Tourbières de Lanelle

Sans gène et sans hésitations, elles lèchent les portes du Domaine Zora. La nase, qui semble s’étendre sur des aunes et des coudées constitue peut-être la première des épreuves qui se dresse face à celles et ceux qui entendraient braver le courroux du Beau-Peuple. L’eau qui y macère depuis des siècles s’est teintée, à force de temps peut-être, d’un vert sombre, où tourbillonnent dans un bien étrange ballet la vase et les algues.

Traversées de parts en parts par de discrets chemins de bois, laissés par d’autres aventuriers sans doute, les Tourbières de Lanelle demeurent peu hospitalières. D'abord parce que, au mieux, l’eau y monte jusqu'aux genoux — parfois jusqu'à la taille dans les endroits les plus difficiles. Mais ce n'est pas tout ! Sous la cime des grands arbres qui forment de vastes îlots boisés, distraitement répartis le long des marais, prolifèrent de nombreux prédateurs à la désagréable morsure. Le venin de certains des serpents qui descendent le long des branches est réputé pour provoquer d'incroyables douleurs. À l’ombre chassent également les moustiques. Rien de bien effrayant, de prime abord, mais après mille et une piqûres la simple nuisance peut se transformer en véritable calvaire.

Plus en amont, vers la longue route de Lanelle qui mène jusqu'au fief du Seigneur Dorepha, se sont installées des tribus Lezal particulièrement peu aimables : engoncées dans un conflit territorial depuis des années – semble-t-il – elles se mènent une véritable guérilla à travers les marécages. Certaines résident cachées dans le dru-maquis tandis que d’autres, à l’inverse, on construit leur campement sur la rivière. D'aucuns prétendent d’ailleurs que ces bêtes sont plus violentes que nulle part ailleurs : en témoigne la dépouille partiellement désossée de l’antique Gardien Sheikah qui trône dans la fange, à l’est du cloaque. En dehors des limites de la forêt comme à l’orée des bois, d’autres ruines anciennes habillent les Tourbières de Lanelle. Les restes d’une petite colonie, brûlée jusqu'à en devenir noire, charbonnent tristement l’horizon. D'aucuns assurent d’ailleurs qu’il ne s’agit pas de l’œuvre des Cerbères mais bien de celle d’un homme. Certains voyageurs et autres vagabondes prétendent avoir entendu, de nuit, les funestes cris d’un père menaçant compagne et enfants. Armé d’un artefact ancien, reliquat d’un âge révolu, il aurait conjuré aux flammes et incendié tout le village. Les lieux, dit-on désormais, hébergent encore sa rancœur et sa haine.

D'autres tragédies tapissent les marais. L’eau croupie cache dans ses méandres mille et un cadavres, certains vieux, d’autres jeunes. Tous, cependant, sont si bien conservés qu’un maraud peu attentif pourrait les croire en vie, s’il en croisait le regard. On dit aujourd'hui que leurs âmes demeurent à jamais attachées à ces lieux et que les lueurs qui brillent parfois au dessus des eaux visent à attirer les vivants. D'aucuns, plus incrédules, préfèrent blâmer la flore parfois surprenante qui s’épanouit à l’orée de la mer de boue.

Le seigneur des lieux, lui, ne souffre aucune contestation. Fait de chair, d’os et de sang, il ne se dresse que rarement sur ses deux pattes, préférant somnoler distraitement au milieu des épais nénuphars. Ce géant à l’œil unique fait partie des Hinox qui n’ont pas à se déplacer pour trouver de quoi se sustenter : les quelques colonies humaines avoisinantes préfèrent lui sacrifier vaches, buffles et moutons plutôt que de souffrir sa faim et son courroux.


La première patrouille
Une rencontre inattendue
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Fin de l'automne 4 mois 1 semaine après
Dernier message le 25/05/2021 22:56 par Simyn