Sous le coup des remontrances du médecin, Arkaï n'avait pu se résoudre qu'à baisser le menton, et accepter de se faire passer un savon. Le ton de Célyse trahissait un profond agacement devant la situation, ce qui ne pouvait signifier qu'une mauvaise nouvelle. Cependant, le garçon se refusait à envisager le pire ; Bien sûr, ce qu'il vivait ne rimait pas un immense plaisir mais tout de même, il n'avait que peu d'années derrière lui et le cheval coupable ne l'avait pas piétiné toute une journée... Sûrement, tout cela ne pouvait pas être très grave...
« Il te faudra au moins deux semaines d'immobilisation complète. »
De la gorge serrée d'Arkaï jaillit un petit rire, nerveux et trop aigu pour être léger.
« Immobilisation... Complète ? Deux semaines ? » Répéta-t-il lentement, incrédule, avec un sourire tendu pour Célyse, comme pour qu'elle tombe le masque et révèle sa farce. Mais nulle ironie ne se lut sur le visage de la jeune femme, qui le fusillait toujours du regard. « Mais enfin c'est impossible... » Entreprit il de protester tandis que la soigneuse s'approchait et lui enveloppait avec soin l'épaule et le bras dans son châle, « Je voyage avec des amies, je peux pas les faire attendre comme ç... » objecta-il, le souffle brusquement coupé par la douleur lorsque le médecin noua le tissu, bloquant son bras sur sa poitrine. « C'est impossible. » Insista le garçon une dernière fois, en vain, tant ses paroles semblaient s'évaporer avant d'atteindre Célyse.
Cette dernière désigna alors son barda et précisa sa liste d'interdiction, cochant absolument toutes les cases de ce que Arkaï était censé pouvoir faire une fois reparti sur la route. L'expression du garçon se décomposa à mesure qu'il se sentait devenir un poids pour ses deux camarades. Il aurait aimé pouvoir se lever, toiser Célyse, lui expliquer d'un ton impérieux qu'il n'était pas question de faire attendre la princesse royale d'Hyrule avec ses problèmes, mais il ne s'en sentait ni la force ni le droit. Zelda avait insisté ; ils devaient tout faire pour se fondre dans le décor, ne pas attirer l'attention sur elle. Néanmoins, il doutait déjà de pouvoir suivre les indications du médecin. Même si les saisons étaient clémentes avec Nécluda, le départ de l'Automne ne saurait plus tarder. Une fois l'Hiver arrivé du nord et son étalon blanc couché en travers des cols de montagne... La suite du voyage serait fortement compromis. Oh dieux, Haya n'allait pas aimer ça. Quand à la simple pensée qu'elles repartent sans lui, qu'elles l'abandonnent là...
Arkaï frissonna d'effroi, et s'en voulut aussitôt.
Quand bien même Célyse apparaissait comme le corbeau porteur de message de malheur, elle n'était en rien responsable de sa situation. Pire, la jeune femme aurait sans doute préféré rester dans le domaine des songes que de rattraper ses conneries. Le jeune homme redressa le menton, tâcha de se lever sans trop grimacer, et la salua dignement, comme elle le méritait, « Merci pour tout. Et désolé. » conclut-il, contrit, en lui présentant ce avec quoi il comptait la payait. A cet instant, Arkaï espérait fortement qu'elle eut d'avantage que lui le sens de la valeur des choses... Et de l'honnêteté. Le maître l'avait bien averti de ne pas céder trop vite son trésor de voyage mais en réalité, le garçon ignorait largement la valeur de ce qu'il lui présentait, comme du prix habituel d'un passage chez le médecin. Soulagé lorsqu'elle choisit finalement un sachet d'herbes, Arkaï le fut soudain beaucoup moins lorsqu'elle l'entraîna hors de la chambre rencontrer un nouvel inconnu. Et Zelda qui l'attendait toujours...
Son dernier geste, avant de quitter la chambre, fut de tendre un doigt vers le sabre de Célyse, et de déclarer, faussement innocent, « Joli lame, ça me rappelle d'où je viens. » Il guetta sa réaction, curieux de ce qu'elle aurait à dire, ou à cacher.
Rejoindre le rez de chaussée revint pour lui à passer de l'ombre à la lumière, et du repos à la frénésie.
