Les éléphants se cachent pour mourir

Sur les hauteurs du monde, où chutent inlassablement les neiges infinies, deux âmes luttent contre l'éternel hiver. L'une habite les plateaux de nacre, l'autre arpente le manteau d'hermine en quête de rédemption. Jusqu'à ce que le destin ou la chance ne les réunisse.

Début de l'hiver - 4 mois 1 semaine 2 jours après (voir la timeline)

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Petite noisette

Inventaire

Le vent fouettait ses tempes avec une ardeur vilaine. D'une main, l'autre maintenant toujours ferment la bride, il remonta sur son nez les pelisses qui n'avaient de cesse de chuter. Sans un mot, l'Hylien accorda un bref regard à la jument qui suivait dans ses pas. Seuls perçaient ses naseaux mangés de neige, tant il l'avait enterrée sous les fourrures en prévision de leur ascension. Il réajusta sa prise sur la lanière de cuir et tira doucement, pour qu'elle force le pas. Leur dernier campement était loin et les rafales soulèveraient bientôt assez de poudreuse pour conjurer au blizzard. Pour l'heure, le soleil permettait encore d'y voir clair mais il lui faudrait bientôt trouver un abri. Sinon pour lui, au moins pour elle. Elle l'avait suivi où qu'il aille des mois durant, bravant avec lui les pires dangers et enjambant les plus sordides des obstacles. Et pourtant, tout avait changé, dorénavant. Il était des sacrifices qu'il n'eut été résolu à exiger déjà par le passé et qui n'auraient pas eu le moindre sens aujourd'hui.

Bien que cachés derrière le cuir et le pelage de ses moufles, il laissa ses doigts courir un instant sur la hampe de la lame qui alourdissait sa hanche. Sous ses yeux s'étendait un véritable océan d'ivoire, blême et blafard, à la ligne d'horizon toujours repoussée. A chaque pas entrepris, il lui semblait que les dents-de-pierre qui cisaillaient les infinis champs de farine s'éloignaient davantage. Les quelques arbres qui perçaient parfois l'albe du sol donnaient eux aussi l'impression de fuir à son approche. Jamais, depuis les débuts de son périple, il n'avait eu à ce point le sentiment que le monde était son adversaire. Pourtant, il avait appris très tôt que son combat contre les Landes serait peut-être la plus ardue des batailles qu'il aurait à mener. Au pied des Monts d'Hebra, sur les longs plateaux, la marche lui apparaissait plus rude qu'aucune passe d'armes n'aurait su l'être. Il observa une fois encore l'astre qui, perdu si haut par-delà les nuées, ne savait plus chauffer la terre. Il avait d'ores et déjà entamé l'ultime étape de sa course.

Le tissu qui couvrait ses lèvres gercées retint son soupir, tandis que l'air froid incendiait ses poumons. Les ruines qu'ils avaient un temps longé n'étaient plus qu'un vague souvenir, pourtant seulement daté de quelques heures. Mais, perdu au cœur de la mer de givre, le temps paraissait s'étirer jusqu'à presque s'arrêter, comme prisonnier du verglas. Un instant, il regretta de ne pas avoir fait escale à ce moment-là. Mais il savait que s'il espérait en réchapper, il lui faudrait poursuivre sa route. Aussi, coudée après coudée, ils s'avancèrent lentement, traçant sillons après sillons dans le manteau d'hiver qui recouvrait les montagnes.


"Tout doux, ma belle —", souffla-t-il doucement, en guidant l'animal de la voix. Au dessus d'eux, les nuages cédaient doucement la place aux premières étoiles et des traînées de feu commençaient à danser dans les cieux. De la paume de sa main gantée, il épousa les ganaches de sa camarade avant d'en flatter délicatement l'encolure. « Par ici — », murmura-t-il encore en l'amenant sous les larges os qui pointaient haut vers les nues. La bête à qui ils appartenaient jadis était certainement immense. « On va camper ici, d'accord ? » Demanda-t-il à la jument, bien conscient qu'elle ne pourrait pas lui répondre. C'était une façon d'entretenir leur lien, de la rassurer également. Il savait combien l'épreuve pouvait être difficile pour elle aussi. En silence, il défit certains des paquets qui ceinturaient le dos de sa compagne de route, récupérant d'abord de quoi faire un peu de feu. Les bras chargé d'un ballot de bois sec, il se saisit de plus d'une petite marmite de fer noir, accrochée à la selle par la anse.

Luttant tant bien que mal contre la borée et son crachin de glace, l'enfant sans-visage disposa en cercle plusieurs morceaux de l'une des bûches qu'avait charrié Epona tout au long de la journée, maintenues en position d'une corde de chanvre. Laissant son esprit vagabonder, il brisa plusieurs copeaux de bois plus fin et les déposa au sommet de la plateforme, avant d'allumer à grand peine le petit brasier. « Viens ! », lança-t-il alors à son amie, l'incitant à s'approcher d'un geste de la main. Rapidement, l'haquenée s'installa près des flammes. Sur la gueule de l'Etranger, elles dessinaient de curieux motifs orangés, embrassant goulûment les reliefs qu'elles ne gommaient pas. « Tu dois avoir faim, non ? » S'enquit-il sobrement, réchauffant doucement la pulpe de ses doigts, meurtris par le flegme de la Montagne. L'hiver polaire de ses pupilles rencontra celui plus sombre de sa camarade et il compris qu'elle ne se sentait pas en sécurité. Elle refusait de se coucher, prête à déguerpir si la situation l'exigeait. « J'ai ce qu'il te faut, tu n'as pas à avoir peur », la taquina-t-il d'un ton léger, avant d'aller chercher après quelques unes des pommes qu'il gardait dans un sac à provision, accroché à la croupe du cheval.

Les fruits lui semblaient bien trop froids pour être mangés, aussi débourra-t-il un peu du foin qu'il avait emporté avant de partir. « Voilà pour toi ! » Fit-il simplement, après avoir tendu l'une de leurs couverture sur le tapis de neige qu'ils martelaient depuis des jours déjà. Un coup de museau le ramena sur terre. « Tu auras les pommes plus tard », siffla-t-il non un soupçon de tendresse dans la voix. Sans s'attarder, laissant au palefroi le temps de se sustenter, il parti en quête de l'unique tente avec laquelle ils s'en étaient allés. Solidement harnachée sur le dos de l'animal, elle n'avait pas bougé. Puis, alors que la fière alezan avalait le fourrage à grande bouchée, il entreprit de monter leur petit bivouac. Il abandonna son propre paquetage à l'orée de l'abri avant de s'asseoir aux côtés de la jument. Et lui d'installer le récipient de fer sur les langues rosées, avant d'y jeter pèle-mêle de quoi préparer un sobre bouillon. « Ça va aller. Tout ira bien », marmonna-t-il sans trop savoir qui il cherchait à apaiser exactement.

