Visite au Monastère Sheikah

Les Landes d'Hyrule depuis peu débarrassée du Fléau Ganon, c'est à Cocorico que nous retrouvons Zelda, où cette dernière séjourne depuis le combat final. S'apprêtant à reprendre la route d'ici peu de temps, elle fait la rencontre de Haya, une Sheikah missionnée par Impa pour lui servir de protectrice. Ensemble, elles se rendent au vieux monastère pour y rencontrer Arkaï, un mystérieux Gérudo caché dans le village et entrainé par un maître d'art martiaux respecté bien que controversé, Shingen.

Milieu de l'automne - 3 mois après (voir la timeline)

Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

Alors qu'elle sortait de la forêt et s'enfonçait à peine au sein des montagnes environnantes, Zelda s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle. Un instant elle se demanda si Impa ne l'avait pas envoyée là seulement pour la pousser à faire un peu d'exercice. Ou simplement l'occuper, à force de la voir tourner en rond dans le village.

Un souffle glacé s'échappa de sa bouche alors qu'elle laissait ses yeux se perdre sur le Village Cocorico en contrebas. Rien que pour la vue, l'ascension en aurait valu la peine. Mais lorsque son regard se porta en direction du monastère elle mesura la distance qu'il lui restait encore à parcourir.
La jeune femme ferma un instant les yeux, calmant doucement sa respiration, les joues rosées à cause du froid mordant de la fin de l'automne, plus présent à mesure qu'elle grimpait en direction des sommets.
Par moments, elle avait presque perdu l'espoir de sentir à nouveau la caresse du vent ou les rayons du soleil sur sa peau, presque oublié cette sensation. Malgré les températures un peu fraîches de la saison ou son corps à peine réhabitué à de tels efforts physiques, elle n'avait pas envie de se plaindre. Elle se contenta de resserrer la tunique traditionnelle Sheikah que lui avait prêtée Pahya pour se protéger de la brise.

Elle n'était pas tout à fait sûre de savoir pourquoi elle devait rencontrer ce jeune homme là-haut. Elle était certaine d'avoir scellé Ganon, sans doute possible. Elle n'aimait pas imaginer que le danger puisse être toujours présent, et que toutes ces épreuves n'avaient pas été finalement couronnées de succès. Ça aurait aussi rendu beaucoup plus inquiétante la perte de ses pouvoirs.
Pourtant, même si elle avait attendu de récupérer des forces et contrairement à Link, elle n'avait pas pu refuser de rendre ce service à Impa. Sa vieille amie avait tant fait pour elle, toutes ces années à attendre pour guider le Héros après son réveil, sans aucune autre certitude que ce que lui avait affirmé la princesse. Encore aujourd'hui, fatiguée par les âges et méconnaissable, la Sheikah qu'elle avait connu dans sa jeunesse se faisait une priorité de veiller sur la jeune femme et lui apporter les ressources et les conseils dont elle pouvait avoir besoin.

D'ailleurs... Alors qu'elle s'apprêtait à se remettre en route, elle sentit une présence derrière elle et se retourna. Oh. Elle en avait presque oublié la garde du corps qu'avait voulu lui assigner Impa et qui venait apparemment de la rattraper. Elle était supposée l'attendre en bas de la forêt avant d'entamer l'ascension vers le monastère, mais elle avait préféré se mettre directement en route. Non pas qu'elle ait eu quoique ce soit contre cette jeune femme qu'elle avait aperçue plusieurs fois pendant son séjour chez la doyenne, mais à quoi bon ? En matière de garde du corps elle avait déjà donné. Faire connaissance, s'attacher, pour se faire abandonner une fois le danger passé ? Quand bien même elle se savait importante aux yeux d'Impa, au moins autant que ne l'était à ses yeux sa vieille amie, elle n'avait même plus un statut justifiant une telle protection. N'était-ce pas pour ça que Link était parti ? C'était cet idiot égoïste qui aurait dû se tenir à ses côtés.

"... Haya, c'est bien ça... ?"

Elle n'attendit pas que la jeune femme confirme pour enchaîner.

"Tu n'aurais pas dû te déranger. Je suis capable de me débrouiller seule. Je sais qu'elle n'a que de bonnes intentions, mais Dame Impa s'inquiète beaucoup trop."

Ses yeux s'attardèrent un peu plus sur la jeune Sheikah et ses cheveux d'un roux inhabituel chez ses semblables. C'était une belle femme et, même si au premier coup d’œil sa silhouette était plutôt gracile pour une guerrière, elle avait suffisamment confiance en Impa pour savoir qu'elle n'avait pas été choisie par hasard. Zelda ne put toutefois s'empêcher de remarquer le bandage à son bras.

"En plus, tu es blessée..."


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Dans la petite cheminée brûlaient les premières bûches de l'Hiver ; et tandis qu'elles crépitaient allègrement, les flammes dansaient dans les yeux de Haya. Assise sur ses genoux, la sheikah mélangeait entre ses doigts le henné au reste de la préparation dans une petite coupole en bambou. Le geste était tellement habituel et répétitif qu'il en devenait machinal à mesure que les années passaient, ce qui la laissait tout à son aise pour se perdre nonchalamment dans ses pensées et ses rêves, qu'ils fussent agréables ou autrement plus douloureux. En l’occurrence, ils ne l'emmenaient pas si loin en arrière, au milieu d'une forêt dévorée par un incendie resplendissant dans une nuit sans lune. A ses côtés pour lui tenir compagnie, une autre jeune femme travaillait un morceau de chêne avec un coutelas. Dans la lueur des flammes et de quelques lanternes accrochées le long des poutres de la demeure, elle limait ce qui devait devenir à terme l'une de ces petites statuettes que leur peuple adorait à entreposer un peu partout dans le village. « En arrivant, j'ai cru entendre quelqu'un qui frappait le mannequin. J'imagine que cela devait être toi », lança Ran, alors qu'elle replaçait la pièce entre son pouce et son index, pour une meilleur prise. « Tu as enfin pu reprendre l'entraînement », en conclut-elle, son regard à la recherche de celui de son amie. Celle-ci ne lui répondit que par un bref hochement de tête, ses pensées encore aspirées bien loin d'ici. Néanmoins, la sheikah ne lui en tenait pas rigueur. Elle la savait d'humeur particulièrement songeuse dans les quelques heures qui suivaient son réveil, au moins jusqu'à ce que les premiers rayons du soleil n'atteignent son visage. « Ton bras ne t'a pas fait défaut ? », insista-t-elle en faisant allusion à la cicatrice qui lui cisaillait le bras droit depuis déjà deux longs mois. Ses yeux se reportèrent ensuite sur la petite idole, et le couteau de reprendre la sculpture du bois. 

Haya s'était détachée du brasero et commençait à doucement appliquer la mixture carminée sur une première mèche de son épaisse chevelure. Le blanc, si éclatant qu'on croirait qu'il puisse éclairer dans les ténèbres les plus noires, ne nacra d'un rouge sombre et profond. Haya poussa un demi soupire, presque lassée par ce geste devenu son quotidien mais qu'elle s'imposait de faire pour une raison qui lui échappait encore. « La plaie s'est légèrement rouverte, il a fallu refaire le bandage. Pahya m'a aidée », concéda-t-elle sobrement. Elle savait que Ran, comme la plupart des gens qui la côtoyaient, avait à cœur de prendre soin des leurs. Dans une communauté ou tout le monde se connaissait plus ou moins, ce genre de secret avait du mal à exister et d'une manière ou d'une autre, Ran aurait apprit la nouvelle, que cela se fasse par l'intermédiaire de la petite-fille d'Impa ou non. Haya marqua une petite pause dans son petit rituel matinal pour observer silencieusement les bandes blanches qui recouvraient son avant-bras, du coude jusque dans le creux de sa main. Du coin de l'œil, Ran fixait la même chose, inquiète. « C'est que tu as dû forcer un peu trop. Le guérisseur t'avait prévenue », la blâma-t-elle librement et sans aucune gêne avant d'en revenir de nouveau son propre ouvrage. Cependant, sa remarque était juste et l'ancienne élève d'Ohjiro ne s'en offusquait pas. Son amie n'était pas reconnue pour avoir sa langue dans sa poche et elle-même était habituée à essuyer quelques remontrances de temps en temps, fussent-elles fondées ou au contraire complètement gratuites.

« Bien ! Je pense avoir fini », reprit finalement Ran quelques minutes plus tard. Elle rangea le coutelas dans son étuis et présenta la figurine qu'elle avait taillée avec une habilité et une patience que Haya ne lui connaissait que trop bien. Rares étaient ceux qui sculptaient aussi bien les anciennes idoles oubliées des sheikahs, surtout avec une telle adresse. La guerrière des ombres avait pour habitude de parfaire ses créations dans les moindres détails et celle qu'elle détenait entre ses petits doigts escarpés n’échappait clairement pas à la règle. Dès lors, il était très facile de discerner l'héroïne représentée ; une de ces championnes qui avaient fait la fierté du peuple, en son temps. L'armure dont Ran l'avait parée était tout aussi bien décorée que le pouvait être sa légende, sinon plus.
Enfin, un grand sourire chaleureux illuminait le visage de Haya. « Merci. Elle est parfaite », déclara-t-elle alors que ses doigts imbibés de rouge se pressaient encore sur ses cheveux. Mais Ran ne s'arrêta pas là, puisqu'après avoir jeté un coup d'œil à la préparation initialement prévue pour colorer la crinière de son amie, elle glissa sa main dans le contenant pour en récupérer avant de l'appliquer sur le fruit de son propre travail. « Et grâce à toi, je vais même pouvoir la personnaliser », ajouta-t-elle, non sans échanger un sourire complice.



Il est parfois de ces mots qui vous rappellent cruellement à la morsure de l'Hiver. En l’occurrence, et même si la jeune reine ne l'avait pas forcément voulu, c'était ainsi que ses paroles résonnaient dans le cœur de Haya. Notamment ses derniers. Elle n'aurait pas précisément su dire si Zelda les avait prononcé avec dédain mais ce fut ainsi qu'elle les entendit. Son poing se referma avant qu'elle ne le ramène contre sa poitrine, la tête basse. Peut-être était-elle simplement honteuse de sentir une quelconque forme de reproche dans une remarque que l'on aurait pu croire bien anodine. Ou bien était-ce parce que le souvenir de cette nuit d'automne resterait à jamais graver dans son esprit, de la même manière que les Yigas avaient marqués son bras pour le restant de ses jours. Si dans ses prunelles rouges sang se rappelaient à elle les images de ces bandits dont sa lame avait éteint l'étincelle de la vie, quand cela n'avait pas été les flammes dévorantes du brasier qu'elle avait déclenché, elle n'en oubliait pas le mal qui l'avait pris lorsque l'acier avait tranché à vif dans sa chair. Sa vue se troubla sensiblement à l'insu de la Princesse, dont elle n'avait pas affronté le regard depuis qu'elle l'avait rattrapée. Et pour cause, la sheikah avait parfaitement assimilé le caractère de sa mission et, comme à son habitude, elle respectait les consignes qu'on lui avait données. « Tu t'agenouilleras lorsque tu te présenteras devant elle », lui avait dit Impa par deux fois, soucieuse de lui faire respecter une certaine étiquette. Ainsi, lorsqu'elle arrivait à hauteur de la jeune souveraine et que celle-ci lui adressait la parole, Haya avait déjà posé respectueusement le genoux et ses yeux sur le sol.

Si elle n'était pas tout à fait certaine d'un quelconque mépris de l'hylienne vis-à-vis d'elle, son agacement lui apparaissait néanmoins comme assez évident. Elle n'aurait su dire s'il lui était tout particulièrement adressé mais la doyenne de Cocorico l'avait mise en garde à ce sujet, de façon à ce qu'elle ne le prenne pas personnellement. À dire vrai, la descendante des Nekt'Hyl ne pouvait pas lui en tenir rigueur car elle non plus ne se serait pas forcément senti très à l'aise vis-à-vis de ce genre de traitement. Ceci étant, elle ne portait pas un nom aussi clinquant que la Princesse d'Hyrule, aussi cela ne la concernait en rien. « Mes excuses concernant mon retard, Majesté », commença-t-elle, tout-à-fait consciente qu'elle avait rejoint le pied de la falaise dans les temps. Ceci étant, elle espérait que cela apaise sensiblement celle qu'elle devait protéger, d'une quelconque façon que ce soit. Il aurait été dommage de partir sur de mauvaises bases compte tenu du temps qu'elles allaient passer ensembles dans les prochains jours, voir les prochaines semaines. « Et que votre Altesse se rassure, Imp... Dame Impa ne remet pas en cause votre habilité à vous en sortir sans aide extérieure », continua-t-elle en cherchant à être aussi délicate que possible. Haya n'avait pas pour habitude de beaucoup s'étendre en longs et en larges mais ce n'est pas pour autant qu'elle ne pouvait pas essayer de comprendre la dernière des Nohansen, au moins en partie. Une bourrasque glaciale souffla fort lorsqu'elle observa le village en contre-bas durant quelques instants, en direction de la demeure qui l'avait recueillit une vingtaine d'années plus tôt.

