Posté le 18/08/2020 01:39
Il s'appuyait, s'appuyait comme jamais sur le bâton de marche. C'était suicidaire, il le savait désormais et espérait secrètement que la providence le délivrerait de cette mort certaine. Pourtant il continuait - quand bien même le chemin était taillé dans la roche et il pouvait retrouver l'entrée du canyon à tout moment - car son destin était devant lui. Il était auprès d'Emi, si c'était par-delà l'horizon de roche qu'elle se trouvait, jusque dans les confins des Sables. Il chercherait.
Les Gorges Gerudos offraient un terrain d'entraînement aux contrées éponymes ; c'était comme cela qu'il le voyait. Par chance, à l'ombre, la température demeurait viable, mais la nuit elle chutait drastiquement et il ne devait sa survie qu'au bois mort qui se trouvait çà et là, qu'il enflammait prestement pour se réchauffer le corps déjà bien endolori par le manque d'eau. Là était son erreur, d'ailleurs : il s'était assez rationné en nourriture, encore qu'il était possible de trouver du petit gibier ici, mais il n'avait pas prévu assez d'eau et s'était fourvoyé en entamant grandement ses réserves dès les premiers jours. À présent, il survivait avec trois précieuses gorgées quotidiennes dans une gourde qui ne lui permettrait probablement pas de passer la prochaine nuit.
Celles-ci étaient froides, mais sèches aussi. Peut-être pouvait-il espérer trouver quelque chose en hauteur, mais ses yeux d'aigle avaient percé à jour, sans peine, l’existence de nombreux camps bokoblins au sommet des falaises qui l'empêchaient de s'y aventurer librement. Et il n'était pas en état de se battre, du moins pas s'il souhaitait conserver son énergie pour avancer.
Pourtant, ce soir là, son esprit opéra un changement, lorsque Kassander crut sentir l'humidité d'une gouttelette dévaler son cuir chevelu. Il s'arrêta alors un instant dans la contemplation du feu de camp et regarda au-dessus de lui, remarquant dans les ténèbres l'absence de nuage et la lune élevée dans le ciel, mais aussi un léger promontoire rocheux qui semblait responsable de cette fuite. Un oasis, peut-être ? S'il grimpait au sommet, il pourrait peut-être s'abreuver, renouveler ses réserves et voir l'étendue du chemin restant à parcourir. C'était décidé alors : il oserait poser le pied sur les planches en bois qui faisaient le tour de la gorge et rejoignaient des arrêtes rocheuses cisaillant les escarpements de chemins naturels, espérant ne pas alerter de sa présence un quelconque ennemi. Par chance, la lune s'était effacée et n'éclairait plus les renfoncements du canyon, lui permettant de faire preuve de discrétion.
Ainsi, la première étape se passa sans accroc, mais la situation s'avéra plus complexe après un effort conséquent pour escalader les quelques pierres qui le séparaient de la surface terreuse. Avec grand peine, le chasseur se hissa, mais demeura à terre en entendant des bruissements qui venaient justement de la petite - mais suffisante - étendue d'eau, juste sous ses yeux. Pourtant, si elle flattait son regard, sa découverte était teintée de désespoir à la vue d'un Lezalfos qui dormait, en boule, à proximité.
« - Pas le choix, » se murmura cependant le chasseur à lui-même.
Il avait toujours préféré éviter le conflit avec ces bestioles et avait généralement de quoi se tenir à couvert pour pouvoir au moins les blesser et les pousser à s'éloigner. Mais le relief était aussi plat qu'éclairé par la lune qui ne rendait plus service à ce stade, irradiant seulement d'une lueur froide le terrain et plus particulièrement le miroir qui renvoyait ses rayons.
Au moins bénéficiait-il de l'effet de surprise. D'ailleurs, il n'hésita pas à se rapprocher autant que possible, parvenant à la hauteur d'une pierre assez grosse pour résonner au contact du sol, derrière le monstre, et le sortir de son sommeil, comme de son camouflage par la même occasion. La bête, aussitôt, se redressa et montra son dos à Kass qui en profita pour bander son arc et encocher une flèche. Ciblant la caboche du lézard, il ne la manqua que de peu et atteignit seulement son épaule, lui arrachant un cri aigu et un regard noir qu'il vrilla aussitôt sur le jeune homme.
Naturellement, il s'était attendu à ce que ce ne soit pas aussi facile.
Un second trait encoché, il tira comme son adversaire fonçait dans sa direction, une arme tranchante dans la main. Il n'avait jamais rien vu de tel et ne comprit qu'au dernier moment l'intérêt de sa forme caractéristique, quand la lame vola dans sa direction et passa de peu au-dessus de sa tête : un couteau de lancer ? Non, le son distinctif qui revenait dans sa direction l'informa de la nécessité soudaine de plonger vers le sol pour ne pas se retrouver immédiatement décapité par le boomerang.
« - Kaah ! » pesta le reptile tout en réceptionnant l'objet et en s'en servant cette fois-ci comme glaive, l'abattant sur sa victime.
Mais celle-ci l'avait vu venir et para le coup, sans forcément se soustraire de cette position difficile. Le monstre continuait de faire pression sur son arme, contre l'obsidienne, rapprochant par là-même sa gueule pleine de crocs - aussi tranchants qu'éclatants - du visage de Kassander. Soulevant son bassin, celui-ci parvint à étendre suffisamment sa jambe pour décocher au même moment un coup de botte à l'ennemi, l'envoyant rouler à proximité du gouffre.
Les deux attaquants se relevèrent comme d'un seul homme, l'un se préparant à jeter son boomerang, l'autre à tirer une flèche, mais comme Kass était le premier à agir, le Lézalfos eut l'instinct primaire d'esquiver le tir porté à ses pieds en faisant un bond en arrière... et en sombrant de façon rocambolesque dans le vide.
« - Ha. »
Intonation de victoire pour un homme assoiffé qui tenait à peine sur ses pieds. Mais le jeu en valait la chandelle, car voilà que deux secondes plus tard Kassander plongeait le visage dans la mare, tout près.