Engoncées dans les nuées, d'éclatantes aurores boréales serpentaient désormais entre les constellations.


Son pouce et son index écrasèrent doucement le gel de ses yeux tandis qu'il cherchait à oublier ces images qui défilaient derrière le lourd suaire de chair de ses paupières. Presque par réflexe, il regarda par dessus son épaule, s'attendant à apercevoir un véritablement fantôme. Il ne trouva que le voile de peau de la tente. Dehors, le feu n'allait pas tarder à s'éteindre et Epona l'attendait déjà. Massant son bras douloureux, il s'arracha à sa couche dans le plus dur des silences.

"Prête ?" Questionna-t-il simplement, en caparaçonnant de nouveau la jument. Il était pressé de quitter les lieux et s'éloigner autant que faire se peut de l'ombre qui le suivait. Sans doute son amie sentit-elle son désarroi : elle vint gentiment mordre le tissu de sa manche, comme pour le ramener à elle. Ses lèvres se brisèrent en un sourire discret, et anxieux. Puis, il rassembla les maigres effets qu'il n'avait pas rangé la veille au soir, préparant son nouveau départ. Ses dents grincèrent sans bruit en constatant combien leurs provisions s'amenuisaient, malgré le rationnement qu'il s'imposait. Un instant, il repensa aux propos de l'Arbre, espérant ne pas s'être trompé. Il n'aurait pas voulu lui imposer le sort qui devrait être le sien.

Lentement mais sûrement, la marche repris. Peu à peu, les enjambées les éloignèrent du squelette géant ouaté de neige et des mauvais rêves de la nuit. L'hermine du monde se dressait de nouveau devant eux, tandis que battaient en retraite les massifs, le laissant seul face au tourbillon de ses incertitudes. Jusqu'à ce que grogne un chien qu'il ne pouvait voir, mais dont il lui semblait deviner la provenance. Sans doute se cachait-il quelque part, derrière les vestiges du village qui, doucement, se séparait de l'horizon. Instinctivement, son poing se referma autour de la fusée de son scramasaxe. Bientôt, l'acier brillait de milles et lumières irisées, réfléchissant avec faste la pureté des monts d'Hebra.


Pohm


Inventaire

L'eau a peine tiède, lui dégringolait dans la nuque. yeux clos, la jeune femme cherchait a tâtons un morceau d’étoffe qu'elle avait pourtant déposé juste a coté du cruchon d'argile qui lui servait a faire sa toilette. Les perles translucides roulaient aux cotés de fragments de suif et de cendre dont la Pohm se servait en guise de savon. Quand enfin elle trouva l'objet de ses recherches, ce fut pour le porter a son visage et l’éponger en tamponnant doucement.

Debout, torse nu, la jeune femme procédait a son rituel du matin avant de vaquer a ses taches du jour. Elle observa son reflet dans l'eau trouble dont elle s’était servie pour se débarbouiller. Ses yeux d'ambre suivirent les lignes sèches de ses épaules, pour descendre sur sa carrure presque masculine. Pohm était robuste, taillée par le labeur, mais conservait tout de même des courbes et des rondeurs très féminines. Le subtil mélange de muscles et de douceur était parfaitement charmant, et sa peau sans aucune cicatrice aurait rendu fou le plus têtu des prétendant. Cependant la jeune femme ne pouvait se douter de tout cela, solitaire et seule depuis bien trop longtemps. Elle avait fini sa puberté dans le silence et se foutait royalement de plaire a quelqu'un. Portant les mains dans la masse brun roux de ses cheveux, Pohm les noua en queue de cheval haut sur sa tete. Même ainsi ils lui caressaient le bas des omoplates et quelques mèches fofolles s’échappaient pour encadrer joliment son visage.
Elle resta encore un instant a s'observer dans le reflet hésitant, puis s'en détourna pour se saisir d'une chemise de lin. Sobre, d'un beige devenu gris avec le temps, elle était ornée d'un motif végétal sur le col et l'ourlet du bas. Pohm aimait bien cette chemise, souple et confortable, souvenir de sa tendre mère. Aussi elle la portait souvent, comme pouvait en témoigner les marques d'usure aux coudes et aux poignets. Ainsi la jeune femme avait le sentiment de retenir a elle les bon moments d'avant. 

Ce matin la, Pohm ne déjeuna pas. Tout simplement car elle en avait pas envie. Parfois il lui semblait plus facile de travailler le ventre vide. Par contre, elle approcha de son feu la soupe pour le soir. Fourrant, au cas ou, quelques galettes de son dans une besace elle siffla Grayle, son chien et ouvrit la porte. Les galettes, Pohm les avait troquées contre un peu de son immonde jus de légume qu'elle désignait comme étant de l'alcool.
Et d'abord septique, a propos de ces galettes, elle fut vite conquise et en devint friande. Suffisamment pour essayer d'en obtenir a chacun de ses ravitaillements. 



Ouvrant la porte de sa modeste demeure, elle pris quelques secondes pour observer le miroir blanc avec respect et fierté. D'autres personnes auraient surement trouvé le coin déprimant et monotone. Mais elle non, elle se sentait en sécurité dans les bras de la Montagne. Pohm se rendait bien compte aussi du cran nécessaire pour survivre dans ces contrées hostiles. Seule qui plus est. Cela n’était pas a la portée de tous. De plus elle avait aussi pleinement conscience que seule, s'il lui arrivait une maladie ou une blessure, s'en serait fini. Aucune main ne viendrait se tendre pour apaiser une fièvre ou soulager une plaie. Ni même pour donner un coup de grâce. 
Et en même temps, ou aurait elle bien pu aller? Pohm n'avait que ce lieu, ces étendues de neige a perte de vue ... Son monde se résumait au petit champ qu'elle entretenait avec patience et acharnement, son chien et son Yack. Jamais elle n'aurais envisagé, même un instant, de s'en aller.Même si parfois c'était dur, Même si parfois elle se sentait très seule.

Sa maison était nichée dans un creux du flanc de montagne. Quand on lui faisait face, on avait sur la droite, après le champ, un mur naturel de pierre. C’était le temps qui avait poli la montagne, découpant ainsi un arpent presque a la verticale. Quand elle était enfant, le père de Pohm lui racontait parfois des histoires de montagnes qui crachait du feu. Et elle en faisait des cauchemars pendant des nuits et des nuits entières, marchant sur des œufs le jour, de peur de réveiller les monstres du feu qui déferleraient sur son modeste logis. 
Et sur la gauche, il y avait une colline qui montait doucement sur une petite dizaine de mètres. en gros la maison était presque invisible pour qui ignorait sa présence. Et de toutes façons tout autour il ne restait que des ruines noircies et saupoudrées de neiges, vestiges du village calciné il y a bien longtemps.




