Tous ceux qui errent ne sont pas perdus

L'heure du départ a sonné. Arkaï, Zelda et Haya se retrouvent à la sortie du village pour se mettre en route pour Elimith, la première étape d'un voyage qui s'annonce déjà bien long alors que l'Hiver s'apprête à s'emparer de la Lande Hylienne. Leur chemin les mènera jusqu'à un lieu oublié de tous et chargé d'un passé vieux d'une centaine d'années : ce que la plupart nomme le Cimetière des Gardiens. Là, la Princesse sera submergée par d'affreux souvenirs ; le temps pour le groupe de faire une pause, et Zelda d'en révéler davantage sur elle et sur le Héros à ses deux compagnons.

Milieu de l'automne - 3 mois 1 semaine après (voir la timeline)

Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

« Eh bien ? Que t'arrive-t-il ? »

La main de Shingen relâcha son étreinte sur les cordes de son instrument tandis qu'il se penchait en avant pour mieux tenter de cerner la source de cette note si outrageusement fausse qu'elle ne pouvait être due à une erreur. Arkaï, également, avait cessé de jouer, son souffle resté comme coincé à mi chemin, trop lourd pour remonter sa gorge. Leur silence dura, avec d'autant plus d'intensité qu'il tranchait avec la mélodie envolée qu'ils créaient un instant auparavant. L'élève reposa alors sa flute sur ses genoux et répondit, l'air absent, mais la voix affectée,

« Ce pourrait être notre dernière composition ensemble. J'ai voulu... tenter quelque chose de neuf. »

Le maître pouffa en souriant franchement. De fait, tous deux connaissaient fort bien le goût d'Arkaï pour les étrangetés musicales, dans lesquelles Shingen ne voyait lui que peu d'intérêt, trop occupé à perfectionner son propre style. Profitant de cette pause dans leur exercice pour se relâcher contre son arbre, le Sheikah pinça machinalement une corde ou deux, dans un rythme parfait, trop parfait pour son élève, qui sentait sa frustration grandir à chaque seconde. Finalement, il tendit la main vers celle de Shingen, qui la lui pris, à son grand soulagement. Le maître dut prendre le geste pour de l'affection puisqu'il ne s'en offusqua pas. Au contraire, le soupire qui suivit portait en lui toute la mélancolie de cette journée. Ce jour là, c'était celui du grand départ.

« Quel paradoxe. Tu es à la fois mon élève favori et celui que je ne pourrais jamais comprendre. »

Arkaï lui rendit son sourire. Il sentait bien que c'était précisément cette distance entre eux qui leur avait permis de se rapprocher. Shingen ne prenait auparavant jamais la peine de s'attacher à ses apprentis. Le monastère voyait des enfants en mal d'instruction passer chaque année, mais presque aucun ne recevait autant d'attention que lui. Bien sûr, dans son cas, les ordres d'Impa l'imposaient. Mais au delà, le garçon en gardait la conviction : Il laisserait sa marque entre ces murs ; Sa présence allait manquer à quelqu'un.

Cette pensée réconfortante le berça tandis qu'il se penchait vers son maître, qui l'enlaça d'un bras. Ressentait il de la tristesse ? Peut être. Mais en se laissant pénétrer de l'instant présent, Arkaï était d'avantage traversé par l'évidence de leur décision. Là, dans les premières lueurs de l'aube, au pied de l'arbre du maître, devant la vue du monde extérieur étalé paresseusement jusqu'à l'horizon devant lui, il ne doutait plus. Son départ était inévitable, comme les feuilles qui chutaient déjà du grand frêne, gardien du lieu. Il ne restait plus qu'à l'accepter... Plus facile à dire qu'à faire.

« Tu sais, je t'envie, Arkaï. Le monde extérieur peut être dangereux, rude, inamical... Mais il est tout autant vaste, beau, et empli de mystères qui n'attendent que toi. Je pense que... à ton âge, j'aurai tout donné pour prendre la route. » Une vie de sacrifice et de souffrance résonnait dans sa voix rauque. Le garçon ne répondit pas, et se contenta de serrer un peu plus fort sa main dans la sienne. Le geste fit sourire le vieil homme, qui reprit, moins sombre, « Ce qui est fait est fait. Ce qui compte à présent, c'est que je ne puisse plus te gêner. Ici, c'est chez moi. J'y mourrais sans doute, et mon arbre restera, pour veiller sur mon héritage. Si tu restais, tu ne serais jamais que mon élève. » Shingen se redressa, fier, immense, sublime, et proclama autant pour son élève que pour le monde devant eux, « Il te faut grandir. Grandir aussi haut que tu le pourras, aussi haut qu'une montagne si tel est ton destin ! Ne pas te contenter de rester une graine à mes côtés, mais planter ton propre arbre, à toi. Planter une forêt de toi-mêmes ! »

Il avait ouvert en grand les bras, décrochant sa main de l'emprise d'Arkaï, qui l'avait écouté religieusement, le coeur battant en furie dans sa poitrine. Des frissons courraient sur ses bras. Son regard embrassa cette vue devant lui ; ce monde qui l'avait tant malmené, et sur lequel il comptait bien prendre sa revanche. Pendant l'éternité d'un instant, il se sentit invincible. Prêt à enjamber les lieux, à défaire tous les dangers et à décrocher le soleil.



Lorsque l'astre fut levé, ils redescendirent lentement le chemin vers le monastère, en prenant tout leur temps, conscient qu'il s'agissait là de leur dernier moment commun, avant... Qui aurait pu le dire ? Tel père et fils, ils se remémorèrent leurs souvenirs, bons et moins bons,  les insignifiants comme ceux qui comptaient vraiment, même si Arkaï avait du mal à ne pas tous les englober dans cette dernière catégorie. Chaque pas du garçon lui parut peser plusieurs tonnes tandis qu'il arpentait une ultime fois ce sentier si commun, si familier. Chaque pas parcouru était un bout de quatre années irrémédiablement perdu, laissé en arrière. Plusieurs fois, il fut tenté de regarder derrière lui, mais une claque amicale de Shingen sur la nuque l'en dissuada.

« Ne regarde pas en arrière, jamais. Garde tes yeux sur la route. » lui intimait-t-il avec une sévérité peu crédible. Sans doute cet ordre lui était il aussi difficile à donner qu'il l'était à recevoir pour Arkaï.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la cour du monastère, le garçon ramassa son paquetage, le hissa sur son dos et joua des épaules pour le caler confortablement. Il partait sans bête de somme, encore une consigne de Shingen : « Marche sur cette terre avec tes deux pieds ». Avec sans doute derrière l'espoir que le jeune homme garde son humilité et sa lucidité. A trop monter sur un cheval, on en oublie sa vraie taille, tous les vieux contes en attestaient.

Alors que Arkaï allait se remettre en route vers la porte, il attarda son regard sur ce lieu qui avait changé sa vie. La cour de terre battue où il avait mangé la poussière plus souvent qu'à son tour. Le temple où il avait appris le respect aux dieux. Les quartiers où il avait appris à dormir sous un toit et entre des murs. Les cuisines où il avait éveillé ses sens. La demeure du maître où il en avait éveillé d'autres. Sa gorge se noua soudainement. Bien sûr, il avait pris le temps de faire ses adieux à ce lieu, mais là, il était comme au bord du gouffre, avant de déployer ses ailes et de s'envoler. Le vertige et ses sentiments allaient le faire vaciller lorsqu'il sentit subitement un contact avec son bagage, dans son dos. Le garçon se tordit le cou pour apercevoir Shingen ranger quelque chose dans une poche. Une fois fait, le Sheikah le poussa légèrement en avant, le forçant avec douceur à avancer vers le portail. Sur le chemin, il lui expliqua,

« J'ai pris la liberté de rédiger nos poèmes et nos mélodies sur un rouleau. Il est rangé au chaud. »

Ne pas regarder en arrière, hein ?

Submergé par l'émotion, Arkaï se jeta sur lui, l'étreignant de toutes ses forces et, pour la première fois depuis des années, en ne retenant pas ses larmes de couler. Toutes ses belles paroles, ses phrases élégantes, ses bons mots restèrent bloqués dans sa gorge. A la place, il en répéta, en boucle, un seul.

« Merci. Merci. Merci... »

Après un long moment qui n'appartient qu'à eux deux, le maître et l'élève se retrouvèrent devant la porte ouverte du monastère. La même porte que Arkaï avait obstinément refusé de franchir quatre ans auparavant, jusqu'à ce que Shingen ne lui dise qu'il était libre de ne pas le faire. Au moment de passer en dessous du portail, le Sheikah s'arrêta, laissant le garçon le dépasser d'un pas, et déclara,

« Je n'irais pas plus loin. »

La cruauté de son sort éclata alors dans toute son évidence pour Arkaï, qui eut presque envie de lui demander de l'accompagner. Mais ils en avaient déjà parlé, et l'élève savait que son maître, malgré sa souffrance, tenait à ce lieu et au village plus que tout. Il se retourna pour lui faire face et, prenant ses mains dans les siennes, s'inclina solennellement une dernière fois. Avec un sourire triste, il demanda,

« Vous reverrais-je ? »

« Tu es toujours le bienvenu ici. Mais si tu reviens, fais le en étranger, et non pour rentrer chez toi. Ton foyer, désormais, se trouve quelque part, par là. » Il désigna le monde extérieur, au delà de la porte. Son sourire était douloureux à voir pour Arkaï, en cet instant d'adieu, mais le garçon décida de le graver dans sa mémoire.

« Alors au revoir, maître. Vous pourrez être fier de moi. »

« Je le suis déjà, mais je n'en doute pas. Au revoir, Arkaï, guerrier du monastère. »

Leurs mains se séparèrent et, les yeux embués, se retourna pour faire face à son destin. Alors il pris une profonde inspiration et fit un pas. A cet instant, une brusque rafale de vent le cueillit dans le dos, et sur le coup de la surprise, fit un autre pas. Et ainsi, sans savoir réellement comment, le garçon prit la route.




C'était une journée magnifique, presque digne d'un été tardif, tant le soleil brûlait sous son manteau ardent les pentes d'émeraude des collines Sheikahs. Sans jeter un regard en arrière, Arkaï avait parcouru la distance vers le village à grande vitesse, porté par un pas léger et plein de la vigueur de la liberté retrouvée. Si ce jour marquait des adieux douloureux, c'était également celui de sa libération. Il s'efforçait de ne pas repenser aux paroles venimeuses d'Impa, et de ne repenser qu'aux bons moments passés ici. Sur son chemin, il croisa quelques membres de la tribu occupés aux rizières, et les salua avec enthousiasme, recevant quelques gestes timides en retour. Il savait bien que sa réputation était ambivalente, et que certains au conseil voulaient encore sa mort. Mais pour ce qui était des plus humbles du village, ou des enfants, sa présence semblait bien plus acceptée. Au fil des années, il avait vu les moins méfiants oser s'approcher de lui, lors de fêtes ou pendant les périodes de récoltes. Certes, les clans ne le reconnaissaient pas comme l'un des leurs, mais déjà, le garçon s'accrochait à la pensée agréable que pour certains, il faisait partie du paysage.

En arrivant au village, il constata que rien, dans le genre cérémonieux, n'avait réellement été prévu pour leur départ. Sans doute Haya et Zelda verraient elles dame Impa avant de la quitter mais pour le reste, la tribu fonctionnait comme d'ordinaire ; à la discrétion et au secret. Rien ne servait de donner sur un plateau aux Yigas l'information que la princesse de la destinée quittait les lieux avec une escorte légère.

Sur son chemin, Arkaï ne reçut pas beaucoup de regards, encore moins de gestes. Les usages en voulaient ainsi. Mais au détour d'une maison, il fut soudain forcé de s'arrêter par une petite main qui s’agrippa à son kimono. Il se pencha alors pour reconnaître une petite fille, timide, à qui il avait offert une boulette de riz lors de la fête de la fin de l'été. Sans oser dire un mot, elle lui tendit alors une même boule, enrobée avec soin d'une feuille de thé. Prenant alors la fillette par surprise, Arkaï se pencha pour l'enlacer et la salua ensuite dignement pour la remercier. Au fond de lui, le garçon sut que son geste allait plus loin qu'elle : sans le dire, sans le montrer, le village lui souhaitait un bon voyage.

Lorsqu'il arriva au point de rendez vous avec ses deux compagnes de voyage, ce fut avec un grand sourire aux lèvres et une bonne humeur que rien n'aurait pu massacrer. En les apercevant, il annonça sa présence par un grand signe de main et courut jusqu'à elle sans perdre son souffle malgré le poids de son bagage. Et enfin à destination, il leur demanda, « Alors, prêtes pour le grand saut ? »

Lui l'était, pour la première fois.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Cela faisait des heures que Haya avait pénétré l'enceinte du petit temple sheikah. Ce lieu de recueillement, bâti au milieu de la forêt à quelques lieux du village, n'avait absolument pas changé depuis la dernière fois qu'elle en avait foulé le sol, comme si les règles temporelles les plus élémentaires n'y avaient aucune prise. Assise en tailleur, les yeux fermées, elle tâchait désespéramment de ressentir cette sérénité qu'elle avait perdu bien des années plus tôt. Une drôle d'époque pourtant pas si lointaine que ça ; lorsqu'elle venait d'achever définitivement sa formation et qu'elle s'était accomplie en tant que guerrière du clan d'Impa. Entraînée par le puissant maître épéiste Ohjiro, elle semblait en parfaite maîtrise de son art et intouchable, à cet instant. Un instant, oui, plus fugace qu'un astre qui file dans un ciel rempli d'étoiles. Une fois celui-ci passé, la fille de Sayyida et de Io Nekt'Hyl n'avait plus été la même. De la même manière que son enthousiasme naturel s'était flétri, des failles étaient apparues chez elle lors des combats qui avaient suivis, et encore des années après elle peinait à gommer les nombreuses imperfections qui lui valaient de frôler la mort plus que de raison lors de ses affrontements les plus âpres. La longue balafre qui lui cisaillait l'avant-bras droit depuis plusieurs semaines déjà en était un parfait témoin, et ce n'était pas l'épais bandage qui la recouvrait qui parvenait à faire oublier à Haya l'immense douleur ressentie lorsque la lame avait tranché dans sa chair ni l'odeur du sang qui en avait abondamment coulé.

