La première patrouille

Une rencontre inattendue

Fin de l'automne - 4 mois 1 semaine après (voir la timeline)

Simyn


Inventaire

"Ne bougez plus."

   Même si Simyn n'avait fait qu'un geste pour signifier ses paroles, toute la patrouille comprit immédiatement cette instruction, chaque soldat s'occupant de relayer l'ordre à son voisin proche.

   La jeune Zora venait de repérer ceux qui les avaient fait se déplacer jusqu'ici.
En effet, sa patrouille avait été formée la veille par un des officiers de la Garde Royale après que des rumeurs aient réussi à parvenir jusque dans le Domaine. Des individus auraient été aperçus non loin de là, sur les berges de la rivière Zora. Trop près pour beaucoup. Les rumeurs avaient suffit à motiver la création d'une petite troupe composée d'une quinzaine de soldats expérimentés, et ce fut là un évènement important pour Simyn. En effet, pour la première fois, on lui avait confié le commandement de cette patrouille. Elle avait donc passé la journée à s'assurer que son équipement et les hommes à sa charge étaient fin prêts, et toute la section prit la route au crépuscule.
Dans son esprit, la mission était claire : peu importe la nature des individus, ils n'avaient rien à faire ici, aussi près de son foyer. Lezalfos, Moblin, même un Hinox, elle n'en avait que faire. Elle allait réduire cette menace à néant. Pourtant, ce qu'elle apercevait aurait pu la faire changer d'avis.

   Le Soleil ayant presque disparu derrière l'horizon, la lumière rasante rendait la patrouille quasiment invisible pour quiconque n'avait pas les yeux rivés sur la rivière. En revanche, les ombres des individus suspects se détachaient très bien du point de vue de Simyn qui venait de sortir la tête de l'eau, rendant ses futures cibles bien distinguables. Ces individus ressemblaient traits pour traits à ce qu'on lui avait raconté des Hyliens. Plus petits que ceux de son peuple, de différentes corpulences, sans branchies ni nageoires caudales derrière la tête. Ils n'étaient pas plus d'une vingtaine, certains s'affairaient à faire un feu, d'autres semblaient préparer le repas. Une demi douzaine de tentes étaient montées en cercle autour de l'emplacement du futur feu. La jeune Zora profita de son couvert pour les observer pendant un temps. Ils avaient l'air civilisés, peu agressifs et ne représentaient vraisemblablement aucune menace pour le Domaine.
Cependant, elle avait une mission qu'elle comptait bien accomplir. Ses doutes s'envolèrent rapidement quand elle replongea auprès de ses congénères. Elle se rappela que c'était à cause de ces Hyliens si les individus qui l'accompagnaient ainsi que tous ceux qui l'attendaient au Domaine étaient les derniers de leur genre. Elle se moquait de ces individus qui avaient causé la fin de sa précieuse espèce. Elle aurait pu épargner ces voyageurs rescapés de ce Monde brisé. Mais elle comptait bien leur rendre coup pour coup le malheur qui s'était abattu sur son peuple, le "Beau-Peuple" comme ces individus les désignaient, comme si un surnom flatteur allait effacer leurs erreurs.
Elle ne leur laisserait aucune chance.



   Elle donna ses premières instructions à la troupe, puis chacun se mit en position. L'un des soldats se chargea d'agiter l'eau dans le but d'attirer l'ennemi. De suite, un des Hyliens, croyant à un Lézalfos, s'était emparé d'une pique improvisée taillée pour servir de broche et s'approchait prudemment de la berge. Quand il était assez proche, l'homme n'eut pas le temps de réagir.
Simyn bondit hors de l'eau, la lame acérée de sa hache fendant les airs. La seconde d'après, la jeune Zora atterrit derrière sa victime. L'Hylien gardait sur son visage une expression d'effroi pendant que sa gorge fendue de bas en haut laissait s'échapper un impressionnant jet de sang et que ses jambes faiblissaient de plus en plus. Il tomba rapidement au sol tout en continuant de se vider pendant que les autres patrouilleurs sortaient à leur tour de la rivière, armes à la main.