Grayle remuait avec impatience pendant que Pohm finissait d'enfiler un manteau de peaux. Jugeant inutile de s'armer de son arc -pourquoi faire de toutes façons, elle était seule- elle se contenta d'apposer une écharpe colorée sur son visage et de monter le capuchon sur ses cheveux avant d'enfiler une paire de moufles. Elle devait aller vérifier les trous creusés ça et la, en guise de piège. Des fois qu'un animal s'y jette et lui offre miraculeusement un peu de viande a ... manger ou troquer ? ... On verra en fonction de ce qu'il y a. Pohm n'avait pas de grands espoirs. Aussi elle s'aventura dans le froid vif et mordant. Elle marchait en silence, seule la neige chantait a chacun de ses pas. L’inspection fut rapide: Pohm ne savait pas fabriquer de vrais pièges. Mais elle voulait quand même s'en assurer ... Et elle fut bien malheureusement déçue : aucune proie n'avait eu la bonté de sauter a pieds joints dans le trous et d'y casser sa pipe.

La jeune femme allait retourner a son foyer, inspecter cette fois ci ses légumes et retirer ceux qui seraient murs, ou impropres a la consommation, quand le chien se figea. Le museau en l'air il trépignait légèrement sur ses pattes. Pohm s’apprêta a le siffler. il lui restait encore tellement a faire : couper du bois, le mettre a sécher dans la cahute, traire la Yack, battre une partie de la crème pour en faire du beurre, essayer de faire l'inventaire de ses denrées a vendre ... Et Grayle s'en fut courant a toute pattes, après avoir lâché un jappement d'alerte. Enfin, c'est comme ça que Pohm l’interpréta. 

Cependant, elle avait déjà vu l'animal agir ainsi, et ne fut pas surprise de ne pas le voir revenir quand elle siffla deux fois, un long sifflement avec le pouce et l'index en rond entre ses lèvres. Elle pesta en silence, en le voyant tracer un chemin dans le manteau blanc. Elle sera bien pataude a essayer de le rattraper, car il était sorti du "sentier" damassé qu'elle creusait avec ses pas quotidiennement. Grayle s’arrêtât une seconde au sommet de la colline et gronda avant de s’élancer sur un vague point noir que Pohm ne pouvait voir de la ou elle se trouvait. Levant les yeux au ciel, la jeune femme se résigna a aller chercher sa bête, probablement partis sur les traces d'un lapin. Si la piste était relativement simple a suivre, la jeune femme eu bien du mal a etre rapide a cause des multiples couches de vêtements qui la rendaient plus lourde et de la couche de neige fraîche qui s’enfonçait sous ses pas. Bientôt elle lui arriva aux genoux et Pohm dut encore ralentir l'allure pour ne pas tomber et se blesser. Aussi Grayle aboyait déjà depuis un long moment sur le gros cheval* quand la brune réussit enfin a se dégager et entourer l'encolure du chien de ses mains en posant un genoux a terre. Saisissant la peau du cou de son chien elle le força a la regarder dans les yeux et tenta par le regard de le faire taire. Puis quand l'animal fut enfin un peu plus obéissant elle porta le regard sur l'objet de toute cette agitation.

Pohm avait une peur bleue des chevaux. Et celui qui se trouvait face a elle était des plus imposant. Du moins a ses yeux. Aussi elle eu un mouvement de recul, et tomba les fesses dans la neige. L’écharpe de laine qu'elle portait sur le visage s'affaissa, dévoilant son minois rougit de froid, et sa bouche arrondie en un O surpris. Pohm ne vit pas tout de suite le cavalier. Normal, il semblait se cacher derrière sa monture, arme au poing. Pohm se maudit alors de n'avoir pris avec elle son arc. Dommage pourtant il se trouvait dans son étui de cuir, des-encordé et proprement rangé. Même si elle visait mal, peut être aurait-elle put intimider un peu. Jamais elle n'aurait pensé devoir braquer une flèche sans point de fer, sur un humain. Et pourtant elle regrettait cette faute, elle n'avait pas pensé a sa sécurité. Parfois, Pohm avait plus de mal a penser a sa survie en "groupe" que seule dans la montagne. Elle rampa sur les fesses un autre pas, et se redressa tant bien que mal, gardant les genoux un peu fléchit, comme le font les héros dans les histoires que son P'pa lui racontait parfois. 

Son idée de base c’était d'aller chercher Grayle, avant que ce dernier se casse une patte. D'ailleurs celui ci s’était remis a gronder et Pohm sentait qu'il était prêt a bondir sur l'inconnu, peut être pour le mordre. Pohm du saisir a nouveau l'animal par la peau du cou, a pleine moufles. Il serait stupide de déclencher une bagarre. Mais la méfiance l'emportait sur tout. Ses lèvres, collées entre elles d'avoir peu parlé depuis le point du jour remuèrent : "Que voulez vous?" Sa voix était rauque, comme le cri d'un mobelin. Toute la scène semblait durer depuis des heures, et pourtant seuls quelques minutes s’étaient coulées depuis que le chien avait couru vers l'inconnu. 



(* : gros aux yeux de Pohm)
** : j'espère que l'attitude du chien est cohérente, hésite pas a me dire s'il y a des soucis. N'ayant pas de chien et ayant une frousse bleue de ces bêtes je ne saurais dire si j'ai juste ou pas.


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Petite noisette

Inventaire

La jument eu un sursaut, mais ne broncha pas plus que de raison. Sans un regard, ni même un mot, l'Hylien retrouva naturellement son encolure, qu'il épousa de la paume droite. Dans la gauche pesait toujours l'acier et la corne qu'il avait tiré un moment plus tôt. « Tout doux », souffla-t-il doucement après un court instant, d'une voix lissée par la neige et les hauteurs les plus froides du monde. Au dessus d'eux, il n'y avait plus rien, sinon un ciel bleu, troué de nuages aussi lents que gras, cotonneux. L'air lui même commençait à se faire rare. Pourtant, les hurlements guerriers de l'animal résonnaient encore, prisonniers des dents de pierre qui ceinturaient le plateau. La bête était encore loin, mais elle approchait. 

Sans-Nom passa devant sa compagne de route, un regard mauvais gravé sur le visage, comme un inaltérable masque de méfiance. De ses lèvres gercées et de son nez rougi, camouflés derrière une lamelle de tissu, s’échappait un souffle encore trop chaud pour l’Hébra, empreint de buée. Il fronça les sourcils, portant son autre main au dessus de l'hiver qui givrait ses pupilles pour mieux voir le mâtin qui filait vers eux. Puis, peu à peu, un sentiment étrange s'empara de lui alors que gagnait en ampleur la silhouette qui s'approchait. Les Rito qui l’avaient redirigé vers les steppes immaculées n’avaient laissé de place au doute : c'était-là les terres du Dieu-Rouge et du Seigneur-Famine. Pas de qui que ce soit d'autre. Il n'aurait dû trouver âme qui vive par ici.