Dans un long soupir, la sheikah rouvrit lentement ses yeux, ses pupilles agrippées déjà sur les miroirs qui pendaient devant elle. Finalement, elle se redressa sur ses deux jambes et s'avança dans leur direction d'un pas que l'on devinait hésitant, voir forcé. Ses doigts s'emparèrent de celui qui pendaient au plus proche d'elle puis, après avoir balayé quelques dernières incertitudes, elle le tourna dans sa direction et contempla le reflet qu'il acceptait de lui renvoyer. Hélas, sa longue méditation n'avait de nouveau pas porté ses fruits ; le visage de la divinité ne s'offrait toujours plus à elle. En lieu et place de celui-ci, il y avait encore et toujours cette même silhouette qui revêtait un masque blanc marqué par des symboles rouges ; de ceux qui recouvrent les visages des autres sheikahs appartenant au clan rival de feu le grand maître illusionniste Koga. Les iris de Haya affrontèrent à nouveau cette vision impure et somme toute déshonorante chez ceux de son peuple, comme à chaque fois qu'elle avait eu à y faire face. Ses doigts se resserraient, de rage, sur les parois du petit miroir quand une boule lui remonta doucement le long de la trachée. Puis, comme à chaque fois, la main de cette silhouette si familière s'éleva au niveau de son masque pour s'en saisir, avant de doucement le retirer pour dévoiler le véritable visage qui se cachait derrière. C'est à ce moment, lorsque les vermeils s'entrechoquaient, que Haya se sentait doucement défaillir et que sa main se mettait à trembler. Dans un profond silence qui camouflait autant son dégoût que son indignation, elle se confrontait à son propre reflet, plus insupportable que jamais. Ensuite de quoi, furieuse, elle jetait le miroir sur les dalles du temple ; dans la seconde qui suivait, elle rouvrait ses yeux une seconde fois, agenouillée au milieu des quatre murs de la vieille bâtisse.

Au dehors, les premiers gazouillis des oiseaux commencèrent à retentir, accompagnés par les tous premiers rayons de soleil de ce jour si important. La sheikah, secouée, apposa sa main contre son cœur qui battait encore la chamade avant que son regard ne s'élève, plus dépité que jamais, vers les miroirs qui pendaient au plafond. D'un soupir las, elle finit par se relever ; il lui fallait partir dorénavant. Le village était assez éloigné et il lui fallait rejoindre ses compagnons de route, qui lui avaient prouvé toute leur ponctualité le matin de la veille. Il aurait été dommage de faire tâche alors. Ses pas l'éloignèrent doucement de l'autel, avant de très vite lui faire respirer le grand air frais et encore un peu humide d'un début de journée automnale. La sheikah resserra doucement autour de son cou une cape noire affublée des quelques symboles dorés brodés sur les extrémités. Recouvrant ses épaules, elle complétait une tenue plus légère que celle que pouvait revêtir les habitants de Cocorico. Les larges kimonos habituels n'était pas très adaptés pour les longs voyages et les tenues bleues nuit des guerriers des ombres qu'elle revêtait la majeure partie du temps non plus ; en lieu et place de ceux-ci, elle s'était parée d'un vêtement plus léger et confortable, son buste à peine couvert par quelques bandages pour retenir sa maigre poitrine. Quelques morceaux de cuir venaient s'ajouter à l'ensemble, comme aux avant-bras et sur les mollets, afin de bénéficier d'une relative protection en cas de combat. Pour finir de compléter la tenue, une large ceinture qui lui couvrait le bas-ventre et d'où pendaient quelques gris-gris traditionnels, divers porte-bonheur ainsi que trois kunaïs.

Haya se saisit finalement du fourreau dans lequel reposait Sabre Rouge et qu'elle avait déposé contre un muret avant d'entamer le chemin pour retourner au village. Mais à peine s'était-elle éloigné du temple que surgissait une silhouette familière et plus réconfortante qu'aucune autre n'aurait pu l'être en cet instant : son amie Ran. Celle-ci, une fois arrivée à sa hauteur, la salua sobrement en s'inclinant légèrement vers l'avant, le point reposé contre sa poitrine ; ce à quoi répondit Cheveux-de-Sang de la même manière. « Je pensais bien te trouver ici », souffla la sculptrice en s'approchant de son amie. Une question lui brûlait déjà les lèvres mais lorsqu'elle affronta le regard de la guerrière, elle sut aussitôt qu'il était inutile de la lui poser. Dans ses yeux se lisait encore trop bien la honte et la déception qu'elle éprouvait malheureusement. A la recherche de quelques paroles qui puissent la réconforter, la jeune femme à la chevelure ébène entremêla doucement ses mains devant elle. « Peut-être que ton voyage apaisera ton esprit », souffla-t-elle après quelques secondes et sans grande conviction. « Oui... », répondit la nouvelle gardienne.
Ensuite de quoi les deux femmes se muèrent dans un long silence. L'heure du départ approchait et toutes deux s'en retrouvaient peinées ; d'un côté, il y avait Haya qui n'avait aucune envie de partir, trop attachée à son village et à son peuple, mais qui se faisait violence pour faire honneur à celle qui lui avait tout donné depuis l'enfance. De l'autre, Ran n'avait pas plus envie de voir partir son amie qu'elle savait plus que tout autre ce qu'il lui en coûtait de devoir quitter les siens. Pourtant, toutes les deux se plieraient, comme toujours, à la volonté incontestable de Dame Impa et du Conseil. « Je prierai chaque jour la Mère et Narisha pour que tu nous reviennes saine et sauve », déclara une Ran dont le regard attristé s'était déposé sur le sol. Ce qui suivi pourtant l'étonna tout particulièrement, lorsqu'elle sentit les bras de son amie de toujours se refermer dans son dos. Tout autant qu'elle puisse s'en souvenir, les gestes de tendresse de cet ordre n'étaient pas monnaie courante parmi les sheikahs, même au sein du cercle familial. Néanmoins, elle se surprit à accepter et à rendre cette étreinte aussi inattendue qu'apaisant. « Merci... pour tout », souffla difficilement une Haya dont le regard livide se perdait dans le sous-bois. « Prends soin de toi », conclut-elle alors qu'elle défaisait son étreinte. Sans oser se replonger dans les yeux de sa belle amie, la jeune femme s'écarta et reprit, d'un pas lourd et lent, sa marche en direction du village. Hélas, son cœur n'avait pas fini de saigner.



Le soleil était déjà bien haut et brillait de mille éclats dans un ciel bleu lorsque Haya finissait d'harnacher son paquetage à Alkan. L'activité au village était telle qu'elle l'avait toujours connu ; malgré l'événement du départ de la princesse d'Hyrule, rien n'avait été prévu pour marquer le coup. C'était donc dans l'anonymat le plus total que le petit groupe n'allait pas tarder à prendre la route. Certains des habitants s'étaient néanmoins présentés devant elle pour quelques respectueuses salutations avant de s'en retourner à leurs affaires de tous les jours. Au final, il n'y avait que lorsqu'elle avait dû se confronter à sa cadette Pahya que quelques larmes furent versées. Pourtant, la sheikah avait tout fait pour l'esquiver en pénétrant la demeure de la doyenne pour y chercher ses affaires aux premières lueurs, mais le successeur d'Impa avait décidé d'être plus matinal que d'ordinaire et elle l'avait finalement interceptée à la sortie. Fatalement, la discussion qui suivait s'était retrouvée chargée en émotion, bien qu'elle n'ait pas duré plus longtemps que celle, plus tôt, avec Ran. Forcément, il était compliqué de quitter celle qu'elle avait toujours considéré comme une petite sœur et dont elle s'était occupée depuis toute petite. Mais encore une fois, son devoir passait bien avant le reste ; d'autant plus compte tenu qu'il s'agissait, en quelque sorte, des dernières volontés d'une personne qu'elle chérissait.

Contrairement à la veille, ça ne fut pas le gérudo mais bien la jeune princesse qui la rejoignit la première à la sortie de Cocorico. Un timide sourire, le premier probablement depuis le début de cette journée, s'invita sur ses lèvres lorsque la monarque arriva à sa hauteur. « Bonjour », souffla-t-elle simplement tout en s'inclinant doucement dans sa direction. « Si tu me permets, je vais te débarrasser », glissa-t-elle ensuite en désignant le bagage de Zelda. De la même manière que pour le sien, elle attacha les paquetages aux harnachements de son cheval, tout en tachant de répartir équitablement la charge pour que ça ne le gêne pas. Dans la foulée, elle aperçut du coin de l'œil Arkaï, qui les rejoignait à grandes enjambées. Son extrême bonne humeur tranchait d'autant plus avec le calme de la princesse et la mélancolie de la sheikah qu'elle ne l'avait jamais vu aussi enjoué. « On peut dire ça », souffla-t-elle, encore décontenancée par une telle énergie. En vérité, elle n'aurait pas pensé que le jeune homme bougon puisse autant se satisfaire de quitter ce qu'il avait connu dans ce village. Ce qui était loin d'être un mal, au demeurant. « Tu peux demander à Alkan de porter ton paquetage, si tu le souhaites, mais je ne suis pas sûr qu'il accepte », glissa-t-elle avec un peu d'amusement, comme si la gaieté du disciple de Shingen l'avait atteinte.

« Allez, mettons-nous en route », annonça finalement Haya en se saisissant des rênes d'Alkan. Alors que le petit groupe entamait son voyage, elle s'autorisa néanmoins un dernier regard en arrière, déposant le vermeil de ses yeux sur la demeure de la doyenne, qui toisait l'ensemble du village. Plusieurs secondes s'écoulèrent, puis, finalement, après un énième soupir, elle se retourna. Définitivement, et peut-être à tout jamais ; le cœur lourd et empli d'un profond chagrin.


Zelda

Team booty

Inventaire

Elle avait beau se tourner et se retourner dans son lit, Zelda ne parvenait pas à trouver le sommeil. Lentement, en s'appliquant à ne pas faire de bruit, elle s'extirpa de la paillasse installée dans la chambre de Pahya. Elle s'assura que cette dernière dormait toujours avant de quitter la pièce sur la pointe des pieds. Un peu plus loin son cœur se serra en entendant la respiration sifflante de sa vieille amie. Quant à Haya, elle ne l'avait pas vue de la soirée et ne l'avait pas non plus entendue rentrer après s'être couchée en espérant trouver le sommeil.

Elle traversa la maisonnée comme un fantôme jusqu'à rejoindre l'extérieur. Elle frissonna en sentant le vent frais d'automne glisser sur sa peau, resserrant les bras autour de sa taille comme si ce geste suffisait à rendre plus couvrante la tenue du prodige, la sienne, qu'elle avait enfilée pour dormir. Atteignant la dernière marche ses pieds nus quittèrent le bois pour rencontrer l'herbe fraîche et encore humide. Elle ne dit pas un mot aux gardes en poste devant la maison d'Impa en passant à leur hauteur et ils n'en firent pas davantage même si elle sentit leur regards interrogateurs dans son dos.
Un peu plus loin, à quelques mètres d'elle, l'eau du petit bassin luisait au clair de la lune. Ignorant le froid, elle s'avança jusqu'à rejoindre l'étendue lumineuse et calme de l'eau. Elle s'arrêta là un instant pour admirer la statue de la Déesse protectrice du village. La nuit était calme, elle n'entendait que le vent qui faisait cliqueter les morceaux de bois peints accrochés ça et là dans le village.

Elle grelotta à nouveau en trempant un pied puis l'autre dans l'eau, avant de s'avancer plus près encore de la sculpture. Elle avait l'impression de replonger plusieurs années en arrière alors qu'elle joignit les mains dans un geste de prière. Son passé la hantait autant que la liberté qui s'offrait à elle ne la terrorisait. Ses pensées se bousculaient encore et elle avait du mal à trouver les mots pour les exprimer. Était-ce vraiment important pour s'entretenir avec une Déesse ? Une réflexion toutefois arriva à se démêler des autres et elle la formula d'une voix tremblante.

"Je t'en prie, veille sur lui..."

Elle n'avait plus grand chose à offrir à la divinité en échange de ses prières. La jeune femme porta la main à ses oreilles pour en détacher deux petites boucles qu'elle portait depuis le jour où elle avait failli le perdre. Toutes les autres paires qu'elle possédait étaient restées au château, perdues au moins temporairement. Elle déposa précautionneusement aux pieds de la statue les deux petits saphirs scintillants. Seul l'éclat de la lune aurait permis de repérer son offrande, perdue au milieu des brins d'herbe du petit îlot où trônait la figure de pierre.

"Et sur Impa. Je sais... Je sais que tôt ou tard certaines choses sont inéluctables, mais d'ici-là, et même ensuite..."

À nouveau elle laissa retomber le silence alors que la surface de l'eau autour d'elle se troublait légèrement. Les mains jointes, la tête inclinée, elle ne sut pas exactement combien de temps elle passa à chercher ce contact ténu qu'elle ne sentait plus depuis que ses pouvoirs l'avaient quittée.


Zelda se réveilla en sursaut pour découvrir le visage amusé de Pahya au dessus d'elle.

"Je sais qu'ils ne vont pas partir sans vous, mais tout de même."

Les yeux de l'ancienne princesse clignèrent, éblouis par la lumière. C'est alors qu'elle compris ce que la jeune Sheikah avait voulu dire : le jour semblait déjà bien avancé. Elle n'avait finalement que peu dormi mais elle se leva précipitamment, de peur d'avoir posé un lapin à ses deux compagnons.