La jeune femme se rappela les raisons qui l'avaient poussée à accepter un engagement aussi sérieux et sa résolution n'en fut que décuplée. Vêtue de la traditionnelle tenue bleue nuit des guerriers sheikahs, elle finit par se redresser – qu'on l'y ait invitée ou non – et laissa enfin ses yeux rubis affronter ceux émeraudes de Zelda. Ensuite de quoi elle descendit le masque qui lui couvrait la moitié inférieure de son visage, avant de soupirer un nuage brumeux à travers ses lèvres. « Si son âge avancé ne le lui interdisait pas, j'imagine qu'elle aurait voulu s'acquitter elle-même de cette tâche », reprit-elle en parlant bien sûr d'Impa. Puis d'enchaîner, avec une certaine défiance qui pouvait être perçue comme déplacée mais qui laissait transparaître sa détermination : « Je ne peux pas refuser à cette femme, celle qui m'a tant donné depuis l'enfance, la promesse d'accomplir la mission qu'elle désespère de ne pouvoir exécuter par elle-même. » Sa voix n'avait failli ni ne souffrait d'aucune hésitation, comme pour signifier que Zelda devrait compter sur sa présence à ses côtés quoiqu'elle en penserait. Tout du moins tant que la doyenne ne lui intimerait pas un ordre contraire.

Toutefois, Haya n'avait pas envie de rester sur des paroles aussi absolues et à nouveau se rappela à elle son profond désir que les choses se déroulent pour le mieux entre les deux femmes afin d'éviter toute animosité qui envenimerait le début de leur relation. Bien que rien ne les obligeait à s'apprécier pour qu'elle puisse mener sa mission à bien, au fond. La sheikah aux cheveux de sang farfouilla dans une petite poche accrochée à sa ceinture pour en sortir une fine statuette de bois finalisée le matin même par les mains d'une de ses plus proches amies. Tenant tout juste dans la paume de sa main, elle la tendit à Zelda, alors que les rayons d'un soleil automnal faisaient se refléter les mêmes rouges vermeils et carmins sur la figurine ainsi que dans la crinière flamboyante de la guerrière. « Il est de coutume, dans certaines familles comme la mienne, de remettre un présent à celui où celle que nous jurons de protéger », expliqua-t-elle. D'un geste discret et respectueux, elle l'invita à se saisir de son offrande sans plus attendre. De toute évidence, la Princesse d'Hyrule avait déjà dû en apercevoir quelques unes disséminées un peu partout dans Cocorico. Elle lui laissa quelques secondes pour l'observer de plus près avant de reprendre : « Celle-ci est à l'effigie d'Impa. Comme ça, elle pourra prendre part à cette mission d'une certaine façon. Quant à vous, Majesté, vous pourrez comptez sur une figure un peu plus familière pour affronter les dangers de ces contrées. » Sur ses mots, Haya se tue. Inspirant profondément, elle espérait que ces mots apaisent, au moins un peu, l'agacement qui naissait dans l'esprit de la jeune reine. Dans le cas contraire, elle s'en accommoderait et ne chercherait probablement pas à forcer les choses plus que de raison.


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

Sitôt ses paroles prononcées, la princesse avait regretté son ton un peu sec. Cette femme n'était pas Link, mais elle n'y pouvait rien. Elle chercha à capter si ses paroles l'avaient de quelque façon contrariée, mais sa nouvelle garde du corps s'obstinait à rester à genoux, lui dérobant son regard. Lorsque enfin elle lui répondit, ce fut d'une voix calme et mesurée, la laissant espérer qu'elle ne l'avait pas froissée.

"Relève-toi, je ne suis plus princesse de rien du tout…"

Le château était en ruines. Elle ne pouvait pas vraiment dire qu'elle n'avait pas apporté une certaine contribution pendant toutes ces années, puisqu'elle avait empêché le Fléau de se répandre plus encore, mais elle n'avait pas gouverné et le royaume n'en avait pas moins continué à se reconstruire. Elle savait qu'Impa, et sans doute probablement tout ceux qui l'avaient connue avant la catastrophe, la voyaient toujours ainsi. Peut-être même certains attendaient-ils d'elle qu'elle en fasse une réalité à nouveau. Le voulait-elle ? Elle aurait été incapable de dire si elle était peinée par la situation ou si c'était un soulagement. Et elle était bien incapable de réfléchir à ce que son Père aurait souhaité sans sentir les larmes monter.

Lorsque la jeune femme se releva et que leurs yeux se croisèrent, la lueur qui brillait dans ceux de la Sheikah laissa comprendre à Zelda qu'elle n'avait pas l'intention de faire demi-tour, et ce avant même qu'elle ne détaille ses raisons. La princesse détourna un instant son regard pour le laisser se perdre dans le vide. Quand elle avait vu Impa pour la toute dernière fois avant leur longue séparation, elle n'avait pas un âge si différent du sien. Il s'agissait déjà d'une amie à l'époque, une des rares à qui elle avait pu confier ses états d'âme. Plus encore, elle lui avait confié ses derniers espoirs. Toute sa vie, Impa l'avait ensuite passée à attendre la venue de Link. Puis le retour de Zelda. Si elle avait encore disposé de la jeunesse et la santé nécessaire, nul doute qu'elle serait là en cet instant. Elle acquiesça sur un ton résigné.

"Tu as sans doute raison… De toute façon, maintenant que tu es là…"

Elle s'en voulait de ne pas arriver à feindre un air plus enjoué. Le départ encore récent de Link avait assombri son moral et contribué à lui donner l'impression d'être déboussolée… Elle savait qu'elle avait juste besoin de temps, la compagnie de la jeune Sheikah pouvait sans doute même l'aider. Mais elle s'était interrompue en voyant Haya fouiller dans une pochette accrochée à sa ceinture. Elle posa un regard interrogateur sur la petite figurine qu'elle en sortit. Tout en écoutant les explications, elle tendit docilement le bras pour se saisir de la petite sculpture et la ramener entre ses mains. Doucement, elle la tourna dans tous les sens pour en admirer les moindres détails, et ils étaient nombreux.

"Elle est magnifique… Merci… Est-ce que c'est quelque chose que tu sais faire ? Est-ce que tu crois que je pourrais apprendre ?"

Elle sentait son enthousiasme et sa curiosité s'éveiller. Elle s'imaginait bien que quelle que soit la personne qui avait réalisé l'objet c'était le résultat de plusieurs années de pratique, mais la simple idée d'essayer, d'y passer du temps, l'envie de créer quelque chose d'aussi beau avait quelque chose d'apaisant. Elle laissa glisser un doigt sur la surface douce du bois taillé en une silhouette familière et un sourire timide illumina ses lèvres.

"Je la garderai précieusement. Impa sait décidément bien s'entourer."

Elle rangea précautionneusement le cadeau dans le petit sac qu'elle portait en bandoulière et qui contenait aussi le couteau que lui avait confié sa vieille amie.

"Remettons-nous en route, mieux vaut ne pas trop traîner, il nous reste du chemin à faire et je risque de devoir faire quelques pauses sur le trajet, j'ai… perdu l'habitude…"

Elle se sentait un peu gênée de l'avouer, mais mieux valait l'annoncer avant d'être à nouveau à bout de souffle. Elle sentait la jeune femme bienveillante, et dès lors elle se sentait plus à l'aise avec elle. Ses pas reprirent lentement en suivant la direction que lui avait indiquée Impa vers le haut de la montagne. Comme elle n'avait pas envie que le silence retombe, elle se surprit à poser quelques questions à la jeune femme qui l'accompagnait.

"Est-ce que tu es déjà allée souvent dans ce monastère ? Tu connais le jeune homme que nous allons voir ? Impa m'a parlé de toi, et j'ai bien senti que tu étais un peu comme une fille pour elle, mais j'ignore à peu près tout le reste…"

Tout en guettant des signes de leur arrivée, elle espérait en apprendre plus sur sa compagne de route.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Plus les prunelles rougeoyantes de la sheikah s'attardaient sur la jeune hylienne qu'elle avait en face d'elle et plus il lui semblait déceler chez elle comme une intense tristesse. Sa voix était douce et pourtant si terne, presque effacée ; parfois, son regard allait se perdre au loin durant quelques secondes. De toute évidence, la jeune reine ne devait plus tout-à-fait se sentir à sa place dans ces contrées qu'elle redécouvrait une centaine d'années après les avoir foulé à l'époque, lorsque le Fléau n'avait pas encore frappé. Haya ne pouvait pas tout à fait comprendre le mal-être que cela pouvait engendrer mais elle pouvait tenter de se l'imaginer. Lorsqu'elle voyait les vestiges de murailles de pierre au milieu d'araignées antiques désactivées depuis des décennies, Zelda devait y reconnaître d'ancien lieux familiers qui faisaient la fierté de son royaume perdu. Et que dire des visages de ceux que les âges avaient profondément marqués, quand ils n'avaient pas tout simplement disparu. Derrière ce masque naturel de grâce et de beauté se dissimulait difficilement une profonde peine que Haya avait perçue dès le premier regard échangé avec l'hylienne, quelques jours à peine après son arrivée au village. Et pour cause, elle avait depuis des années cette même lueur trouble qui lui assombrissait le visage – bien que ce fut pour d'autres raisons. Était-ce simplement dans le but d'offrir une protection à la souveraine d'Hyrule ou bien la doyenne de Cocorico avait-elle comme réelle ambition de réunir ces deux âmes fêlées avant que ce monde hostile et cruel ne les brise définitivement ? La guerrière n'aurait su le confirmer mais elle savait d'expérience que les décisions d'Impa étaient rarement les plus anodines.

Le fait que son cadeau n'arrache un discret sourire à Zelda ne l'était pas non plus et Haya savait se satisfaire des grandes victoires comme des petites. Finalement, l'agacement qu'avait éprouvé l'hylienne s'était rapidement effacé et son interlocutrice comprit que le ton un peu sec qu'elle avait employé tenait plus d'une maladresse inoffensive que d'une réelle envie de la blesser dans son estime. Les traits de la sheikah s'adoucirent légèrement alors que ses lèvres se fendaient d'un tendre sourire. « Sa Majesté est encore bien jeune, elle a encore le temps pour apprendre ce qui lui chante », répondit-elle alors qu'elle ne savait pas précisément l'âge de la jeune femme. Toutefois, il aurait fallu être particulièrement cruel ou bien complètement à côté de la plaque pour lui donner plus d'un quart de siècle. « Je ferai une bien piètre professeure mais je vous présenterai mon amie, elle pourra vous indiquer les bases », compléta-t-elle d'un ton conciliant. Haya n'était pas la plus douée en ce qui concernait la sculpture du bois, se contentant de réaliser quelques œuvres simplistes à la portée des enfants. Princesse-de-rien-du-tout ou non, Zelda méritait d'avoir une meilleure préceptrice pour commencer cette discipline si cela l'intéressait et, par chance, il se trouve que Haya connaissait particulièrement bien celle qui détenait les doigts les plus habiles en la matière. Et Ran, comme la plupart des sheikahs, n'était pas avare de partager ce genre de connaissances avec d'autres, quelque soit les origines.