   Au départ, les autres Hyliens n'avaient pas tous été témoins des faits. Seuls certains avaient vu leur camarade tomber, mais étaient restés tétanisés suite à la vitesse de l'action. Mais rapidement, quand les soldats commençaient à courir vers eux, la plupart se mirent à pousser des cris de terreur alertant ainsi leurs compagnons. Tout le campement se mit à s'agiter, tentant de fuir dans toutes les directions. Les deux hommes les mieux constitués se saisirent de leurs haches de bucherons et vinrent à la rencontre des soldats. L'un d'eux se fit transpercer d'une épée nacrée dès le premier contact avec un des membres de la patrouille. L'autre réussit à blesser le bras d'un des soldats avant de se faire éventrer, laissant ainsi ses entrailles se déverser sur le sol avant qu'un deuxième soldat n'abatte sa hache sur la nuque de l'homme, faisant voler sa tête dans un spectacle macabre.
Les cris résonnaient dans tout le campement. Les Hyliens qui avaient tenté de s'enfuir étaient pourchassés par les Zoras, et se firent rapidement tailler en pièces. Ceux qui n'avaient pas eu le temps de prendre leurs jambes à leur cou furent rassemblés autour du feu fraichement allumé. Il restait moins d'une dizaine d'hommes et de femmes désormais capturés par la patrouille. Les hurlements avaient laissé place aux sanglots.

   Simyn était victorieuse. Sa troupe était abreuvée par l'adrénaline, et seul l'un des soldats avait été blessé. Cependant, ces Hyliens encore vivants devaient être gérés. Les Zoras auraient pu les ramener avec eux, en faire des prisonniers. Ils pouvaient aussi être relâchés sans aucun risque d'une nouvelle installation au vu de la violence de ce raid qui les dissuaderait pour longtemps.
Pourtant, la rage qui avait envahit Simyn l'aveuglait complètement, au point d'éliminer cette dernière option. La haine envers ces monstres aux oreilles pointues qu'on lui avait décrit depuis qu'elle n'était qu'une enfant était à son paroxysme. Ils devaient payer pour le mal qui avait été fait à son peuple. Elle s'avança vers les captifs terrorisés, les scrutant un à un. Certains trouvaient le courage de supplier la guerrière, mais la plupart s'étaient mués dans le silence. La jeune Zora prit alors la parole, décrivant des cercles autour des captifs.

"Je ne m'attendais pas à tomber sur des Hyliens si proches de notre Domaine... Vous avez eu l'audace de venir jusqu'ici, sans être prêts à vous défendre ? Quelle folie... Vous ne méritez pas de pitié, votre faiblesse me répugne !"

   Sur ces mots elle attrapa l'un des hommes qui marmonnait des suppliques depuis le début de son discours par le col, l'obligeant à se lever. Tout le groupe recommença à crier quand Simyn plongea le visage de l'Hylien dans le brasier, le laissant hurler de douleur alors que sa peau fondait. Après quelques dizaines de secondes, la Zora releva son prisonnier, visiblement assommé par la douleur. Des morceaux de braise étaient restés incrustés dans les creux créés par les cloques, rendant l'apparence de l'homme proche de celle d'un zombie.
Simyn le projeta au sol et une femme se précipita à son chevet, essayant de lui apporter son soutien. En voyant qu'il venait de lâcher son dernier soupir, la femme se releva d'un bon en direction de Simyn et tenta de lui assener un crochet. La guerrière, surprise de la réaction de la prisonnière, se prit le coup de plein fouet. La Zora s'empara alors de sa hache et au moment de donner le coup fatal décida de se raviser et de simplement frapper avec le manche. L'Hylienne fut sonnée sur le coup, tombant alors au sol.

