Mojo, du Roi-Démon et de ce Dieu dont il ignorait le nom, d’autres pouvaient arpenter les Landes.


Le Dragon avait par moments observé le jeune homme pendant leur ascension dans les cieux. Il n'avait pas manqué de repérer le coup d'œil appuyé vers le vide jeté par ce dernier. Il ne lisait pas les pensées du jeune homme, mais depuis les siècles qu'il parcourait le monde il savait reconnaître un regard curieux d'un regard vide d'espoir. Il ne l'aurait pas retenu ou empêché de faire ce qu'il souhaitait, il n'était pas là pour contraindre le Héros. Il remarqua néanmoins également que quelle que soit sa décision, ou ses incertitudes, il ne quitta pas sa patte. C'était une maigre consolation, peiné qu'il était de voir dans quel état se trouvait l'un des catalyseurs de ce monde, mais ce qui peut paraître comme un sur-place à l'échelle de certains est une étape importante pour d'autres.

L'Esprit Écarlate se contenta donc de pointer à l'Hylien le lieu qui illustrait le mieux son propos, là où la Malice souillait encore en profondeur les alentours de l'ancien Domaine Royal. Il resta toutefois silencieux lorsque le jeune homme s'énerva face à ce qu'il paraissait identifier comme des accusations. Il ne lui demandait pas de comprendre, pas plus que lui-même ne cherchait à percer les desseins des Déesses. Jamais il n'avait prétendu que le Héros ou la Prêtresse Royale étaient à titre individuel seuls responsables de la situation, mais il attribuait aux mortels une part de responsabilité collective. Quelle que soit l'origine de ce Mal, les machines folles qui arpentaient encore les Landes étaient de conception humaine, et elles n'étaient pas sorties de terre sans intervention. Il ne servait néanmoins plus à rien de retracer le chemin de décisions qui avaient amené à eux cette situation, et il n'était pas de celles et ceux qui pouvaient suivre les fils du destin.

Se bornant à noter qu'au moins le jeune homme n'avait pas perdu toute sa fougue, il préféra ignorer sa véhémence et lui indiquer le Mont de Lanelle où il espérait le voir se rendre. Il ne s'attarda pas plus que de raison dans les airs et ramena ensuite le jeune homme au sol.

Une fois le Prodige posé à terre, l'Antique Dragon l'interrogea sur ce qu'il savait de lui ou de ses frères. De toute évidence pas grand chose. L'Esprit de la Forêt ne paraissait pas avoir été bavard à leur sujet. "Nous sommes trois. Trois Gardiens à parcourir les Landes, chargés par les Déesses de veiller sur le Royaume et sur les sources sacrées qu'elles ont offertes au monde." Il avait vu depuis défiler des générations et des générations. "Mais les Humains nous ont oubliés. Seules de vieilles légendes content encore notre existence." C'était dit sans ressentiment. Après tout, c'était eux qui choisissaient d'apparaître ou non à celles et ceux qu'ils en jugeaient dignes.

"Je ne peux m'aventurer au-delà du Chemin tracé pour moi par les Déesses." Pas sans une raison impérative du moins. Et celle-ci était en plus risquée puisqu'il ne pouvait se permettre de rencontrer le même destin que le Dragon d'Azur. "Pourtant, je sais qu'il s'est produit à l'Est des événements funestes." Les longues plaintes de Nedrac ne cessaient jamais vraiment de résonner en lui, tout comme sa voix retentissait dans la tête du jeune Hylien. "Commence par l'endroit que je t'ai indiqué. Tu y trouveras l'Esprit qui veille sur la source de la Sagesse." Il hésita un instant sur ce qu'il voulait ou non lui dire de cette étape de son voyage. Lui-même ne pouvait que deviner les détails de l'agonie de son frère sans se rendre sur place. "J'ignore dans quel état il pourra t'accueillir, mais votre rencontre sera riche d'enseignement. Aide-le, et tu trouveras peut-être la clef pour sauver ta propre vie."

Pourtant, il ignorait si le jeune homme suivrait ses conseils alors qu'il paraissait vidé de son énergie. "Évidemment, rien ne t'y oblige. Tu es libre de tes choix. Sache cependant que certains seront plus coûteux que d'autres pour ces contrées ainsi que pour ceux qui les habitent et qui pourraient compter pour toi." Il ne s'agissait pas d'une menace mais d'une simple constatation. Le jeune homme songeait peut-être que ses décisions n'engageaient plus à présent que lui, mais c'était faux. Certains créaient peut-être des vagues plus importantes que d'autres autour d'eux, mais personne ne pouvait prétendre n'avoir aucun impact. De cela, le Dragon voulait qu'il soit au moins conscient. Et même si le Héros semblait à présent exténué par la tâche qu'il avait eue à accomplir, qu'il soit allé jusqu'au bout tendait à prouver qu'ils partageaient le même but, et la même tendresse pour les terres qui s'étendaient autour d'eux. Il décida alors de lui partager son sentiment. "Je sens que ce Royaume n'est pas encore hors de danger." Il ignorait pourquoi le choix des Déesses s'était porté sur ce petit être, et pourquoi elles auraient encore besoin de lui, mais il espérait le découvrir. En elles, en tout cas, il avait Foi. C'était pour cela aussi qu'il prenait la peine d'accorder son temps à leur Élu.

Là où lui n'avait pas de réponse, il espérait que ses frères puissent en apporter une. Et si cela ne suffisait pas... Il existait une autre solution mais le Serpent Enflammé se refusait à diriger le jeune homme au Mont Satori dans cet état, pas tant qu'il ne s'agissait pas de leur dernière option, et qu'il n'avait pas encore vu ses frères.