Cependant, ce n'était ni l'endroit ni l'heure pour s'étendre sur le sujet, d'autant qu'elles avaient encore un peu de chemin à parcourir pour atteindre leur vraie destination : l'antique monastère sheikah perdu dans les falaises. D'un bref hochement de la tête, Haya signala sobrement son approbation et emboîta le pas de la jeune femme alors que l'extrémité de ses oreilles pointues rougissaient suite aux faibles bourrasques d'un vent froid et agressif. Ainsi démarra son rôle de protectrice de la dernière des Nohansens, sur un sentier sinueux perdu dans les montagnes qui entouraient son village. Préalablement prévenue du manque de rythme de sa protégée par la concernée elle-même, la fille de Sayyida se montra attentive au moindre signe de faiblesse qui pourrait survenir durant le trajet, sans toutefois se montrer trop omniprésente. Si la jeune femme voulait courir la Lande hylienne comme l'avait laissé sous-entendre Impa, alors elle se devait de reprendre des forces. Le chemin qui menait au monastère constituait une nouvelle fois un bon exercice, assez fastidieux pour faire tressaillir les moins bien préparés à entreprendre l'ascension mais pas assez brutal pour les mettre à terre. Et de toute évidence, Zelda s'en sortait suffisamment bien pour se permettre de ne pas laisser la conversation s'éteindre. « C'est un vieil édifice. Un lieu de repos et de méditation pour certains, un grand terrain d'entrainement pour d'autres. En vérité, rares sont ceux qui s'y rendent, et plus encore ceux qui y restent », souffla-t-elle alors qu'elle aidait la jeune femme à escalader une marche particulièrement abrupte. « Moi, je n'y vais pas », ajouta-t-elle sommairement alors qu'elle se remémorait la petite dispute avec Impa qui avait suivi son refus de quitter le village pour suivre l'enseignement de Maître Shengen, dans sa jeunesse.

« Pour le reste, vous en savez déjà plus que moi », conclut-elle dans un soupire. De fait, elle ignorait encore ce dont la chef du village l'avait mise en garde avant que Zelda ne lui parle d'un jeune homme. Elle ne chercha cependant pas à en apprendre plus de la jeune monarque. D'une part, elle préférait que celle-ci garde son souffle pour maintenir un certain rythme dans l'ascension ; d'autre part, elle n'allait pas attendre bien longtemps avant d'obtenir des réponses. Et puis il lui restait à aborder son propre cas, dont la Princesse semblait s'intéresser de près. Après tout, il s'agissait dorénavant de vivre au quotidien avec une femme dont elle ignorait encore énormément de choses. Plus encore, il leur fallait apprendre à se faire confiance mutuellement. Si d'aventure Haya aurait été plus apte à se muer dans un profond silence contemplatif, le fait de délier sa langue ne la rebutait pas pour autant. Nombreux étaient ceux de son entourage à lui tirer les vers du nez régulièrement et la forcer à s'exprimer plus qu'elle ne l'aurait fait, aussi y était-elle habituée. « C'est que mon histoire n'a rien d'un conte de fée, et elle n'en est pas plus intéressante pour autant », glissa-t-elle pour tenter de se dérober malgré tout à cet exercice. Mais lorsqu'elle croisa le regard de sa suzeraine, il lui sembla bien comprendre qu'elle n'y échapperait pas. « Bien, bien... », souffla-t-elle d'un ton faussement las, un sourire amusé au coin des lèvres. « Par où commencer... », dit-elle alors qu'elle se perdait dans les lointains souvenirs de son enfance.



Pas après pas et de discussions qui en amenaient d'autres au fur et à mesure, les deux femmes atteignirent finalement le monastère sans se rendre compte du temps qui s'était écoulé. Devant l'imposante porte qui transpirait les origines du peuple des ombres et qui témoignait d'une époque révolue, un vieil homme se tenait droit comme un piquet. Le sheikah, dont il n'y avait que la barbe et ses cheveux qui étaient battus par le vent, n'était autre que le maître des lieux, celui que l'on appelait plus communément Maître Shengen, que ce soit par ses élèves ou le reste du village. C'était un homme respecté par la plupart bien que facilement moqué par les plus jeunes pour son côté marginal et en marge du reste de son peuple. Pour autant, ce même guerrier aguerri avait une place au conseil auquel il n'assistait que par intermittence, le plus souvent pour montrer son désaccord.
« Je vous attendais, Princesse d'Hyrule », tonna-t-il d'un ton solennel. Bien qu'il s'éloignait de ses semblables depuis de nombreuses lunes, il n'en oubliait pas pour autant les bonnes manières. Il courba sensiblement l'échine en signe de respect, convaincu en son fort intérieur que l'élégance naturelle que l'on prêtait à l’Élue de Nayru dans les récits n'était pas usurpée. Lorsqu'il se redressa néanmoins, ce fut pour croiser les yeux de celle qu'on appelait parfois, et malheureusement à raison, Cheveux-de-Sang. « On ne m'avait pas annoncé ta présence, cependant », avoua-t-il d'un ton qu'il ne parvenait pas à rendre amical malgré quelques efforts. Haya échangea un lourd regard avec le vieil homme avant que celui-ci ne décide d'en venir au sujet de leur venue. La journée était déjà bien avancée compte tenu du temps qu'il avait fallu à Zelda pour effectuer l'ascension. Aussi les invita-t-il à passer la porte et pénétrer la cour intérieure sans en attendre davantage.

Shengen fit traverser cette même cour aux deux jeunes femmes jusqu'à les guider à l'intérieur même du monastère. Pour la première fois depuis un long moment, elles se retrouvaient à l'abri des premiers vents de l'Hiver, de quoi desserrer étoffes et foulards pour se mettre un peu plus à l'aise. Haya ne se fit pas prier pour passer la main dans sa crinière afin de la réarranger tandis qu'elles suivaient silencieusement l'ancien guerrier entre les murs austère de la bâtisse. Bien qu'elles avaient retrouver le confort de l'intérieur, un nouveau froid s'empara de la sheikah à mesure que le petit groupe arpentait les couloirs de cet endroit rempli d'histoires. Celui-ci était moins perceptible et beaucoup plus personnel ; il lui rappelait surtout pourquoi elle préférait tant son village. « Attendez ici », déclara finalement le vieux sheikah lorsqu'ils atteignirent ce qui devait être la salle principale. « Je vais chercher le garçon », ajouta-t-il avant de disparaître, le seul écho du bruit de sa canne tapotant sur la pierre comme son d'ambiance. Jusqu'à ce que celui-ci ne finisse par s'évanouir à son tour.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

« Vous souhaitiez me voir, maître ? »

Un long silence répondit à la formule solennelle d'Arkaï, avant qu'un simple geste de son maître ne l'invite à s'approcher et à s'asseoir à ses côtés. Ce dernier s'était installé dans le creux de son arbre favori, un recoin de confort et de solitude qu'il avait tant usé qu'il pouvait sembler à des yeux extérieurs que c'était le grand frêne lui même qui le lui avait aménagé au sein de son bois. Un long moment, l'élève se contenta de laisser son regard flotter au loin, vers l'horizon. Il avait appris au fil des années que Shingen ne s'embarrassait jamais de paroles inutiles, et que ses échappées dans la montagne trahissaient un besoin impérieux de calme et de sérénité. Le garçon se laissa alors remuer par la tranquille beauté du lieu ; Sur les hauteurs du monastère, on se sentait capable de toucher le ciel. Autour d'eux s'étalaient des paysages d'Hyrule qui n'attendaient que d'être sublimés par le trait d'un pinceau, tandis que le vent sifflait élégamment dans les branches de l'arbre pluri-centenaire. A l'abri d'un tel hôte, impossible de ne pas ressentir la permanence des choses, la force de résistance d'un monde qui avait vécu tant de tragédies, de cataclysmes, et qui se relevait, toujours. Un frisson le parcouru. Il fut tenté de saisir l'instant par quelques mots de poésie mais avant qu'il ait pu y réfléchir, son maître se redressait sur son trône enraciné et déclara, l'air de rien,

« Le monde est si grand, vu d'ici. »

Arkaï acquiesça lentement. Un trouble commençait à naître en lui sur les raisons pour lesquelles le vieil homme l'avait convoqué là. D'ordinaire, Shingen aurait déjà bondit sur ses pieds et débuté sa leçon, quelle qu'elle fut. Paradoxalement, il semblait trop calme pour être pleinement apaisé, et en cachant la cause de son état, il ne faisait qu'inquiéter son élève. Soudainement impatient de crever l'abcès de son angoisse, Arkaï répéta, sur un ton plus affecté,

« Vous souhaitiez me voir, maître ? »

Ces mots sortirent brusquement Shingen de sa contemplation, et il sembla prendre réellement conscience de la présence de son élève. Il sourit, en montrant du doigt les premières neiges tombées sur les pentes de la montagne de Lanelle, au loin.

« Te souviens tu de ton arrivée ici ? » Avant qu'Arkaï ne puisse répondre, il enchaîna, « C'était un jour semblable à celui-ci. J'avais vu l'hiver arriver sur le sommet de la déesse, et j'en avais tiré un pressentiment que je devais me rendre au village. J'avais senti... une odeur d'imprévu. »

Il passa sa main affectueusement dans les cheveux du garçon, qui ne protesta pas. Entre eux deux, ils n'en étaient plus là.

« As tu pris le temps de mesurer ce qui était en jeu ce jour là ? »

« Ils étaient prêts à me tuer... Et vous les avez grondé comme des enfants. »

Le maître et l'élève échangèrent un regard entendu, et partirent d'un rire franc et sonore, qui résonna dans les montagnes.

« Oui. Ces imbéciles étaient prêts à céder à une peur si vieille qu'elle en était rouillée, absurde. J'ai compris en te voyant, seul, enchaîné et accablé de douleur, au milieu de tous ces ânes, que tu m'étais envoyé par la déesse. Les premiers temps, tu étais un tel calvaire que j'ai cru à une épreuve divine ! »

Il fut à nouveau secoué de rire, tandis que Arkaï rougissait de honte tout en pouffant en repensant à tout ce qu'il avait pu faire à ses débuts, de la fuite en pleine nuit se terminant quelques lieux plus loin parce qu'il s'était perdu dans la forêt, ou ses maladresses dans les rituels qui avaient crispées les autres élèves... A qui aurait voulu tout savoir, il y aurait eu beaucoup à raconter. 

« J'ai vite compris que tu valais bien plus que cela. Contrairement à la majorité des autres élèves, tu n'étais pas de la glaise que je pouvais modeler à ma guise... mais un éclair de foudre ; vibrant, indomptable, tranchant. Ta fougue se révélait dangereuse pour les autres, d'avantage encore pour toi même. Chaque leçon que je te donnais était une épreuve, et un trésor, pour nous deux. J'ai vécu ces quatre années comme un enchantement, et ce que tu es devenu est pour moi une source de grande fierté. Cependant... »

Enfin. Il était là, le mot que Arkaï attendait depuis qu'il s'était assis là. Le mot qui devait donner leur sens à toutes ces paroles qu'il avait déjà entendu auparavant et qui ne lui apprenaient rien. Le maître pouvait bien tenter de le préparer au mieux à ce qu'il avait à lui dire, le garçon ne se laissait pas endormir par des mots agréables. Il n'attendait que la vérité. Et celle ci s'était faite attendre.

« Oui ? »

« ... Cela fait plusieurs mois que j'ai le sentiment de ne plus rien t'apporter... » Devant l'indignation manifeste de son élève, il le coupa d'un geste vif. « Non, laisse moi parler. Tu sais que je dis vrai. Depuis ton échec au sanctuaire, tu t'es arrêté au bord du chemin. Je t'ai vu retenter plusieurs fois l'épreuve, et toujours revenir avec la même défaite au fond de ton regard. Or, tu ne pourras aller plus loin sans réussir là où tu as trébuché. Je pourrais te donner mille leçons de plus au sabre ou au pinceau, mais tout cela sera vain, tant que ton âme sera prisonnière de ce reflet qui t'épouvante. »

Arkaï frémissait de honte, ses yeux plantés sur le sol, incapable de regarder son maître tandis qu'il recevait chacune de ses vérités comme un poignard en plein coeur. Et pourtant, il savait bien que Shingen avait raison, qu'il n'était plus réellement à ses tâches depuis ce moment de terreur absolue causé par son reflet dans le miroir. Alors, il garda ses lèvres closes et il encaissa la tempête, du mieux qu'il pouvait. Mais c'est alors que son maître descendit de son arbre et le prit dans ses bras.