Elle se hâta de rassembler ses affaires et de faire de derniers adieux à Impa et sa petite fille, le cœur serré, avant de rejoindre Haya. Elle avait craint que la jeune femme ne soit fâchée de son réveil tardif mais ses craintes s'avérèrent infondées, et au contraire la jeune femme l'accueillit chaleureusement. Zelda lui laissa le paquetage rempli de nourriture et de vêtements que lui avait offerts Impa pour le voyage, elle garda toutefois en bandoulière le petit sac qui contenait la tablette Sheikah ainsi que le reste de ses maigres possessions. Il ne pesait de toute façon pas très lourd.

Le jeune Gerudo finit par les rejoindre et elle fut rassurée de sentir son enthousiasme. Le temps où il avait reproché à son maître l'idée même de ce voyage semblait déjà loin, au contraire à présent la perspective paraissait l'enchanter. Elle eut un petit sourire en entendant la plaisanterie d'Haya contente d'être, elle, dans les bonnes volontés du cheval. Ils ne tardèrent toutefois pas à se mettre en route.

Elle ne put s'empêcher de remarquer le regard qu'Haya lança derrière eux. Elle ne savait pas exactement tout ce que la Sheikah abandonnait pour la suivre mais elle pouvait saisir au moins une partie de son déchirement. Elle partageait sa réticence à laisser derrière elle Impa. Décidée à lui changer les idées, elle se hasarda à lancer la discussion.

"Vous savez, je n'ai pas toujours été à l'aise avec les chevaux non plus... Mon père m'en avait offert un avec un sacré caractère..."

Elle voyageait beaucoup à l'époque, et c'était un cadeau qui s'était sans doute imposé naturellement. Il s'agissait d'ailleurs d'un bel animal. Pourtant, sur le coup, elle se souvenait s'être demandée si en choisissant une telle tête de mule, son père avait voulu faciliter ses voyages jusqu'aux sources sacrées ou au contraire l'empêcher de trop s'éparpiller dans ses recherches.

"Finalement, c'est Link qui m'a aidée à l'apprivoiser... Il avait un véritable don avec les animaux..."

Son regard s'attarda sur Alkan avant de glisser la main sur son encolure pour la caresser doucement.

"Je suis sûre qu'il t'aurait plu à toi aussi..."

Au fond, elle n'aurait pas su dire s'il avait adoucit le caractère de l'équidé ou tempéré son impatience à elle, sans doute un peu des deux pour les pousser à mieux s'entendre. Malheureusement, elle ne reverrait de toute façon jamais son ancienne monture. Elle ne pouvait qu'espérer que l'animal avait compris ce qui s'était passé jadis et en avait profité pour reprendre sa liberté.
Chassant ces vieux souvenirs de sa tête, elle reporta son attention sur la maîtresse du canasson avant de changer de sujet.

"Elimith... J'imagine que tu y es déjà allée... ?"

Après tout le village n'était pas si éloigné de celui des Sheikahs et Impa semblait toujours en contact avec Pru'Ha ce qui laissait deviner des échanges réguliers. Pourtant, elle ne connaissait pas les habitudes de sa nouvelle protectrice.
Elle se tourna ensuite vers le Gerudo, l'air interrogatif.

"Mais pas toi... ? Pourtant tu n'es pas né à Cocorico. Avant ça, tu n'as aucun souvenir d'avoir voyagé ?"

Elle ignorait toujours beaucoup de choses sur le jeune homme. On lui avait principalement parlé des craintes sur son avenir, et de son séjour au village, mais pas très précisément de son passé. Il était même probable qu'il soit le seul à en connaître tous les détails. Elle avait bien compris qu'il s'agissait d'une partie de sa vie qu'il préférait passer sous silence, mais au plus elle le connaîtrait et au mieux elle pourrait le protéger de ces prophéties.
Du regard, elle passa en revue les paysages autour d'eux.

"Moi, j'ai à la fois l'impression de connaître assez bien ce royaume et de tout avoir à re-découvrir... Mais je ne sais pas si c'est vraiment une malédiction..."

Elle avait toujours aimé la recherche et l'exploration. La perspective de nouvelles découvertes ne pouvait pas remplacer tout ce qu'elle avait perdu, mais c'était une des raisons qui la poussaient à se relever.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

Arkaï observa avec impatience Haya charger son cheval de tous leurs paquets. En comparaison des leurs, il avait le sentiment un peu honteux d'avoir prévu trop grand. Aussi ne fit-il aucune difficulté lorsque la Sheikah lui fit remarquer que Alkan ne lui rendrait pas service de bon coeur. Le garçon préféra jouer sa partition préférée dans ce genre de situations embarrassantes ; La rodomontade.

« Il n'aurait pas les épaules pour, contrairement à moi, hein ?! » demanda-t-il, bravache, à la monture qui lui jetait un regard équin indéchiffrable.

Tirant sur un lanière du sac pour le réajuster sur son dos, il embraya alors le pas de ses camarades, regrettant déjà de s'être autant chargé. Il commençait déjà à faire le tri entre l'indispensable et ce dont il se débarrasserait à la première occasion venue, quand la voix de la princesse le sortit de ses pensées. Elle évoqua son père, ce qui laissa aussitôt l'imagination d'Arkaï cavaler plus vite qu'un canasson en chaleur. A quoi pouvait bien ressembler un roi de jadis ? Le regard en coin vers Zelda, il tâcha de bâtir un visage à partir des histoires qu'il connaissait et du sien, mais la vision de la jeune femme avec une mâchoire carrée et une puissante barbe ne fit que provoquer chez lui une crise de rire, douloureusement réprimée en se mordant les lèvres. Son hilarité disparut cependant rapidement lorsque celle ci évoqua à nouveau Link, ce jeune homme disparu et pour lequel elle n'avait visiblement pas fait son deuil. Alors, pour essayer de la réconforter un peu, il déclara timidement,

« J'aurai aimé le rencontrer. Ca avait l'air d'être... quelqu'un de bien. » osa-t-il finir, désireux de ne pas en dire trop.

Après tout, il ne le connaissait pas le moins du monde. Mais au vu de la rapidité avec laquelle Zelda s'empressa de changer de sujet, celui ci devait rester douloureux pour elle. A dire vrai, il aurait cependant de loin préféré qu'elle ne bifurque pas ainsi, ou en tout cas pas pour l'interroger comme elle le fit. Sa remarque et la question qui suivaient étaient pourtant pertinentes, mais pas le moins du monde bienvenues. A l'évocation de sa vie d'avant, Arkaï se referma, son visage figé comme une pierre tombale. Ce fut à grande peine qu'il répondit,

« Pas de souvenirs. Ils m'ont trouvé au dehors, mais ça n'était pas moi. »

Il espérait que sa réponse puisse clore indéfiniment le sujet. De toute manière, pour lapidaires qu'étaient ses mots, ils n'en énonçaient pas moins la plus stricte vérité. Sans doute ce corps et cet esprit n'étaient ils pas nés dans ce village, mais Arkaï, lui, y avait vu le jour. Néanmoins, désireux de ne pas braquer la princesse par sa rudesse, il lâcha, presque malgré lui,

« Pas de souvenirs... Juste des cauchemars. »

Le goût de souffre dans sa bouche lui fit aussitôt regretter ses paroles.

Un mot, et il en avait déjà trop dit.


Au moment de passer sous le porche du village caché, Arkaï eut un instant d'hésitation.

Se laissant dépasser par ses deux compagnes, il se stoppa net, la tête penchée vers le ciel. Sous sa crinière rousse se bousculaient des souvenirs en une foule bigarrée, pleine d'émotions contraires et fortes. Confronté, peut être pour la dernière fois, à ces poutres de bois dressées si haut, aux bannières arborant l'oeil Sheikah clouées sur le bois, aux étoffes de pourpre évoquant les rideaux d'un théâtre, il repensa au jour de son arrivée. Enchaîné, jeté sur la croupe d'un cheval comme un sac de riz, partagé entre la rage et la résignation, il avait craché au pied du portail par défi, et n'en avait récolté qu'un coup de plus sur le crâne. Plus tard, lors d'une de ses tentatives d'évasion du monastère, le garçon avait cru parvenir à tromper ses poursuivants en parvenant jusque là. Tout à sa jubilation d'une liberté retrouvée, il avait dardé un regard assassin sur l'oeil d'or gardant la porte. A cet instant là, l'ivresse de l'instant avait éclaté comme un ballon trop plein, et l'avait laissé ébranlé, à fixer dans le vide la frontière du monde extérieur. Ses propres mots lui revinrent alors en mémoire ;

« Qu'y a-t-il pour toi, encore, là bas ? »

A l'aube, Arkaï était de retour au monastère, pour se rendre compte que le vieux maître l'attendait à la porte. Il n'avait pas donné l'alarme... « Pourquoi donc l'aurais fait ? » lui avait-il demandé en retour lorsque le garçon s'en était étonné.

Le jeune guerrier avait suffisamment étudié les mythes pour savoir qu'on ne franchit jamais réellement une porte qu'une fois. Que ce soit la porte, le monde ou notre coeur qui change, on ne revit jamais vraiment le même instant. La porte révèle autant au devant que derrière, elle est la ligne entre lesquels les mondes sont irrémédiablement séparés. Il repensa au héros de légende, Iza, franchissant le seuil du royaume des morts, condamnant sa femme en se retournant, incapable de garder son regard devant lui... Jusqu'à présent, jamais Arkaï n'était parvenu à comprendre ce geste, qu'il prenait pour de la faiblesse. Mais alors qu'il se tenait là, à la frontière entre lui, et un autre lui, il comprit. Son attention se porta sur les bannières Sheikahs, sur la larme que versait cet oeil calme et sage. Le visage de Shingen lui apparut, comme pour lui éviter de devoir se retourner une dernière fois. Un frisson le parcourut, et il sentit ses doutes disparaître, emportés par le vent.

Lorsqu'il rattrapa Haya et Zelda, après avoir couru un bref instant, il réalisa qu'il allait surement avoir besoin d'alléger son paquetage plus rapidement que prévu ou bien c'est son dos qui se ferait la malle. Jouant douloureusement des épaules, il demanda à Haya, qu'il tenait pour la plus fine connaisseuse de leur itinéraire, « Du coup, combien de temps avant Elimith ? »

De là où ils étaient, ils pouvaient apercevoir au loin la plaine de Necluda, autant dire le bout du monde pour quelqu'un n'étant jamais sorti du village. Et bien que Arkaï sache se débrouiller dans la nature, c'était une toute autre chose de savoir s'y repérer, et d'atteindre son objectif sans se perdre mille fois en route. Sur ce point, le jeune guerrier se rattachait au sens pratique des Sheikahs ; Toujours laisser au plus expérimenté la conduite de l'opération. Il demanda alors, curieux, « Va-t-on passer par les collines ou prendre la route et passer le cimetière des gardiens ? » A vrai dire, cette dernière option aurait beaucoup plu au garçon, tant on lui avait souvent parlé de ces fameuses machines de mort dont certaines rodaient encore dans le monde, paraissait il. « Est-ce que vous avez pris une carte pour éviter qu'on se perde ? »

Non pas qu'il ait cru que Haya en avait forcément besoin, mais il aurait aimé y voir plus clair dés ce moment.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

La sheikah avançait tête basse, l'esprit vagabondant doucereusement entre quelques vieux souvenirs et deux ou trois rêves d'un avenir qu'elle s'était faits lorsqu'elle était plus jeune et qu'elle avait finalement abandonné avec le temps. Compte tenu de la tournure que prenait les événements, elle se disait qu'elle n'avait pas forcément eu tort, d'ailleurs. Cependant, la voix de sa jeune suzeraine l'empêcha de se perdre totalement dans quelques réminiscence de son passé lorsque celle-ci s'éleva pour entamer la conversation. Haya esquissa un maigre sourire en coin lorsqu'elle évoqua son ancienne monture avant d'accueillir avec une certaine incompréhension les quelques éclats de rire dans lesquels Arkaï se confondit l'espace de quelques instants. Aussi incongrue que soit cette réaction, elle ne fit pas long feu. L'évocation du Héros par Zelda provoqua au contraire un élan de compassion immédiat du gérudo, quand Haya taisait encore ses mots avant qu'ils ne franchissent ses lèvres. Comme à chaque fois que le sujet de la conversation commençait à tourner autour de Link, la jeune femme percevait chez sa reine une certaine douleur latente, couvée depuis des mois sinon des années. Elle avait bien des questions à lui poser le concernant mais elle ne savait jamais vraiment comment aborder le sujet ; tout comme il semblait ne jamais vouloir tomber dans les meilleurs moments. Il faut avouer que, traditionnellement, son peuple n'était pas le meilleur pour gérer ce genre de chose et en cela, elle en constituait encore un bon exemple. Ainsi, alors qu'elle cherchait la meilleure façon de répondre à son tour, elle se rendit compte que ses réflexions s'étaient encore éternisées lorsque Zelda enchaînait sur une question plus directe la concernant. 

« Souvent, oui », répondit-elle. Son regard rencontra respectueusement celui de son interlocutrice. « C'est... C'était l'une de mes prérogatives en tant que sentinelle. Ma tâche était de faciliter et de superviser l'ensemble des échanges entre mon village et Elimith. Nous commerçons régulièrement avec eux », expliqua-t-elle plus en détail. Les relations entre Cocorico et Elimith avaient toujours été cordiales, du moins au plus loin que lui permettaient de remonter ses souvenirs. La majeure partie du commerce entre les deux villages se composait de l'échange de quelques denrées alimentaires ; les sheikahs produisaient du riz en grande quantité, qu'ils échangeaient contre des minerais pour fabriquer leurs outils et parfois aussi quelques kilos de poissons pêchés en haute mer. L'accord reposait entre autre sur le fait qu'il appartenait aux sheikahs de garder la route sûre, ce qui leur valait une bonne réputation auprès de l'ensemble des habitants d'Elimith. Pour autant, des tensions étaient apparues depuis qu'une tribu boko s'était installée aux abords du petit village hylien. La situation était ainsi depuis des mois et rien n'avait encore été fait pour y remédier.