   Simyn rangea sa hache, toujours étonnée par cet élan de vaillance. Elle regarda les autres captifs, toujours figés par la terreur. Leur inaction finit d'achever le peu de volonté qu'elle avait de les laisser en vie. Elle fit alors signe à sa troupe sanguinaire d'abattre leurs lames sur ces Hyliens. Ceux-ci s'exécutèrent immédiatement, laissant derrière eux après un carnage sourd un tas de cadavres et une mare de sang.
Cependant, Simyn ne prit pas part à l'acte. Elle restait là, agenouillée auprès de la femme qui l'avait attaquée. Celle-ci se réveillait péniblement, émergeant dans un cauchemar bien réel. La Zora affichait un sourire glauque, la transperçant du regard. Elle n'attendit pas que la femme se relève et entama le dialogue.

"Quel est ton nom ?"

L'Hylienne, furieuse mais lucide, comprit qu'il valait mieux pour elle répondre à sa question quand elle entendit la voix froide et impactante de Simyn.

"Shosha..."

"Bien, Shosha. Tu vas retourner d'où tu viens. Tu iras porter un message à tes semblables. Tu leur raconteras ce qui est arrivé aux pauvres fous qui ont osé braver le danger en s'installant si près du Domaine Zora. Va leur dire ce qui attend quiconque oserait revenir ici."

Simyn détacha de sa bandoulière un petit fourreau contenant un poignard en chitine et le posa devant la femme.

"Prends ceci. Tu ne survivrait pas dans ces contrées sans la moindre défense. Maintenant, pars ! Pars loin, retourne auprès des tiens, toi qui a encore la chance insolente d'avoir un avenir pour ton peuple !"



   Sur ces mots, la guerrière se releva et marcha en direction du lit de la rivière, sa patrouille sur les talons. Elle jeta un dernier regard par dessus son épaule pour observer l'Hylienne qui la fixait sans bouger. Elle semblait transpirer la rage, ce qui rendait Simyn heureuse. Elle avait su transmettre les émotions qui la tiraillaient depuis longtemps à cette femme et elle espérait curieusement revoir celle qui était ce soir devenue sa rivale... 


Fay


Inventaire

Pourquoi, au nom d’Hylia s’était-elle mis en tête d’explorer les Tourbières de Lanelle ? On lui avait parlé maintes fois de cet endroit comme étant l’un des plus inhospitaliers des environs, entre la faune locale qui voulait la mordre ou la piquer et le terrain marécageux qui l’obligeait à faire usage de maints détours pour ne pas finir trempée et grelottante. Elle avait été prête à faire  ces détails inconvenants pour explorer cette fameuse colonie qu’on disait réduite en cendres …  mais il lui fallait bien admettre une vérité déplaisante : à force de revenir occasionnellement sur ses pas et de prendre des directions différentes, elle avait réussi à se perdre. Pire encore, elle s’était faite surprendre par la nuit. La situation ne pouvait pas être pire.

Après avoir pris un temps pour se reposer et méditer sur sa situation délicate, Fay avait repris sa marche dans une prudente lenteur. Le plan était simple : quitter cette zone boueuse à demi inondée pour revenir sur un terrain plus sec et stable. A partir de là, avec un peu de chance, elle pourrait se trouver un arbre ou une grotte où passer la nuit sans avoir à se battre avec les moustiques.

Mais cette forte résolution s’évanouit bientôt alors qu’entre les troncs, elle aperçu la lueur de plusieurs lanternes de détacher de l’obscurité. Là où il y avait de la lumière, il y avait de la vie ; avec un peu de chance, elle y trouverait une présence amicale. Étrangement, les flammes qu’elle suivait se déplaçaient. Une patrouille, peut-être ?

En l’absence de garantie, la Sheikah décida de demeurer discrète alors qu’elle progressait prudemment vers cette source d’espoir. Car si les routes abritait d’inoffensifs voyageurs, elles recelaient également des bandits ou des monstres.

Excepté qu’en se rapprochant, elle se rendit bien vite compte qu’ils n’étaient pas les seuls dangers.

Elle resta bien à l’abri dans la protection des feuillus tandis que le combat faisait rage entre une troupe de Zoras et ce qu’elle estima être un groupe de réfugiés Hyliens. Les pauvres n’avaient eu aucune chance. Ces hommes poissons à la longue vie étaient des combattants hors pair qui dépassaient les compétences du peuple d’Hylia : on lui avait conté leurs talents, mais elle le voyait à présent de ses propres yeux au travers de ce massacre sans pitié qui lui inspirait à la fois crainte et respect.

