Posté le 13/01/2021 23:58
Les premiers mots de l'imposant oiseau de proie surent l'apaiser autant que cela semblait possible en de telles conditions. Timidement, la figure autoritaire de son interlocuteur le dominant encore de plusieurs têtes, il lança un regard au Rito qu'il trouvait encore bien trop près de lui. Sans un mot, il s'accorda un dernier pas en arrière. Pour le moment. Du coin de l'œil, il cherchait aussi à retrouver Ecailles-Puantes, qu'il avait perdu de vue quelques minutes auparavant. Il n'était guère inquiet pour le Zora : il souhaitait simplement s'assurer qu'on ne lui tendait pas un piège. L'Hylien si jeune pouvait-il être, n'était pas né de la dernière pluie. Quiconque survivait vingt-cinq hiver, même à Elimith, pouvait se vanter d'avoir un peu de plomb dans le crâne. « Je savais-t-y pas qu'eul'Bourgmestre travaillait avec… », commença-t-il d'abord, la gorge visiblement moins torturée par le doute. Sa voix n'était pas aussi forte ou assurée qu'elle ne pouvait l'être autour d'une tablée à l'Agueil, mais elle avait gagné en consistance. Pourtant, il s'arrêta un instant, puis tança l'étranger, réalisant ce qu'il allait dire. Rares étaient ceux à nourrir une quelconque affection pour les Piafs, derrière les murs de la Cité-Commerce. Rares étaient ceux à seulement connaître leur existence. Il renifla, hésitant, avant de se reprendre. « Avec… Avec des gens d'vôt' qualité, j'voulais-tu dire… », grommela-t-il pas bien sincère, mais soucieux de ne pas s'attirer les foudres du monstre qui l'avait déjà acculé une fois. Puis, comme pour mieux le tromper, il se fit soudainement révérencieux ; un brin servile même. « 'Pas qu'l'ai tort. 'Près tout, v'm'avez l'air fort, pis futé, pis rapide… C'est-y courant chez eul'gens d'chez vous ? », questionna le pauvre croque-mort, insistant.
Sous la pluie battante et les nuages sombre, le Rémige n'en verrait sans doute rien, mais son regard brillait toujours d'une peur aussi charbonneuse que la nuit.
En vérité, Gonzo avait du mal à croire qu'Ardolon – c'est ainsi qu'il s'était présenté – connaissait Baldin. Comme tout le reste des résidents de la Ville-Blanche, il savait combien l'ancien métayer détestait les espèces non-humaines, qu'il s'amusait souvent à dépeindre en effrayantes menaces à chacune des veillées. Il les décrivait toujours avec force de détail et faisait tout son possible pour terroriser les enfants : il s'agissait après tout de leur apprendre à craindre les dangers d'un monde aussi hostile que vils. Tantôt ses récits narraient l'histoire d'une sordide tribu de Rouges, parfois évoquait-il les Hommes-Poissons, dont la fureur et les dents pouvaient souiller les rivières de sang. Il n'avait jamais parlé de créatures à plumes, à ergots et à becs mais le Fossoyeur n'aurait su les imaginer moins mauvais.
Il décida néanmoins de jouer le jeu. Après tout, il n'avait pas l'impression d'avoir le choix et, à plus d'une reprise déjà, les histoires du Bourgmestre s'étaient avérés fausses. Lui même avait occasionnellement laissé entrer des Zoras qui prétendaient vouloir faire commerce. « De quelque besace qu'il vienne, l'éclat toujours représente une nouvelle graine », avait-il déclaré, quand il avait été questionné la première fois. Nul n'avait à nouveau abordé le sujet depuis. Après tout, il avait raison : la prospérité de la communauté primait sur tout le reste. « Du coup, si c't'eul Bourgmestre qui vous envoie, mon bon m'ser Adolo..., reprit Gonzo, toujours plus obséquieux et bien sourd à sa propre erreur, ce s'rait crime qu'de pô vous aider, nah ? »
La question n'appelait pas réellement à une réponse. Le croque-mort avait déjà tous les éléments dont il avait besoin pour venir en aide au voyageur Rémige, dont il avait refusé de comprendre les intentions. Il l'avait bien vu se tourner vers la tombe la plus fraîche, celle où reposait depuis hier le corps du pauvre Endë. Se grattant la joue avec énergie, signe des plus probants qu'il lui faudrait se raser bientôt, le jeune homme releva sa lanterne. Il fit quelque pas vers le sépulcre, illuminant le chemin de son vieux lampion à huile. Sitôt eut-il quitté le refuge dressé par l'aile du Piaf, le froid vint mordre sa nuque et le brouillard lui expectorer tout son crachin à la gueule. Sans lâcher son couteau, il passa la main sur ses yeux, éreinté par son office. Avant de recoiffer son bada et couvrir aussi bien que possible le chef que ses cheveux avaient abandonné il y a déjà des lunes.