« Si la situation en reste là, tu resteras à jamais un disciple, éternellement incomplet. Nous finirons en maître et élève aigris de leur échec, et j'aurai gâché le cadeau que m'a fait la déesse il y a quatre ans. J'y ai beaucoup réfléchit, et aujourd'hui, devant cette vue sublime, j'ai vu la solution, le remède à ton mal. » L'émotion était palpable au fond du regard du vieil homme, et Arkaï dut faire appel à toute sa maîtrise de lui même pour ne pas se laisser aller à la sienne. Néanmoins, il se figea lorsque la voix rauque lui annonça,

« Il te faut partir. »



« Déesse, grande et glorieuse parmi les cieux, que suis je censé faire ? »

Une bourrasque de vent fit claquer les volets de la chapelle, faisant sursauter le garçon qui se tenait là, en prière, le dos courbé devant la statue sacrée. Il avait laissé se consumer presque entièrement un bâton d'encens, récité prière après prière, entrepris de montrer l'étendue de son respect et de sa piété... Mais rien ne lui répondait, excepté les vents violents de l'hiver qui tonnaient sur le toit et aux portes du monastère. Comment se sentir invité à franchir ces dernières si ce qui lui venait du monde extérieur n'était que fracas et fureur ?
Arkaï ne savait plus où il en était. Deux jours auparavant, sa vie lui semblait enfin entre ses mains, son chemin tout tracé. Il avait rompu avec l'autre, celui du dehors, celui d'avant. Tous ses vieux souvenirs lui semblaient si lointains qu'ils se mêlaient à ceux de ses vies passées. Pour lui, les années avaient balayées tout cela. Le monastère, le village, c'était chez lui. Shingen, c'était... tout. Un père, un ami, un maître et le cadenas gardant la porte de ses démons close. Et voilà que même lui, le pilier sur lequel le garçon s'était rebâti, même lui désirait l'abandonner.

Il pouvait bien se répandre en explications, et en justifications tordues à base de fables obscures teintées d'une sagesse délavée, Arkaï s'en moquait bien. Il savait !... Ou du moins, il en avait la conviction !... Non, plutôt le sentiment. Un sentiment, profond, de retrouver une solitude qu'il n'avait que trop bien connue, mais qui cette fois, se doublait de la souffrance d'un coeur amoureux brisé.
Le bâton d'encens acheva de se consumer, et Arkaï se laissa aller, chutant lourdement à terre, le regard fixé l'expression souriante de la statue de la déesse ; son sourire montrait il sa compassion, ou se moquait-elle juste de lui ?
Il répéta mécaniquement les mots de Shingen, ceux qu'il lui avait ordonné de graver dans sa mémoire.

« Perds toi dans ce monde pour te retrouver. » Il soupira, épuisé, et se laissa aller « Quel ramassis de conneries. »

Il ferma les yeux et laissa le silence l'emporter.
Le garçon allait s'endormir lorsqu'il entendit des bruits de pas dans le couloir qui menait à la chapelle, des pas qu'il aurait reconnu entre mille. Il ne fit l'effort que de se redresser à temps mais n'arrangea ni son allure ni sa coiffure détachée, qui tombait en cascade autour de ses épaules. Si Shingen ne voulait plus être son maître, pourquoi s'obstiner à jouer au parfait élève ?
Sa mauvaise résolution fondit comme neige en été lorsque la porte coulissante s'ouvrit et que le regard sévère du vieil homme le transperça. Sa voix sèche déclara, sans masque son reproche,

« Je t'avais fait demander aux portes. »

Arkaï haussa les épaules, crânement.

« J'étais trop absorbé par la prière pour entendre. »

Shingen se raidit, plus sévère et glacial encore, si c'était possible.

« Nous parlerons de cela, plus tard. En attendant nous avons des invitées, et j'exige de toi plus de tenue en présence d'elles. Coiffe toi donc en vitesse, je t'attends dans la grande salle. » Et comme le garçon ne semblait pas pressé de s'exécuter, il cria sèchement, « Obéis, seito ! »

Arkaï ne sut jamais si son maître avait usé de magie ou si son corps était trop habitué à réagir à ces mots, mais il se leva aussitôt et, tel un pantin sans volonté, entrepris de s'exécuter. Son regard enragé ne frôla même pas celui de Shingen qui s'en retourna à ses invitées. En vérité, l'élève se moquait de la bienséance en cet instant précis, mais sa colère n'allait pas jusqu'à l'envie d'humilier son maître devant des étrangers au monastère. Il se rendit rapidement dans ses quartiers, s'habilla et se prépara convenablement, les cheveux attachés en chignon, et ceint d'une tunique blanche et noire, d'apprenti en voie d'élévation. Il évita soigneusement de poser le regard sur celle ci, comme sur le reflet de son visage, s'assura simplement d'être présentable, et se rendit là où on l'attendait.

Au moment où il fit coulisser la porte de la salle, Arkaï eut la très habituelle et désagréable impression que tous les regards se tournaient vers lui. Il mit immédiatement un genou à terre et salua, muet, les deux invitées, en ne s'autorisant qu'un regard pour chacune. Il reconnu aisément Haya, une bushi à la solide bien que parfois sordide réputation. De toute manière, ils n'étaient pas nombreux, ceux du village qui se teignaient les cheveux. Il était moins probable qu'elle sache qui il était ; Alors que le garçon aimait se rendre sur les hauteurs de Cocorico pour observer ses habitants, l'inverse n'était pas vrai pour le monastère. Quand à l'autre jeune femme, elle lui était parfaitement inconnue, bien que sa présence soit difficile à ignorer. Il se dégageait d'elle une certaine élégance noble, pour une raison difficile à cerner. Il entendit alors son maître clamer, d'une voix chaleureuse,

« Princesse Zelda, je vous présente mon élève, Arkaï. »

Celui ci se redressa et échangea un regard avec celle que son maître venait de qualifier de princesse. Si tel était vraiment le cas, ça ne se voyait pas... Ou du moins cela signifiait que les vraies princesses ne ressemblaient à celles des histoires ; en robes sublimes, entourées de dames de compagnies et de poètes... Celle là n'avait même pas un chevalier servant ! Mais ça n'était pas à lui de juger ce genre de choses, aussi s'approcha-t-il de son maître. Il avait fait installer les invités sur des coussins à même le sol, à la manière simple et traditionnelle du monastère et il en restait un pour le garçon. Juste devant sa place se trouvait un nécessaire à thé. Arkaï ne posa aucune question, s'installa, et entreprit de mener la cérémonie du thé comme on lui avait appris. Néanmoins, Shingen se sentit visiblement obligé d'expliquer à la "princesse",

« Ce rituel a pour vocation d'apaiser l'âme, et de provoquer l'harmonie chez tous à travers une suite de gestes parfaits, exécutés parfaitement. Seul un esprit serein peut faire un thé convenable. Si il réussit, vous aurez l'assurance que ces années ont porté leurs fruits, et que la bête sauvage qu'on vous a sûrement décrite a disparue. »

Arkaï n'eut pas besoin de se tourner vers son maître pour capter ce qui était à la fois une pique et un défi. Il redoubla alors de soin, exécutant avec précision chaque étape, en se coupant de la conversation qui continuait autour de lui. Quelque chose à propos d'un héros disparu ou parti... L'élève n'en avait cure, concentré sur son oeuvre.
Finalement, le thé fut prêt. Il servit son maître, puis ses invitées. Au moment où il tendit son bol à Zelda, leurs doigts se touchèrent et le garçon ressentit une impression étrange, comme familière, mais il mit cela sur le compte de sa fatigue et du fait qu'il ne côtoyait que peu de femmes au monastère. A présent, il attendait la sentence du maître. Ce dernier but un gorgée et reposa la tasse, sans cacher sa satisfaction.

« Un peu trouble, mais très encourageant, n'est-ce pas, votre majesté ? »

Arkaï observa que cette formule de déférence mettait la dite majesté peu à l'aise. Curieux, le garçon profita alors d'un moment de silence, lorsque les autres étaient occupées à boire, pour demander, honteux de sa question,

« Excusez moi, mais, de quel pays êtes vous la princesse ? »

Shingen explosa alors d'un rire aussi franc qu'impitoyablement moqueur, avant de demander à Zelda, ignorant sa question,

« Pour un démon, reconnaissez qu'il en sait assez peu sur ce monde qu'il est censé détruire ! »

Et, laissant Arkaï dans son ignorance et sa perplexité, le maître enchaîna,

« D'ailleurs, il me faut vous informer d'une décision que j'ai prise, de laquelle je vous laisse juge ; Ce garçon a passé l'âge de s'entraîner au sabre de bois dans la cour de ce lieu. Il lui faut sortir de ces murs, se frotter à la vie réelle, et... » son regard croisa celui, furieux, du garçon, «... Aller pêcher un peu de sagesse dans ces eaux qui lui sont inconnues. Je ne comptais pas sur l'assentiment de Dame Impa, pour être honnête. Mais il me vient une idée... »

Le sourire qui vint illuminer le visage de Shingen ne disait rien qui vaille à Arkaï.

«... Avez vous prévu de repartir sur les routes bientôt, votre altesse ? »

Vraiment rien qui vaille.


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

L'ascension fut longue et éprouvante mais la jeune femme espérait qu'à force de s'entêter l'exercice redeviendrait comme autrefois une simple formalité. Pour l'heure, même si elle eut l'occasion de partager avec sa compagne de route quelques informations sur elle-même, l'effort la retint de se répandre en paroles comme elle pouvait le faire par le passé avec Link pour briser le silence lors de leurs voyages. Si le jeune homme était encore là, aurait-il accueilli avec soulagement ce répit ?

Plusieurs fois elle faillit trébucher et fut soulagée de sentir la présence discrète mais indéfectible de la Sheikah. Cette dernière ne fit pas de commentaire ni ne sembla la juger et elle lui en fut reconnaissante. Son récit quant à lui permit également à la princesse de moins penser à ses muscles endoloris et eut en retour droit à toute son attention. Elle était ravie que la jeune femme accepte de lui en apprendre plus sur elle.

Elles finirent heureusement par arriver au vieux monastère caché au creux de la montagne, et elle contempla le vieil édifice avec admiration. Sans doute sa position privilégiée lui avait-elle évité de subir trop frontalement les assauts des gardiens. Quelle qu'en soit la raison précise, il en dégageait une sensation de paix et de sérénité.

Le maître des lieux vint à leur rencontre pour les accueillir et Zelda le salua en retour à la façon des Sheikahs. Elle sentit un soupçon d'appréhension, le même qui lui nouait jadis le ventre lors de ses apparitions officielles, sachant tout ce qui se disait dans son dos et que le moindre faux pas ne lui serait pas pardonné. Même si ce sentiment n'avait sans doute plus de raison d'être, il poussa la princesse à mesurer ses gestes et réactions.

Le vieux Sheikah les guida à travers les couloirs du bâtiment avant de les faire patienter dans une grande salle. Elle en profita pour s'autoriser un regard étonné vers Haya. Cette dernière lui avait dit qu'elle n'avait pas pour habitude de se rendre au temple, pourtant il semblait exister une certaine tension entre elle et leur hôte, et elle semblait peu à l'aise entre les murs du monastère. Elle ne formula toutefois pas sa question à haute voix. Si la jeune femme ne devinait pas ses interrogations ou ne souhaitait pas y répondre pendant leur présence sur les lieux elle aurait sans doute le loisir de s'enquérir à ce sujet sur le chemin du retour.

Elle s'installa sur l'un des coussins laissés à leur intention en attendant leur hôte. Si ce dernier revint d'abord seul, il ne fallut pas longtemps pour que l'objet de leur visite les rejoigne. À première vue il s'agissait d'un jeune homme tout à fait normal. Certes, son physique dénotait un peu au milieu des Sheikahs, et elle connaissait assez le peuple Gerudo pour savoir que la naissance d'hommes parmi elles étaient, dans le meilleur des cas, rarement célébrée, mais passé ces détails rien ne laissait transparaître ce qu'Impa redoutait. Toutefois, elle ne comptait pas s'arrêter aux apparences et ne tenait pas à négliger la mission que lui avait donné sa vieille amie.