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Petite noisette

Inventaire

L'imperturbable sanglot de la cascade s'imposa doucement à lui tandis que le Maître des Monts évoquait les Sources. Deux silhouettes se détachaient du souvenir, sibyllin et vaporeux, qu'il en gardait. Celle, imposante, d'une immense statue de pierre au visage déchiré d'un sourire aussi morne que vide et l'autre, frêle à la limite du fragile, de la princesse qu'il lui fallait escorter. Du moins... Que l'Autre inlassablement veillait. Plus que la foi ou l'espérance, c'était la détresse et l'abattement qui l'envahissaient alors que lui revenaient ces mémoires enfouies. Il n'avait guère oublié Zelda, ses angoisses, où l'inexorable sentiment d'échec qui, sans cesse, avait régné sur les trois sanctuaires. D'un bref geste de la main, non sans secouer la tête, l'Hylien tâcha de chasser ces quelques songes qui continuaient encore et toujours à le hanter.

Le ballet de poudreuse continuait en silence, porté par un vent d'Ouest à l'étreinte froide. Certains flocons, trop fatigués ou au contraire trop curieux, se laissaient dériver jusqu'aux écailles du Serpent-Nue avant d'être goulument happés par les langues de feu qui piquaient sa colonne. Une question lui vint, brûlant ses lèvres avec de mille et un soleil, quand se fermait son poing — les phalanges blanchies de ressentiment et les doigts marqués par le mal. Le récit du céleste animal un temps laissé de côté, le jeune homme cherchait encore à comprendre l'apathie qui imprégnait ces bêtes sacrées. Sur celle-ci, il posait désormais un regard habillé de givre et drapé d'hiver. 

"Elle était-là, seule et désespérée", lâcha-t-il seulement, sans plus cacher son dédain. « Elle a sollicité votre aide. Plusieurs fois. » Ses talons s'enfonçaient doucement dans l'hermine immaculée tandis qu'avançaient, un à un, ses reproches. « Elle était effrayée. Où étiez-vous alors ? », s'enquit-il enfin, ignorant tant bien que mal la colère qui lançait son bras droit. 

Des heures durant, la jeune femme s'était acharnée dans l'eau glacée des Sources sans jamais avoir droit à la moindre réponse ; et, à l'évidence, la morgue de la Déesse n'avait d'égale que l'indolence du Seigneur-Grenat. De sa voix sépulcrale, le Dragon gronda de nouveau, investissant une fois encore son crâne sans jamais chercher à se justifier. Tout juste expliqua-t-il qu'il ne pouvait se soustraire au chemin qu'avaient tracé pour lui les Dieux d'alors, mais ces quelques mots ne suffirent pas à convaincre l'enfant Sans-Nom qui, pour la deuxième fois depuis des jours sinon des semaines, fulminait d'une rage sourde — presque enrouée. La torpeur dont se revendiquait sans trembler la Guivre-Vermeil lui était inconcevable. Parce qu'émanait d'elle une puissance particulière, de celles dont ne pouvaient se vanter que les Démons où les Esprits, mais surtout parce qu'il était question d'Elle. Parce qu'il savait combien elle avait alors besoin de ce soutien.

Il aurait voulu répondre au Seigneur des Montagnes, mais la hargne finit par mourir sur sa langue tandis que le Maître-Carmin laissait l'incarnat de ses pupilles caresser l'horizon ; en quête du lit que quittait chaque matin l'étoile du jour. Quelque chose, à l'Est, inquiétait le Dragon à Plumes. Sans en dire beaucoup plus, il l'invita une fois encore à gagner le Mont de Lanelle où résidait l'un des semblables qu'il avait déjà évoqué. L'un de ceux qui, appelé par la dernière des Nohansen, s'était volontiers muré dans un silence inflexible. Il se souvenait bien l'éternel mutisme des Esprits, avares de conseil, seulement perturbé par les pleurs de la jeune femme.

L'espace d'un instant, il fut tenté de ne pas répondre aux sollicitations dont il faisait désormais l'objet. Le Magnat-Grenat avait beau insister et prétendre qu'ainsi, il pourrait peut-être échapper à celle qu'il fuyait depuis déjà des mois, mais cela n'avait pas grande importance en vérité. Il n'avait pas fait cette route dans l'espoir de s'arracher à son emprise.

L'ire qui, jusqu'à l'os, rongeait son avant-bras lui commandait pourtant de ne pas se montrer plus déférant qu'eux ne l'avaient été plus d'un siècle auparavant. Pourquoi devrait-il aider ceux qui avaient refusé de lui tendre la main ?

"J'irai", déclara-t-il néanmoins, dardant sur l'Ancien Dieu incertain deux yeux de verglas. Les mâchoires de nouveaux scellées, il inspira longuement, jetant sur l'enfer polaire deux suaires de chair. Le cuir qui gainait son scramasaxe cessa doucement de mordre la pulpe de ses doigts, tandis que peu à peu sa poigne se faisait moins forte. Sa propre voie lui apparaissait toujours très obscure, mais au moins savait-il quel chemin emprunter dans un futur proche. Il n'ignorait pas quelle fin l'attendait très probablement au terme de la route que dessinait pour lui l'Esprit, mais il savait qu'il lui faudrait l'arpenter. Pas nécessairement pour eux ; pas seulement pour lui.  « J'irai. »


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