Fay n’osa bouger alors que les Zoras s’emparèrent des survivants. Voulaient-ils en faire des prisonniers ?

Alors qu’ils les forcèrent à s’agenouiller au sol, une petite Zora aux écailles noires comme la nuit se détacha du lot. A en croire par sa posture, l’attention que lui portait les siens et la peur qui se lisait dans le regard des Hyliens alors qu’elle leur délivrait quelques cruelles paroles, Fay estima qu’il s’agissait de leur chef.

Puis, tout se passa très vite. Elle exécuta l’un des Hyliens en lui octroyant une mort des plus douloureuses et horrible qui fit frissonner la Sheikah. Une des femmes se précipita à son chevet avant d’attaquer la meneuse des Zoras, qui réussit à la maîtriser avec une impressionnante abilité. Puis, cette dernière ordonna la mort des derniers survivants. En un instant, l’ensemble du groupe avait été balayé. Tous, sauf la jeune femme qui respirait encore au sol.

Dans un dernier élan de cruauté, la Zora la laissa repartir en vie. Une manière d’humilier son espèce tout en leur donnant un avertissement qu’ils n’oublieraient pas. Fay l’observa retirer une petite dague de son fourreau pour la poser devant l’Hylienne avant que la femme poisson ne se détourne du lieu de massacre avec ses soldats.

Fay hésita d’abord, car elle accordait plus d'importance à sa vie que celle d’une parfaite étrangère. Sa logique lui disait de laisser ces lieux en paix et de poursuivre son chemin, car cette histoire ne la concernait pas. Mais son cœur lui soufflait une culpabilité irritante, difficile à ignorer. Elle soupira en silence, se sermonnant avant de quitter sa cachette pour s’approcher doucement de la survivante.

Sosha – car tel était son nom- semblait bouillir de rage. Sa main était crispée sur le manche de la dague alors que son regard foudroyait celle qui lui avait tout pris.

Tandis que la Zora s’éloignait, Sosha fit un pas pour la suivre. La Sheikah posa immédiatement sa main sur son épaule pour la retenir. A demi-voix, elle déclara :

« Ne faites pas quelque chose que vous regretterez. Venez avec moi, partons. »

Si l’Hylienne était surprise, elle ne le montra pas. Son regard resta obstinément focalisé sur la troupe. Fay ne vit pas les larmes de deuil et de rage qui brouillèrent sa vue pour s’écouler sur ses joues éraflées.

« Regretter quoi ? Cette garce m’a tout pris … Et vous voulez que je la laisse partir ?! » cracha t’elle suffisamment fort pour que Fay tique, lui faisant jeter un coup d’œil rapide vers la troupe.

« Et vous accomplirez quoi exactement, en vous faisant tuer d'une manière aussi stupide ? Vous croyez que ça les vengera ? » siffla t’elle avec impatience « Maintenant taisez-vous, sinon vous allez les faire revenir-- »

Fay porta un regard prudent vers les hommes poissons. Son sang se glaça quand elle croisa le regard doré de la Zora aux écailles noires.


Simyn


Inventaire

   Au moment précis ou Simyn allait plonger dans la rivière pour suivre sa patrouille sur le chemin du retour au Domaine, les paroles de Shosha la firent se retourner. Elle pensait avoir une nouvelle occasion de railler cette femme, mais quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut que les mots qu'elle avait entendus n'étaient pas adressés à elle mais à une autre humaine.

   La jeune Zora était confuse. Elle était persuadée que personne n'avait échappé à l'assaut, et ne comprenait pas d'où cette autre femme était sortie. Elle avait réussi à tromper son sens de l'observation et avait sûrement attendu le moment opportun pour intervenir. De plus, cette femme ne semblait pas très menaçante, aussi Simyn aurait pu repartir, faisant mine de rien et laissant la faune s'occuper d'elles. De plus, la faible Shosha aurait bien besoin d'une escorte pour rentrer chez elle.