Lorsque le dénommé Arkaï s'assit auprès d'eux, il commença à préparer le thé avant même que son vieux maître ne le lui demande. Le vieil homme souhaita toutefois rappeler à Zelda leurs coutumes, et elle se prit à espérer qu'il s'agissait d'une maladresse et non de condescendance à son égard.
Ses manques de résultats en magie lui avaient à l'époque valu une assez mauvaise réputation qui causait bien du chagrin à son père. Toutefois, elle n'en avait que redoublé d'effort dans les autres domaines pour ne pas causer plus de honte à ce dernier.
Il ne lui semblait pas connaître le vieux moine, elle supposa donc qu'il était plus jeune que le Fléau et lui laissa le bénéfice du doute. Elle se contenta de le laisser finir avant de préciser qu'elle n'était pas ignorante de leur traditions.

"Il va sans dire que la cérémonie du thé faisait partie de mon éducation."

Elle grinça des dents lorsque la question fut posée de savoir où était le Héros. Elle ignorait bien où était passé cet idiot à présent mais elle se contenta sobrement de dire qu'il les avait quittés pour des raisons personnelles et ne pouvait donc pas se joindre à eux.

Mais c'était un autre point qui provoquait petit à petit son agacement. Elle se contenta d'opiner de la tête en silence lorsque le thé fut commenté après avoir elle-même goûté une gorgée. Elle n'ignorait pas son importance pour les Sheikahs et que l'exercice était plus difficile qu'il n'y paraissait, mais elle avait de moins en moins l'impression que Shingen souhaitait véritablement solliciter son opinion. C'était une démonstration. L'homme semblait déjà persuadé de savoir à qui ils avaient affaire, quoiqu'elle dise. Et elle ignorait si c'était par crainte pour son protégé ou pour quelque autre obscure raison, mais ce dernier n'avait toujours pas été invité à s'exprimer. Pire encore, lorsqu'il le fit ce fut pour être moqué.

Elle ne rit pas. Elle avait été suffisamment humiliée dans sa jeunesse, jusqu'aux piques les plus subtiles, pour ne pas avoir envie de s'amuser de l'ignorance bien légitime de quelqu'un. Elle laissa le vieil homme exprimer le fin mot de sa pensée, lequel acheva de la convaincre qu'il avait déjà dressé des plans sans tenir compte de son appréciation de la situation.

"J'ai effectivement quelques raisons de partir mais je garde à ma seule discrétion ceux que je choisirai d'emmener ou non à mes côtés. Je prends note de votre requête mais elle n'était pas l'objet initial de ma présence ici. Sachez que l'opinion de Dame Impa compte énormément à mes yeux, et pour tous les services qu'elle m'a rendus, je me considère désormais comme son obligée."

Peut-être qu'à ses yeux elle n'était rien d'autre qu'une jeune fille d'une vingtaine d'années inexpérimentée, ou une princesse qui n'en avait plus que le titre, pourtant elle n'avait pas dans l'intention de se plier à n'importe quelle volonté.

"Je vous remercie d'avoir veillé sur ce jeune garçon pendant toutes ces années. Nous pourrons tous deux convenir que vous avez l'air intimement convaincu qu'il ne présente aucun danger, mais c'est à présent à moi de me faire un avis."

Elle se tourna vers le disciple et chercha à accrocher son regard avant de reprendre la parole, tâchant de transformer son irritation en fermeté. Si elle avait décidé de rester discrète sur ses origines, elle savait qu'auprès du clan d'Impa elle n'avait que peu de raisons d'en faire un secret. L'information pouvait déjà aisément circuler, et elle avait ici déjà été partiellement dévoilée.

"Arkaï. Tu as demandé de quoi j'étais la princesse. Mon nom complet est Zelda Nohansen Hyrule. Ma mère portait le même nom, et mon père s'appelait Rhoam Bosphoramus Hyrule."

Peut-être l'émotion perçait-elle dans sa voix mais elle ne cilla pas. Il n'était pas l'heure de les pleurer.

"Je suis née il y a plus de cent ans à présent. Tu l'as on ne peut mieux constaté : mon royaume est en ruine et mon nom tombé dans l'oubli. Je ne suis plus princesse que d'une poignée de gens, mais parmi eux Dame Impa au moins valorise mon jugement."

Elle eut un regard en direction du vieux maître qui les avait accueillis. La pique ne se voulait pas dissimulée. Qu'il ait été maladroit ou non dans son empressement à laver tout soupçon sur son disciple il savait à présent qu'elle n'avait pas apprécié qu'on cherche à lui imposer une conclusion. Elle ignorait s'il souhaitait ou non répliquer mais elle leva la main pour intimer le silence. Ses yeux revinrent se planter dans ceux du Gerudo.

"Tu as une langue alors ne laisse pas un autre parler à ta place. Présente-toi. Qui es-tu ? Qui es-tu certain d'être ou de ne pas être ?"


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Alors que le vieux maître s'était retiré, Haya ne manqua pas le regard légèrement surpris et interrogateur que lui lança sa suzeraine. Si elle lui avait révélé avoir peu goûté à l'hospitalité du monastère, elle n'était pas entrée dans les détails de ses démêlés avec leur hôte – et elle n'avait pas l'intention de le faire en ce moment précis. Ses yeux troublés se dérobèrent à ceux de Zelda sans la moindre once d'explication, espérant seulement qu'elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Il lui était difficile d'aborder ces vieux démons qui ne cessaient de la tourmenter malgré les années qui passaient. De toute façon, les états d'âme de la sheikah n'étaient pas le sujet de leur présence et si des éclaircissements étaient de mise, elle les ferait lorsqu'elles seraient de retour au village mais pas avant. Elle s'enferma dans un profond silence qui s'harmonisait d'autant plus avec l'âme qui habitait ce lieu sacré jusqu'à ce que Shingen ne refasse surface, seul. « Il arrive », annonça-t-il à ses deux invitées avant d'encourager d'un simple geste la sheikah à s'asseoir aux côtés de Zelda, qui avait déjà pris place sur l'un des coussins prévus pour les recevoir. Haya douta que sa présence soit nécessaire et songea même à attendre la fin de l'entrevue dehors avant que ne se rappellent à elle les paroles de la doyenne. Dans un presque soupire, elle se fit violence et accepta l'invitation du vieil homme. « C'est donc toi qu'Impa a choisi », reprit Shingen d'un ton calme et apaisé, tant et si bien qu'il était dur de croire que ce soit la même personne qui l'ait accueilli si froidement plus tôt. « Cela fait plus de cent ans que notre peuple n'a plus eu l'occasion de veiller sur un membre de la famille royale » ajouta-t-il avant de conclure dans un sourire qu'elle n'aurait su dire s'il était profondément satisfait ou cruellement ironique : « Tu nous feras honneur. » Sitôt après, la porte coulissante s'ouvrait.

La descendante des Nekt'Hyl ne put s'empêcher de s'étonner lorsqu'elle vit enfin le jeune homme dont il était question, bien que son visage ne la trahissait pas le moins du monde. Elle l'observa de long en large, se demandant intérieurement ce qu'un gérudo pouvait bien faire par ici. Confuse, elle le fut davantage lorsqu'elle se demanda pourquoi il lui fallait se méfier de lui puisqu'en apparence il n'avait rien de plus qu'un jeune disciple du monastère, si l'on mettait de côté ses origines pour le moins originales. Elle-même avait entendu énormément de chose sur le peuple Gérudo ; beaucoup de bêtises et encore plus de vieilles histoires farfelues sans queues ni tête, accessoirement. Tout ce qu'elle pouvait réellement en conclure tenait au fait que les hommes issus de ce peuple étaient loin d'y être tenus en très haute estime et qu'ils n'y trouvaient que rarement une place très enviables au sein des tribus. Le plus intriguant restait dans le fait qu'Arkaï soit parvenu jusqu'à la province de Nécluda, si loin pourtant du Grand Désert, et qu'il ait trouvé refuge dans le village des sheikahs. À cette simple pensée, Haya fulminait. Ce qui la préoccupait tout particulièrement tenait au fait que, malgré son immense dévotion à l'égard des siens et de son village, ils continuaient de lui cacher certains de leurs secrets. N'avait-elle toujours pas acquis leur confiance ? À quel moment cesseraient-ils de la prendre pour une enfant et la laisseraient-ils prendre part aux décisions importantes concernant le village ? Son poing se desserra lentement, laissant cette colère fugace se muer en une profonde peine. Machinalement, elle se saisit du bol de thé que le jeune garçon lui tendait.

Tout en tachant de ne pas se laisser dominer par ses émotions, la sheikah écouta attentivement la suite de la conversation, dont Shingen se posa en temps qu'instigateur. Elle reconnut alors tout ce qu'elle n'aimait pas chez lui et ce qui l'avait empêché dès son plus jeune âge de boire les paroles de ce personnage. Il n'y avait pas de haine ni de colère sinon une certaine irritation dont elle avait du mal à se défaire, sachant pertinemment que tout ce que disait le vieil homme n'était qu'une lente préparation en vue de son véritable propos. Cette manière d'être et de faire avait sûrement prise sur les esprits les plus jeunes mais Haya ne se laissait pas duper et espérait silencieusement que la jeune souveraine en fasse de même car il était facile d'être rapidement endormi par autant de paroles inutiles. Ce dont elle fut rapidement rassurée néanmoins, lorsqu'il fut laissé à Zelda la place de prendre la parole. L'hylienne démontra sans passer par quatre chemins qu'elle en avait suffisamment entendu de Shingen et qu'elle comptait bien reprendre cette conversation en main. Ceci étant, la jeune femme en fit peut-être même un peu trop et Haya de constater une nouvelle fois du caractère parfois un peu trop vif de la Princesse d'Hyrule. S'il lui était tout à son honneur de recentrer le débat sur le véritable sujet de cette entrevue, il était néanmoins maladroit de laisser son agacement transparaître à ce point. Là où Haya aurait même apprécié et appuyé une telle honnêteté dans d'autres conditions, il lui était bien malavisé de le faire durant la cérémonie du thé, l'une des plus vieille et honorable tradition de son peuple qui intimait à ceux qui y prenaient part, l'hôte comme ses invités, de respecter scrupuleusement les règles de la courtoisie et de la bienséance. Après tout, il s'agissait avant tout d'un moment de contemplation et il ne s'arrêtait pas au seul fait de servir du thé, bien au contraire. Bien que Haya admettait que Shingen soit le premier à avoir failli en se moquant ouvertement de son disciple, le fait que Zelda tombe dans le piège à son tour la désolait particulièrement. « Majesté... », souffla-t-elle doucement alors qu'il lui semblait voir une ouverture pour la prévenir. Ce à quoi la jeune reine n'opposa qu'une main autoritaire, autant dirigée à son encontre qu'à celle du vieux maître, avant d'inviter le jeune gérudo à enfin s'exprimer par lui-même.

Les deux sheikahs échangèrent un regard lorsque le jeune Arkaï commençait à répondre. Haya ne sut réellement quelle émotion passa dans les yeux de son aîné mais elle lui rappela les derniers mots qu'il lui avait adressés avant l'entrée en scène du gérudo. La fille de Sayyida se rendait bien compte de la lourde tâche qui pesait sur ses épaules et de tous les espoirs et craintes qu'elle portait, surtout après le départ de celui qui devait être le chevalier-servant de la princesse. Si jamais il venait à arriver quelque chose à Zelda, la sheikah en serait tenue pour responsable et son peuple entier s'en verrait couvert de honte, alors que déjà leur fierté en avait pris un sacré coup lorsque les propres machines qu'ils avaient mises au point avaient provoqué la ruine du royaume. Elle se demandait, alors que tout ne tenait qu'à un fil et qu'elle pouvait échouer à tout instant dans un monde aussi retors et dangereux, comment ses aînés pouvaient-ils être aussi sereins en lui confiant cette tâche. Devant l'angoisse qui naissait dans son ventre, Haya ferma sensiblement les yeux quelques instants puis but quelques gorgées de thé.