La même question, bien que détournée, fut ensuite posée à leur compagnon gérudo. C'est alors que toute la gaieté et l'enthousiasme du jeune garçon disparurent aussitôt, avant qu'il ne se permette d'y répondre sur un ton pour le moins abrupte. La sheikah ne s'offusqua pas le moins du monde de ce soudain revirement d'humeur, se remémorant silencieusement la discussion qu'ils avaient eu au monastère lors de leur rencontre. Si elle ne savait rien de son passé, elle pouvait se contenter des maigres indices qu'il leur avait laissé. Traque. Rejet. Abandon. Tels étaient les mots qu'il avait employé devant elles. Pour Haya, c'était plus qu'il n'en fallait pour comprendre qu'il n'était pas prêt de se replonger dans la vie qu'il menait avant celle-ci ; celle d'Arkaï, le sheikah. Et non le gérudo. Si elle comprenait la curiosité de Zelda, elle ne pouvait s'empêcher de la trouver maladroite. Il était encore trop tôt pour aborder ça... bien qu'il lui faudrait sans doute le faire un jour ou l'autre. D'expérience, Haya savait que la confrontation était inévitable, mais il appartenait à Arkaï, et seulement lui, de décider de ce moment. « J'imagine que le passé est douloureux pour beaucoup d'entre nous en des temps si... perturbés », souffla la jeune femme à la crinière de sang dans l'espoir d'apaiser quelque peu le gérudo. Loin d'elle l'idée de comparer leurs passés et leurs expériences mais elle souhaitait tout de même lui rappeler que Zelda tout comme elle avaient traversé leur lot d'épreuves. Et ainsi, de lui suggérer de ne pas forcément se replier sur lui-même comme il le faisait.

Soucieuse de ne pas se montrer trop insistante, son attention se reporta ensuite sur l'hylienne, dont elle avait à cœur qu'elle ne prenne pas le ton du jeune homme trop mal. « J'ignore comment c'était à votre époque mais, de nos jours, rares sont les gérudos qui parcourent les vastes plaines hyliennes », expliqua-t-elle calmement. « Ils sont nombreux à n'en croiser jamais dans toute leur vie, à tel point qu'un gérudo, femme ou homme, relève presque du mythe. Un peu comme les Zoras, dont on dit qu'ils restent reclus dans leur cité en attendant leur inexorable extinction », continua-t-elle. Ces précisions lui semblaient essentielles avant d'aborder vraiment sa pensée. Ses yeux rouges sang quittèrent les émeraudes de sa suzeraine et se déposèrent sur l'horizon ; le seul endroit où les promesses d'une meilleure vie existaient encore pour bien des peuples. « Les hyliens ont coutume de dire qu'un gérudo hors de son désert doit avoir une très bonne raison de l'avoir quitté et j'aurais tendance à partager ce sentiment. Notre peuple a un mot pour désigner ceux qui ont fuis ce qu'ils ont connu autrefois : maigo. C'est un surnom un peu plus affectueux et moins rudes que peuvent l'être les mots paria, ou exilé. » Un instant, son regard bifurqua vers Arkaï, qui ne semblait toujours pas vouloir donner signe de réponse. Haya espérait qu'il ne prenait pas mal son discours, cherchant surtout à apaiser les esprits de quelques manières que ce soit.

La sheikah poussa un soupire, presque de dépit, n'étant pas habituée à s'étendre autant. Seulement, elle n'avait pas envie de paraître trop directe, au risque que ce soit pris pour de l'autorité mal placée. « Ce que je veux dire... C'est qu'au fond, peu importe ce qu'il a été par le passé. Arkaï est arrivé au village en maigo et aujourd'hui il en sort en étant sheikah. C'est ce qu'il nous a dit et il ne nous appartient pas d'aller chercher plus loin », conclut-elle finalement.



Le groupe avait finalement passé le portique qui désignait la sortie de Cocorico ; sans Arkaï néanmoins, qui y était resté planté. Ceci étant, Haya avait préféré poursuivre leur chemin, se doutant qu'il les rattraperait sans trop de mal. Comme elle, il lui fallait sans doute un peu de temps d'appréhension avant de se lancer et elle avait l'intuition, compte tenu de sa bonne humeur de tantôt, qu'il ne ferait pas machine arrière. Son attention se reportait ainsi sur la Princesse et sur les mots qu'elle avait eu au moment de se mettre en route, et plus encore sur chacun de ces instants où elle avait évoqué Link avec une mélancolie non dissimulée. Encore à ce point, Cheveux-de-Sang ne présumait de rien concernant ce qui pouvait les avoir lié fut un temps mais cette fois, elle avait envie de lui répondre quelque chose ; n'importe quoi qui efface à jamais cette triste moue lorsque le sujet tournait autour du Héros. Et pourtant, elle était bien consciente qu'il n'existe pas de formule magique pour réaliser cela. Son regard se déposa sur son bras droit, qu'elle ouvrit devant elle pour en observer longuement le bandage qui le saillait. Comme pour chaque cicatrice, chaque blessure, il fallait simplement laisser au temps de faire son œuvre. « Concernant ce que vous avez dit tout à l'heure... », commença-t-elle, un brin hésitante, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Et pour cause, elle s'adonnait à un exercice dans lequel elle n'avait jamais excellé. Impa était bien la meilleure pour cela.

A nouveau, ses mots se taisaient avant d'être délivrés pour sa jeune souveraine. Quand elle tourna la tête et remarqua qu'elle avait toute son attention, elle se trouva bête de mettre autant de temps à dire ce qui devait l'être. Après un bref instant, elle s'élança. « Je voulais juste vous dire – si ça peut vous rassurer – qu'au-delà d'Elimith je ne connais pas grand-chose de ce monde non plus. Juste des histoires, des on-dit, quelques légendes et quelques mythes. Alors, d'une certaine façon, vous ne serez pas seule à découvrir ce qui a été votre royaume autrefois », déclara-t-elle avec un timide sourire en coin. Et celui-ci s'effaça bien vite lorsqu'elle décida d'ajouter, avec un peu plus d'aplomb et aussi bien plus de certitude : « Et je ne vous abandonnerais pas à la première difficulté rencontrée, soyez sans crainte. » Si elle avait bien compris une chose à propos de son ancien protecteur, c'est qu'il s'en était allé sans que Zelda ne comprenne réellement pourquoi. Son départ avait été un coup dur et il apparaissait important pour Haya d'essayer de rassurer comme elle pouvait sur sa fiabilité et sa dévotion. Certes, son devoir était principalement lié à une promesse faite à Impa ; mais quand bien même, son honneur et celui son clan était en jeu. Et il était déjà suffisamment sali pour qu'elle en rajoute une couche en échouant.

Peu après, le gérudo les rejoignait finalement, mettant un terme à cette brève conversation. De toute façon, Haya avait dit ce qu'elle voulait et c'en était bien assez. Son attention se reporta sur Arkaï et elle nota, à sa manière de se tenir et jouer avec ses bras, qu'il était loin d'être à l'aise avec son paquetage. En toute franchise, il lui paraissait bien imposant en comparaison de celui de Zelda et du sien mais elle s'était gardée jusque là de toute remarque. Simplement, le fait qu'il lui tire les muscles ne l'étonnait vraiment guère, tout imposant et costaud qu'il puisse l'être de par sa constitution naturelle. « Si on s'arrête toutes les cinq minutes, nous ne sommes pas prêt d'arriver », siffla-t-elle en allusion à la précédente pause du garçon sous le portique. Pour autant, cela tenait plus de la boutade que d'une véritable remontrance. Après tout, il les avait rattrapé sans mal, comme elle se l'était imaginé. « Si tout se passe bien, nous en aurons pour deux semaines. L'important c'est d'y arriver avant les premières neiges », reprit-elle avec plus de sérieux.

« Les chemins par les collines sont plus éprouvants et sinueux. On suivra simplement la route, qui est beaucoup plus sûre. L'une des rares à l'être, dans ces contrées », ajouta-t-elle. Cependant, elle crut percevoir chez le jeune homme un enthousiasme certain à l'égard du cimetière des gardiens, qu'il avait précédemment évoqué. Elle se garda bien de le dire à haute voix mais c'était probablement l'un des lieux qu'elle estimait comme le plus dangereux, et imprévisible. Certes, on n'y relatait plus d'incidents depuis longtemps et pourtant... que se passerait-il si l'une des anciennes machines se remettait en marche ? Autant elle savait se protéger contre des créatures et des hommes, autant elle ne pourrait certainement pas gérer efficacement une telle menace. « Nous avons une carte », dit-elle d'un air étonné. Elle s'étonnait qu'Arkaï ne se souvienne pas de ce que leur avait montré Zelda la veille ; pourtant, il avait semblé beaucoup intéressé par la technologie de la tablette. « C'est Zelda qui l'a, à l'intérieur de la relique sheikah », précisa-t-elle sans réellement savoir elle-même comment une telle chose pouvait être possible. Pour certaines personnes, l'étude des technologies antiques était un quotidien ; pour Haya, cela se rapprochait davantage de ce qu'on pourrait appelé de la magie. Cela n'avait cependant pas d'importance dans l'immédiat, puisque Haya connaissait très bien le chemin, ainsi que ses multiples détours.

« Bon, ça suffit. Arrête-toi », ordonna-t-elle, curieusement lassée, à l'intention du jeune homme. Après qu'il s’exécuta, elle passa ensuite dans son dos et commença à défaire sans aucune sommation quelques ficelles de son paquetage. « Ne bouges pas », prévint-elle, pas autant agacée qu'elle ne le laissait paraître. Seulement, elle n'avait pas pour habitude de gérer ce genre de chose et elle aurait préféré que Shingen fasse un peu plus attention aux bagages de son protégé ; en temps normal, elle n'aurait jamais eu à faire ça. Mais depuis un moment, elle n'en pouvait plus de voir le jeune homme en train de silencieusement s'arracher les épaules sous le poids de ce qu'il transportait. Elle aurait aimé pouvoir le placer sur cheval, comme pour Zelda, mais le pauvre canasson était déjà bien assez chargé comme ça. Malheureusement, il s'agissait de ce genre d'imprévus logistique qu'elle avait évoqué quelques jours auparavant, au monastère. « Comment peux-tu avoir autant de choses à transporter ? », pensa-t-elle tout haut. Elle finit néanmoins par décrocher une partie du bagage, qu'elle cala ensuite contre son omoplate gauche. La position était loin d'être la plus idéale pour voyager mais elle trouverait un moyen de l'attacher plus tard. Sans s'étendre sur quelques remarques que ce soit – ça n'était pas son genre – elle reprit la route en attrapant les rênes d'Alkan.


Zelda

Team booty

Inventaire

Si Haya n'hésita pas à lui parler un peu plus de la raison qui l'avait poussée à se rendre souvent à Elimith, Arkaï n'apprécia pas autant sa question. Elle n'ignorait pas que le sujet soit délicat, mais à son grand regret, elle le sentit se fermer complètement à elle. Comprenant qu'il n'en dirait pas plus et ne désirant pas s'attarder sur le sujet, elle choisit de ne pas insister ni répondre à ses confidences et elle se contenta de détourner le regard et de laisser retomber le silence, considérant le sujet comme clos.

D'une certaine façon, les quelques mots qu'il avait énoncés répondaient déjà à sa question et ces bribes d'informations la laissaient penser qu'elle n'avait pas eu une si mauvaise idée avec le journal des rêves qu'elle lui avait demandé. Elle en apprendrait sans doute plus au fur et à mesure qu'il accepterait de les partager avec elle, et surtout, lui aussi apprendrait à mieux se connaître. Autant d'ailleurs par ceux qu'il lui raconterait que par ceux qu'il choisirait de lui taire. Plus que de la simple curiosité elle souhaitait aider le jeune homme à faire la paix avec lui-même. Elle savait comme la peur et la haine de soi, enfouies profondément, pouvaient vous ronger de l'intérieur et être mauvaises conseillères.

Sans doute inquiète de leur silence, la Sheikah avait repris la parole. Après avoir tenté d'apaiser le Gerudo elle entreprit de répondre à sa place à la question de Zelda en lui dressant un tableau des habitudes Gerudo contemporaines. La jeune femme ne put s'empêcher de sentir un mur se dresser entre elle et ses deux compagnons de route lors de l'évocation de son époque. Elle avait eu beau leur parler assez naturellement de son passé, l'entendre évoqué ainsi, introduisant des écarts culturels entre elle et eux, sonnait différemment. La mise en parallèle lui paraissait toutefois plus être une façon de lui parler de la situation d'Arkaï qu'une véritable question sur ce qu'elle avait pu connaître, aussi ne prit-elle pas cette explication pour une invitation à détailler les coutumes des Gerudos qu'elle avait connues. Elle se contenta d'écouter en opinant de la tête, sincèrement intéressée malgré le sentiment de décalage. Elle avait conscience de ne pouvoir trouver sa place dans ce nouveau monde qu'en apprenant à mieux le connaître.

Elle tiqua toutefois sur la dernière précision de la Sheikah. Discernant une pointe de jugement sur sa question, la jeune femme prit légèrement la mouche. Même si elle avait à cœur d'aider le jeune homme, elle l'avait pris sous sa responsabilité autant que sous son aile. Elle n'oubliait pas les sombres présages qu'on lui associait et tant qu'il voyagerait à ses côtés elle considérait avoir le droit de l'interroger lorsqu'elle l'estimerait nécessaire.
Toutefois, le souvenir d'Impa et de ses paroles tendres et fières vis-à-vis de sa fille adoptive était encore trop présent pour qu'elle ne rompe son engagement de ne pas lui mener la vie trop dure. Aussi prit-elle sur elle pour mettre de côté le désagréable sentiment que lui avait toujours provoqué l'impression d'être jugée et se contenter d'une réponse plus accommodante bien que légèrement irritée.

"J'ai bien compris, je n'aborderai plus le sujet."