   Mais cette option ne lui convenait guère. Cette nouvelle arrivante avait été assez rusée pour échapper à sa patrouille et assez courageuse -ou folle- pour se risquer à sortir aider sa victime avant que tout danger ne soit écarté. Il fallait qu'elle la rencontre, qu'elle la confronte s'il le fallait. Elle ne pouvait pas laisser une créature si emplie de mystères derrière elle.

   Elle se décida donc à faire volte-face et avancer en direction des deux femmes, laissant ainsi la patrouille s'éloigner. Peut-être par orgueil, elle n'était pas inquiète à l'idée de confronter seule à seule cette humaine. De plus, l'adrénaline restante du combat la persuadait de ne craindre aucune menace. Après tout, c'était elle, la menace.

   Au fur et à mesure qu'elle approchait, elle remarqua que la femme inconnue était différente de Shosha par bien des aspects, notamment par sa tenue mais surtout sa coiffure qui reflétait toute la lumière d'une lune qui surplombait de plus en plus l'horizon, recouvrant la nuit d'un voile suffisamment clair pour lui permettre de distinguer le visage plus pâle de sa nouvelle potentielle adversaire.

   Elle distinguait également les deux femmes par leurs intentions manifestes. Si l'une était bien disposée à en découdre -apparemment Shosha-, l'autre semblait émettre plus de réserves. Soudain, Shosha qui voyait désormais Simyn se rapprocher à un rythme lent mais constant dégaina son nouveau couteau. La Zora s'arrêta net, à bonne distance des deux femmes, une quarantaine de pas selon son estimation. Elle savait qu'à cette distance, elle aurait amplement le temps de dégainer si les femmes se décidaient à l'attaquer. Aussi préféra-t-elle tendre ses bras vers le bas, les mains bien ouvertes et la paume vers le ciel, signe de paix dans son ancienne colonie, signe qu'elle avait perdu l'habitude d'employer.

   Si cette attitude l'irritait, se soumettre était la seule option viable si elle souhaitait découvrir qui était cet individu. Voyant que la situation était plus que tendue, elle se décida à ouvrir le dialogue.

"Je ne m'attendais pas à voir quelqu'un jouer au sauveur après notre assaut ! Je dois dire que vous me surprenez !"

   Alors, une scène qui lui semblait surréaliste car elle n'y avait jamais pensé se produisit. L'archère se tourna vers Shosha en balbutiant des mots que la guerrière Zora n'avait jamais entendu auparavant. Elle ne comprenait pas un traitre mot de ce qu'elle venait de dire, encore moins ce que Shosha lui répondait. Elle avait beau y réfléchir, même les sons étaient trop différents pour en comprendre le sens.

   Dans sa vie, elle avait entendu beaucoup d'accents de son peuple, elle-même ayant grandi dans une colonie isolée avait un accent marqué en comparaison des individus ayant passé leur vie au Domaine. Mais jamais n'avait-elle été incapable de comprendre le sens d'une phrase. La surprise fut d'autant plus grande lorsqu'après quelques échanges entre les deux humaines, Shosha rétorqua une phrase maladroite mais compréhensible pour la Zora.

"Tu devoir mourir pour avoir faire ceci !"

   Simyn marqua un temps d'arrêt afin de reconstruire la phrase, quand bien même elle en avait saisi l'intention profonde. Elle pensa alors à toute vitesse, cherchant un moyen de désamorcer rapidement la situation. Elle aurait pu sortir sa hache et foncer sur ces femmes, mais elle ne savait pas de quoi la nouvelle arrivante était capable et elle préférait de toute façon en apprendre plus sur elle plutôt que de charger sans hésiter. Elle se hasarda donc à tenter une approche diplomatique malgré son manque de compétence dans le domaine des négociations.

"Si vous me tuez maintenant... D'autres Zoras vont arriver ! Vous devriez y réfléchir à deux fois !"

