Posté le 01/11/2020 16:44
Le tissu accrocha ses cheveux encore humides, tandis qu’elle enfilait sa dernière tunique du jour. Elle n’avait rien de la tenue sophistiquée qu’elle portait usuellement, quand elle travaillait au laboratoire : il ne s’agissait que d’une longue robe de nuit plutôt ample — assez pour en accueillir au moins deux comme elle. Son blanc avait doucement été cassé par les âges mais la vieille femme y était d’autant plus attachée qu’elle avait été portée par sa fille avant de lui revenir. Depuis quelque temps, ce détail revêtait une importance toute particulière. Machinalement, alors qu’elle ajustait le vêtement, elle jeta un coup d’œil sur la petite pièce qui constituait sa chambre, non sans se maudire d'avoir choisi la salle la plus élevée de la bâtisse. A l'époque, des décennies plus tôt, cela faisait sens. Dorénavant les marches lui semblaient chaque jour plus hautes.
Tandis qu'elle achevait de boutonner le haut de son habit de lin, un petit éclat d'acier sur lequel dansait le reflet d'une flammèche accrocha son regard. Ses lèvres blanchies par le froid se fendirent d'un sourire triste tandis que ses doigts caressaient doucement l'alliage qui composait le collier que lui avait offert Eluria, alors qu'elle était encore enfant. La pulpe de son index s'attarda un bref instant sur l'unique caractère, gravé à même le métal. Sans un mot, la vieille femme épongea les discrets filins d'argent qui, sur ses joues d'enfant, creusaient les ornières de son chagrin, de sa peine et de son désarroi. Dehors, elle entendait les cieux pleurer pour elle, comme si les dolents esprits que sa sœur vénérait avec tant de ferveur ajoutaient leur détresse à la sienne.
Tout en délicatesse, l'Aînée récupéra le bijou qu'avait fait pour elle son enfançon, en des temps désormais anciens, puis y déposa un tendre baiser. Avant de souffler une fois pour toute la bougie éclairait encore les lieux d'une lueur aussi fébrile qu'atrabilaire.
Rejetant l'édredon qui couvrait sa couche, Pru'Ha s'allongea sur son grabat, le pensées polluées par mille et unes questions auxquelles elle était incapable de répondre. C'était là chose rare et si, usuellement, ce genre de défi piquait son intérêt, elle n'en tirait cette fois aucun plaisir. Depuis plus d'un mois, désormais, elle s'était littéralement transformée en boule d'angoisse et de larmes. Malédiction ! Pourquoi avait-il fallu qu'elle parte ? Pourquoi ne l'avait-elle pas écoutée quand elle lui avait dit combien le monde, passé les murs d'Elimith et par delà les voiles du Village Secret, était dangereux ? La vieille laborantine ne comprenait pas ce qui avait pu motiver son unique fille, la prunelle de ses yeux, à quitter la sécurité coquette de leur demeure, l'amour qu'elle avait à lui prodiguer, la bienveillance de sa famille de fortune. Mais tout cela, elle eut été prête à l'accepter, si elle avait seulement eu l'espoir de la revoir un jour.
L'ancienne-au-corps-d'enfant se retourna dans son lit, cherchant tant bien que mal une position qui l'aiderait à trouver le sommeil. Ce dernier la fuyait depuis plus de nuits qu'elle n'avait été capable d'en compter. Une fois de plus, le Seigneur des Sorgues ne semblait pas décidé à venir réclamer son tribut — et comme chaque soir, les combles du vieux moulin lui apparaissaient fades, délavés, dépossédés de ce qui – jadis – avait fait leur intérêt. Le monde perdait peu à peu ses couleurs pour mieux devenir gris.
