Le trait fusa dans les airs, parfaitement orienté. Une.
Un autre le suivit, avant même qu'il ne se fige dans l'écorce. Puis un autre. Tchak. Tchak. Tchak. Chaque dard qui s'enfonçait dans la chair tendre de l'ancêtre feuillu le récompensait d'un gémissement plus doux à ses oreilles que du miel. En cadence, l'arc jouait sa musique, comme trop heureux de pouvoir se refaire entendre après toutes ces journées muettes et mornes. Arkaï, lui, savourait chaque geste.
Epaule droite, dos à la verticale du sol, le bras gauche tendu, le droit levé haut, il accomplissait chaque mouvement avec le soin qu'un Sheikah se doit d'accorder à son lever ou à une cérémonie d'hommage. Hormis que cette fois, ça n'était pas à un ancêtre ou un dieu qu'il entendait rendre les honneurs, mais à son esprit guerrier, meurtri trop longtemps par sa propre bêtise. Car Arkaï pouvait enfin se sentir libre, après plusieurs longues semaines à endurer l'humiliation d'une attelle et la frustration du repos imposé.
Bien sûr, cela ne l'avait pas empêché de participer à résoudre l'énigme qui menaçait Elimith, mais même devant le résultat honorable auquel ils étaient arrivés, le garçon ne pouvait pleinement savourer sa victoire. Un oeil lucide voyait aisément plus loin que ce bilan trompeur : En réalité, ils avaient bénéficié de beaucoup de bienveillance divine, ou de chance, si cela vous parle d'avantage. Plusieurs fois, le péril les avait frôlé de très près, que ce soit Ludrick dans le puits puis auprès du coupable ou Zelda partant toute seule interroger l'imbécile - Dieux soyez loués pour sa bêtise - du cimetière. Si les rôles eurent été inversés... Qui pouvait dire si son amie n'aurait pas subi le sort du jeune Elimithois ? L'élève du monastère, héritier de la tradition guerrière du village le savait bien : Il aurait dû être paré, en pleine possession de lui-même, et pas avec un bras engourdi entre deux plaques de bois.
Tchak. Tchak. Légèrement déviées. Arkaï jura de frustration, conscient qu'il s'énervait, pour du vent. Le passé appartenait au passé, rien ne servait de vouloir le lui voler. A présent, une occasion en or se présentait à lui pour faire ses preuves, vis à vis des autres, et de lui même. Préparant une nouvelle série de flèches au carquois, il se reconcentra. Inspire. Expire. Dos droit, bras ferme, prise souple. C'est parti.
Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq.
Tchak. Tchak. Tchak. Tchak...
Une de raté. Et une douleur persistante, sur l'arrière de l'avant bras. Il se retint de jurer, encaissant en silence les protestations de son muscle en feu. Pour autant, rien ne l'aurait fait abandonner. Hors de question de laisser son corps lui dicter quoi que ce soit. La nuit était encore longue, et le rendez vous fixé au lendemain matin. Ni la rigueur du froid, ni l'obscurité, ni la fatigue ne l'arrêterait. Arkaï récupéra ses flèches d'un pas rageur, se remit en position, et repris sa posture.
Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq... Presque. Mais déjà mieux, et moins douloureux.
Le laboratoire tout entier ronflait encore des rêves profonds lorsque la silhouette, allongée par son arc, d'Arkaï se glissa par la porte de derrière. Autant il affrontait sans sourciller la condescendance amusée de Pru'ha lorsqu'elle le surprenait à l'entraînement pendant la journée, autant le garçon mettait un point d'honneur à ne rien révéler de ses escapades nocturnes. On lui avait toujours dit qu'il ne savait pas s'arrêter, quitte à en faire trop, ce qu'il ne parvenait pas à considérer comme un défaut. Mais aux yeux des autres, ça l'était, en plus d'un motif d'inquiétude. Aussi le Sheikah leur épargnaient ils des angoisses en jouant avec les ombres.
La grande crainte d'Arkaï résidait dans le risque de croiser Haya, généralement plus lève tôt que tous et toutes, mais cette fois là, il parvint jusqu'à sa couche sans signe de son aînée. Tirant légèrement les rideaux en prévoyant ainsi de laisser passer les premières lueurs de l'aube, le Sheikah tira sa couverture sur son corps gelé et s'endormit à son tour, rassuré.