Peu après leur passage sous le portique du village, et alors que le Gerudo était resté en arrière et prenait son temps pour faire ses adieux à la petite bourgade, Haya en profita pour entamer la conversation avec elle. Elle tourna la tête, intriguée, sans doute aussi un peu soucieuse qu'il ne s'agisse de nouveaux reproches. Cependant, dès qu'elle se décida à parler, les propos de la Sheikah la rassurèrent assez vite. Peut-être la jeune femme avait-elle senti le trouble de la princesse un peu plus tôt ?
Bien que touchée par cette déclaration assez spontanée, elle ne put s'empêcher un trait d'humour un peu désabusé.

"C'est ce qu'ils disent tous, tu sais ?". Pourtant la remarque se voulait seulement taquine, et elle ne tarda pas à la compléter. "Mais j'ai envie de te croire. Vraiment."

Elle ne pouvait formuler de reproches à ceux qui l'avaient abandonnée bien contre leur gré, et elle ne souhaitait évidemment pas le même sort à la jeune femme. De toute façon, il ne planait plus sur elle de si grands dangers qu'alors. Quant à Link... Toutes deux savaient à qui cette promesse faisait véritablement référence. Elle ne prit même pas la peine de le préciser lorsqu'elle reprit la parole.

"Tu sais... Pendant des jours, j'ai pensé que j'avais pu mal interpréter son geste... Qu'il allait revenir pour me chercher, qu'il était juste parti en reconnaissance..." Elle baissa la tête, peu fière de ce qu'elle avouait à sa nouvelle protectrice. "Encore maintenant... Je me demande si je n'aurais pas dû l'attendre... C'est peut-être moi l'idiote finalement ?"

Elle aurait sans doute du mal à se faire une raison et véritablement tourner la page sans comprendre son geste. Il avait été si peu bavard après leurs retrouvailles, alors qu'elle avait tant de questions. Inconsciemment, elle devait s'avouer qu'elle avait deviné qu'il était quelque peu bousculé. Elle s'était alors retenue de l'interroger et elle avait naïvement cru qu'elle aurait tout le temps de le faire par la suite. Elle releva la tête vers la Sheikah, tâchant de lui offrir un sourire, le ton sincèrement reconnaissant.

"J'espère pouvoir lui demander un jour pourquoi... Mais je suis contente que tu sois là."

Arkaï finit toutefois par les rejoindre à nouveau au pas de course et la princesse se tut. Il semblait avoir retrouvé son enthousiasme et les interrogea sur la route à suivre. N'étant pas au fait des nouvelles appellations des lieux, elle mit quelques secondes à lier les descriptions aux chemins qu'elle connaissait. Elle se figea sur place, tremblante, en comprenant quel était leur itinéraire et quels changements avaient pu lui valoir l'appellation de "cimetière des gardiens" dont les mots résonnaient à présent dans sa tête. Heureusement pour elle, Haya choisit ce moment pour arrêter le Gerudo et prendre une partie de son paquetage. Ailleurs, elle n'écouta que d'une oreille distraite ce qu'ils se disaient et ne songea même pas à sortir la tablette pour montrer à nouveau la carte au jeune homme.

Lorsque leur marche reprit, elle se fit violence pour suivre le mouvement, le pas plus traînant qu'auparavant et le ventre noué. Elle n'avait aucune raison valable pour demander à la Sheikah de modifier leur itinéraire en prenant le risque de prendre du retard sur leur plan. Elle n'était même pas sûre de le vouloir, mais elle sentait une boule dans sa gorge à l'idée de traverser à nouveau cet endroit.


Leur voyage avait ainsi repris et la jeune Hylienne s'était montrée plus discrète et moins bavarde. Et si la finalité était la même, cette attitude n'avait aucun lien avec son engagement à ne plus heurter le Gerudo. Souvent plongée dans ses pensées, elle faisait pourtant de son mieux pour cacher son trouble. Elle n'était pas sûre de pouvoir en parler sans fondre en larmes devant eux. Bien loin de les rassurer ce genre de comportement aurait sûrement l'effet inverse, alors elle se contentait de maquiller un timide sourire sur ses lèvres dès qu'elle sentait des doutes sur son état. Elle s'était dit qu'elle aurait le temps de se préparer, pourtant lorsqu'ils arrivèrent enfin au cimetière des gardiens, et que la scène se dessina sous ses yeux à mesure qu'elle avançait, elle comprit que les jours passés à refouler ses souvenirs n'avaient pas été suffisants.

Des années auparavant, elle aurait d'abord pensé à toutes ces carcasses et à la technologie qui sommeillait à l'intérieur. Elle aurait rêvé de mieux les comprendre, d'être en mesure de les réparer. Mais elle n'avait à présent aucun enthousiasme à se tenir devant tant de cadavres de machines. Au contraire elle sentit ses pas s'arrêter, ses jambes paraissaient incapables de la porter plus loin.

"C'est moi qui ai fait ça."

Elle avait parlé à haute voix, sur un ton tremblant. Elle n'était jamais revenue depuis cette nuit-là. Entraînée par l'enchaînement des événements, elle n'avait jamais pris le temps de contempler les dégâts d'un œil externe et elle n'aurait jamais pensé que la scène puisse à ce point rester figée au cours des années.

C'était là que tout avait basculé. Qu'elle avait cru perdre Link à jamais.
Là que ses pouvoirs s'étaient miraculeusement éveillés, sans quoi elle ignorait ce que serait devenu ce royaume. Elle pouvait encore sentir l'odeur de mort dans l'air, entendre les bruits des araignées mécaniques amassées autour d'eux, et puis le silence qui avait suivi la manifestation de sa magie et le corps inanimé de Link entre ses bras. Ces quelques secondes où tout son monde s'était écroulé avant que l'épée du jeune homme ne s'adresse à elle.

C'en était trop pour qu'elle puisse retenir ses larmes et elle laissa éclater ses sanglots, le visage enfoui entre ses mains.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

« Vous savez... dame Haya... Ca devrait être à moi de porter ça. »

La voix était légèrement chevrotante, peu assurée ; la marque de la honte du ridicule.

Depuis que leur troupe avait repris la route, le jeune homme ne savait ni où se mettre ni sur quel pied danser pour sortir de cette situation. Il avait assisté impuissant à l'initiative de son aînée pour le décharger contre son gré, trop surpris pour réagir sur le moment, infichu de protester ensuite. Si encore elle avait reporté sa charge sur sa monture... Laquelle semblait d'ailleurs beaucoup s'amuser de la situation, tant ses regards réguliers lancés à Arkaï transpiraient l'amusement, comme si il lui disait « T'as encore beaucoup à apprendre », ce en quoi il n'avait pas tord.

Certes, le garçon devait bien admettre que son pas était plus aisé depuis qu'il avait perdu un peu de son fardeau, mais son esprit n'en était pas plus léger pour autant. Déjà parce que se décharger sur un compagnon, une femme de surcroît, allait à l'encontre de tous les récits de guerriers exemplaires qu'il connaissait. Et surtout parce qu'une partie de ce que contenait le sac ôté revêtait à ses yeux une valeur toute particulière.

Aussi il insista, malgré sa honte de se comporter en poids et le fait qu'elle semblait ne pas l'avoir entendu, concentrée qu'elle était sur la route à suivre,

« Je vous promets qu'à la première halte, je me décharge à la moitié de ce que je porte mais j'insiste ; Pouvez vous me rendre mon sac... ou au moins me laisser récupérer quelque chose dedans ? »

Cette fois, la voix du jeune homme tira Haya de sa concentration et elle réagit avec plus de chaleur qu'il ne s'y serait attendu. Elle tira le sac de son dos et l'ouvrit aux mains de son cadet. Ce dernier ne se laissa pas prier et en sortit une étoffe de tissu qui semblait enserrer quelque chose. Avec mille précautions, Arkaï l'ouvrit, vérifia l'état de son contenu et, soulagé, s'apprêtait à le ranger lorsqu'il croisa des yeux l'éclat écarlate de la Sheikah. Il n'aurait su dire si il y lisait de la curiosité envers son attitude ou envers l'objet de tant d'attention.

A vrai dire, la veille encore, la méfiance l'aurait comme de coutume emporté et il aurait vite dérobé son trésor à ce regard mais au fond de lui, un verrou qu'il avait laissé trop longtemps à rouiller commençait à bouger, lentement, à mesure qu'il la côtoyait sans subir les mots et les gestes de haine auxquels tant d'autres l'avaient habitué. Et puis, malgré le silence qui avait suivit la question malvenue de Zelda, Arkaï s'était senti touché par les paroles de son aînée. Monstre, démon, nuisible, bête sournoise, abomination... Les premiers mots qu'il avait entendu en langue Sheikah. Plusieurs années n'avaient pas suffit à les effacer, comme son audience avec Impa le lui avait brusquement rappelé. Mais Haya l'avait appelé maigo, et Sheikah. Malgré l'avertissement de son maître, le jeune homme décida de rendre un peu de la confiance que la jeune femme lui avait accordé. Il rouvrit le tissu et lui présenta son contenu ; une petite sculpture en bois pendue à un petit crochet d'oreille en acier. L'oeuvre en elle-même, assez grossière, représentait une idole telle que les adoraient les gens du village.

Assez embarrassé, Arkaï s'empressa d'expliquer,

« On me l'a offert au monastère, juste après que je sois arrivé. Une autre élève me l'a faite. C'était la première fois que... » qu'on venait lui parler pour autre chose que s'amuser à se faire peur ou pour lui demander de partir. Mais cela, il ne parvint pas à le dire. « Elle m'a dit de toujours la garder avec moi. » acheva-t-il, pour se justifier d'avoir demandé à récupérer un objet aussi trivial. Il replia vite le tissu, une étoffe de soie sur laquelle était tissée des symboles étranges et étrangers, et rangea le tout dans une poche intérieure de sa tunique.

Il le sentit déjà mieux au contact de ce talisman d'enfant, assez pour ne pas laisser le silence se réinstaller. Alors, il demanda, « Elle m'a dit que c'était une tradition ancienne, de s'offrir de tels cadeaux, en protection, et que si on s'en sculptait pour soi-même, ça ne marchait pas aussi bien... C'est vrai ? Vous en avez une, vous aussi ? »

Oser enfin parler de choses triviales avec Haya revint pour lui à crever un ballon d'octo trop plein d'air ; Le chemin lui sembla soudain plus court et ses pas plus légers. Sans doute, et plus encore qu'il n'avait osé se l'avouer jusque là, la perspective de se rapprocher des "grands" du village le poussait d'un élan puissant vers son aînée. Ils avaient ainsi bien avancé lorsque Arkaï lui glissa, profitant que Zelda paraissait trop plongée dans ses pensées pour l'écouter, « A propos, de ce que vous avez dit tout à l'heure... Merci. » Dame Impa avait eu beau le rejeter plus violemment encore qu'une lionne abandonnant son petit trop chétif, le garçon marchait plus aisément en sachant qu'au moins, aux yeux de quelqu'un d'autre que son maître, il était devenu ce qu'il avait longtemps voulu être.



A mesure que le soleil se lançait franchement dans sa course folle au dessus du trio, Arkaï sentait le poids de son fardeau peser de plus en plus sur ses épaules. Non pas qu'il ait été éreinté par la marche ; ses pieds conservaient des souvenirs de périples plus ardus que cette longue pente descendante vers la plaine. Ce qui alourdissait sa marche était le mutisme total et visiblement troublé de la princesse. Au début, il avait simplement cru déceler derrière ce silence une forme de rancœur due à leur conversation avortée de tantôt, mais en l'observant furtivement, le garçon avait remarqué que Zelda évitait soigneusement des yeux l'horizon et la plaine qui se dégageait devant eux. Il lui semblait que la source de cette attitude remontait au moment où il avait évoqué à Haya la route à suivre ? Etait elle en désaccord, ou craignait elle quelque chose sur le chemin ? Une boule d'angoisse monta au creux de ses tripes. Ce que Zelda craignait était de mauvais augure pour eux trois, il en était certain.

La grande plaine de Necluda.

Pendant des années, elle n'était resté qu'un objet de fantasme pour Arkaï. Aperçue au loin, depuis le haut des collines Sheikahs, décrite par les récits des anciens, ce lieu tenait une grande place dans les mythes du village. Mais aucune histoire ne résonnait plus fortement dans les longues veillées d'hiver au coin du feu que celle d'une princesse ayant stoppé là la marche de mort des engins du Fléau. Pour le garçon, ces machines de mort possédaient l'aura de terreur et de fascination des plus terribles dragons des légendes. Des assemblages de fer, de rouages et d'une énergie noire, capables de raser des royaumes de la carte... Il avait longtemps attendu d'en voir enfin de ses propres yeux, mais rien n'aurait pu le préparer à ce spectacle.

« Incroyable. » souffla-t-il, estomaqué.

Des machines. Partout. En ruines, retournées, éventrées, démembrées... Un vaste cimetière d'engins de mort, à perte de vues.

Arkaï resta abasourdi devant un tel paysage, incapable de réagir. Ce qu'il voyait dépassait largement tout ce que son imagination pourtant fertile avait envisagé pendant ces quelques années. Ca n'était pas une affaire de quelques monstruosités : Une véritable armée reposait là, exposée aux affres du temps dans leur dernière demeure. Et quand on savait que ne s'offrait à ses yeux qu'un portion de ce que fut la horde qui fondit sur Hyrule en ce temps là ! Un frisson le parcouru devant l'idée du nombre de vies soufflées par ce vent de destruction.

Le Fléau avait mérité son nom.

« C'est moi qui ai fait ça. »

Après un instant dédié à sortir de sa sidération, Arkaï se retourna pour découvrir une Zelda en larmes, en proie à des émotions visiblement terriblement puissantes. Le garçon laissa une nouvelle fois son regard parcourir l'amas dessinant cette silhouette macabre qui encombrait l'horizon. Elle avait fait ça ? Comment ? Tous les récits de l'événement étaient vagues sur ce point, ou en tout cas ceux qu'on lui avait donné. Arkaï gardait à l'esprit que le village tenait à ses secrets et que certains détails lui avaient certainement été cachés.