Sous les pelisses de ses moufles, ses phalanges blanchies encerclaient le bois de cerf de plus en plus durement. Les crampons de fer fixés à ses talons s'enfonçaient lentement dans la poudreuse et, comme bien souvent déjà depuis son départ de Cocorico, il regretta de n'avoir pas emmené d'arc. Il n'était pas mauvais tireur, mais il n'avait plus fait usage d'un tel outil depuis des mois désormais. Pas depuis ce jour-là, où tant s'était joué. Les cendres de son arme, marquées du sortilège de Zelda, avaient été balayés par le vent une fois l'enchantement levé. Pourtant, le chien avançait en droite ligne. Il n'aurait sans doute pas été difficile de stopper sa course d'un trait.

Derrière lui, une deuxième ombre brisa l'horizon. « Tu vois ce que je vois ? », demanda-t-il presque mécaniquement à sa camarade, dont il récupéra la bride. Le problème devenait potentiellement plus sérieux. « Allez », fit-il encore, avant de claquer sa langue contre son palais. Le bruit, usuellement sec, lui semblait étranglé par l'étoffe qui dissimulait son visage mutilé mais son amie ne sembla pas s'en offusquer.

Sans se défaire de l’alliage qui lestait son poing, ils s'avancèrent à nouveau. Le pas était lent, alourdi par le manteau d'hermine que revêtait l'Ancien Hyrule, mais décidé. Les autres, ces inconnus dont il ignorait tout, allaient plus vite. A l'évidence, il n'étaient pas plus armés que lui. Mais l'épaisse chasuble qu'il supposait grever son ou sa vis-à-vis aurait aisément pu servir à cacher un coutelas, une dague ou même une petite hache. Il leur faudrait rester vigilant.

Après un instant, le rattrapant enfin, la femme – il lui semblait que c'en était une – finit par se jeter sur son compagnon. Elle le retint tant bien  que mal, de ses bras engoncées dans plus de couches de peau qu’il n’aurait su en compter, et ne semblait pas hostile. En vérité, il n’était pas sûr qu’elle ait seulement compris de quoi il était question. Mais d’autres avant elle avaient déjà essayé de le duper ainsi. Son cerbère, lui, grognait avec la hargne des derniers instants. Derrière ses babines striées par la vie au grand-air se dessinait une rangée de crocs jaunis et menaçant. D’un geste discret, l’Étranger rassura son animal. Il savait combien ces situations pouvaient la tendre. 

Le temps sembla se figer, un instant, comme gelé par les doigts froids qui modelaient le royaume des Dieux. Jusqu’à ce qu’elle lève finalement les yeux et ne découvre le spectacle qui se donnait juste sous ses yeux. 

Il la vit tomber à la renverse, lâchant du même fait le chien qu’elle retenait. Prise de panique, sans doute, Epona rua soudainement. « Hé la ! », souffla-t-il, tirant sur le cuir, la voix trop faible pour couvrir le concert des hennissements et des aboiements. Il n’eut cependant pas l’occasion de proposer son aide à l’inconnue : le temps qu’il ne calme la jument, elle s’était déjà relevée. Et elle de lui adresser une unique question — celle-là même à laquelle il était incapable de répondre. 

Que voulait-il, au juste ? Depuis des semaines, sinon des mois, il courrait après des chimères, s’accrochait à des illusions. Il savait pourquoi il était parti – et pourtant, il aurait eu bien du mal à poser des mots sur ses raisons – mais il était incapable de dire ce qu’il espérait de ce voyage. Son pèlerinage n’avait pas de réelle destination et ne pouvait, de toute évidence, n’avoir qu’une fin. Il n’était pas même sûr de vouloir conjurer le sort, faire mentir le destin. 

"Je ne veux rien", lança-t-il simplement, spontané, après quelques secondes, espérant qu'elle le comprendrait. Elle avait l'accent rauque, mais son parlé ressemblait à celui des Rito et en prêtant attention, il lui était possible de saisir ce qu'elle disait. Ses yeux, demeurés sur l'horizon, revinrent sur elle. « Désolé si je t'ai fait peur », ajouta-t-il ensuite, non sans ramener le métal contre son flanc. Sa paume ne quitta pas, cependant, la ramure qui lui servait de fusée. « Viens », asséna-t-il sobrement à l'adresse de la jument, tirant un petit coup sur les rênes pour qu'elle se remette en marche.

Tous deux dépassèrent bientôt la maître-chien et son protecteur. Ce n'est qu'après quelques pieds que Sans-Visage s'arrêta une seconde fois. Sa nuque brûlait du regard de l'Autre, de son mépris sans doute autant que de son exaspération. Levant les yeux au ciel tandis que mourraient les flocons, il tourna légèrement les talons. « Les Rito que j'ai rencontré m'ont assuré que personne ne vivait si loin au nord », commença-t-il, forçant la voix pour qu'elle puisse l'entendre malgré la distance qu'il avait tenu à marquer entre eux. « Tu ne m'as pas l'air perdue », acheva-t-il, sans réellement préciser sa pensée. Il n'aurait été capable de mieux, en l'état présent.


Pohm


Inventaire

Le froid lui mordait les joues. De la neige décorait ses vêtements ça et la, surtout au niveau de ses genoux et des fesses. 
Pohm craignait que son chien ne saute sur l’étranger. elle avait beau n'avoir que peu d’expérience sociale (surtout depuis qu'elle vivait seule) il y avait quelque chose chez lui qui l'incitait a la prudence. C'était comme une crampe dans ses entrailles, une voix dans sa tête qui hurlait "Problème! Problème!"

Quelques mots furent prononcés. Elle ne répondit pas tout de suite, elle n'en eu pas le temps. Il avait déjà repris sa route. Mais il lui venait de lui assurer qu'il ne serait pas source d'ennuis. Pohm avait vaguement compris le mot "rien" ... mais elle en était pas sure, il avait un drôle d'accent.

Elle resta pendant quelques secondes les bras ballants, a regarder cet homme s’éloigner. Puis ... est ce la voix du destin qui murmura a cet instant la? Le souffle du bouleversement? Ou juste la main malicieuse d'une divinité depuis longtemps oubliée? Pohm ne le saura jamais. Pourtant l'inconnu sembla hésiter un instant, et se mis a parler, fort, pour qu'elle puisse l'entendre malgré le chuchotis de la montagne et la distance qui les séparait maintenant. " Les Rito que j'ai rencontré m'ont assuré que personne ne vivait si loin au nord ...Tu ne m'as pas l'air perdue." Il semblait y avoir une question dans la remarque de l'homme. Et si la jeune femme trouvait son parler exotique, elle devait vraiment faire un effort pour tout comprendre. Rito ... d'accord ... perdue? Pohm haussa un sourcil que Link ne pouvait probablement pas voir de la ou il était et désigna la bute d'où elle venait. "J'habite ici." Elle avait mimé un toit avec ses mains en même temps qu'elle parlait. Pohm était prise d'inspiration, peut être induite par la lassitude d’être toujours toute seule. "Tu a l'air fatigué. J'ai de la soupe au déjeuner." Ça ressemblait a une invitation ambiguë comme celle qui avait tant fait jaser dans son enfance. Pohm s'en souvenait pas et s'en foutait. Mais un homme tout en muscles avait ainsi passé la nuit avec la sorcière du coin, grâce a son bon feu. Tous deux avaient disparut a l'aube et fin de l'histoire *. 