Après ce qui lui sembla être les plus longues heures de sa conséquente vie, Pru'Ha fut prise d’un violent sursaut. La plaquette de bois, en remontant jusqu’à sa chambre, avait claqué fort contre l’une des poutres. « Sombre idiot », grommela-t-elle d’une voix visiblement fatiguée, alors qu’elle s’arrachait à son lit. Sous ses yeux se dessinaient de lourdes cernes — comme jamais les travaux de laboratoire et les soirées passées a étudier n’avaient su lui en donner. Une grimace déchira son visage tandis que ses pieds nus épousaient à nouveau le bois froid du plancher et que les poils se dressaient sur sa nuque. A tâtons, elle chercha après le petit morceau de métal archéonique qui lui servait de briquet à silex puis alluma une seconde fois sa bougie. Elle distinguait bien l'ardoise de cèdre rouge qu'avait peint son assistant, mais elle n'en discernait pour l'heure que l'écarlate.
"N'ai-je même pas le droit dormir ?", s'enquit-elle pour elle-même plus que pour qui que ce soit d'autre. Dans un geste machinal, comme à chaque fois qu'elle se levait, elle mit feu à un petit bâton d'encens, en hommage aux défunts et aux gardiens d'un autre temps. Puis, sans réellement prendre le temps de s'agenouiller comme elle le faisait généralement, elle jeta sur son nez les verres qui l'aidaient à voir plus clair. Son dos voûté, alors que montaient doucement les vapeurs, elle s'approcha lentement de l'étrange missive que lui adressait son si sot camarade. Une part d'elle désespérait déjà des erreurs qu'il lui demandait probablement de venir corriger. Une autre espérait que le message – dont la couleur disait le caractère urgent – ne concernait pas Eluria. Elle aimait trop la jeune Hylienne pour la perdre une seconde fois et, les jours passant, elle constatait terrorisée qu'elle ne saurait la faire revenir. Lentement mais sûrement, ses espoirs et son traditionnel optimisme se tarissaient.
En vérité, Canel n'avait tracé que trois idéogrammes. Ils suffirent à la faire défaillir.
Saisissant brusquement le pendentif qu'elle lui avait offert jadis ainsi qu'un vieux fanal abandonné près de son lit, la Maître de Laboratoire enfonça presque la porte de son petit cabinet pour mieux s'élancer dehors. Les marches, rendues glissantes par la pluie, ne l'effrayaient plus. Elle avait d'ores et déjà le souffle court ; et pourtant elle dévala tout de même les escaliers aussi vite qu'elle le put.
Une respiration saccadée cassait ses lèvres transies, quand elle poussa enfin le battant de chêne qui reliait la bâtisse aux escaliers extérieurs. Le pourpre de ses yeux, fatigués, sautait de paillasses en bureaux, à la recherche de la jeune femme dont on l'avait assurée de la présence. Mais l'obscurité qui régnait sur les lieux l'avait volée à son regard. Tout juste distinguait-elle la silhouette de son assistant, qui lui tournait le dos et semblait entretenir un étrange monologue. Puis, après quelques secondes, elle vit enfin Haya. Sa nièce se tenait seule, près de la paillasse de son aide de laboratoire. Fronçant les sourcils, l'Aînée réalisa que Canel avait jeté au sol tout son travail. Un bref instant, elle réalisa combien la situation devait être dure pour lui aussi et regretta la froideur dont elle avait pu faire preuve à son égard.
Sans plus attendre, la main gauche toujours lestée par sa lanterne, L'Enfant-Adulte s'avança. « Hm-m ! », fit-elle, imitant une toux rauque et bruyante. Elle n'était guère d'humeur à lancer l'une de ses traditionnelles répliques de marmouset, mais elle ne supportait pas pour autant de faire une entrée aussi discrète. Bientôt, lui semblait-il, tous les regards étaient sur elle. Canel, qui avait pris la peine d'apporter du thé et de l'eau claire à leurs hôtes s'était légèrement décalé. Pour la première fois en un peu plus de cent ans, elle découvrait à nouveau le visage de sa meilleure amie. Un sourire irrépressible, impérieux et irréfrénable fendait sa gueule d'une oreille à l'autre.