Se retournant à nouveau, il se confronta à la douleur et aux larmes de la princesse. Cette situation était une torture, autant pour elle que pour lui. Le garçon n'avait jamais supporté assister, impuissant, à la souffrance d'autrui. Devant la souffrance d'un autre, la force des bras ou la bravoure d'un coeur ne servent à rien. On se condamne à voir l'autre au plus bas sans pouvoir aisément le sortir du trou. Si encore il s'était senti à l'aise avec les mots qui confortent...

Il s'approcha alors, enserra la princesse d'un bras sans chercher à l'étouffer ni à laisser Haya à l'écart, et lui déclara, d'une voix où le calme apparent ne parvenait totalement à masquer son trouble, son regard cherchant celui de Zelda,

« C'était il y a longtemps, reste avec nous, ne te perd pas dans tes souvenirs. »

Mieux que quiconque, il savait à quel point le passé peut devenir un abime où on se plonge et dont on ne sort que difficilement. Fouillant d'une main dans son paquetage, Arkaï en tira le tissu qui enserrait l'idole dévoilée à Haya plus tôt sur la route et, défaisant le paquet, il tendit l'étoffe à Zelda afin de pouvoir essuyer ses larmes. Puis il reprit, doucement, mais sans apitoiement,

« Est-ce que tu te sens de continuer ? » Et, se tournant vers Haya, il déclara et lui demanda en même temps « Ca vaudrait mieux, non ? On devrait pouvoir dépasser l'endroit d'ici ce soir ? »

De quoi effacer de la ligne de vue ces cadavres de métal qui faisaient remonter de si douloureux souvenirs. A vrai dire, toutes les options valaient mieux aux yeux du garçon que de rester là au milieu de ce cimetière et de cette souffrance. Le sourire de Zelda lui manquait déjà, douloureusement.

« Allez, un pas après l'autre, et on aura mis tout ça derrière nous très vite ! »

Prenant la main de Zelda, il mit un pied en avant, tâchant d'emporter la princesse dans le mouvement sans pour autant l'y forcer.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

D'un œil distrait, Haya toisait la petite sculpture que lui présentait le gérudo. Si elle reconnaissait elle-même une certaine curiosité vis-à-vis de cet objet, elle se garda bien de l'afficher sur son visage ; celui-ci resta gelé dans une expression qui ne transpirait pas la moindre émotion, même lorsqu'Arkaï raconta la façon dont il s'était retrouvé en possession de ce porte-bonheur. Qu'on arrête une nouvelle fois leur progression avait tendance à l'agacer quelque peu, avant qu'elle ne se souvienne malgré tout du jeune âge du protégé de Shingen et qu'elle ne lui accorde le droit à quelques excès de sensiblerie. Elle tue ses reproches avant qu'ils ne franchissent ses lèvres et reconsidéra sa dureté et l'apparent manque de compassion dont elle faisait preuve alors qu'il venait de s'ouvrir à elle. Bientôt, un timide sourire s'affichait en retour, ne sachant trop quoi ajouter. Dans la foulée, elle commença à refaire les liens du paquetage avant de le recaler sur son dos et de reprendre la route, toujours en silence. Du moins, jusqu'à ce que le gérudo ne reprenne de plus belle avec quelques questions, somme toutes anodines, mais qui résonnaient assez fort chez la jeune sheikah quittant son fief. 

La douleur qui lui cisaillait le bras droit, souvenir laissé par l'un de ses nombreux ennemis, expliquait aussi en partie sa mauvaise humeur d'alors. Son bras n'avait cessé de geindre depuis l'aurore ; les exercices auxquels elle s'était adonnée peu avant de partir n'avaient eu pour effet que de lui faire lâcher quelques larmes vermeilles, séchées depuis sur le bandage qui recouvrait la cicatrice. « Oui », grimaça-t-elle en réajustant le poids du bagage qui lui tendait déjà certains muscles du dos. Ses pupilles de sang, chargées de mélancolie et teintées par une tristesse dont elle n'aurait su se défaire à ce moment, rencontrèrent le regard pétillant du jeune apprenti. De réponses à ses questions, il n'en aurait malheureusement pas pour le moment. En lieu et place de de cela, Haya préféra s'enfermer dans son mutisme, l'esprit bousculé par trop d'émotions négatives qu'elle avait pris pour habitude de refouler. A peine réagit-elle par la suite aux remerciements du jeune homme quant à ses propos de tantôt. Elle préférait s'en remettre aux bienfaits du temps qui passe, comme souvent.



Devant eux et en amont s'offrait le spectacle le plus renversant en unique qu'il était possible d'observer dans cette région d'Hyrule. Depuis leurs pieds jusqu'à l'horizon se profilaient des dizaines et des dizaines de carcasses inanimées de ces machines terrifiantes qui avaient anéanties l'Ancien Hyrule pour en façonner le nouveau. Haya, dont le regard sévère venait à se déposer sur les corps inanimés de ces fabuleuses créatures mécaniques, se souvenait encore trop bien des vieilles histoires à propos de ces Gardiens. Ces colosses sur lesquels reposaient les espoirs de tout un royaume en vue de l'arrivée du Fléau et dont ils s'étaient vus finalement détournés de leur tâche par la corruption. La sheikah osait à peine imaginer la frayeur et l'incompréhension qui devaient avoir frappés les Anciens à la vue des légions de ces monstres de métal, rasant village après village, ville après ville. Pour beaucoup et encore aujourd'hui, sauf en de rares enclaves comme à Cocorico, le Fléau ne portait ni le visage ni le nom du Seigneur-Sanglier. Leur bourreau n'avait que pour seul visage ces machines de l'ancien temps, conçues par les sheikahs de jadis. De quoi en faire en faire ravaler sa fierté à tout un peuple, dont le bastion demeurait caché derrière les sommets de Narisha. Il était de ces instants où, parfois, Haya aurait aimé ne jamais entendre ces légendes. Bien qu'elle passa souvent par cet endroit, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un accablement presque insurmontable lorsque ses pas foulait le cimetière.

Peut-être ce profond malaise était-il aussi dû à ce silence glaçant qui accompagnait tous ceux qui passaient par ici ; ce lieu n'était rythmé par aucun chant d'oiseau ni même la moindre danse des arbres que le vent provoquait partout ailleurs dans le monde. L'endroit était comme figé dans le temps pour une raison qui avait toujours échappée à la dernière des Nekt'Hyl. Lasse, celle-ci s'autorisa un bref soupir, tandis que dans son dos résonnait la voix de sa jeune reine. Lorsqu'elle se retourna, elle s'étonna de la voir là, plantée comme un piquet, les larmes aux yeux. Immédiatement, elle eut un pincement au cœur, avant que son regard ne cherche désespérément la raison de cette accablement dans le tableau qui s'offrait à leurs jeunes yeux. Mais, comprenant qu'il s'agissait probablement d'une réminiscence d'un souvenir profondément enfoui, elle abandonna ses recherches. Zelda avait couvert son visage avec ses mains et pleurait abondamment quand leur compagnon gérudo vînt la soutenir et la réconforter, autant que faire se peut. Mais dans l'état qui était le sien, les paroles du jeune homme devaient sonner bien trop creuses encore. Lentement, le souvenir des derniers jours passés lui revinrent ; Zelda y apparaissait préoccupée, à peine souriante. Ce que Haya avait pris pour une saute d'humeur passagère reflétait en cette après-midi une toute autre vérité. 

« Arkaï ! Attends », tonna-t-elle, autoritaire. Sa protégée lui semblait émotionnellement épuisée ; bien trop pour qu'elle puisse reprendre la route de si bon train. Ceci étant, la Fille d'Impa avait à cœur qu'elle ne se sente pas un poids dans leur progression en vue d'Elimith. En vérité, de l'avis de Haya, le groupe avait avancé suffisamment vite pour qu'il s'autorise de ralentir la cadence s'il le fallait. Mais cela, elle préférait encore le garder pour elle, les détails n'ayant que peu d'importance en vérité. « Nous allons faire une pause », déclara-t-elle, puis de reprendre d'un ton faussement fatigué : « Je suis épuisée. » Sur ces mots, elle laissa retomber son bagage dans l'herbe. Alkan hennit dans la foulée ; s'il en avait été capable tout seul, il en aurait probablement fait de même. Ceci étant, la guerrière préférait prendre sur elle la responsabilité de s'arrêter alors que Zelda semblait certainement celle qui en avait le plus besoin. Lorsqu'elle passa près d'elle, elle déposa une main délicate sur son épaule ; ensuite de quoi elle gagnait un coin ombragé, sous la cime des arbres.

Un certain temps s'était déjà écoulé lorsque la mine renfrognée de Cheveux-de-Sang se pencha sur son bras blessé. Assise en tailleur sur un rocher qui avait fait d'un superbe érable son amant pour l'éternité, elle s'autorisa une petite gorgée d'un délicieux sake ; elle en reposa ensuite le flacon à ses côtés. Avec précaution, elle commença à défaire l'affreux bandage teinté de rouge et de crasse. Bientôt, l'étonnante cicatrice se dévoilait à son regard. Une nette entaille, encore vive et fraîche, lui cisaillait l'avant-bras droit du poignet jusqu'à l'intérieur de son coude ; elle était si profonde qu'il était miraculeux que la lame qui l'avait faite n'avait pas endommagé nerfs, muscles ou tendons. La cicatrisation d'une telle entaille devait prendre du temps ; bien plus que Haya était décemment prête à lui en accorder. L'espace d'un moment, elle envisagea de jeter un peu d'alcool sur sa peau avant de conclure silencieusement qu'il était inadmissible qu'un aussi bon sake ne soit pas apprécié à sa juste valeur. Elle entama le changement de pansement, appliquant une bande neuve sur son bras et d'en faire le tour encore, et encore, et encore. Quand elle trouva son rythme, son visage bifurqua sur ses compagnons, chacun profitant à sa façon de l'instant de répit qu'elle leur avait accordé. Elle ne put retenir un sourire quant à son compagnon équestre, qui pouvait enfin se goinfrer des tendres herbes que lui offrait la Plaine de Nécluda.

Mais là n'était pas le véritable objet de son attention en vérité. Après qu'elle eut versé toutes les larmes de son corps, il lui semblait que Zelda avait retrouvé une part de calme et de sérénité. Une fois sa tâche première accomplie, elle laissa derrière elle l'ensemble des affaires qu'elle avait déballées et remonta à hauteur de sa suzeraine, les yeux encore rougis des pleurs de tantôt. En premier lieu, elle ne dit rien, s'assurant par la même que sa présence ne soit pas indésirée dans l'immédiat. Quand elle en fut convaincue, sa voix s'éleva avec délicatesse ; celle-là même qui l'avait toujours caractérisée lorsqu'elle s'adressait à sa cadette lors de situations similaires.

« Ma reine », souffla-t-elle tendrement. Elle marqua une pause ; le temps de jeter son regard sur ce qui était communément appelé le Cimetière des Gardiens. Elle poussa un profond soupir de dépit. « Je pleure comme toi cet endroit, bien que ce soit probablement pour d'autres raisons que les tiennes » avoua-t-elle. Son regard se fit plus triste ; ses traits s'étirèrent en une moue qui marquait sa douleur. « Les légendes disent que c'est mon peuple qui les a créé. Leur aspect nous le rappelle constamment », glissa-t-elle en allusion aux symboles arborés par ces machines infernales. « Il n'y a pas plus grande honte pour les miens que de fouler ce genre d'endroit », conclut-elle avec une certaine amertume.

Haya évita cependant de s’épancher en long, en large et en travers sur ce sujet. Déjà parce qu'elle n'en retirait que de la douleur et de la colère. Mais surtout, il était surtout question de la Princesse, à la base, et non de ses propres émois. « Tu sais... Je suis heureuse de te voir te confronter à tes vieux souvenirs », reprit-elle. « Tu aurais pu me demander un détour mais tu ne l'as pas fait. Tu as préféré encaisser et affronter cet endroit », assura-t-elle dans un sourire franc et sincère. Peut-être Zelda elle-même n'avait-elle pas tout-à-fait le même point de vue sur la question. Peut-être s'était-elle sentie obligé de se laisser porter jusqu'ici. Mais la sheikah ne voyait pas les choses de cette façon ; si elle l'avait réellement voulu, Zelda aurait pu user de son autorité légitime pour imposer une autre route et fuir ses vieux démons. « C'est comme ça qu'on avance. C'est comme ça qu'on grandit. Surtout dans ce monde, cela ne peut se faire que dans la douleur », affirma-t-elle. Pour un peu, elle avait presque l'impression de parler comme Impa ou Maître Ohjiro. La comparaison l'effrayait presque.

« Nous quitterons cet endroit lorsque tu l'auras décidé, ma reine », poursuivit-elle. « Nous avons plus de temps qu'il n'en faut pour nous en écarter et compte tenu de l'intérêt que semble porter Arkaï pour ces machines et le festin qu'est en train de se faire Alkan, tu ne risques pas de faire de malheureux si tu souhaites t'éterniser un peu plus longtemps », admit-elle dans un nouveau sourire. Bien qu'elle avait avoué un peu plus tôt détester cet endroit, Haya ne s'estimait pas le droit que ses états d'âme entrent en ligne de compte. Et puis après tout, cela lui avait tout de même l'occasion de savourer un bon sake dont ses lèvres humides se délectaient encore de sa profondeur de goût. Comme quoi, même dans les situations les plus incommodantes, on pouvait y trouver quelques petits plaisirs insoupçonnés. 


Zelda

Team booty

Inventaire

La jeune femme pleurait encore à chaudes larmes quand elle sentit Arkaï l'attirer contre lui. Instinctivement, ses mains se resserrèrent sur ses vêtements sans qu'elle ne puisse pour autant faire cesser les sanglots qui la parcouraient. Les paroles du jeune homme ne purent pas grand chose non plus pour calmer la brèche qui s'était ouverte. Une pensée en amenant une autre, elle avait l'impression de déverser toutes les émotions accumulées ces dernières années.