Grayle grondait encore et le claquement de la langue de Pohm ne l’apaisa pas tout a fait. Pourtant il revint contre la cuisse de sa maîtresse et leva ses yeux sombres sur elle, sans qu'elle ai a le rappeler encore une fois.
Pohm était ravie en son fort intérieur que l'animal soit si obéissant. Elle souvenait aussi qu'a son arrivée Grayle était plutôt agressif et sauvage. C’était la poigne de fer de son père qui avait permis de dompter et assagir le chien. Mais la chance avait une part aussi. 
La jeune femme entama a son tour un demi tour. L'invitation etait lancée, elle n'allait pas insister si le voyageur continuait son chemin.
Pohm fit un ou deux pas, puis ce fut elle qui tourna lentement sur les talons. Elle aussi haussa légèrement la voix. "J'ai aussi un peu de foin ... pour ton ami." Ayant une peur bleue des chevaux, elle ne savait pas si la dénomination "ami" pouvait s'appliquer a eux.

Un enième sifflement, et Pohm signifia a son animal de retourner vers leur domicile. S'adressant une dernière fois a l'etranger "Il suffit juste de passer la bute", elle entama la montée qui allait s’avérer un peu pénible. Avec de la neige jusqu'aux genoux, il lui faudrait quelques minutes pour retourner a sa propre trace, et la suivre pour remonter. Grayle renifla lui aussi une dernière fois en direction de la jument de son cavalier, puis s'en désintéressa une bonne fois pour toute. S'ils venaient a leur emboîter le pas, il serait bien assez tôt pour lui intimer d'être sage. Mais le chien semblait être moins curieux par la jument ... imposante ... que par la sente d'un lapin qui etait soudainement apparue sous sa truffe. Nez au sol, il s’éloigna de son coté, laissant Pohm souffler et suer pour remonter la colline.
Tout en marchant, la jeune femme se demandait si l'inconnu allait la suivre, ou continuer sa route solitaire. S'il venait, elle aurait tout le temps de s'en rendre compte, dans quelques pas, en se retournant. Et il serait alors nécessaire de l'avertir. Pohm, meme si piètre chasseuse au lapin, avait creusé plusieurs trous dans les alentours. 
S'il n'y faisait pas attention, c’était un coup a se tordre la cheville ... 


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Petite noisette

Inventaire

Soulevés par la bourrasque, ils tremblaient d'une excitation nouvelle et s'élancèrent dans un ballet aussi fébrile qu'éphémère. Devant le givre de ses yeux, les flocons s'élevèrent une fois de plus avant de l'enjamber et, sans doute, regagner la poudre d'ivoire qui habillait les steppes, accrochait les montagnes, lestait les quelques rares forêts des environs. Lui sentait le froid lui mordre la gorge, brûler doucement ses poumons. Il profitait, mesquin, de son immobilisme et s'insinuait sous son paletot — engourdissait ses doigts et grevait sa nuque. Pour l'heure, il lui était encore possible de lutter. Mais bientôt, il le savait pertinemment, la main du Seigneur-Frimas se refermait avec violence sur son échine. Les lèvres toujours asséchées, il ne dit rien. Du tissu qui couvrait le bas de sa gueule s'échappait une fumée discrète, presque aussitôt balayée par la main des dieux qui régissaient les lieux. Son regard glissa, doucement, vers la jument. Elle aussi semblait frigorifiée. Gentiment, il vint flatter son encolure, comme pour lui rappeler qu’il était là avec elle. Après tout, c’était lui qui lui avait imposé tout cela. 

Face au silence de la jeune femme, il se décida finalement à reprendre sa route. A l’évidence, elle connaissait la toundra mieux que lui : ses pelisses avaient été globalement épargnées, elles n’étaient pas si griffées de neige qu’elles n’auraient dû l’être. A tout le moins, elle avait un abri, il ne l’abandonnait pas à un enfer polaire dont elle ignorait tout. Lui avait de toute façon trop à faire – et trop peu de temps – pour s’y intéresser davantage. Il leur fallait bouger, avant que le froid ne s’installe. 

C’est alors qu’il tournait les talons qu’elle le retint d’une phrase. 

L’Hylien, qui s'apprêtait déjà à braver l’albe des plaines, s’arrêta à nouveau. Il n’avait pas compris ce que la jeune femme avait souhaité dire. Son accent rauque et sa voix fatiguée par les Hauteurs d’Hebra la rendait parfois inaudible. Plus encore quand près de dix pieds les séparaient l’un de l’autre. Pourtant, l’Inconnue insistait : plutôt que de s’exprimer avec sa seule langue, elle parlait aussi avec ses mains. D’un geste ample, elle fit de l’air verglacé son canevas. Rapidement, ses propos se firent plus clairs. Tandis qu’il creusait la poudreuse du bout du crampon, elle rejoignait ses bras au dessus de sa tête, comme pour signifier qu’elle avait ici un toit. Du reste, l'Etranger n’était pas sûr de comprendre où elle souhaitait en venir, mais suivant l’ambre de ses yeux, il eût le sentiment que ce n’était pas loin. Sans doute n’était elle dehors que depuis peu quand lui n’aurait su dire combien de temps il avait marché, dorénavant. Le temps ne s’écoulait pas de la même façon, tout au bout du Monde. 

Puis, criant plus fort qu’il ne l’avait fait par le passé pour couvrir les jappements du chien autant que les sifflements du vent, elle lui raconta autre chose qu’il ne sût décoder. Sa voix était dure, âpre — comme pouvaient l’être les mains d’un vieux fermier, usé par le labeur. Un suaire de défiance jeté sur le visage, Sans-Nom fronça les sourcils : il n’aurait su dire s’il s’agissait là d’une menace ou d’une invitation. D’un énième claquement de langue, elle calma les grognements de son mâtin, avant qu’il ne se lance après une autre piste. Puis, tout en lourdeur et en raideur, les petons chargés d’une nacre poreuse, elle avança vers eux. Jusqu’à les dépasser, non sans grommeler quelques mots, quand elle fut à leur hauteur. Leurs regards se croisèrent, un temps, avant que le sien n’épouse sa compagne de la croupe aux sabots et dans la résine de ses lucarnes, il ne voyait que de la peur.

