Sur les murs fragiles de la bicoque, l'âtre jetait une lumière orangée et moribonde. Le feu brillait et crépitait doucement, comme celui d'un ancien fanal en fin de vie, peinant à chauffer toute la pièce. En poussant le battant de bois chapeauté d'un auvent et qui servait d'avant-corps, ils avaient tous deux fait entrer le souffle glacé du Seigneur-Frimas ; dont les flocons tapissaient d'ailleurs l'entrée. Il n'avait eu besoin que d'un instant pour saisir puis voler, de ses malingres doigts froids, tout ou presque de la vigueur du logis. Les braises du foyer, semblait-il, chantaient alors leur dernier récital. Une complainte angoissante, sans doute, mais qui retint moins son attention que ne le faisait déjà son hôte.
L'Hylien venait de se défaire de son scramasaxe, quand la jeune femme fut prise d'un brusque haut-le-corps. Il ignorait s'il l'avait surprise où s'il lui avait fait peur en allant ainsi chercher sa lame ; aussi garda-t-il une main en l'air, bien en évidence, tandis que l'autre venait abaisser le masque de tissu qui cachait sa gueule depuis des heures déjà. «
Pas d'inquiétudes », grimaça-t-il tant bien que mal, d'une voix aussi calme que possible. Ses lèvres, transies par le froid, étaient sèches et gercées. «
Je ne te ferais pas de mal », lança-t-il ensuite, les yeux plongés dans ceux de l'ermite, qui ne tarda guère à lui tourner le dos. Le silence retomba sur la bicoque aussi vite qu'il n'était initialement parti. Dehors, le vent se faisait plus fort, giflant les murs de la demeure avec une force telle que l'impact résonnait dans toute la cahute.
Suivant distraitement son hôte du regard, l'Imposteur s'accorda un second coup d'œil, sur le gourbi, sans trop savoir après quoi il cherchait. Des mois passés à arpenter les Landes et à ne jamais dormir que d'une oreille l'avaient rendu méfiant — "prévoyant", auraient corrigé certains. «
Tu vis seule ? », s'enquit-il seulement quand revint l'inconnue, les bras chargés de deux édredons. D'un mot, et surtout d'un geste, elle l'invita à sortir ; arrachant l'appentis à son mutisme. Sans réellement prendre le temps de s'expliquer, elle passa la porte et le laissa seul à l'intérieur. Le givre de ses yeux glissa une dernière fois sur le feu qui mourait, étouffé d'effroi, mais il ne dit rien. Elle vivait ici depuis des années et en savait plus sur les Hauts-Plateaux d'Hebra qu'il n'en serait jamais capable. Décidant de lui faire confiance, il abandonna à son tour la masure pour l'algide de l'Hiver et l'albe de ses champs.
La capuche jetée sur le visage et la couverture balancée sur l'épaule, Sans-Nom rejoint rapidement l'inconnue qui avait gagné la petite étable. Elle s'occupait de l'étrange animal qu'il avait rencontré en couvrant la jument, avant d'entrer. La bête avait le poil épais, dru, et semblait taillée pour la vie sur les sommets. Voyant la fermière - il n'avait pas manqué de repérer quelques unes de ses cultures - la draper de laine, il fit de même pour Epona. Le cheval était déjà emmitouflé, mais il préférait être prudent lui aussi. «
Tout va bien ? », demanda-t-il à son amie d'une voix douce, tandis que sa paume venait tendrement épouser son front, flatter ses ganaches. «
Tu va voir, tout ira pour le mieux », reprit-il ensuite. Il la devinait effrayée ; elle l'était depuis qu'ils avaient atteint les Sommets du Monde et rien, jusqu'à présent, n'avait vraiment su la rassurer. Derrière lui, sa vis-à-vis remplissait l'auge d'un foin sec, cassant, comme l'était tout le reste ici. «
Je ne serais pas très long, mais dans l'immédiat il vaut mieux que nous fassions escale. Sois sage, d'accord ? », ajouta encore le cavalier, dont la pulpe des doigts caressait un peu inconsciemment le chanfrein de l'haquenée.
Son hennissement lui tira un demi-sourire discret.
