Ils s'étaient perdus sur le chemin.
Etait ce en sortant du village ? Plus haut, avant d'atteindre la colline ? Impossible à dire. Arkaï ne se rappelait pas non plus de cette forêt dans laquelle ils erraient depuis... même le temps lui semblait intangible. Epuisé, luttant à chaque nouveau pas, le bushi tâchait de faire la preuve de sa vigueur en maintenant la tête, guidant au mieux une Zelda silencieuse et visiblement plus encore affectée que lui par l'harassement, lui tenant la main afin d'être sûr de ne pas la perdre. A mesure qu'il écartait des branches envahissait, esquivait des racines traîtresses, la nuit tombait, un peu plus lourde et sombre, sur les ramures au dessus de leurs têtes. Bien incapable de reconnaître leur chemin, Arkaï avançait sans se poser de questions, impatient de retrouver la douce chaleur du laboratoire, ainsi que le doux réconfort de la sécurité... Mais aucun horizon ne semblait vouloir se montrer au plus loin que son regard pouvait percer la jungle autour d'eux.
C'est alors que, en travers du chemin, un mur de lianes et de feuilles s'opposa à leur marche. « Etrange... » déclara le Sheikah dans un murmure, « Je ne l'avais pas remarqué. ». Seul un silence glacial lui répondit et en se retournant il vit que Zelda semblait à deux doigts de s'endormir. Il leur fallait arriver à bon port, et vite. Aussi Arkaï sortit son tantö et entreprit il de leur frayer une voie au travers de l'obstacle, taillant furieusement, avec une férocité renouvelée. A mesure que le rempart sylvestre cédait, le guerrier s'aperçut qu'une douce lueur traversait la brèche, accompagnée d'une mélodie intrigante. * Enfin le laboratoire ! * pensa-t-il. Et il se jeta à travers le mur, entraînant son amie avec lui.
Il fut déçu de ne trouver qu'une clairière, enveloppée dans l'éclat d'une lune pleine et ronde, où les attendait une source, et devant elle, un inconnu. L'homme, vieux et paisible, concentré sur le son des cordes de son instrument, lui parut inoffensif, aussi Arkaï s'en approcha, lâchant un instant la main de Zelda, espérant obtenir une direction pour sortir au plus vite de là. Mais avant qu'il ait pu ouvrir la bouche, le moine releva la tête et lui dit, « Bienvenue, [...] »
Arkaï accusa le choc, et fit un pas en arrière, de défi. Il dévisagea l'homme, tenta de fouiller sa mémoire mais ne l'y retrouva pas. Alors, la voix grave, il constata, méfiant, « Vous me connaissez. »
« Bien sûr. Je connais tout le monde. Tous les noms, tous les chemins. C'est l'apanage des moines comme moi. »
La poigne d'Arkaï sur son arme ne se desserra pas d'un pouce. La réponse ne l'avait en rien satisfait et si il avait bien gardé une leçon de son maître, c'était de ne jamais baisser sa garde tant que l'incertitude persiste dans l'air.
« Tu es perdu, mon garçon. Tu as longtemps marché dans des bois aussi profonds et sombres que ceux ci, mais à présent, tu t'aventures sur d'autres chemins, peut être plus traîtres encore. » Il pinça une corde, et en sortit une note étrange, fausse et en même temps très belle. « Retiens bien une chose. Si tu te retrouve égaré, cherche ton étoile, et laisse le ciel te guider. Autrement... On a vite fait de mettre ses pas sur une mauvaise voie... Et de perdre ses amis avec soi. »
Brusquement rappelé à l'état de Zelda, Arkaï se retourna pour vérifier si tout allait bien... Son sang se glaça en un instant. Derrière lui, son amie se tenait là, raide et blanche comme la mort, l'expression figée dans un râle d'agonie horrible, son corps se décomposant à toute vitesse. Arkaï se souvint ; c'était l'expression des morts du fléau dont ils avaient touché les cadavres. Terrifié, figé sur place, le bushi ne put qu'assister impuissant au spectacle de la princesse morte se jetant sur lui... Il hurla.
La sueur perlait sur tout son corps lorsque Arkaï se réveilla en sursaut. Tremblant de tous ses membres, il ramena sa couverture sur lui et se recroquevilla contre le mur du laboratoire. Avait il crié dans son sommeil ? En tout cas personne ne semblait s'être réveillé, tant le silence régnait sur la vieille bâtisse. A peine pouvait il entendre le vent galoper sur la colline, et s'échapper à son sommet, vers la mer. Le garçon sentit ses yeux s'embuer, en repensant au songe terrible qu'il venait de vivre... Le premier depuis au moins deux années, et d'un genre nouveau. Dés qu'il y pensait, dés qu'il se figurait à nouveau le visage mort de Zelda, il revoyait ceux des deux cadavres de la veille. Si jeunes. Innocents. Sur le moment, il avait sincèrement pensé pouvoir encaisser ça. Leur traits figés pour toujours, la pâleur de leurs joues. Mais ces visages le hantaient, alors que des larmes coulaient jusque sur ses lèvres.