Il ne savait ce qui l’effrayait tant. Mais cela avait quelque chose d’inquiétant. 

Pourtant, après un bref instant, l’Hylien se décida à lui emboîter le pas. Les fourrures de ses moufles avaient quitté le bois de son scramasaxe. « Allons-y », fit-il simplement à l’attention de son amie, la parole brisée par le givre. D’un bref coup sur la bride, il renouvela son invitation avant de partir à la suite de l’Inconnue. Moins pour lui que pour elle, c’était certain, mais peut-être les dieux cesseraient-ils bientôt de se rire de lui. Après de longues minutes, ils finirent par grimper un versant plus large qu'il n'y semblait. L'éternel hiver qui régnait sur les Plateaux lissait tout. Le souffle court et les phalanges guindées par l'effort, il marqua une brève pause. Le temps d'observer l'étrange spectacle qui se dessinait en contrebas. Face au froid conquérant se dressaient les ruines d'un village, depuis longtemps charbonné, au bois couvert d'engelures. Certaines bicoques décavées ployaient sous l'hermine qui, chaque jour, mangeait un peu plus de terrain. Une unique bâtisse, cerclée de chas, semblait encore habitée. Elle jouxtait l'un des bras de la Montagne qu'ils avaient longé, un temps, avec Epona.

Sans un mot, l'Inconnue se retourna. Elle lançait sur eux un regard ocre — presque safrané.

"On ne restera pas longtemps", souffla-t-il seulement, en délestant son amie de ses paquetages, après l'avoir accompagnée jusqu'à la petite étable où résidait déjà un imposant bovin, incomparable à tout ce qu'il avait vu jusqu'à présent. Ses yeux glissèrent, méfiants, sur les cornes de l'animal mais il ne semblait pas plus agressif que sa maîtresse, qui avait déjà regagné sa demeure. Il l'avait vue disparaître dans l'embrasure de la porte, happée par l'obscurité. « Il y a du foin et, ici, tu devrais avoir moins froid », reprit-il ensuite, non sans bouchonner sa camarade à l'aide d'un poing de paille. La jument n'avait pas été tondue depuis qu'ils s'étaient rencontrés, mais elle n'avait pas non plus le poil long et dru que pouvaient arborer certains équidés du grand nord. Aussi, une fois sèche, l'habilla-t-il de la même couverture qui lui avait servi à monter bivouac la veille. « Chose promise, chose due... », ajouta-t-il alors, tirant une pomme de l'un de ses sacs. Dans les yeux de l'haquenée, Gueule-Cassée aurait presque pu distinguer une fièvre fougueuse, impatiente et excitée. Elle lui tira un demi-sourire, masqué par l’étoffe qui cachait jusqu'à son nez.

Sous la pulpe de ses doigts, à travers ses gants, le bois semblait rêche, empesé par le flegme glacial des Cimes du Monde. Il s'arrêta là, un instant, devant la lourde porte qu'il hésitait à pousser. Il ignorait tout de ce qu'il allait trouver derrière. Peut-être se jetait-il dans la gueule du loup ? Fils-de-Personne n'aurait su expliquer clairement pourquoi il avait suivi cette femme dont il ne savait rien — qu'il comprenait à peine. Certes, il y a quelques instants ses raisons lui semblaient claires, mais c'était là un fait : il était dorénavant bien en mal de les résumer. S'il avait fallu le faire, les mots lui auraient manqué. Comme souvent, en vérité.

Après un long soupir, tandis que la borée s'ingéniait à cracher sur lui son souffle de glace, il finit par appuyer sur le battant de pin.

Le logis était sombre et il eut besoin d'un instant avant d'en discerner toute la réalité. Il n'y avait là qu'une pièce, aussi ronde qu'austère. Quelques meubles ascètes avaient été installés çà et là tandis qu'au centre rougeoyaient les braises du foyer que son hôte cherchait à rallumer. Quelques bougies de cire projetaient une lumière de bronze, tamisée, sur le gîte, encore engoncé dans les ténèbres de la nuit. D'épaisses écharpes d'une fumée désormais mourante s'échappaient par un trou creusé dans le lambris, à l'évidence grillagé d'un bois cendré. Parfois, un mince filet d'argent parvenait à se faufiler entre ses mailles, éclairant le visage de la montagnarde. Elle avait encore les joues et le nez rougis par le froid.

"Merci", lança-t-il avec toute la sobriété qui pouvait le caractériser. Le vent soufflait encore au dehors et avait charrié un peu de neige à l'intérieur, quand il était entré. D'un rapide coup d’œil, il repéra l'arc et le carquois abandonnés prêt du lit, assez sommaire. Un édredon de laine recouvrait un matelas végétal, sans doute couvert de cendre pour éloigner les parasites. Plus loin, une jatte servait sûrement au bain. Il retira ses gants pour pouvoir souffler sur ses mains, sans jamais perdre sa vis-à-vis de vue. « Tu chasses ? », s'enquit-il simplement, tentant de réchauffer ses doigts devenus cassants. Du menton, il désigna l'arme qui reposait à quelques pas. La question était moins anodine qu'elle n'en avait l'air. Elle n'aurait sans doute pas le temps de l'atteindre avant qu'il ne soit sur elle.

Après un bref instant, le feu reprit, jetant sur la maison une leur fauve. Au mur, qu'habillaient roche et bois, leurs ombres paraissaient celles de deux animaux en cage, tournant l'un autour de l'autre.

Sans un mot, tandis que s'éternisait un silence gênant, l'Imposteur enfila de nouveaux ses moufles. Puis, conscient que son geste pourrait être inquiétant autant que sa présence pouvait angoisser, il ramena lentement ses mains à la lanière de cuir qui maintenait l'acier à son ceinturon et détacha son saex. Soulevant l'arme au dessus de sa tête, toujours lentement et s'assurant que l'Inconnue comprenait bien ce qu'il faisait, il la déposa au sol, près d'une vieille marmite et de quelques écuelles sculptées dans l'argile. Son geste avait de quoi paraître fou, mais il était fatigué de sans cesse se battre. Voila des mois, déjà, qu'il avait mis un terme au seul combat qu'il lui fallait mener. Le reste n'avait plus grande importance.

"Nous ne serons pas long", grommela-t-il ensuite, les mains encore levée pour montrer qu'il ne représentait pas de danger. Sans réellement le savoir, il s'imaginait bien combien sa seule présence pouvait être intrusive, ou alarmante. Lui même n'était pas aussi à l'aise que l'impavidité de ses traits, toujours recouverts de tissu, pouvaient le laisser penser.