Elle ne se l'était jamais avoué, mais elle avait aussi presque perdu espoir de revoir Zelda.
"Altesse, souffla-t-elle d'une voix si discrète et qui pourtant dominait le silence écrasant le vieux moulin du Meunier, Zelda...", tenta-t-elle encore, cherchant tant bien que mal ses mots. Derrière le verre, d'épaisses larmes mouillaient ses prunelles de sang. Mille et une fois, elle s'était préparée à ce moment. Elle avait écrit des dizaines et dizaines de discours mais chaque idée mourrait désormais dans sa gorge ; serrée par l'émotion. Un instant, un étrange mutisme gagna le laboratoire et Pru'Ha finit par reprendre contenance. « Cent ans, c'est beaucoup trop long », lâcha-t-elle simplement avant d'abandonner son lourd lampion de fer forgé et de courir vers la jeune femme. Pour, enfin, se jeter dans ses bras.
L'embrassade ne fut pas longue et, après coup, la scientifique redouta même qu'elle fut déplacée. Elles avaient été proches, jadis, mais jamais au point de s'affranchir à ce point du protocole. Evitant un instant le regard de la souveraine, elle se recula d'un pas. « Tu aurais pu me prévenir plus tôt », lança-t-elle, sèche, à Canel. Le laborantin eut droit à un regard noir avant qu'elle ne l'envoie aux cuisines, d'un geste de la main. « Nos invitées doivent-être affamées », asséna-t-elle encore. « Dresse la table et occupe-toi du souper. »
Son assistant ne s'attarda guère plus que de raison, tandis que Pru'Ha reportait son attention sur les deux femmes qui venaient d'arriver chez elle. « Vous venez du village Cocorico, je présume ? », questionna-t-elle d'abord, après s'être assise sur sa propre paillasse, de sorte à ne pas avoir à trop lever la tête pour voir le visage de ses invitées. Le jade des yeux de la Princesse lui avait tant manqué et ses longs cheveux d'or encadraient un visage fatigué, mais si précieux. « Le Fléau Ganon a été vaincu ? », reprit-elle encore, sans même leur laisser le temps de répondre. « Cela veut dire que les Créatures Divines sont libérées ? Est-ce que les Gardiens le sont aussi ? Vous en avez peut-être croisé sur le chemin... », les interrogations se succédaient sans jamais cesser et la vieille Sheikah n'aurait su dire quand elle trouvait le temps de respirer si on le lui avait demandé. Elle était plus excitée que jamais. Un frisson si particulier lui parcourait l'échine et électrisait le poil de sa nuque. « Depuis combien de temps êtes vous revenue, votre Majesté ? Avez-vous rencontré ma cadette, la Doyenne ? Vous lui avez terriblement manqué ! », reprit la Jeune-Ancêtre, qui adressa ensuite un regard amusé à Haya. « Question idiote. Elle n'aurait pas choisi sa meilleure guerrière pour vous accompagner si vous ne l'aviez pas vu. Ah ! Les vieilles affections ne meurent pas aisément ~ », plaisanta encore, non sans remonter la paire de lunette sur son nez ; un sourire complice habillant son visage. Elle savait combien Impa - Déesses, elle détestait ce nom - tenait à Zelda et à Haya. Elle n'ignorait pas non plus les prouesses de sa nièce et tout le fil à retordre qu'elle avait pu, bien involontairement, donner à sa jeune sœur. Le naturel revenant au galop, elle s'accorda un clin d'œil à l'attention de la Bushi.
"Oh mais suis-je bête !", s'exclama ensuite la vieille femme, réalisant combien elle manquait à toutes ses obligations. « Je sors tout juste du lit et je vous presse de questions alors que vous n'avez pas mangé et probablement pas dormi depuis des heures. Je suis vraiment désolée », s'excusa-t-elle ensuite. « Si l'une d'entre vous le souhaite, Canel et moi pouvons aussi préparer les Onsen. Après un long voyage, c'est un vrai plaisir », proposa-t-elle encore.
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