"
A plus tard", souffla-t-il seulement, tandis que l'Hylienne faisait marche arrière, en direction de la demeure. Il lança un dernier regard derrière lui, cherchant des yeux les ruines du village qui, jadis, devait se tenir ici. L'un de ceux que
l'Autre n'avait pas su sauver. Et pourtant, le monde qui résultait de son échec lui appartenait sans doute plus qu'il n'était le sien. Un suaire de chair jeté sur le gel de ses pupilles effaça rapidement les images de son horizon. Cela ne suffit pas à l'apaiser. «
Sois patiente. Je reviendrais te donner des pommes », dit-il enfin à sa camarade, avant de la laisser à la seule compagnie du bovin. Le chien qui accompagnait la survivante depuis le début de la journée avait choisi de le suivre jusqu'à l'intérieur.
Voûtée sur les cendres encore tièdes, la bordière travaillait tant bien que mal à raviver l'âtre, quand il passa la porte pour la troisième fois. Elle n'avait pas demandé son aide ; aussi se contenta-t-il d'observer ses efforts : lui même préférait souvent procéder seul. En outre, les lieux étaient trop exigus pour qu'il puisse l'épauler sans mutuellement se gêner. De toute façon elle savait y faire, puisqu'après un bref instant de longues langues ocre recommençaient à lécher le fer noir du bouillon suspendu au dessus du brasier. Quand elle se tourna vers lui, le faciès fendu d'un large sourire, il avait trouvé appui contre le mur adjacent à l'entrée. Ses bras, croisés, reposaient sur sa poitrine.
Le visage encadré par d'épaisses mèches dont le brun tirait sur le roux, l'étrangère finit par se présenter. Sa voix était moins rauque qu'elle n'avait pu l'être dehors, mais il eu tout de même un peu de mal à la comprendre. C'est la main qu'elle plaça sur son sein qui l'aida plus que ses efforts d'articulation. Ainsi, elle s'appelait
Pohm. Et elle lui offrait un étrange gilet de laine, qu'il aurait eu bien du mal à passer par dessus l'épaisse tenue de fourrure qui grevait déjà son échine. Il ne la refusa pas pour autant. «
Merci », dit-il seulement, en acceptant le présent temporaire qui lui était fait. Il n'était de toute façon pas sûr qu'elle saisisse ce qu'il pouvait répondre davantage que lui ne devinait ce qu'elle affirmait.
La suite de ces questions lui passait d'ailleurs au dessus de la tête : la jeune femme parlait vite — trop pour lui. Aussi préféra-t-il garder le silence, tandis qu'elle sortait une fois encore. Avisant une buche dont la hauteur avait été assez raccourcie pour en faire un siège, il s'assit près du feu, le vêtement offert toujours dans les mains. Les flammes chatoyaient désormais d'une lueur fauve, quoiqu'affable, projetant sur les murs de singuliers jeux d'ombres, qui accrochaient son regard. Mais il ne se retourna pas, de crainte de voir une autre silhouette se pencher sur la sienne.
Bientôt, Pohm revint un broc chargé de neige, qu'elle mit à bouillir. «
Une tempête se prépare ? », demanda-t-il alors, désignant l'extérieur du rapide geste du menton, dans l'espoir qu'elle le comprenne. Il espérait ne pas rester trop longtemps ici. Mais pour aller où ? Depuis sa dernière rencontre avec les gens du peuple Rémige ; il n'avait fait qu'errer inlassablement le long de plaines fantômes, au manteau plus blanc que les os, qu'il hantait comme un spectre. Sans-Visage s'était préparé à cet ultime voyage. Tout, depuis l'heure où
sa voix l'avait tiré au sommeil de la résurrection, l'avait mené jusqu'ici. Aujourd'hui, il savait qu'il ne pouvait éviter l'inéluctable. Il n'entendait, cependant, pas le délayer ou l'accélérer. Après un bref instant de doute ; il décida de jouer cartes sur table. C'était là le cours naturel des choses. Sans quoi il n'aurait sans doute jamais fait bivouac chez l'étrangère.
"
Merci de ton hospitalité", commença-t-il sobrement, tandis qu'il ôtait ses moufles pour mieux dénouer la ceinture et les lacets qui maintenaient son caban fermé. «
J'ai un dernier service à te demander », ajouta alors l'Hylien dont le torse n'était désormais couvert que de la tunique Sheikah avec laquelle il avait quitté Cocorico. Le givre de ses yeux avait trouvé l'ambre de ceux de la jeune femme.
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