Pohm


Inventaire

Le vent soufflait inlassablement, faisant danser les flocons et les congères. Le gel mordait aussi, bien fort depuis ce matin. Et Pohm pensait connaître suffisamment la Montagne pour reconnaître ses caprices. Elle pensait deviner que la Géante endormie préparait un froid de plus en plus dangereux pour les heures a venir. Du coup la jeune femme était plutôt contente d'avoir invité l’étranger dans sa cahute. Au moins elle ne le trouverait pas tout raide d'ici un ou deux jours en allant tirer sur des lapins. C’était quelque chose qu'elle aimait pas. Trouver les animaux gelés. C’était terrorisant. Alors un homme …. Elle en frissonnait d'avance.
Et puis avec un peu de chance Link pourrait quitter l’abri a l'aube comme il semblait le souhaiter. Et sinon la brunette avait assez a manger pour deux pour quelques jours. Après ça serait problématique mais elle trouvera une astuce.

La jeune femme passait a peine la porte que le vent fit grincer sa petite maison. L'oreille aux aguets, cherchant les faiblesses de la battisse, Pohm écouta les murmures du bois et de la pierre, si concentrée qu'elle sursauta quand le blond la rejoignit et lui parla. Alors qu'il promettait de partir au plus tôt, Pohm se dirigea d'un pas vif vers un panier. Elle en tira deux grosses couvertures qui sentaient le foin et en tendit une au vagabond. En réponse a la question sur l'arc elle haussa les épaules et rougit un peu de honte. « Je rate tout le temps ... » Ce qui est plutôt vrais. Il n'y aura que de la soupe et du fromage sur du pain sec au menu. « Viens, il va faire très froid aujourd'hui. » Puis en remontant la couverture dans ses bras, elle s'en alla vers la porte. « Il faut protéger les bêtes, sinon ... » Pohm ne fini pas sa phrase, mais leva ses yeux d'ambre vers ceux d'azurs de l’étranger. Il n'y avait pas besoin d'en dire plus, les prunelles un peu plus sombre de la fermière en disaient assez long. Et sa peur panique des chevaux interdisait a Pohm de trop approcher Epona. De plus la jument serait probablement pas en confiance. Valait donc mieux faire contribuer son maître.



La yack était paisible dans son box. Pohm savait que l'animal avait l'habitude du climat et malgré tout couvrit le dos de l'animal du mieux qu'elle pouvait. Son épais pelage la protégeait probablement mieux que la laine tissée mais la jeune femme préférait faire un peu de zèle. Mine de rien l'imposante créature était son gagne pain. Sans Yack, Pohm n'avait plus rien. Secouant la tête pour chasser les mauvaises pensées, Pohm saisit a bras le corps plusieurs portions de foin qu'elle disposa dans l'auge a disposition des animaux. Tout en gardant une distance respectueuse avec la nouvelle venue qu'elle ne pouvait s’empêcher de regarder avec curiosité.
Et surtout son maître. C’était étrange pour la jeune femme de se trouver en compagnie d'un autre humain. Elle essaya de se souvenir de quand datait la dernière fois que cela s’était produit. Quand le P'pa était parti. Quand Pohm ne savait pas faire obéir Grayle. Elle jeta un œil au chien, assit sagement, la langue pendante dans une parodie de sourire. Cela faisait aussi longtemps ?

Une fois la tache terminée Pohm se dirigea a nouveau vers sa maison. Elle essayait d’être attentive a son invité mais ne savait pas trop comment faire. Et plutôt taiseuse de nature, elle ne savait pas trop comment tenir une conversation, choisissant souvent le silence quand il n'y avait rien a dire. Dans la petite demeure, l'air devenait a son tour plus froid. Pohm avait oublié de remettre du bois dans le feu et se dernier se mourrait. Pestant entre ses dents, contre son étourderie et cette lutte permanente avec les éléments, la jeune femme rua, bousculant presque Link quand il se trouvait sur son chemin. Habituée a vivre et lutter seule, elle ne pensait pas un instant a le solliciter pour redonner un semblant de confort a son nid. A mesure que la brunette s'agitait, des mèches s'échappaient de sa coiffure, pour encadrer son visage. Et elle les écartait d'un geste de plus en plus brusque, de plus en plus impatiente et en colère contre elle même.

Jusqu'a ce que la flambée soit a nouveau joyeuse et vive. Alors seulement a ce moment, Pohm retrouva son sourire. Toujours en mouvement elle alla chercher un gros gilet en laine et le tendit au vagabond. En même temps elle posa sa main gauche sur son cœur et articula doucement « P o h m » et repris une seconde plus tard pour être sure qu'il l'ai comprise : « Moi, c'est Pohm. » Puis elle l’enjoignit en quelques gestes a passer le gilet du P'pa. « Couvre toi, y peut vite faire froid par ici. Au fait, t'as faim?  » C’était drôle. Mais plus Pohm s'entendait parler, plus elle avait l'impression que sa voix changeait et devenait un peu plus claire. Puis elle se saisit d'un pot qu'elle allait remplir de neige dehors. Pour la faire bouillir et chauffer. Juste avant de passer la porte elle attrapa une petite boite et lorgna dedans. Hmmm plus assez de tisane de M'ma pour eux deux. Tant pis, seulement pour l'invité alors.
Une fois son broc remplit elle alla le poser tout prêt de l’âtre.


Link

Petite noisette

Inventaire

Sur les murs fragiles de la bicoque, l'âtre jetait une lumière orangée et moribonde. Le feu brillait et crépitait doucement, comme celui d'un ancien fanal en fin de vie, peinant à chauffer toute la pièce. En poussant le battant de bois chapeauté d'un auvent et qui servait d'avant-corps, ils avaient tous deux fait entrer le souffle glacé du Seigneur-Frimas ; dont les flocons tapissaient d'ailleurs l'entrée. Il n'avait eu besoin que d'un instant pour saisir puis voler, de ses malingres doigts froids, tout ou presque de la vigueur du logis. Les braises du foyer, semblait-il, chantaient alors leur dernier récital. Une complainte angoissante, sans doute, mais qui retint moins son attention que ne le faisait déjà son hôte.

L'Hylien venait de se défaire de son scramasaxe, quand la jeune femme fut prise d'un brusque haut-le-corps. Il ignorait s'il l'avait surprise où s'il lui avait fait peur en allant ainsi chercher sa lame ; aussi garda-t-il une main en l'air, bien en évidence, tandis que l'autre venait abaisser le masque de tissu qui cachait sa gueule depuis des heures déjà. « Pas d'inquiétudes », grimaça-t-il tant bien que mal, d'une voix aussi calme que possible. Ses lèvres, transies par le froid, étaient sèches et gercées. « Je ne te ferais pas de mal », lança-t-il ensuite, les yeux plongés dans ceux de l'ermite, qui ne tarda guère à lui tourner le dos. Le silence retomba sur la bicoque aussi vite qu'il n'était initialement parti. Dehors, le vent se faisait plus fort, giflant les murs de la demeure avec une force telle que l'impact résonnait dans toute la cahute.