Un long moment, Arkaï fut pris d'une violente envie de partir, de dégager de cette région maudite par le mal, contre lequel il n'avait aucun arme ! Surtout qu'il avait vu la bassesse de ces gens, leur cruauté. Un père implorant qui se transforme en bourreau dés qu'il en a l'occasion ! Qu'ils se débrouillent avec le fruit de leurs pêchés, tous ! Il ne voulait pas se retrouver sur une table, le visage froid. Ni lui... ni Zelda.
« Merde. Mais qu'est-ce qu'on fout là ?! » jura-t-il, dans un soupire défait,
Alors qu'il était secoué par les sanglots, il repensa à ce qu'elle lui avait dit, la veille, au bord de la rivière. Cent ans après, elle regrettait encore de ne pas avoir suffisamment agit, de ne pas avoir empêché la fin de tout ce qu'elle aimait... Quand bien même elle n'y était pour rien. Cette pensée, l'élan d'estime qu'il avait pour elle, l'aida à relever son esprit. Petit à petit, Arkaï se rassembla. Il repensa aux grands héros, à Zelda, à dame Haya... Et il eut honte d'avoir pensé fuir, sans combattre. Il ne dormit pas plus cette nuit là.
Ce fut Canel qui le découvrit aux premières lueurs de l'aube, assis en méditation, massant son bras encore endolori... mais plus pour longtemps. Même si le verdict de Célyse ferait foi, le garçon sentait qu'il récupérait à vive allure. L'air gêné comme toujours lorsqu'ils échangeaient quelques mots, l'aide de Pru'Ha lui demanda, « Tu as faim ? ». Le regard flamboyant que lui rendit un Arkaï affamé comme un ogre fut une réponse suffisante et Canel s'empressa de descendre à son office. Lorsque le bushi le suivit, il constata que Zelda était tout aussi éveillée que lui et prête à partir. En revanche, elle ne l'était sans doute pas à recevoir une étreinte comme Arkaï lui en donna, comme pressé d'exorciser les fantômes de sa nuit. S'étant emparé de quelques onigri délicieusement sucrés pour la route, les deux héros repartirent sauver le monde.
Il eut le plaisir de voir Ludrick présent lui aussi au rendez vous. Visiblement, ils pourraient compter sur une personne capable, ce qui constituait sans doute la première bonne nouvelle depuis un moment. Et puis au moins, cela donnait un visage familier à qui les villageois pouvait accorder un minimum de confiance dans leur groupe... pour autant que la confiance ne soit pas déjà un luxe, avec l'atmosphère qui devait régner à Elimith depuis la veille. D'ailleurs, leurs brèves rencontres avec des miliciens à la mine mauvaise trahissait le climat délétère qui s'insinuait derrière chaque maison, au fond de chaque ruelle. Déjà, les élimithois s'observaient en chiens de faïence. Il ne faudrait pas grand chose pour qu'on trouve des coupables idéals et qu'on dresse des gibets. Arkaï ne parvenait pas à imaginer comment le village caché réagirait à une situation pareille. Il avait envie de croire les Sheikahs plus sages mais... il avait constaté combien il est aisé et rapide de désigner un agneau à sacrifier à l'absurdité d'une tragédie. Aussi, pris d'un élan de compassion, il constata, comme une évidence, en direction de Ludrick,
« Ca doit être dur, de voir ton foyer se déchirer comme ça. » Et, lui posant une main sur l'épaule en s'efforçant de sourire, il ajouta, « On va faire tout ce qu'on peut, pour régler le problème... Et éviter qu'il n'y ait d'autres drames. »
Il repensait à la colère du jeune homme face au sort de Jenah... C'était déjà un spectacle atroce pour un étranger. Le Sheikah ne pouvait guère qu'imaginer la douleur de voir des visages familiers victimes d'une telle violence.
Une fois arrivé devant l'apothicaire, Arkaï resta en retrait par rapport à Zelda. Il n'avait pas grand chose à rajouter, tant elle avait visiblement préparé son discours. Il tiqua légèrement sur ce qu'elle dit à propos du pouvoir ; L'ironie avait de quoi faire rire mais le garçon s'y refusa. Ca n'était pas le moment pour craquer et révéler un secret qui ne ferait qu'ajouter au chaos. Il ne contenta, lorsqu'elle eut finit, de demander au vieil homme, avec le plus de respect possible,
« J'espère que notre travail de la veille vous a satisfait ? »
Derrière cette question innocente, et en partie sincère, se trouvait évidemment un rappel ; Ils l'avaient bien aidé. C'était peut être le moment d'un juste retour des choses.