« Si tu me permets, j'aimerais aussi savoir, Arkaï... », débuta-t-elle alors que quelques instants d'introspection l'avaient sensiblement apaisée, « Qu'est-ce qui vaut à Maître Shingen d'être observé avec une telle fureur dans tes yeux ? » Le gérudo avait beau avoir servi le thé de façon tout à fait correcte, Haya avait toujours été fine observatrice et il ne lui avait pas échappé qu'Arkaï contenait une colère sourde qu'elle voyait transparaître chaque fois qu'il posait ses yeux sur son maître. Qu'il soit bougon, compte tenu de l'attitude de celui-ci, cela pouvait aisément se comprendre. En revanche, il n'était pas admissible qu'il se permette d'afficher ouvertement ses humeurs les plus noires, quand bien même ce n'était pas dirigé contre les deux jeunes femmes. « Qu'est-ce que ça te fait de devoir quitter cet endroit ? » Précisa-t-elle sa question ensuite.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

Un dicton disait que lors de la cérémonie du thé, l'eau prenait sa saveur de la préparation, mais aussi de l'humeur des invités. Si tel était le cas, alors le thé venait de prendre un tour plus trouble encore, voire amer. Arkaï n'aurait su dire si le frisson qui parcourut son échine lui vint d'une rafale de ce vent froid qui agitait la montagne, ou du ton subitement glacial de la princesse. Osant un coup d'oeil vers son maître, il constata sans surprise que ce dernier avait aussi mal pris que possible la rebuffade, comme le trahissait un tic nerveux de sa paupière. L'élève détourna le regard, s'attendit à une réponse acide ou une explosion de colère, mais rien ne vint. Shingen admettait ainsi, au sein même de son propre monastère une remise en cause de son autorité. Le garçon s'attacha peu aux mots de Zelda, et à son refus implicite de la proposition du maître ; La jeune femme venait brusquement de changer d'image à ses yeux. A la manière du louveteau attentif à la hiérarchie au sein de la meute, Arkaï réalisait que celui qu'il avait toujours placé presque au sommet n'obéissait pas qu'à Dame Impa. Si cette Zelda n'avait été qu'une envoyée de la doyenne, Shingen ne se serait pas embarrassé de tant de politesse révérencieuse. Aussi lorsque celle ci se tourna vers lui pour lui répondre directement, le garçon ne sut si il était convenable de simplement soutenir son regard et se concentra sur sa tasse de thé.

Zelda Nohansen Hyrule.
Même lui connaissait ce nom, mais il n'aurait jamais cru pouvoir la rencontrer un jour en chair et en os. Tous les enfants Sheikahs étaient élevés dans le souvenir de la dernière princesse du royaume perdu, avant le Fléau. Arkaï se souvint avoir chanté, maladroitement et faux, pour elle, lors des fêtes annuelles célébrant son sacrifice... Ou du moins ce que l'on croyait être son sacrifice, puisqu'elle se trouvait là, devant lui, bien vivante. Le garçon était vaguement au courant que le Fléau avait récemment disparu, mais il ignorait apparemment l'essentiel du récit. Il ne s'en émut pas ; la vie au village était ainsi, avec des secrets cachés sous chaque pierre, et la vérité aussi glissante que des carpes dans la rivière. S'efforçant de se souvenir des formules de courtoisie employées dans les vieilles histoires, il bredouilla,

« Louée soit la famille... bénie du... sang de la déesse. »

Tout cela avait des allures de rêve éveillé. Le matin même, Arkaï ne valait même plus la peine qu'on l'accepte sous son toit et maintenant, une légende venait le visiter ! Cette pensée lui flanqua presque le vertige. Heureusement, la mention de dame Impa le ramena au réel. Bien sûr. La raison qui lui valait l'honneur d'une visite de la princesse de la destinée elle même ! Le motif de tout ce cérémonial ! L'éternel noeud du problème. Lui. Ce qu'il était. Le problème qu'il semblait poser à tout le monde par la simple audace d'exister. Il capta le regard échangé entre Zelda et Shingen, et en conçut une intense frustration. Encore une fois, tous s'arrangeaient sur son cas, dans son dos. Néanmoins, les mots que la princesse lui adressa lui firent l'effet d'une libération aussi jouissive qu'inattendue. Enfin, il avait le droit de répondre mais, ironie du destin, à la seule question dont il ignorait totalement la réponse.

« Qui suis je certain d'être ? » Répéta-t-il, feignant l'incrédule, « Je n'en sais rien. Comment pourrais le savoir ? Personne ne peut vraiment savoir ce qui se cache au fond de lui même. Si vous me demandez mon nom, le voici, Arkaï. Si vous me demandez d'où je viens, qui m'a mis au monde, comment suis je arrivé là, je l'ignore. Je l'ai oublié. J'ai tout fait pour l'oublier. Avant que je ne franchisse ces portes, j'étais un autre garçon, qui n'avait connu que le rejet, l'abandon, la traque... »

L'émotion menaça de l'envahir à mesure qu'il s'approchait du gouffre intérieur qui le séparait de l'autre. Mais, avec un sourire triste, il posa doucement sa main sur la jambe de son maître et reprit, raffermi et le dos droit.

« Moi, Arkaï, je suis né quand les Sheikahs m'ont envoyé ici, qu'ils m'ont confié à maître Shingen. Au fond, je suis un étranger, qui a trouvé sa place, et qui bientôt, sera digne de la confiance que le village a placé en moi et en mon maître. »

Alors qu'il se sentait envahir par un sentiment de fierté et d'entrain, le garçon fut coupé dans son élan par l'autre invitée, la Bushi, Haya. Etant donné son silence depuis qu'il était entré dans la pièce, il ne s'attendait pas à ce qu'elle s'adresse à lui mais personne ne fit de geste pour la faire taire, aussi Arkaï l'écouta respectueusement. Sans être une princesse, elle le surclassait très largement dans la hiérarchie du village. Sa première question lui fit d'ailleurs l'effet d'un rappel à l'ordre sec et autoritaire, qu'il ne contesta pas. Il ne pouvait mentir sur la colère qu'il ressentait face au projet de Shingen, cela se voyait visiblement comme le nez au milieu de la figure. Alors, il tâcha de ne pas laisser ses émotions parler et il répondit, honnêtement, factuellement, à ses deux questions qui n'en étaient qu'une,

« J'ai le sentiment qu'après m'avoir tout donné, maître Shingen désire tout me reprendre. Le monastère, c'est mon monde et ma famille. Dame Haya, je me sens aussi Sheikah que vous, voire plus si cela est possible ! Je n'ai pas mesuré mes efforts pour vous faire tous honneur ! » Il bomba le torse, comme un jeune paon, « La seule chose dont je suis certain, pour vous répondre à toutes les deux, c'est que ma vie est ici. »

Arkaï n'était pas mécontent de sa réponse, mais il sentit alors la main de Shingen prendre la sienne et l'écarter. Avant qu'il n'ait eu le temps de protester devant ce qu'il considérait comme un geste humiliant, le maître le regarda dans les yeux et lui dit, calmement.

« Ca n'est pas toute la vérité. Tu le sais. » Se retournant vers Zelda, sans une once de l'ironie de tantôt, il lui demanda, « Peut être avez vous entendu parler de l'épreuve de sagesse de notre village, altesse ? C'est une initiation aux mystères de la divinité. L'initié se rend dans un sanctuaire de la montagne et doit s'observer dans un miroir... spécial. Si il n'y voit que le reflet de la déesse, son esprit apaisé est digne d'achever sa formation. En revanche... » Arkaï le fusillait du regard, fulminant de rage de voir sa plus grande honte étalée au grand jour, mais cela ne troubla pas Shingen le moins du monde, « Si l'esprit est troublé, tourmenté... Ou impur, l'image sera insupportable. »

Subitement, le maître se tût et se tourna vers son élève, en une invitation muette à conclure. Le garçon, la mort dans l'âme, baissa la tête et murmura,

« Cette épreuve... J'y ai échoué. »

Un silence de plomb tomba sur la pièce. Arkaï ne supportait pas la situation. Pour lui, tout cela ne prouvait rien ! Il n'avait pas vu un démon, ou une force obscure dans ce stupide miroir ! Ca n'avait aucun sens d'imaginer tout et n'importe quoi à partir de ça ! Conscient qu'il devait parler pour ne pas laisser un mal-entendu s'installer, il rassembla tout le mépris dont il était capable pour dire « J'ai y vu l'autre. » Puis, comme son maître refusait d'en dire plus, il poursuivit, « C'est pour ça qu'il veut se débarrasser de moi. Parce que je n'ai pas réussi à être un vrai Sheikah. Parce que je ne suis pas à la hauteur. »

« C'est faux ! »

La voix du maître, grave, et forte, coupa nette la langue de son élève, interloqué.
Jamais Arkaï ne l'avait vu dans un tel état ; ses yeux ressemblaient à ceux d'un dragon en furie d'avoir été offensé. Il y avait dans sa posture indignée toute la noblesse et la fureur d'un vieil homme qui ne pouvait plus se taire. Puis, en l'espace d'un instant, il s'apaisa, et s'adressant à la princesse, déclara, la voix chargée de regrets,

« Veuillez me pardonner, princesse. Pour mon emportement, et pour ne pas vous avoir tout dit. Mais le fait est que personne ne possède la vérité inscrite dans l'âme d'Arkaï. A mes yeux, son échec à l'épreuve ne prouve qu'une chose : il a besoin de faire la paix avec cet autre qu'il a cru pouvoir abandonner et qui le tourmente encore. Il a besoin de trouver la place qui est la sienne. Je ne peux lui apporter cela. Pas ici. Bien que ça me soit tout aussi difficile qu'à lui... Il doit s'en aller. Princesse Zelda, ne condamnez pas un innocent pour ce qu'il pourrait être, je vous en prie. » demanda-t-il, en s'inclinant solennellement devant elle.

Bien que la partie la plus tête de son esprit persistait à ne voir dans les paroles de son maître que de mauvaises justifications, Arkaï se sentit alors plus touché que lorsqu'il avait appris la décision de Shingen. Voir ce vieil homme au naturel si calme et maîtrisé mettre autant de force dans ses mots touchait en lui une corde sensible, et le poussait à leur redonner une chance. Ses souvenirs de l'épreuve lui revinrent, et surtout la terreur qui s'était emparé de lui, devant le reflet. Voyant ces cheveux, ces traits, ces yeux d'ambre, il y avait reconnu un assassin, un rejet, une erreur... au milieu de son propre visage. L'autre, celui qu'il n'avait pu faire sortir de sa vie Alors, bien que regrettant presque immédiatement ses propres paroles, il déclara sans que sa voix ne tremble, sur le ton de l'évidence,

« Il a raison. » Et, s'adressant aux deux invitées, comme si l'espace d'un instant, il était devenu son maître, « Avez vous décidé, majesté ? Dois je descendre au village me livrer à dame Impa ou bien... » Son regard glissa lentement entre Zelda et Haya, «... Peut être souhaitez vous me soumettre à l'épreuve de votre choix ? »

Ca, au moins, il commençait à avoir l'habitude.


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

Zelda avait conscience d'avoir brusqué le vieux maître du monastère et choqué en même temps sa protectrice, mais elle espérait que mettre un terme à la mascarade lui en apprendrait beaucoup plus, et elle ne fut pas vraiment déçue. Le jeune Gerudo sembla ravi de pouvoir s'exprimer, bien qu'un peu perplexe face à sa question. Elle ne pouvait pas lui en vouloir, pour n'importe qui c'était un sujet difficile. Il était bien entendu facile de répondre par quelques éléments factuels, mais creuser plus profondément était pour bien des gens la quête de toute une vie.

Elle écouta attentivement la réponse qu'il lui fit. De toute évidence il tenait énormément à sa nouvelle vie au monastère et ne semblait pas ravi par l'évocation du voyage. Haya l'avait bien senti et l'interrogea directement.

La querelle entre maître Shingen et son disciple était elle aussi riche d'enseignements. Elle fut soulagée que la volonté du vieux Sheikah de lui cacher certains détails se soit envolée et elle ne put manquer de remarquer combien son protégé se rattachait à lui. Lorsqu'ils semblèrent avoir fait le tour de la question et que le Gerudo l'interrogea sur les suites qu'elle allait donner à l'affaire, elle reprit la parole.

"Je pense que ton maître a raison, Arkaï. Il est pour toi une béquille. Tu peux choisir de te terrer toute ta vie ici à ses côtés, mais tu ne progresseras pas, et tu regarderas passer ta vie plus que tu n'oseras la vivre. Toutefois, tu ne viendras pas avec moi si tu ne le souhaites pas. C'est un choix important et c'est le tien. Mais si Dame Impa et Haya donnent leur accord, tu seras le bienvenu à mes côtés."

Elle lança un coup d'oeil à la Sheikah. Au vu de son discours enflammé lorsqu'elle l'avait rejointe sur le chemin du monastère, la princesse imaginait que la mission de la jeune femme allait sans doute continuer et suivre sa route en dehors du village. Il lui semblait dès lors qu'elle avait aussi son mot à dire.