Suivant distraitement son hôte du regard, l'Imposteur s'accorda un second coup d'œil, sur le gourbi, sans trop savoir après quoi il cherchait. Des mois passés à arpenter les Landes et à ne jamais dormir que d'une oreille l'avaient rendu méfiant — "prévoyant", auraient corrigé certains. « Tu vis seule ? », s'enquit-il seulement quand revint l'inconnue, les bras chargés de deux édredons. D'un mot, et surtout d'un geste, elle l'invita à sortir ; arrachant l'appentis à son mutisme. Sans réellement prendre le temps de s'expliquer, elle passa la porte et le laissa seul à l'intérieur. Le givre de ses yeux glissa une dernière fois sur le feu qui mourait, étouffé d'effroi, mais il ne dit rien. Elle vivait ici depuis des années et en savait plus sur les Hauts-Plateaux d'Hebra qu'il n'en serait jamais capable. Décidant de lui faire confiance, il abandonna à son tour la masure pour l'algide de l'Hiver et l'albe de ses champs.

La capuche jetée sur le visage et la couverture balancée sur l'épaule, Sans-Nom rejoint rapidement l'inconnue qui avait gagné la petite étable. Elle s'occupait de l'étrange animal qu'il avait rencontré en couvrant la jument, avant d'entrer. La bête avait le poil épais, dru, et semblait taillée pour la vie sur les sommets. Voyant la fermière - il n'avait pas manqué de repérer quelques unes de ses cultures - la draper de laine, il fit de même pour Epona. Le cheval était déjà emmitouflé, mais il préférait être prudent lui aussi. « Tout va bien ? », demanda-t-il à son amie d'une voix douce, tandis que sa paume venait tendrement épouser son front, flatter ses ganaches. « Tu va voir, tout ira pour le mieux », reprit-il ensuite. Il la devinait effrayée ; elle l'était depuis qu'ils avaient atteint les Sommets du Monde et rien, jusqu'à présent, n'avait vraiment su la rassurer. Derrière lui, sa vis-à-vis remplissait l'auge d'un foin sec, cassant, comme l'était tout le reste ici. « Je ne serais pas très long, mais dans l'immédiat il vaut mieux que nous fassions escale. Sois sage, d'accord ? », ajouta encore le cavalier, dont la pulpe des doigts caressait un peu inconsciemment le chanfrein de l'haquenée.

Son hennissement lui tira un demi-sourire discret.

"A plus tard", souffla-t-il seulement, tandis que l'Hylienne faisait marche arrière, en direction de la demeure. Il lança un dernier regard derrière lui, cherchant des yeux les ruines du village qui, jadis, devait se tenir ici. L'un de ceux que l'Autre n'avait pas su sauver. Et pourtant, le monde qui résultait de son échec lui appartenait sans doute plus qu'il n'était le sien. Un suaire de chair jeté sur le gel de ses pupilles effaça rapidement les images de son horizon. Cela ne suffit pas à l'apaiser. « Sois patiente. Je reviendrais te donner des pommes », dit-il enfin à sa camarade, avant de la laisser à la seule compagnie du bovin. Le chien qui accompagnait la survivante depuis le début de la journée avait choisi de le suivre jusqu'à l'intérieur.

Voûtée sur les cendres encore tièdes, la bordière travaillait tant bien que mal à raviver l'âtre, quand il passa la porte pour la troisième fois. Elle n'avait pas demandé son aide ; aussi se contenta-t-il d'observer ses efforts : lui même préférait souvent procéder seul. En outre, les lieux étaient trop exigus pour qu'il puisse l'épauler sans mutuellement se gêner. De toute façon elle savait y faire, puisqu'après un bref instant de longues langues ocre recommençaient à lécher le fer noir du bouillon suspendu au dessus du brasier. Quand elle se tourna vers lui, le faciès fendu d'un large sourire, il avait trouvé appui contre le mur adjacent à l'entrée. Ses bras, croisés, reposaient sur sa poitrine.

Le visage encadré par d'épaisses mèches dont le brun tirait sur le roux, l'étrangère finit par se présenter. Sa voix était moins rauque qu'elle n'avait pu l'être dehors, mais il eu tout de même un peu de mal à la comprendre. C'est la main qu'elle plaça sur son sein qui l'aida plus que ses efforts d'articulation. Ainsi, elle s'appelait Pohm. Et elle lui offrait un étrange gilet de laine, qu'il aurait eu bien du mal à passer par dessus l'épaisse tenue de fourrure qui grevait déjà son échine. Il ne la refusa pas pour autant. « Merci », dit-il seulement, en acceptant le présent temporaire qui lui était fait. Il n'était de toute façon pas sûr qu'elle saisisse ce qu'il pouvait répondre davantage que lui ne devinait ce qu'elle affirmait.

La suite de ces questions lui passait d'ailleurs au dessus de la tête : la jeune femme parlait vite — trop pour lui. Aussi préféra-t-il garder le silence, tandis qu'elle sortait une fois encore. Avisant une buche dont la hauteur avait été assez raccourcie pour en faire un siège, il s'assit près du feu, le vêtement offert toujours dans les mains. Les flammes chatoyaient désormais d'une lueur fauve, quoiqu'affable, projetant sur les murs de singuliers jeux d'ombres, qui accrochaient son regard. Mais il ne se retourna pas, de crainte de voir une autre silhouette se pencher sur la sienne.

Bientôt, Pohm revint un broc chargé de neige, qu'elle mit à bouillir. « Une tempête se prépare ? », demanda-t-il alors, désignant l'extérieur du rapide geste du menton, dans l'espoir qu'elle le comprenne. Il espérait ne pas rester trop longtemps ici. Mais pour aller où ? Depuis sa dernière rencontre avec les gens du peuple Rémige ; il n'avait fait qu'errer inlassablement le long de plaines fantômes, au manteau plus blanc que les os, qu'il hantait comme un spectre. Sans-Visage s'était préparé à cet ultime voyage. Tout, depuis l'heure où sa voix l'avait tiré au sommeil de la résurrection, l'avait mené jusqu'ici. Aujourd'hui, il savait qu'il ne pouvait éviter l'inéluctable. Il n'entendait, cependant, pas le délayer ou l'accélérer. Après un bref instant de doute ; il décida de jouer cartes sur table. C'était là le cours naturel des choses. Sans quoi il n'aurait sans doute jamais fait bivouac chez l'étrangère.

"Merci de ton hospitalité", commença-t-il sobrement, tandis qu'il ôtait ses moufles pour mieux dénouer la ceinture et les lacets qui maintenaient son caban fermé. « J'ai un dernier service à te demander », ajouta alors l'Hylien dont le torse n'était désormais couvert que de la tunique Sheikah avec laquelle il avait quitté Cocorico. Le givre de ses yeux avait trouvé l'ambre de ceux de la jeune femme.

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