   Elle marqua la pause afin que Shosha fasse la traduction, puis enchaina. Elle détestait avoir à négocier, surtout avec des êtres si pathétiques, mais sa curiosité à l'égard de l'archère aux beaux cheveux de nacre était grandissante au fur et à mesure des paroles étrangères que sa voix portait.

"Laissez-moi me présenter. Mon nom est Simyn !"


La nacre irisée brillaient de mille et un feu, accrochant avec vanité la lueur que jetaient les flammes du bivouac Hylien. L'estoc de sa lance dardait en silence la nuque de l'étranger, dont la main avait glissé jusqu'à celle de l'enfant à ses côtés. Il l'entendait babiller d'étranges prières prononcée dans un dialecte qu'il ne connaissait pas et qu'il n'avait de toute façon nulle intention d'apprendre. Nombreux étaient les Zoras, en effet, à souhaiter la fin des Oreilles-Longues qui avaient condamné leur peuple. Comme sa supérieure, J'apas en faisait partie. La gueule subtilement déchirée par un sourire satisfait, il laissa sa pique glisser la paume de sa main ; jusqu'à ce que sa pointe épouse tout en tendresse l'échine de sa proie. La mort viendrait, ce n'était qu'une question de temps.

Tous deux le savaient. 

Les sanglots du petit brisèrent le silence de plomb qui s'était soudainement abattu sur les berges, après le bref affrontement. Un violent coup de hampe en plein crâne fit cesser ses cris, alors que s'effondrait sur le limon son corps minuscule. Mikau ne l'avait sans doute pas tué - ou peut-être l'avait-il fait ? - mais cela n'avait guère d'importance : bientôt, Simyn décida de leurs exécutions. Sous le regard de sel de la lune, le sable du rivage se gorgea d'un carmin macabre, tandis que la sorgue opaque étouffait leurs dernières suppliques — éternel bâillon de leur ultime soupir. Ils les éliminèrent tous ; sans un mot, sans un regret. Le massacre avait été organisé avec méthode, mis en œuvre avec minutie. Ce n'était pas la première fois qu'ils nettoyaient ainsi les frontières de leur domaine et sans aucun doute leur faudrait-il le refaire. Depuis des années déjà, il n'attendait guère plus qu'une occasion.

Sans le moindre respect pour le défunt qu'il tenait en joue quelques instants plus tôt, le Zora poussa la dépouille dans les eaux d'un brusque coup de pied ; où elle servirait d'amuse-gueule pour les Lézals. Alors que roulait doucement la carcasse, il fut rapidement imité par ses camarades et très vite la rivière, dérangée par la houle et les ressacs, charriait un sang pourpre et charbonneux, tacheté d'ébène. J'apas se retourna brièvement vers sa capitaine, qui s'amusait encore à torturer la jeune femme dont elle avait tué l'amant. Il la savait aussi ulcérée par les humains qu'il ne l'était lui même, sinon plus et c'était là chose d'autant plus étonnante qu'elle était plus jeune que lui. Sans jamais douter d'elle - elle accomplirait ce qu'il fallait accomplir -, il s'enfonça à son tour sous les flots.

Les bêtes seraient bientôt là, aussi leur fallait-il partir.

Sans attendre Simyn, l'escouade s'éloigna de quelques coudées. Sous l'eau, le banc était beaucoup plus véloce que sur terre, aussi ne nagèrent-ils pas plus que nécessaire : nul ne craignait pour la nautonière, mais tous avaient juré d'assurer sa protection avant de quitter Ma'a Uahn. Et si les Hyliens ne représentaient pas l'ombre d'une menace, les Lezalfos constituaient eux des ennemis dangereux. Bien sûr, certains Zoras expérimentés étaient capables de les affronter en duel et de remporter la victoire ; à condition de ne pas faire d'erreur. Sans doute Dame-n'a-qu'un-œil était-elle de ceux-là. Cela ne justifiait pas pour autant de prendre le risque.