Le matin s'étirait paresseusement en une marée aux teintes de corail lorsque, comme prévu, l'astre lui darda des traits plus cruels encore que les siens en plein visage. Malgré sa mauvaise humeur de sentir un agréable songe s'échapper de son esprit, son sens du devoir et il se leva avec moult grognements mécontents. Un regard dehors lui confirma qu'il était encore dans les temps, aussi inspecta-t-il son bras. Pas de douleur, ni de courbatures, enfin. Son esprit combattant soulevé d'enthousiasme devant ce constat, il se jeta hors de sa natte et se prépara au départ. Croisant un Canel aux yeux encore quasiment fermés, il lui soutira honnêtement une boulette de riz et s'en excusa d'un enjoué « Grosse journée aujourd'hui ! A plus tard ! »
Bien sûr, bien sûr, il s'agissait d'aller se battre. Mais enfin, Arkaï allait pouvoir mettre en pratique ce qu'il avait passé tant de temps à apprendre, au fil d'efforts absurdes. Alors, à ce moment là, les perspectives les plus tragiques ne lui apparaissaient même pas. Impatient, c'est l'humeur que trahissaient ses longues foulées sur la pente qui l'amenait au village.
Certes, lorsqu'il avait eu vent de l'appel à volontaires, Arkaï ne s'attendait pas à voir la ville entière converger tel un seul coeur, les armes à la main, pour défendre héroïquement son territoire. Il n'en était plus là, niveau naïveté. Mais rien ne l'avait préparé au spectacle qu'il eut devant les yeux en arrivant au point de rendez vous. Haya était là, comme prévu, accompagnée d'un paysan dont l'allure laissait peu de doutes sur son utilité au combat, et de deux autres hommes qui, eux, paraissaient déjà plus à la hauteur de la tâche. Néanmoins, cinq combattants en se comptant, cela parût ridicule au Sheikah, qui compris à cet instant que rien ne serait aisé ce jour là. A commencer par révéler à son aînée qu'il ne se baladait pas là par hasard.
« Ya-oh, Haya. » la salua-t-il sur un ton calme, tout en s'approchant. « Je suis là pour le haras. »
Il la trouva fatiguée, plus marquée que d'ordinaire, comme si elle s'était déjà battue. Mais qu'est-ce qui aurait pu causer tant de problèmes à une guerrière de sa trempe ? Raison de de plus pour aborder le problème avec prudence. Pour autant, Arkaï sut qu'il avait tout intérêt à éviter les détours et les fioritures qui ne feraient qu'énerver la Sheikah. Haya lui avait toujours donné l'impression de préférer la franchise. Cela n'impliquait pas non plus qu'il lui suffirait de mettre les pieds dans le plat. Ses arguments auraient intérêt à être solides, aussi ne se fit il pas prier pour commencer à les dérouler, « Je me doute que tu ne t'attendais pas à ce que je vienne, sinon tu me l'aurais proposé » dit sur le ton de la plaisanterie et accompagné d'un léger rire, la remarque n'était pas totalement innocente. « Je sais que je n'ai pas encore eu l'occasion de te prouver ce que je vaux et... Je ne le sais pas trop moi même, pour être honnête. Mais je pense que c'est l'occasion ou jamais de le découvrir ensemble. » Et avant qu'elle ait le temps de penser qu'il s'agissait là d'un élan héroïque insensé, il leva les mains comme pour s'en défendre et objecta, « J'ai bien pesé le pour et le contre, crois moi. » Il entreprit ensuite d'énumérer toutes les objections qui pourraient lui venir à l'esprit « Mon bras est remis, pas de séquelle. Zelda est restée au laboratoire. J'ai revu tous mes exerces contre les bokos. Je suis reposé. Je serais attentif à tes ordres... » Arkaï baissa d'un ton pour la suite, désireux de ne pas être entendu du reste de leur étrange compagnie, « Et puis vu l'étendue de la mobilisation, je pense que t'auras pas de trop d'un archer qui vise droit. »
La remarque était sans doute assez cruelle envers les Elimithois. Ceux là n'étaient pas taillés dans le même bois que des Sheikahs. Leur demander de risquer leurs vies, c'était sans doute beaucoup. D'autant que du peu que savait Arkaï, c'était au village caché de régler ce genre de problèmes d'ordinaire. Peut être que les derniers événements liés à Zelda avaient mobilisé d'avantage l'attention d'Impa, mais ça restait de son devoir de protéger les alliés du clan. C'était assez de raisons en soit, mais Arkaï était décidé à jouer cartes sur table, aussi fit il un pas de plus vers elle, sans parvenir à dissimuler sa gêne de s'exprimer un peu plus ouvertement encore, « Au fond, je pense que me suis assez entraîné, j'ai besoin de mettre tout ça en pratique. Tant qu'à faire, autant que ça soit dans des conditions qu'on a choisi, et sous ton commandement. Tu pense pas ? »
Par dessous tout, Arkaï craignait un « Non. » aussi tranchant que définitif, qui viendrait couper la discussion courte mais alors qu'il attendait encore la réponse, avec pas mal d'appréhensions, il entendit des pas derrière lui. Une autre personne approchait, qu'il reconnut instantanément en se retournant. Un sourire lui vint, rapidement évanoui. Il s'était souvenu de leur dernière discussion, pas franchement cordiale. Il n'avait pas eu le coeur, ou le courage, de retourner lui en parler, et d'aplanir leurs différents. Ludrick le voudrait il seulement, c'était là une toute autre question.