Comparée à la chambre tamisée et paisible de Célyse, la grande salle de l'auberge bruissait d'une certaine clameur chaleureuse nouvelle. Tandis qu'il descendait prudemment les marches pour ne pas brusquer son bras, Arkaï remarquait que l'assemblée semblait étoffée, certains paysans s'étant joints à la veillée, sans doute une fois leurs enfants couchés. Incertain de vouloir plonger dans un tel bain de vacarme, le garçon fut rassuré par la silhouette de la princesse qui semblait l'attendre en bas.
« Ah, Zelda ! Tu vas pas croire notre chance, Célyse a fait des merveilles ! » commença-t-il, en espérant que celle ci ne le contredirait pas. Si son amie pouvait au moins profiter de cette nuit sans devoir encaisser la mauvaise nouvelle, c'était toujours ça de pris à la main cruelle du destin, qu'elle ne connaissait que trop bien. Après l'avoir vu au plus bas quelques jours auparavant, chaque sourire de Zelda valait aux yeux d'Arkaï une montagne d'or. Il fut soulagé par la discrétion de la soigneuse à qui la princesse exprima alors sa gratitude en s'inclinant à la manière des Sheikahs, geste qui fit lever un sourcil au jeune homme. Bien sûr, il n'attendait pas une courbette comme dans les histoires des temps anciens mais pour autant... Il se demanda si, pour elle aussi, le village et sa tribu étaient ses seules attaches au monde à présent. Si on lui avait demandé, se serait elle présenté comme du clan d'Impa ?
Il n'eut pas le temps de vérifier sa théorie car elle s'adressa à lui, pour lui annoncer qu'elle le laissait là, et montait au laboratoire comme prévu. En vérité, prévu ou pas, Arkaï reçut assez mal le coup. Elle le laissait seul, pour la première fois depuis leur départ du village ? Et si elle avait simplement attendu la première occasion pour l'abandonner, d'une manière à peine plus classieuse qu'au détour d'un virage sur la route ? Pas besoin de chercher bien loin une raison, avec ce bras qui pendait mollement au fond du châle de Célyse. A l'instant où elle se détourna vers celle ci et son ami, le garçon sentit une boule d'angoisse grandir au creux de son ventre, réveillant des sensations douloureuses et des bribes de souvenirs mal oubliés.
Mais il ne pouvait déjà plus espérer la retenir et ses yeux se contentèrent de la suivre jusqu'à ce qu'elle ait passé la porte. Alors, ils virent se poser sur le nouveau personnage de cette tragi-comédie.
Drôles d'instants de vie, que ceux qui se gravent en un instant dans le fond d'une rétine, puis d'un esprit.
En un regard, Arkaï se retrouva comme foudroyé sur place. L'espace d'un battement de cil, il se revit dans le temps, plongé dans le miroir, confronté à son reflet déformé. Devant lui se tenait, nonchalant et souriant, un portrait de son malheur. Un homme, roux vif, à la peau mate et à la carrure dominant largement ses semblables. Seuls juraient ces yeux d'un vert profond, dissemblables de l'ambre de ceux d'Arkaï. C'était néanmoins bien assez pour le troubler, surtout lorsqu'il vit son reflet l'appeler « frère » et lui tendre la main.