Et lui de lancer, impatient, après un geste du menton des plus énergiques : « V'vnez-tu dont, m'ser Adolo ?! »
Quand l'impressionnant roi du ciel l'eut rejoint, l'Hylien était déjà agenouillé devant la sépulture. Comme le voulait la coutume, il abandonna un unique éclat, frappé des armoiries d'Elimith, pour s'excuser de déranger le défunt autant que pour payer hommage. Il s'apprêtait à dévoiler l'intimité de sa mort à un inconnu ; c'était bien-là la moindre des choses. Car malgré ses soupçons, Gonzo ne pouvait être sûr que l'étranger était bel et bien un menteur : il n'avait jamais vu le Bourgmestre aussi bilieux. Un tel mal appelait peut-être un remède plus étonnant encore. « Ici bas, c'là qu'on a enterré Endë », commença l'artisan-creuseur, relevant le visage vers son camarade d'infortune. Son fanal projetait une lueur jaunie, presque malade, sur la père tombale. Elle était vieille et les inscriptions ne correspondaient pas au nom avancé par le Fossoyeur, mais cela n'avait guère d'importance — nul n'aurait su les déchiffrer.
"L'est mort, hier ou avant-hier, on sait pas ben. C'tait dans la nuitée en tout cas." Un silence sordide s'était abattu sur les lieux. La pluie et le vent, battant la boue et soufflant le limon, chantaient une oraison des plus funèbres. « L'avait quoi ? Dix, douze ans ? Eul'Bourgmestre voulait-y qu'Nikolas y lui ouvr'eul'bide pour qu'y voit-y c'que c'est qu'allait pô. M'la famille a pas voulu », expliqua encore l'Hylien, qui s'était mis à parler lentement. Il avait l'habitude des cadavres, et pourtant celui de l'enfant l'avait particulièrement bouleversé. Il avait encore du mal à raconter ce qu'il s'était passé. « Du coup, ben… J'l'ai enterré quoi », conclut-il, non sans se sentir un peu sot d'énoncer une telle évidence. Cela tombait sous le sens. Il n'aurait su dire pourquoi il lui fallait le préciser.
Reniflant, avant d'essuyer son nez coulant sur sa manche tandis que le mutisme s'installait à nouveau, il chercha après un peu de chique, comme pour délayer tant que faire se pouvait la suite de son récit. « Endë, c'tait un chouette gosse, m'ser Adolo. L'était un peu bourru et pas très beau, tout l'contraire de vous. Mais c'tait un bûcheur et d'puis eula'mort d'son paternel, y s'tuait à la tâche. J'l'avais ben dit d'faire attention... », détailla ensuite le croque-mort, non sans renâcler à nouveau ; à grand bruit. Le sujet le dérangeait vraiment.
"Vint pô d'une famille riche, m'ser Adolo, faut bien l'comprendre. C't'ait juste un métayer, bossait au champ. Comme Milo et Etu, qu'sont tombés mal aussi. C'est toujours eux qui meurent-y les premiers", accusa-t-il en se laissant emporter. Avant de comprendre que sa pensée avait dépassé sa langue. « 'Scusez-me, m'ser Adolo. J'voulais pô dire ça », se corrigea-t-il alors, contrit. « C'que tout ça, ça nous angoisse un peu, v'savez. Certains y disent que c'pô vraiment une maladie. Y pensent qu'y a quelqu'un qui nous veut du mal. »
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