Elle saisit machinalement le tissu qu'il lui tendit, cessant ainsi de mouiller la tenue du jeune Gerudo. Elle l'entendait parler alors qu'il évoquait la suite de leur voyage mais elle n'arrivait pas vraiment à s'en préoccuper. Encore moins à s'en mêler. Sa gorge serrée refusait de répondre. À chaque fois qu'elle l'envisageait, elle sentait ses cordes vocales se nouer et les pleurs prêts à repartir de plus belle si elle osait prononcer un mot. Mais même si elle avait pu faire entendre son avis, elle n'était pas sûre elle-même de ce qu'elle voulait.

Elle se laissa docilement attirer en avant par son compagnon de voyage, tout comme elle s'immobilisa sans résistance lorsqu'il en fit de même. Elle fut surprise par la déclaration d'Haya. De tout leur petit groupe le Sheikah était sans doute la plus habituée à ces longs trajets. Du moins d'après ce qu'elle connaissait de leurs passés. Elle n'était pas vraiment dupe, et sa main se serra lorsque la jeune femme passa à côté d'elle, posant une main sur son épaule. Une fois de plus elle était un poids, mais elle lui était au moins reconnaissante de ne pas l'avoir dit à haute voix. C'était à elle de faire en sorte que ce soit la dernière fois.

De toute façon, lentement mais sûrement, ses larmes avaient bien fini par se tarir. Elle avait toujours une boule dans la gorge mais la tristesse avait cédé la place à une sensation de calme et de vide. Elle eut un léger soupir avant de se détacher d'Arkaï pour lui rendre l'étoffe, à présent trempée, qu'il lui avait confiée.

"Je suis désolée..."

Elle ignorait d'où venait ce tissu, mais elle avait remarqué combien le jeune homme tenait à ses affaires. Et elle s'excusait tout autant pour avoir pleuré contre lui avant qu'il ne le lui prête. Sa voix était encore un peu chancelante à cause de sa gorge sèche et ses yeux légèrement embués, mais elle au moins elle pouvait parler. Son regard glissa à nouveau sur la scène figée autour d'eux. Elle ne savait pas vraiment ce qui était le plus douloureux, entre les souvenirs ou le présent.

"Je crois que j'ai toujours pensé que si je remettais les pieds ici, il serait avec moi... Link..."

Elle prit le temps d'une petite pause pour ne pas laisser les larmes grimper à nouveau. En l'instant, elle n'arrivait même plus à être en colère contre le jeune homme qui l'avait abandonnée. Sa seule maigre consolation, c'était de penser que là où il était il allait bien. Qu'il pouvait enfin être libre, même si c'était douloureux.

"Et je ne peux pas... Je ne peux pas m'empêcher de me demander si les événements auraient pu se dérouler autrement..."

Si elle avait pu éveiller plus tôt ses pouvoirs... S'ils n'avaient pas déterré et remis en état de marche ces machines dont certaines parcouraient encore les Landes... Il y avait tant de possibilités qui auraient pu éviter cette catastrophe, et pourtant il était trop tard. Personne ne pouvait remonter le Temps.

"Ça doit te paraître étrange... Parce qu'après tout, vous avez toujours vécu avec ces conséquences..."

Son monde s'était arrêté. Mais le Monde lui n'avait pas arrêté de tourner pour autant. N'était-elle pas égoïste de penser sans cesse à ce qu'elle avait perdu au lieu d'accepter cette époque telle que leurs erreurs l'avaient modelée ?
Elle se sentit soudain fatiguée. À mesure qu'elle reprenait pied dans la réalité son corps se rappelait à elle, et elle se dit que finalement la petite pause tombait à pic. Non sans écouter si le Gerudo avait quelque chose à lui répondre, elle en profita pour s'installer sur une petite butte de terre. Ce faisant, elle rapprocha et serra contre elle le sac qu'elle avait gardé en bandoulière, qui contenait notamment ce que lui avait offert Impa et ce qu'avait laissé le Héros derrière lui, ses derniers liens avec son passé.


Au bout d'un petit moment, Haya qui s'était mise à l'écart pour se reposer vint les rejoindre. La princesse fit de son mieux pour l'accueillir avec un timide sourire, dans l'idée de la rassurer. Elle se sentait plus sereine. Pas libérée de la douleur, mais cette dernière ferait sûrement toujours partie d'elle. Et la Sheikah n'avait pas tort, elle avait besoin d'avancer pour mieux la vivre. Peut-être pas uniquement en se confrontant à son passé mais aussi en se forgeant un avenir.

Elle resta silencieuse pendant que la jeune femme lui parlait, non sans être touchée par ses compliments. Maintenant qu'elle y pensait, on l'avait rarement félicitée dans sa vie.
Au final, la question de savoir s'ils resteraient plus longtemps ou partiraient lui revenait, et elle s'accorda quelques instants pour y réfléchir avant de répondre.

"Si on m'avait proposé il y a des années de rester parmi un tel amas de gardiens, j'aurais sauté de joie..." Tant de composants à analyser pour mieux comprendre leur fonctionnement à portée de main. Peut-être même des carcasses qui pouvaient être remises en état de marche ? Encore maintenant, malgré tout ce qu'elle avait perdu, ou failli perdre, à cause de ces inventions maudites... "Quand je les regarde à présent, je sens un mélange de haine et de tristesse, et pourtant..." Une petite voix lui soufflait que maintenant le danger écarté, ce savoir pouvait leur être utile, qu'il fallait juste redoubler de prudence. "Pourtant, toujours cette curiosité, cette admiration... Je ne sais pas ce qui cloche chez moi..."

Elle se releva. Honteuse de ne pas seulement vouloir enterrer à jamais ces monstres de fer, elle préférait ne pas s'attarder même si elle se sentait mieux. Elle n'était pas prête à se remettre à ses études, et elle ne savait pas si elle le serait un jour. Elle n'assumait pas vraiment la petite étincelle de passion qui ne s'était pas tout à fait éteinte.

"Je suis prête à partir quand vous le serez également, mais ne vous hâtez pas pour moi."

Elle ne voulait pas les presser, seulement signifier qu'elle n'avait rien de plus à faire là. Toutefois, repensant à l'air curieux d'Arkaï qu'avait rappelé Haya un peu plus tôt, elle ajouta une proposition.

"Et avant ça... Si vous avez des questions sur cet endroit, j'y répondrai de mon mieux."

Sans doute était-ce une façon de mettre en pratique les conseils de la Sheikah, et de faire face à ses souvenirs. En définitive, une part d'elle avait envie de les raconter pour perpétuer la mémoire de ces jours, si sombres qu'ils aient pu être pour elle. Elle ne savait juste pas par où commencer...


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

La décision d'Haya le pris complètement à dépourvu. Rester ? Ici ? A découvert et avec une princesse saignant à vif à la vue d'une blessure visiblement jamais guérie ? Il lui fallut tout son sens de la hiérarchie pour ne pas bondir sur ses pieds et exprimer son indignation. A vrai dire, l'état de Zelda ne plaidait pas pour une prise de bec, aussi fit-il contre bonne fortune bon coeur et attira la jeune femme vers le coin tranquille indiqué par Haya ; un coin d'herbe à l'ombre d'un des rares arbres de la plaine.

L'imaginer mal à l'aise serait bien en deçà de la réalité ; A vrai dire, Arkaï était pétrifié de sentir ce corps frêle trembler légèrement contre le sien, de voir ce caractère si fort et digne s'effondrer entre ses bras maladroits. Jamais il n'aurait cru cela possible jusqu'alors. Zelda n'avait cessé de rayonner d'une tranquillité et d'une sagesse telle que le jeune homme s'en était fait une idée presque surhumaine. Il aurait dû savoir que tout le monde possède ses failles et que personne ne peut survoler ses démons, pas même les élus des dieux.

Troublé mais attentionné, Arkaï s'efforça d'accompagner la jeune femme sans la brusquer, jusque quasiment la porter lorsqu'il la fit s'asseoir au pied de l'arbre. Suivirent quelques instants de silence parcouru de hoquets sourds à mesure que les pleurs se tarissaient, sans doute autant par apaisement que par l'épuisement de leur source. Zelda eut alors assez de force pour se détacher de lui, et le jeune homme réalisa alors la poigne avec laquelle elle l'avait tenu. Lorsque sa gorge se dénoua et qu'elle s'excusa, il secoua la tête pour stopper net sa culpabilité, et fit dés lors de son mieux pour lui prêter une oreille attentive, quand bien même il avait l'impression diffuse que la princesse ne s'adressait pas complètement à lui, comme si elle se trouvait dans un lieu, ou un temps, qui lui restait inconnu. Il tenta de l'exprimer par des mots maladroits, murmurés comme pour en amoindrir la force,

« Tout cela paraît si vivant pour toi... pour moi ça n'est même pas un cimetière, ce sont des ruines. » 

Arkaï aurait aimé faire preuve de plus de compréhension mais il n'y entendait pas grand chose. Link, le temps d'avant le Fléau, les machines... Ca n'était pas sa vie, ni son temps. Zelda parut le comprendre, tant une fatigue parut s'installer dans ses yeux, la même que certains vieillards qui prennent conscience que le monde commence à tourner un peu plus vite qu'eux.

Dans un long crissement aigu, le fil acéré glissa lentement sur la paroi sans aucune résistance. Le garçon n'en revenait pas ; Pas la moindre trace de rayure sur le métal, même en se penchant de telle sorte que l'oeil puisse presque toucher la matière. S'il s'était agit d'une autre arme, il en aurait blâmé le forgeron ou son état... Mais il s'agissait du tantö légué par son maître, et on lui aurait cherché en vain le moindre défaut. Non, décidément, ces gardiens se révélaient fascinants. Perché sur la tête d'une de leurs carcasses inertes, c'était autre chose que d'en voir des représentations stylisées dans des rouleaux de parchemin !

Et pourtant, on aurait pu les croire jaillies d'histoires ancestrales ; celles contant la vie et la mort de créatures titanesques devant lesquelles l'être humain ne peut que constater sa petitesse et son insignifiante. Le regard d'Arkaï se perdit sur un amas au loin ; des machines y reposaient, enchevêtrées en un tas informe d'où s'échappaient ici ou là une de ces gargantuesques pattes de fourmis. D'aussi loin, on aurait cru y reconnaître un de ces golems décrits dans des textes sacrés sheikahs. Y avait il un lien ? Le jeune homme frappa une nouvelle fois le métal de la pointe de sa lame, son imagination s'évadant à la recherche des créateurs de ces choses. Des hommes ? Des dieux ? Un peu des deux ? A quoi pouvaient ils bien ressembler ? Quels outils maniaient ils pour en arriver à ce résultat si surnaturel ? Certes, certains symboles les ornant rappelaient le style Sheikah mais un monde semblait séparer ces instruments de mort et le paisible village que le garçon connaissait.

Perdu dans ses pensées, Arkaï laissa son couteau glisser sur la carcasse jusqu'à venir se coincer dans un interstice, dans un « clong » sonore. Comme soudainement éveillé par le bruit, le guerrier jeta un coup d'oeil vers Zelda et Haya, toujours assise l'une à côté de l'autre, dans un silence aussi long que pesant. Il se sentait soulagé que son aînée chez les Sheikahs ait pris les choses en main. Lui détestait voir quelqu'un pleurer, surtout pour se lamenter. Quel intérêt pouvait il y avoir là dedans ? Ca n'aide ni à survivre ni à avancer, là dessus aucun doute. Les larmes creusent les joues, paralysent les muscles, empoisonnent l'âme et éteignent le courage... Et puis, quand quelqu'un d'autre pleure, on y peut pas grand chose. C'est à lui ou elle de se relever. Pendant ce temps, on est condamné à l'inaction, réduit à l'impuissance. Le regard sombre d'Arkaï effleura à nouveau la vision de la princesse éplorée et il sentit une boule monter dans sa gorge. Dans un monde idéal, il serait resté à ses côtés, il aurait su l'écouter, lui parler, l'apaiser. Mais il s'en était senti complètement incapable, et avait saisit la première occasion pour s'écarter, au prétexte de lui laisser de l'air. Etait ce ainsi que Shingen aurait voulu qu'il agisse ? La réponse fut rude à admettre mais fusa dans son esprit. Dans un soupire, il s'en remit à son jugement et se redressa.

Au moment où il se relevait, le jeune homme réalisa que sa lame était coincée dans le recoin où elle s'était aventurée sans qu'il ne s'en rende compte. Jurant dans son coude pour ne pas être entendu, Arkaï lutta contre la résistance mais, au moment où il sentit son tantö se débloquer, un son sifflant jaillit. Sa curiosité l'emportant sur sa prudence, il s'approcha pour tenter de discerner ce qui se passait dans l'interstice, et pris aussitôt un jet de fumée rougeâtre en plein visage. Surpris, les poumons encombrés par cette agression soudaine, il manqua de chuter de la tête du gardien et se retint au dernier moment au rebord. Son souffle lui revint vite, tout comme sa vue... En revanche, dans ses oreilles résonnait comme un écho étrange, triste. Ca ressemblait à un choeur de voix éplorées, chuintant leur détresse et leur pleine depuis l'au delà. Arkaï résista du mieux qu'il pouvait à ce sentiment contagieux durant ce qui lui parut être une éternité mais se révéla n'avoir duré que quelques instants.

Inquiet qu'il ait été vu, il se retourna vers ses deux compagnes mais ne vit rien dans leur attitude qui ne parut le concerner. La voix d'Haya ne lui parvenait que faiblement et le garçon ne capta que quelques mots, sur la honte que son aînée éprouvait à venir ici, honte partagée par tout le village apparemment. Sans doute lui en avait-on caché la raison et, une fois de plus, Arkaï constata non sans ressentiment qu'il en savait bien peu sur les secrets de sa tribu. Toujours était il que sa petite expérience ne l'avait que moyennement enchanté, aussi décida-t-il de descendre de son perchoir et d'aller voir ce que les deux autres oiseaux chantaient.