Bien plus disposée à présent à parler de ses projets, elle se remit à parler en s'adressant à tous autour d'elle.

"J'ai dans l'intention de partir dans les jours qui viennent après avoir arrangé avec Dame Impa les derniers détails de mon voyage. Je souhaite dans un premier temps me rendre à Elimith pour m'entretenir avec Pru'Ha. J'ai passé bien des années coupée du monde et j'ai besoin de savoir comment ont progressé nos connaissances. Ce ne sera sans doute qu'une première étape avant de continuer la route vers le Domaine Zora. Il me semble impératif d'avoir une entrevue avec le Seigneur Dorepha pour l'informer de mon retour."

Ce n'était pas la part du voyage qui l'enthousiasmait le plus mais elle n'aurait pas osé s'y soustraire. Plus encore que les Sheikahs, les Zoras avec leur longévité exceptionnelle se souvenaient sans doute du Fléau, et beaucoup d'entre eux devaient même l'avoir vécu. Elle était consciente d'avoir quelques comptes à leur rendre.

Et peut-être... Peut-être qu'en chemin elle retrouverait Link. Elle tut ce détail puisqu'il ne s'agissait de toute façon pas de l'essentiel de son voyage mais il était probable que ce fait l'ait finalement décidée à reprendre la route et prendre en main ses propres projets. Pendant quelques jours après le départ du jeune homme elle s'était dit qu'il s'agissait peut-être d'une méprise, que s'il n'avait pas dit un mot d'au revoir et laissé derrière lui la tunique du Prodige c'était qu'il comptait revenir. Elle avait perdu ses illusions et pourtant elle espérait toujours retrouver cet idiot.

Elle se tourna à nouveau vers Arkaï. Elle ne disposait pas d'un moyen de savoir avec certitude quel était son avenir. S'il avait le moindre lien avec Ganon, celui qu'elle avait côtoyé si longtemps, elle espérait que l'avoir scellé avait mis le monde à l'abris de son influence, y compris le jeune Gerudo.
Le meilleur moyen d'en apprendre plus et d'en avoir le coeur net était encore de garder un oeil sur lui en l'emmenant à ses côtés, ce qui lui paraissait aussi rejoindre ses intérêts à lui.

Elle repensa à la question du jeune homme. Il était impossible de jauger quelqu'un par une seule épreuve, et si on l'avait elle-même jugée là-dessus on aurait pu considérer qu'elle avait largement failli.

"Je n'ai pas d'épreuve à te proposer. Aucune ne sera jamais suffisante pour convaincre entièrement les gens, si ce n'est la vie que tu vas mener. Si tu souhaites m'accompagner j'aurais toutefois une demande à formuler, et j'espère que ton instructeur pourra te fournir le matériel nécessaire. Je souhaite que tu tiennes un journal de tes rêves. Je ne le lirai pas, et tu n'auras pas à tous me les raconter, mais j'aimerais que tu me parles de ceux qui te sembleront importants."

Depuis toute petite, on lui avait recommandé de faire attention à ses songes, et même si ses pouvoirs avaient mis du temps à se manifester, elle avait toujours fait des rêves très vifs, dont certains lui avaient semblé, un peu instinctivement, avoir plus de sens que d'autres. Ils s'étaient d'ailleurs progressivement teintés d'ombre peu avant l'arrivée du Fléau. Peut-être était-ce une coïncidence due à ses propres peurs, mais elle continuait de croire qu'ils pouvaient être de bons indicateurs, magiques ou non.
Elle n'aurait pourtant pas voulu avoir à partager le moindre de ses rêves, surtout ces dernières semaines, et ne tenait pas à l'exiger de quelqu'un.

"Un dernier point qui me semble important : pendant ce voyage mon identité devra demeurer secrète. Je ne tiens pas à risquer d'attirer inutilement sur nous plus de dangers qu'il n'y en a déjà au dehors. Dame Impa m'a appris qu'il n'y a pas si longtemps avant mon retour un complot Yiga a été déjoué au sein même du village. J'ose espérer que ces derniers ne sont pas encore au courant de mon retour, mais c'est une hypothèse que je ne peux écarter et trop attirer l'attention ferait de notre petit groupe une cible de choix."

Elle avait fait étalage de ses titres parce qu'elle s'estimait en sécurité ici. Les crier sur tous les toits n'aurait que peu de sens. Elle ne pensait pas avoir besoin d'un déguisement ou de changer de prénom, mais elle éviterait de se présenter en tant que princesse. De toute façon beaucoup lui auraient sans doute simplement rit au nez.


Haya

Babysitter par intérim

Inventaire

Si la réponse d'Arkaï fut plus que satisfaisante du point de vue de Haya, la tournure que prit la conversation ensuite lui ôta toute envie de sourire. La simple évocation de l'épreuve de la sagesse ravivait chez la sheikah de désagréables souvenirs qui nourrissaient une angoisse latente, ancrée au plus profond de son esprit. Un instant, son regard se perdit dans le vide et ses doigts se resserrèrent en un poing rageur tandis que les autres poursuivaient le débat. Elle s'imagina alors sans mal le probable désarroi du jeune gérudo lorsqu'il découvrit, à son grand malheur, autre chose que le visage apaisée et réconfortant de la divinité. A dire vrai, rares étaient les esprits assez sereins pour réussir l'épreuve lors de leur première tentative ; souvent, les maîtres – ainsi que des parents, cette épreuve n'étant nullement réservée aux futurs guerriers mais bien ouverte à l'ensemble de la population – y emmenaient de jeunes femmes et de jeunes hommes dont l'esprit, encore bien trop souvent agité à ces âges-ci, était prédisposé à échouer. C'était bien souvent une manière simple d'enseigner l'humilité et de confronter le disciple à un premier échec d'envergure, tout dépendant ensuite de sa capacité à encaisser le contre-coup. Arkaï n'aurait donc pas été un cas isolé, loin de là, mais il était davantage préoccupant qu'il arrivait à un âge plus avancé et qu'il n'était toujours pas parvenu à entrer en résonance avec son lui intérieur. Bien que les choses s'étaient déroulées différemment du côté de la jeune Nekt'Hyl, il n'en restait pas moins qu'elle partageait quelques similarités avec ce garçon.

Elle finit néanmoins par ranger ces quelques pensées dans un coin de sa tête et écouta attentivement sa reine lorsqu'elle reprit la parole afin de répondre aux deux hommes, laissés dans l'attente suite à leur requête inattendue. Bien qu'elle aurait préféré garder quelques réserves et d'en référer à Impa avant de donner une réponse claire, Haya s'accordait avec la majeure partie du discours de Zelda. Pour la sheikah, Arkaï n'était rien d'autre qu'un jeune homme terrorisé par ses propres démons intérieurs comme certaines épreuves particulièrement difficiles sont capables de vous en amener. En dehors de cela, elle avait toute les peines du monde à concevoir que le jeune homme ait un lien avec la légende de Ganon. Et pour finir, il lui semblait bien que même s'il fut armé des pires intentions du monde, il n'en constituait pas pour autant une menace pour la jeune souveraine tant que la sheikah se tiendrait à ses côtés. Elle ne sous-estimait pas le fait que ce soit Shingen qui l'avait entraîné mais, de toute évidence, elle avait assez d'expérience pour gérer la situation. Et sûrement était-ce là encore une raison qui avait poussé Impa à lui demander de rester auprès de la dernière Nohansen. La vieille femme avait toujours cette capacité incroyable de faire d'une pierre, deux coups. Voir beaucoup plus encore dans certains cas.

Pour le reste, Haya n'avait pas besoin de réagir à ce que dévoilait Zelda. Elle avait déjà envisagé beaucoup de choses et commencer les tous premiers préparatifs de leur départ quand bien même sa présence n'aurait pas été souhaité. Elimith avait beau avoir des allures de visite scientifique aux yeux de la princesse, il s'agissait pour Haya d'une étape indispensable en vue de l'Hiver qui s'annonçait. Certes, elles partiraient avec quelques ressources et quelques vivres de Cocorico mais elles en trouveraient davantage dans le village hylien, le principal carrefour de commerce de la région. Il revêtait donc d'une importance primordiale si elles ne voulaient pas mourir de faim et de froid au milieu de la Lande. Cependant, une fois cette étape atteinte, elles seraient beaucoup plus libres de se diriger là ou Zelda le souhaiterait.
Elle préféra également s'éviter de parler des Yigas et du complot qui avait été dévoilé quelques mois plus tôt. Il était inutile de revenir sur cet épisode qui avait causé quelques sueurs froides à la guerrière des ombres, qui s'était absentée pendant quelques jours lorsque l'irréparable avait failli se produire. Ceci étant, Haya était bien consciente de la menace Yiga qui n'allait pas tarder à planer au-dessus de leurs têtes. Elle ignorait s'ils savaient déjà que l'Elue de Nayru avait survécue ou combien de temps ils mettraient avant d'agir mais il lui semblait évident qu'elles se verraient confronter à la menace tôt au tard. L'avantage étant qu'au milieu de la Lande hylienne, Zelda serait beaucoup plus difficile à localiser, même si plus vulnérable. « Je vois que vous avez déjà bien réfléchis au déroulement de votre voyage, votre altesse », reprit finalement Shingen, sûrement apaisé par la réponse de la jeune monarque. Son regard glissa ensuite lentement en direction de Haya. « Et toi, Haya, que penses-tu de mon protégé ? L'accepteras-tu à tes côtés ? » Demanda-t-il d'une voix plus grave, lorsque ses iris percuta ceux glaciaux de la sheikah, comme s'il redoutait la réponse qu'elle pouvait lui donner. Quelque part, son silence lorsque Zelda l'avait implicitement invité à s'exprimer un peu plus tôt ne lui avait pas échappé... et cela ne le rassurait pas.

Les pupilles vermeilles de la jeune femme glissèrent du maître à l'élève, le contemplant une dernière fois avant de rendre son propre verdict. Son avis était loin d'être figé dans le marbre, notamment mis en doute par le fait qu'Impa elle-même lui ait demandé de se méfier de cet individu. Et pourtant, tout comme Zelda, elle ne voyait rien d'autre qu'un jeune homme en perte de repère dont l'âme était blessée profondément. Pouvait-elle se permettre de le condamner aussi ouvertement alors que ses seules incertitudes reposaient sur de vieilles légendes qu'il fallait éviter de prendre au pied de la lettre ? C'eut été faire preuve de beaucoup trop de cruauté à ses yeux. « Tu peux venir, si tu le souhaites, Arkaï », soupira-t-elle finalement après de longues secondes. « Et je ne pense pas me tromper en avançant qu'Impa se rangera de notre avis », compléta-t-elle, confiante. Si elle avait demandé l'avis de Zelda et que celle-ci lui disait la même chose qu'ici, la doyenne n'aurait alors aucune raison de s'opposer à la requête de Shingen. Si néanmoins d'aventure elle se montrait réticente, Haya se savait suffisamment convaincante pour la faire céder. « En revanche, puisque ta présence n'était pas prévue, nous allons devoir revoir une partie des préparatifs et de la logistique qui étaient envisagés. Aussi, attends-toi à devoir faire ta part, sinon plus. Tu n'as qu'à considérer cela comme l'épreuve que tu nous as appelé à te donner un peu plus tôt », conclut-elle d'un ton plus dur qu'elle ne l'aurait vraiment voulu. Lasse, elle porta à sa bouche la tasse de thé, qu'elle finit doucement en sondant encore une fois le jeune homme. Puis d'ajouter, de façon à se montrer plus conciliante : « Nul ne t'oblige à donner ta réponse immédiatement. Tu as le temps pour y réfléchir et je peux repasser dans quelques jours si tu le souhaites. » Sur cette dernière note, la sheikah se mua à nouveau dans le silence alors qu'elle déposait sa tasse vide. L'instant d'après, elle croisait le regard d'un Shingen soulagé et reconnaissant.