"J'apas, Mikau", tonna soudain Ralis's, le Condottiere. De long pied les séparaient de la surface ainsi que de l'écume et pourtant sa voix résonnait avec force ; tranchant sans mal le cours du fleuve. « Ku'a rea Qpne naga. Tua-ki'ki a ea. », siffla-t-il encore, sa craindre de dire son inquiétude. Ils avaient attendu suffisamment longtemps et Simyn aurait déjà du les retrouver. Les deux Zoras échangèrent un bref regard, avant d'opiner du chef. « Ae », approuva alors J'apas. La hampe de sa lance pesait de plus en plus lourd entre ses doigts palmés.

Sans patienter davantage, le duo s'élança droit vers le rivage. Ils traversèrent la mare écarlate qu'avaient laissé les cadavres abandonnés aux bras puissants de la rivière et gagnèrent les berges. La chaleur rouge du feu jetait sur leurs corps maculés de sang une leur ocre aux accents sauvages. Ils ressemblaient à ces démons, qui émergeaient parfois des Marais de la Rancœur.

"Qpne", héla J'apas, interpellant sa supérieur d'une voix rendue rauque par l'air vif qui brûlait ses poumons. Elle leur tournait le dos, faisant face à deux humaines. L'une était armée d'un arc. Simyn ne se retourna pas. « Qpne ! », fit encore Mikau ; tandis qu'ils s'avançaient lentement, arme au poing. Les hideuses Sans-Branchies reculèrent de quelques pas. « Aku'aneï-i Qa'tae ng-a mę̄ko'mę̄ko. Atu te-ha », reprit le second fantassin, qui avait ramené son écu devant son visage. Il tenait son javelot en arrière, prêt à le lancer aux deux femmes au premier mouvement suspect. Elles décidèrent de fuir, avalées par la nuit « Atu te-ha, Qpne », insista encore le premier des deux soldats, pressé de quitter le rivage. Les Lezalfos allaient arriver.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Simyn


Inventaire

  Alors que Simyn persistait dans sa piètre tentative de dialogue, une voix familière se fit entendre dans son dos. Elle se savait désormais tirée d’affaire grâce à la présence de son compagnon et se décida alors à poser sa main sur la tête de sa hache, parée à dégainer. Une deuxième voix connue sortit alors de la rivière, l’appelant de la même façon. Alors qu’elle s’apprêtait à lancer l’assaut, les deux opposantes décidèrent de reculer lentement, ce qui redonna toute sa vigueur à Simyn. Celle-ci afficha tout naturellement un sourire macabre laissant apparaître ses dents acérées éclairées par le clair de lune et sortit lentement sa hache, prête à bondir sur l’humaine aux cheveux blancs.

  C’en était sûrement trop pour les deux femmes qui reculèrent de plus en plus rapidement avant d’enfin tourner les talons et détaler en vitesse, disparaissant dans l’obscurité. Simyn attendit quelques secondes, et quand elle eut la certitude que toute menace était écartée, elle se retourna pour voir ses alliés désormais à quelques pas d’elle, tous deux lances et boucliers levés. En replaçant sa hache à son ceinturon en cuir marin, elle intima à ses comparses de baisser leurs armes et ouvrit la marche vers les flots.

"Merci d’être revenus, mes frères. Je m’excuse d’avoir retardé la patrouille, je ne m’attendais pas à l’arrivée inopinée de renforts… Cela ne se reproduira pas."

  Elle lança un dernier regard en direction de la Lune, puis s’enfonça dans le lit de la rivière et entama la nage à contrecourant en direction du Domaine, talonnée de près par ses hommes. Après quelques minutes passées sous les flots, les trois Zoras rejoignirent le reste de la troupe qui les attendait fermement. Le regard du Condottiere changea en croisant celui de sa supérieure, et un sentiment général de soulagement se dégagea du groupe.

"Je suis désolée Ralis’s, un malheureux contretemps m’a retardé… La situation est sous contrôle, nous pouvons y aller. Ma’a Uahn sera une fois de plus fière de ses enfants."