Profondément mal à l'aise et perdu, il commença à saluer à la façon des Sheikahs tout en acceptant (comble de la maladresse !) la main tendue. L'inconnu la lui serra avec vigueur, comme on accueille un ami longtemps absent, en l'assommant de questions et en lui révélant son nom. Alors, il balbutia, « S... Samir ? Enchanté. Arkaï. » Il avait déjà noté que l'homme ne se présentait pas par son nom de père, de famille ou de clan... Samir, c'était bien un nom gérudo mais pour le reste, ça ne disait rien. Mais ils ne se tenaient pas là dans les odeurs de dîners montantes aux narines du garçon pour parler de leurs noms, aussi Arkaï s'efforça d'en venir au fait. « Oui, Célyse disait que tu pouvais me faire une attelle valable avec ce que j'ai là. » Il lui montra les quelques étoffes de tissus sheikahs, tout en lorgnant sur ce visage inconnu avec méfiance. Seul avec un bras en moins contre un type de sa carrure... Le garçon ignorait si il aurait la force de défendre ses biens. Mais il ne vit rien dans le regard de Samir qui transpirât la malice. Alors, il osa demander, la voix basse, en repensant à ce mot de frère, « Excusez moi... On se connaît ? »
« Dites ! » tonna alors une voix forte et autoritaire derrière eux, « Vous me gênez à traîner au milieu du passage. Allez donc vous asseoir, j'vous sers de suite. Samir, une bière et Célyse, un thé, comme d'habitude ? »
Devant la détermination de l'aubergiste, Arkaï ne posa aucune résistance et se laissa entraîner à une table par ses deux nouveaux camarades. Si on lui avait dit une heure auparavant qu'il se retrouverait dans pareille situation, seul, peut-être ses mains n'auraient elles pas poussé la porte de l'établissement, mais le garçon sut que les regrets n'y changeraient rien aussi fit il contre mauvaise fortune bon coeur. Et puis, à dire vrai, il commençait à se faire à l'atmosphère du lieu. Alors, sa langue se dénouant peu à peu, il remarqua,
« Vous faites un étrange duo, tous deux. » Puis, réalisant que ces mots pouvaient être mal pris, il rectifia, le plus vite possible, « Enfin, je veux dire, vous vous fondez pas trop dans le paysage ! Je m'attendais pas à trouver à Elimith un gérudo et... » Il s'interrompit, troublé de ne pas arriver à poser d'hypothèse sur les origines de Célyse. Il se doutait bien qu'il y avait du Sheikah en elle, son sabre en était un indice suffisant si son profil ne suffisait pas... Mais ses cheveux trahissait une ascendance plus complexe. Un peu penaud, il abrégea, « Qu'importe au fond, je ne veux pas paraître trop curieux. Ce qui compte c'est que vous ayez décidé de m'aider, désolé. »
« Chaud devant ! » annonça la serveuse alors qu'elle déposait plusieurs godets remplis sur la table.
L'espace d'un instant, Arkaï fixa sa bière d'un oeil fasciné. Il n'avait presque jamais obtenu le privilège de boire de l'alcool au village ; le Monastère étant avant tout un sanctuaire, il n'aurait su risquer la souillure quelle qu'elle fut en ses murs. Seuls quelques soirs d'été, après la récolte, avait il eu droit à ce que son verre reçoive un peu du saké qui récompensait les travailleurs. Aussi, contempler une pinte entière de bière dont la robe blonde luisait délicieusement de reflets d'or à la lumière de l'âtre... Il y avait matière à poème, mais Arkaï se sentit trop fatigué pour cela. Aussi se contenta-t-il de lever son verre et de souhaiter « Paix et prospérité ! » comme le faisaient les Sheikahs, avant de boire.
Lorsqu'il reposa la chope, elle était presque vide et lui se sentait déjà bien mieux. Son sourire satisfait en disait assez sur le sentiment que lui laissait sa dégustation. Il regrettait seulement de ne pas partager ce moment avec Haya et Zelda. Il se sentait un peu honteux d'être là à profiter pendant qu'elles s'occupaient sûrement de sujets graves et importants là haut, au laboratoire. Mais ruminer tout cela ne servait à rien, aussi demanda-t-il confirmation à Samir,
« Tu pense pouvoir faire quelque chose pour mon bras ? J'ai sûrement de quoi te payer si il faut. »
Après tout, Célyse avait trouvé son bonheur mais peut-être qu'un autre n'y verrait que des babioles sans intérêt, c'était le gros défaut du système, mais de toute manière Arkaï ne voulut pas compter sur la possibilité, énoncée par la soigneuse, que son ami oeuvre gratis. Le travail méritait salaire, sur quelque forme que ce soit. Il ramena la bière à ses lèvres, et finit son verre. Une douce chaleur commençait à lui monter aux tempes, ce qui eut comme effet secondaire de lui ouvrir subitement l'appétit. Il demanda alors à Samir, et surtout à Célyse, se sentant toujours coupable de l'avoir tiré du lit,
« Laissez moi vous offrir le repas, c'est la moindre des choses. »
Et en quelques gestes, il fit signe à la tenancière de remplir trois bols du ragoût dont le fumet embaumait la pièce. Dieux, que cette soirée lui avait donné faim... Et puis partager un dîner, c'était repousser le moment où il se retrouverait seul en quatre murs. Jamais dans sa vie Arkaï n'avait apprécié ces moments, et ce soir là moins encore.