Arkaï

Apprenti stagiaire

Inventaire

A l'instant précis où Arkaï entendit la première réponse de la princesse, il lui sembla que les murs de la pièce s'effondraient autour de lui, que le toit s'envolait, arraché par ces vents déchaînés et que le garçon se retrouvait dans une prairie baignée de soleil ; dit plus prosaïquement, il se sentit apaisé d'un fardeau qui pesait atrocement lourd sur ses épaules depuis des années. Il se remémora la rage qui l'avait saisit le jour de son arrivée, lorsqu'on l'avait enchaîné au milieu de la demeure d'Impa. Une dizaine de regards furieux, haineux, posés sur lui. Une cascade de haine et de ressentiment aussi, à mesure que les âmes blessées l'accusaient d'un parent mort, d'un fils assassiné, voire même de mauvaises récoltes... Il se pensait condamné, impuissant à répondre face à une foule partagée entre soif de son sang et désintérêt de son sort. Dame Impa elle-même semblait peu désireuse de risquer une décision impopulaire pour des questions de principes... Mais elle avait envoyé cherché le maître. Peut être savait elle que seul lui pourrait oser aller contre l'assemblée de la peur et de la colère. Alors qu'il souriait en repensant à l'intervention de Shingen, qui lui avait offert un second départ, Arkaï regarda Zelda sous un jour nouveau. Jusque là, il la considérait comme un instrument de la mort et il guettait ses paroles comme un couperet au dessus de sa nuque... A moins que Dame Impa n'ait encore décidé de jouer un coup de ricochet à trois rebonds. Après tout, quel Sheikah digne de ce nom aurait l'audace, l'outrecuidance !, de contester une décision prise par l'héritière de la famille royale elle même ? Ou bien le destin avait il juste fait son oeuvre, qui savait ? Surement pas Arkaï. Même après plusieurs années passées dans les alentours, le village restait un labyrinthe de secrets ; C'était là son aspect le plus charmant.

« Merci, votre altesse. » déclara-t-il en s'inclinant aussi bas qu'il le pouvait. « Je ferais honneur à votre décision. »

Cependant, s'étant redressé, à mesure que Zelda expliquait les détails de ce qu'elle avait prévu, Arkaï se figea de plus en plus. Un départ dans les prochains jours ? Si tôt ? Et pour aller plus loin encore que Elimith vers le nord ? Chez les Zoras ? Ces hommes-poissons étranges qui le dégoûtaient dans les peintures les représentant ? Le garçon resta interdit, les yeux fixés sur le sol devant lui. Certes, il s'était élancé avec entrain vers l'inconnu... Mais il ne s'attendait pas à autant d'inconnu d'un coup ! C'était à la fois trop rapide et trop... TROP ! Mais à présent, il se serait senti extrêmement malpoli d'interrompre la princesse et de faire objection à ses projets. Il en était encore à hésiter la transgression lorsque Shingen, ayant capté son trouble, posa une main sur son épaule et lui dit,

« Apaise toi, seito. Pour l'oiseau qui n'a jamais quitté son nid, même l'arbre le plus proche paraît être le bout du monde. Mais après quelques jours sur les routes, tu trouveras une joie nouvelle à chaque paysage que le voyage t'offrira. »

Le geste et les mots de son maître calmèrent Arkaï qui rougit de s'imaginer en oisillon frèle et peureux. Il valait mieux que ça, et il commençait à comprendre ; Toutes ces nuits passées à encaisser le froid et la faim, tous ces entraînements, toutes ces épreuves... Tout ce qui avait fait son éducation le conduisait à cela ; la vie au dehors. Le maître ne lui avait pas dressé un confortable cocon pour la vie : il avait tout fait pour le préparer au grand saut. A présent qu'il avait osé s'avancer au bout du gouffre, le vertige le faisait naturellement douter, mais le garçon se sentait pousser des ailes à entendre Zelda évoquer les termes de leur accord.

Un carnet de ses rêves, l'idée lui parut intéressante. Le sujet était devenu un sujet récurant de conversation entre son maître et lui, pratiquement depuis son arrivée au monastère, lorsque les premières nuits passées sous un toit et entre des murs lui avaient infligé de violents cauchemars. Au fil du temps, son sommeil s'était assagi mais ses songes ne s'étaient pas dispersés pour autant. Arkaï rêvait, chaque nuit, sans retenue, comme si il avait déjà vécu mille vies et que son âme n'osait s'en souvenir qu'une fois la lune levée et les paupières baissés.

L'écriture pourrait poser un peu plus de problème, le garçon n'étant pas encore très à l'aise avec la discipline. Il aimait tracer les lettres, et l'art du pinceau lui était plaisant, mais la discipline et les règles lui semblaient frustrantes. Il préférait chanter la poésie que de l'écrire. Autant de raisons pour lesquelles il aurait besoin de quelques leçons pour se plier à la demande de la princesse. Néanmoins, il acquiesça à celle ci, ne souhaitant pas soulever de faux problèmes pour rien.

« Je vous promets de faire de mon mieux. J'espère que vous aimez la poésie ! » Après tout, elle n'avait pas précisé quelle forme d'écriture elle lui imposait, et il était définitivement plus doué pour composer des Haikus sur une mélodie que pour assembler des mots sur une page.

Lorsque celle ci évoqua la question de son identité et du danger qui la menaçait potentiellement, Arkaï se frappa une fois la poitrine de son poing. Au monastère, et sans doute chez le reste des Sheikahs, le geste signifiait la loyauté et la détermination des guerriers, et rappelait leur engagement à protéger la famille royale. Le garçon hésita un instant, se demanda si il devait prêter serment dés à présent, étant donné qu'il n'en avait jamais eu l'occasion. Le Serment était une cérémonie et un rite Sheikah où l'on renouvelait l'engagement de la tribu à l'égard du royaume et du "sang de la déesse". La plupart des guerriers y passaient. Depuis le fléau, c'était avant tout une tradition destinée à honorer la mémoire de ceux tombés au champ d'honneur. A présent... Elle reprenait de son sens. Cependant, Arkaï se ravisa. Si Shingen n'avait pas jugé bon de le faire passer par là, c'est qu'il n'était pas encore prêt. Il répondit alors à la princesse, brièvement,

« Comme vous le souhaitez, altesse. »

Néanmoins, il ne manqua pas de remarquer la lueur étrange qui s'était allumé dans le regard du maître, qui fixait intensément Haya, à la mention des Yigas. Celui-ci lui demanda alors son avis sur le garçon, qui déglutit en sentant les yeux flamboyants de la guerrière l'examiner en profondeur. Le silence qui suivit la question de Shingen parut durer une éternité à Arkaï qui n'osait imaginer un revers soudain du destin. Il fut rassuré lorsque la Sheikah confirma l'avis de la princesse, bien que rajoutant un avertissement sur le fait qu'il ne serait pas privilégié dans leur attelage insolite. Le garçon roula des épaules, et répondit, enfin sûr de lui sur une chose, « L'effort ne me fait pas peur. S'il faut, je ferais deux fois plus que ce qu'on attend de moi. » Il faut dire que pour son âge, Arkaï en imposait déjà, physiquement. Et des mois entiers à porter autant qu'une mule lors de longues marches dans la montagne lui avait bâtis un dos solide. Rien de ce que Haya lui avait dit ne l'effrayait.

A vrai dire, il se sentait très impatient de partager sa route avec son aînée. Au monastère, il n'était plus loin d'être le plus âgé et aucun des autres élèves ne l'égalait. En elle, Arkaï voyait une forme de modèle, bien qu'ils n'aient pas été instruits strictement aux mêmes arts. Le maître avait très vite réalisé que la discrétion et l'extrême agilité n'étaient pas son fort ; il l'avait formé à la voie ancienne, celle de la force, de la stabilité et de l'équilibre. Mais les deux n'étaient pas incompatibles, et le garçon avait toujours eu beaucoup de respect pour les deux écoles. Il répondit à la proposition de la Sheikah avec un enthousiasme non dissimulé, bien qu'à nouveau saisit par le vertige du départ,

« Je partirais quand vous le souhaiterez ! Je... J'aimerais simplement obtenir une audience auprès de Dame Impa. Je voudrais... la remercier. »

Quelques jours auparavant, il s'en serait étonné lui même, mais à présent qu'Arkaï réalisait l'opportunité qu'on lui offrait, il s'en serait voulu de partir sans un mot, tel un ingrat ou un lâche. De la même manière qu'il avait soutenu le regard de l'ancêtre le jour de son arrivée, il voulait la saluer les yeux dans les yeux, afin qu'elle réalise qu'elle avait eu raison.

Cependant, si l'élève bouillonnait d'impatience, le maître semblait toujours réservé. Un fin sourire tranchant comme un rasoir en travers d'une joue, il se pencha lentement vers Haya et lui déclara d'une voix calme mais d'où perçait une note douloureuse et triste, « Un de mes élèves n'est jamais revenu de son dernier voyage... Son départ a laissé une blessure, que le temps n'a pas refermé. » Ca n'était pas de la colère, qu'Arkaï capta dans son souffle, mais une amertume mêlée de ressentiment... Jusqu'à ce que son regard ne se tourne vers lui. «... Peut être en est-ce enfin l'occasion. Veille sur lui, veux tu ? Un vieil homme te le demande. »

Arkaï ignorait totalement ce qui unissait ainsi les deux Sheikahs mais il ne faisait aucun doute qu'il ne le saurait pas avant un bon moment. Il échangeait un regard d'incompréhension avec Zelda, quand le maître se leva et déclara,

« Si vous désirez vous reposer ici avant de repartir, votre altesse, Haya, vous êtes les bienvenues. Sinon, je vous raccompagne. »

Avec ces mots, le garçon compris que l'accord était scellé et il se demanda, une fois encore : Etait il prêt à sauter du nid ?


Zelda

Princesse à la retraite

Inventaire

La princesse fut ravie que la Sheikah aille dans le même sens qu'elle et accepte la présence du Gerudo. L'emmener semblait un bon compromis pour l'aider à trouver son propre chemin tout en tâchant d'en apprendre plus de leur côté sur ce qui pouvait provoquer les inquiétudes de la communauté Sheikah.

Une part d'elle aurait aimé voyager seule, mais elle était habituée à ce que ça ne soit pas le cas. Heureusement, il lui semblait qu'il ne serait pas difficile de s'habituer à sa nouvelle garde du corps, et dès lors elle n'était plus à un compagnon près. En plus, elle était consciente de ne plus avoir affaire exactement au même pays qu'une centaine d'années plus tôt.
Déjà avant l'arrivée du Fléau les monstres s'étaient mis à proliférer et elle soupçonnait que sa défaite n'ait pas suffi à régler la situation. Les routes étaient plus dangereuses que jamais et dans son état actuel elle risquait de ne pas être d'une grande aide.

Arkaï, qui lui avait paru réticent au départ, avait finalement l'air reconnaissant et formula la demande de voir Impa. La Princesse acquiesça tout en précisant sa pensée.

"Je suis certaine que Dame Impa n'y verra pas d'inconvénient, je lui en parlerai quand je lui rendrai compte de notre entrevue."

Le Maître du monastère quant à lui semblait à la fois soulagé que sa requête ait été acceptée et inquiet pour son disciple. Malgré ce que pouvait lui apporter le monde extérieur, il l'exposait inévitablement à plus de dangers.

"N'ayez pas d'inquiétudes, je suis sûre que vous avez préparé au mieux votre élève."

Elle était certaine que sa protectrice ferait son possible pour veiller également sur lui, et à défaut de pouvoir personnellement s'y engager dans son état elle savait qu'ils privilégieraient la prudence. Elle avait d'autres projets bien plus dangereux qu'elle avait préféré taire et repousser pour l'instant, rien ne pressait. Elimith semblait une première destination plutôt accessible et si le Domaine Zora était une route plus ambitieuse, surtout à pied et avec un petit groupe réduit, l'arrivée sur place l'inquiétait plus que le trajet.

Après tout, en plus de son cœur en miettes, cet imbécile de Link lui avait aussi laissé la Tablette Sheikah dont elle lui avait fait don en prévision de son réveil. Elle avait déjà eu l'occasion d'y jeter un œil et de constater la présence d'une carte différente de celle dont elle disposait des années auparavant. Ce serait sans doute un atout pour leur voyage dont elle ne manquerait pas de parler à Haya.

Elle préféra décliner poliment l'invitation du vieux Sheikah à rester. Redescendre jusqu'au village serait sans doute un exercice plus facile que l'ascension à l'aller et elle devait dès que possible s'habituer à limiter les pauses. Elles auraient encore beaucoup à préparer et elle espérait pouvoir rapporter au plus vite à Impa ce qui s'était décidé.


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