Il se rassit à leur côté au moment où Zelda évoquait sa passion passée pour les machines. Le garçon n'en revint pas qu'elle se sente presque coupable de s'y intéresser, comme si le poids du Fléau tout entier reposait sur ses épaules, mais il ne voulut pas objecter, au risque qu'elle se sente soudainement agressée par sa réaction. En revanche, il ne loupa ni son invitation à reprendre la route, ni sa proposition de partager son savoir.

Dans un mouvement plein d'entrain et avec un sourire où bien des choses se mêlaient, Arkaï se remit sur ses pieds et tendit à chacune de ses camarades de route une main, en déclarant, « Allez, on aura le temps de discuter d'ici à dépasser cet endroit, et je crois qu'il y a une route qui n'attend que nous ! »

Comme si il avait saisit le sens de ses mots, Alkan avait cessé son paisible broutage pour s'approcher d'eux. Il semblait lui aussi assez impatient de reprendre le voyage. Arkaï offrit alors à Zelda de lui faire la courte échelle pour monter sur le cheval mais dans le même temps il en profita pour lui demander la question qui le taraudait depuis plusieurs jours et la première fois qu'elle avait évoqué son nom,

« Excuse moi si ma question ravive un mauvais souvenir mais... ce Link, dont tu parles si souvent, qui était il ? Et pourquoi voulais tu tant revenir ici avec lui ?... Il a un lien avec... tout ça ? » compléta-il en déployant ses longs bras en grand, comme pour envelopper la plaine toute entière, ses gardiens et ses fantômes du passé.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Tout en discutant avec la Princesse d'Hyrule, Haya gardait un œil distrait vers leur compagnon Gérudo. Coupable d'une méconnaissance toute particulière des technologies antiques — elle ne s'y était jamais intéressée que de loin, elle en restait forcément assez effrayée. Aussi, constater des aventures d'Arkaï au sommet d'une des carcasses de ces machines infernales n'était pas pour la rassurer. Néanmoins, elle se garda d'intervenir, préférant retenir l'ensemble de son attention sur la jeune Reine. Elle n'en démontra rien mais elle sentit une pointe de soulagement la gagner lorsque le jeune homme les rejoignit, ravie qu'il n'ait rien réveillé dans son sillage. Elle ne présumait pas de l'étendue des connaissances du garçon quant à ces armes d'antan mais elle-même avait toujours préféré de ne pas s'en approcher de trop près. La honte seule, qu'elle avait par ailleurs évoquée plus tôt, ne suffisait pas à expliquer une telle prudence ; la crainte de devoir affronter l'une de ces machines un jour la terrifiait tout autant. Les légendes ne racontaient pas comment occire l'une de ces bêtes de métal et s'il y eut un savoir à ce propos un jour, il était tout simplement perdu pour l'ensemble des survivants, Sheikahs compris. 

Zelda, quant à elle, évoqua sa propre admiration envers ces fascinantes créatures avant de nuancer son propos et de refuser d'elle-même l'opportunité de poursuivre ses recherches en cet après-midi ; elle évoqua par ailleurs ses propres sentiments négatifs les concernant, avant d'émettre de sérieux doutes sur sa propre personne. « Eh ! » S'exclama aussitôt la Sheikah, qui accompagna sa reine à sa relevée. Elle planta son regard dans les émeraudes de l'Hylienne. « Il n'y a rien qui "cloche" chez toi », affirma-t-elle en reprenant les propres termes qu'elle avait utilisés pour se décrire. Elle ne put retenir une moue légèrement renfrognée ; non pas dû à un quelconque agacement mais davantage parce qu'elle s'apprêtait à admettre. « J'ai beau sentir une profonde colère m'envahir dès que je pose mes yeux sur ces monstres, ils n'en restent pas moins des témoins d'une ère technologique époustouflante », concéda-t-elle, étonnamment sans chercher à mâcher ses mots. Ça n'était pas seulement une question d'ordre scientifique ; en vérité, Haya posait un œil beaucoup plus pragmatique sur la question. « Je peux te protéger de toutes les créatures vivantes, mais ça... », compléta-t-elle en désignant le champ de ruines. Son regard s'assombrit alors qu'elle s'apprêtait à dévoiler son impuissance évidente face à à une telle menace, dont certains représentants arpentaient encore les vastes plaines du Nouvel Hyrule. « Si l'une de ces choses devait constituer un obstacle, je ne pourrais compter que sur toi pour nous tirer d'affaire », conclut-elle. D'une certaine façon, elle espérait ainsi effacer les quelques doutes évoqués par la Princesse afin qu'elle suive sa voie de prédilection. Après tout, il n'y avait plus rien, dorénavant, pour le lui interdire, si ce fut le cas à une époque.

Après ces quelques mots, Zelda consentit rapidement à quitter les lieux, très rapidement suivis par Arkaï et son surprenant entrain. Alkan lui-même sembla approuver le départ, suffisamment repu et reposé. Finalement, la Sheikah s'étonna d'être la moins pressée de l'ensemble du groupe ; ceci étant, elle n'allait certainement pas insister pour rester ne serait-ce qu'une minute de plus. D'un simple regard avec sa suzeraine, elle s'entendit sur leur départ et s'éloigna des deux autres pour récupérer ses affaires qu'elle avait utilisé pour bander son bras proprement. Tout en refaisant l'ensemble de son paquetage, elle écoutait d'une oreille attentive l'ensemble de la discussion entre ses compagnons ; plus particulièrement, la réponse qu'apporta Zelda l'intéressait plus que tout. Haya n'avait malheureusement pas l'aisance naturel de leur compagnon Gérudo pour délier les langues et faire la conversation et pourtant le sujet du Héros l'avait toujours intéressée, plus encore depuis qu'elle côtoyait la monarque. Pour autant, ses questions restaient coincées dans sa gorge la plupart du temps, bien trop habituée à taire sa curiosité et ses émotions. Aussi ne manquait-elle pas une miette des informations qu'elle pouvait récupérer, ça et là, quand l'occasion se présentait.

Au bout de quelques minutes, Haya était prête à reprendre la route et saisit la partie du paquetage d'Arkaï qu'il lui incombait de porter depuis quelques jours déjà. Après quoi elle rejoignit ses compagnons, qui lui emboîtèrent aussitôt le pas, se frayant un chemin au milieu du Cimetière des Gardiens. Lorsque le soleil commença à tomber dans le ciel, cet endroit n'était déjà plus qu'un souvenir.


Zelda

Team booty

Inventaire

Si la jeune femme retrouva quelque peu le sourire lorsqu'Haya lui avoua une certaine fascination pour les machines antiques qui les entouraient, elle détourna légèrement les yeux lorsque la Sheikah avoua compter sur elle en cas de problème avec ces engins.

Elle se rendit compte que si elle leur avait avoué être à l'origine de la scène autour d'eux, elle ne leur avait pas vraiment précisé comment. Elle ne leur avait pas non plus parlé de ses pouvoirs, arrivés in extremis, ni de leur disparition. Elle avait beau être celle qui en savait le plus à leur sujet, elle n'aurait pas été en mesure de faire grand chose si l'un de ces instruments de guerre autour d'eux s'était relevé. Ses connaissances seules n'avaient pas suffi à l'époque, du moins pas en l'état, et elle ne sentait plus en elle les traces de la magie qui l'avait habitée un temps. Dans son esprit, la nécessité d'en apprendre plus le disputait à la prudence.

"Et quel que soit le danger, je ferai mon possible pour vous aider, mais mieux vaut ne pas prendre de risque..."

Elle avait répondu d'une voix mal assurée et était d'autant plus empressée de quitter l'endroit comme Arkaï. Malgré tout, cela la rendait aussi curieuse de savoir si des recherches en ce sens et notamment sur les moyens de combattre d'éventuels gardiens encore en activité avaient abouti. Elle devrait sans doute attendre de rencontrer Pru'Ha pour en savoir plus sur ce point.

Elle accepta machinalement la proposition d'Arkaï et le laissa la hisser sur le cheval tout en écoutant sa question. Cette dernière, elle l'avait bien cherchée d'une certaine façon. Et même si le sujet était douloureux, elle devait avouer qu'une part d'elle avait envie d'aborder le sujet plus ouvertement qu'elle n'avait pu le faire jusque là.

"Link était... Il était beaucoup pour moi. J'imagine que si tu en as entendu parler, ce devait plutôt être en tant que Héros d'Hyrule" En une centaine d'années elle ignorait quels détails avaient pu passer l'épreuve du temps. Si elle voulait qu'il comprenne vraiment, elle devait remonter jusqu'à des événements plus lointains.

"À mon époque, nous savions déjà que Ganon allait revenir, tous les signes l'indiquaient." Elle avait certes pu douter de sa capacité à intervenir, mais elle n'avait jamais vraiment remis en question les prophéties à ce sujet. C'était ce qui avait rendu ses échecs si difficiles à vivre. "D'après les vieilles légendes transmises dans la famille royale depuis des générations, ce n'était pas la première fois que sa menace planait sur le royaume." Elle laissa traîner son regard autour d'eux. "Ce serait un peu long de rentrer dans les détails, mais c'est notamment en suivant la trace des Anciens que nous avons déterré les Gardiens. Nous espérions profiter de leur aide face au Fléau." Son ton se fit un peu amer en reprenant. "Je ne pense pas avoir besoin de préciser que tout a très mal tourné... Mais ils n'étaient pas notre seule arme. Les récits parlaient aussi d'une princesse aux pouvoirs capables de sceller le mal, et d'un héros, élu de la lame purificatrice."

Ses doigts jouèrent distraitement avec la crinière du cheval alors qu'elle rentrant dans le vif du sujet. "C'était lui... Il était l'un des cinq Prodiges qui s'étaient engagés à faire face au Fléau à mes côtés, ainsi que le porteur de l'épée légendaire. Mon Père l'avait aussi chargé de veiller sur moi..." Elle fit une courte pause, plongée dans ses vieux souvenirs. "Je ne l'aimais pas beaucoup, au début... Il était si parfait, si doué, alors que moi... Je n'avais jamais été capable d'éveiller mon pouvoir comme on l'attendait de moi..." Elle avait compris à présent qu'elle avait été jalouse de ses réussites sans chercher à voir plus loin que la surface. Trop habituée à être jugée, elle avait cru qu'il ne pourrait qu'en faire de même. "Mais j'avais tort, et j'ai appris à le connaître mieux... C'était quelqu'un de gentil, et d'intelligent, sa réputation au combat n'était pas usurpée... Et puis il était plutôt mignon..."

Elle rougit quelque peu et enchaîna, consciente de s'être un peu laissée emportée. La suite était moins joyeuse. "Lorsque Ganon s'est éveillé, je n'avais toujours pas trouvé en moi la moindre magie et les machines sur lesquelles nous comptions se sont retournées contre nous. Il y a eu tant de morts ce jour-là..." Elle ne se sentait pas de dresser la liste des personnes qu'elle avait perdues alors. "Link a fait de son mieux pour nous maintenir en vie, mais nous avons été acculés ici par les Gardiens..." Le nombre de carcasses de machines autour d'eux donnait un aperçu du désespoir de la situation. "Je sentais bien qu'il ne pourrait pas tenir indéfiniment, et qu'il était pourtant prêt à aller jusqu'au bout... Quand j'ai compris ce qui allait se passer..." Sa voix s'était faite plus tremblante. Elle-même n'était pas sûre de pouvoir vraiment expliquer ce qui s'était débloqué en elle. "Je me suis interposée, et le pouvoir de la légende s'est enfin manifesté. C'est grâce à lui que j'ai neutralisé tous ces Gardiens, mais il était bien trop tard..."

Il s'en était fallu de peu pour qu'elle ne perde son ami à jamais. "Link était déjà mourant... Sans nos connaissances sur les technologies antiques et la sagesse de l'esprit de l'épée de légende, il ne serait plus de ce monde..." Elle passa toutefois sur les détails sur le sanctuaire de la renaissance. "Et même si mon pouvoir s'était enfin révélé, je ne pouvais pas régler la situation seule. Alors pendant une centaine d'années, j'ai contenu le Mal au château d'Hyrule en attendant son réveil."

Elle en arrivait doucement à des événements plus récents. "Si je peux te raconter tout ça aujourd'hui, c'est parce qu'il y a quelques mois il est enfin revenu... Et quand tout a été fini, j'étais à bout de forces, mais tellement heureuse..." Avant de continuer, Zelda se laissa glisser en bas du cheval pour fouiller plus facilement dans son sac. "Pourtant... Il était comme distant... Plus silencieux... Il a veillé sur moi et m'a conduite jusqu'au Village Cocorico, mais quelque chose était différent..." Elle n'avait pas voulu le voir à ce moment, mais elle devait bien l'admettre aujourd'hui. Comme pour une démonstration, elle sortit de sa besace le vêtement bleu qu'il avait abandonné à son départ, et qu'elle serrait encore parfois contre elle au moment de dormir. "Juste avant notre rencontre, il a quitté le village. Sans un au revoir, en laissant derrière lui l'ardoise Sheikah et la tunique de Prodige que j'avais brodée pour lui." Elle ne pourrait pas éclaircir ce point puisqu'elle était elle-même toujours perplexe et en colère. "Je ne sais pas pourquoi... Je ne le saurai pas avant d'avoir retrouvé cet idiot..."

Elle ramassa au sol une branche qui traînait avant de commencer à tracer quelques traits au sol. Elle ignorait si Haya l'avait aperçu avait qu'il ne s'en aille, mais Arkaï ne devait jamais l'avoir vu. "Si jamais un de vous l'aperçoit..." Doucement un visage prenait forme sur la terre parsemée d'herbe mais elle devait avouer qu'elle était plus douée pour les schémas et les croquis sur des parchemins que pour cet exercice. "Il a des cheveux blonds souvent attachés en une queue de cheval, des yeux d'un beau bleu glacé... Et... Il ne souriait pas tellement la dernière fois que je l'ai vu..." Sur ces derniers mots mêlés de tristesse et d'une colère impuissante, elle lâcha tristement son bâton au sol. Prête à se remettre en route et à suivre ses deux compagnons.