  Après avoir repris la tête de l’entièreté de la patrouille, Simyn reprit la nage à un rythme modéré, profitant du calme pour réfléchir à la situation. En effet, cela n’était pas la première fois que des Sans-Branchies empiétaient sur le territoire de son peuple, et le rythme de ces incursions s’accélérait, menaçant de plus en plus la sécurité du Domaine. Le témoignage qu’allaient rapporter la survivante et son alliée à Elimith auraient deux issues possibles ; le retour du calme ou l’arrivée de la tempête. Le comportement des Oreilles-Longues était inconnu de Simyn, mais elle supposait que leur lâcheté les pousserait à abandonner leurs incursions afin d’éviter d’avantage de pertes. Cependant, elle appréhendait une tout autre option, le choix qu’elle aurait fait à leur place, la volonté de vengeance. Bien qu’elle doutait du fait que les Humains disposaient d’une quantité nécessaire de courage pour oser tenter une contre-attaque, la possibilité restait ouverte, et cela signifiait que la guerre était désormais éventuellement aux portes de Ma’a Uahn.

  Si le conflit éclatait, il ne faisait nul doute dans l’esprit de la Nautilière que la victoire s’obtiendrait. Après tout, le Domaine avait résisté au Fléau des histoires anciennes, et n’était jamais tombé aux mains d’un quelconque ennemi durant des siècles. Cependant, elle redoutait de trop nombreuses pertes inutiles, et chaque vie Zora comptait infiniment plus que tout. Elle était prête à tout pour protéger les siens, elle inonderait le continent entier pour sauver un seul de ses pairs, et espérait vraiment que tous les gardes du Domaine étaient prêts à autant de sacrifices qu’elle.

  En arrivant aux portes de Ma’a Uahn, Simyn héla le garde attitré aux entrées et sorties de la cité nacrée. Celui-ci se pencha par-dessus la balustrade de sa tour et reconnut la patrouille qu’il avait regardé partir plus tôt dans la soirée. Il se retourna alors vers l’intérieur des portes et intima aux gardes d’ouvrir les portes en indiquant l’identité des individus qui patientaient à l’extérieur.

  Une fois rentrés dans la cité, Simyn et ses hommes se dirigèrent vers la place principale, siège de la statue de la défunte Reine-Mère, où les attendaient un attroupement de citoyens venus acclamer les défenseurs du Domaine. La liesse ravissait la jeune guerrière, qui avait le sentiment d’être utile à son peuple. Un sourire se dessinait à nouveau sur son visage, mais celui-ci n’était pas là pour effrayer qui que ce soit. Il était franc et chaleureux, chose rare pour la Zora qui affichait d’habitude une mine froide et maussade. A dire vrai, elle avait l’air d’une enfant à qui on offrait un cadeau. Elle qui avait grandi dans le but de protéger ces gens voyait enfin ses efforts payer, ce qui la motivait encore plus pour l’avenir. Elle leva la main pour saluer et remercier la foule, puis se dirigea vers la caserne pour y faire son rapport.

  A peine passa-t-elle la porte que les soldats restés de garde acclamèrent la petite Nautilière, toujours baignée d’allégresse par le bain de foule. Les autres membres de la patrouille furent également accueillis par des cris de joie et de franches tapes dans le dos. L’officier assis au fond de la pièce émettait plus de réserves, comme à son habitude. Il semblait fier de voir la troupe revenir au complet, mais il n’en attendait pas moins des soldats qu’il avait lui-même formés. Cependant, il était très certainement curieux de voir comment la nouvelle cheffe s’en était tirée, c’est pourquoi il lui fit signe de s’approcher. Après de brèves retrouvailles, Simyn présenta son rapport, clair et concis, détaillant comment les Humains étaient tombés les uns après les autres, comment elle avait rasé le campement, jusqu’au témoin relâché, l’arrivée de la deuxième femme et la fuite de ces deux-là. A ce moment du récit, le capitaine de la garde tiqua. Il se redressa et prit la parole.

"Je crains que le témoignage de ta rescapée ne nous pose problème… Les Hyliens ont beau être lâches, ils ne laisseront sûrement pas passer un tel acte. Nous verrons bien, mais tiens-toi prête à batailler bientôt…"


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