Sous la protection naturelle des frondaisons, le rito se sentait plus à l'aise car il ne risquait pas d'être surpris par la pluie ; ainsi, l'hostilité qui violait la forêt était sa seule ennemie. Mais il avait aussi appris qu'elles pouvaient être multiples et surgir si vite qu'il fallait, quoi qu'il advienne, garder son calme pour réagir à temps et prendre l'initiative.
Tous ses sens en éveil, Ardolon sentait encore le pétrichor pendant qu'il se concentrait sur son ouïe. En fait, ses plumes était tellement aux aguets qu'il aurait senti un mouvement avant même de l'entendre. Deux couples d'oiseaux piaillaient à l'ouest, un autre au nord s'égosillait au dessus du cerf qui suivait une femelle. Il y en avait deux autres, plus loin mais également des signes de vie plus petits que le piaf reconnut d'un coup d'oeil. Mais ce qui l'intéressait n'était pas dans son champ visuel, ni derrière. Ce qui l'intéressait avait moins d'élégance qu'un cerf et se faisait plus discret qu'une musique aviaire.
À mesure qu'il avançait, le piaf remarqua les silhouettes de ces intrus. Ils étaient petits et traînaient une victime, assomée mais aussi large qu'eux deux réunis. Assomée mais en vie... Ardolon aurait pu le défendre, s'il avait voulu trahir sa présence, mais il savait le danger que représentait ces créatures. Ce n'était pas le moment.
Tandis que l'un des deux petits êtres se retournait, Ardolon prit couverture parmi la nature. C'était sa complice, il avait appris à se marier avec les artifices de ses harmonies chaotique. Il savait que la forêt était une gigantesque sphère, interconnectée, dont chaque être vivant contribuaient à sa façon ; un monde dont ses proies, à tort, se croyaient maîtres. L'aile d'Ardolon glissa sur son arc, prêt à tirer la flèche qu'il avait préparée. Il inspira profondément en attendant qu'ils commencent à s'éloigner, puis le rito décocha.
L'air siffla puis un bruit sourd conclut sa course. Le bout de bois avait rebondi contre l'écorce et à vrai dire, il n'aurait pas fait de mal à qui que ce soit : c'était un projectile de fortune, surtout destiné à attirer l'attention. Et son office fut très vite rempli car déjà, l'une des proies s'y achemina tandis que l'autre portait encore sa victime derrière lui. Il semblait ne faire aucun cas de la distraction, soit qu'il l'ignora au bénéfice du repas futur qui accaparait lucidité, soit qu'il préféra laisser la tâche ingrate à son compagnon. Dans les deux cas, cela reportait la menace de cet adversaire à plus tard.
Quant au premier, le piaf d'ébène et de grenat était prêt à l'affronter. Avec ses flèches, il pourrait l'affaiblir à distance puis quand il sentirait ne courir aucun risque, il dégringolerait sur l'odieux au moment opportun. Simple. Il n'y avait qu'à attendre en embuscade que l'autre s'éloigne... Quelques pas de plus...
Brusquement, un buisson se trémoussa vigoureusement. Une petite voix fluette s'y échappa. Pour sûr, l'habitant d'Elimith avait trahi sa présence.
L'étranger avait avancé parmi les fourrés sans même prendre garde à la végétation. Son esprit tout entier devait être dirigé vers l'intention de commettre un coup fourré. Sans doute allait-il s'en prendre à un animal pour assouvir ses intuitions bestiales. C'était dangereux de le suivre mais l'idée de le surprendre à perpétrer un meurtre était grisante. Qu'il avait hâte de dire qu'il l'avait suivi là où le crime allait arriver. Sûrement, les autres enfants seraient admiratifs de son courage !
Le garçon constata que le piaf s'était caché en épousant la forme d'un tronc et des arbustes alentours, malgré son imposante taille. Alors, craignant d'avoir été vu pendant qu'il rêvassait, lui aussi se mit derrière un arbre. Heureusement, le rito ne l'avait pas vu ; comment l'aurait-il pu ? Il semblait trop obnubilé par l'idée d'être vu, comme un criminel prêt à faire son méfait. Du moins, c'est ce que pensait l'enfant, sans bouger derrière un arbre qui ne le cachait pas si bien. Le petit hylien céda néanmoins à l'envie d'en voir plus. Après avoir vu un buisson un peu plus gros que lui, son petit corps s'y précipita comme s'il était invisible.
Depuis le refuge naturel, le spectateur scruta le piaf avec une puérile assurance. Jamais n'imaginait-il qu'il put être vu, ni même entendu, ne tentant pas même d'étouffer un hoquet de surprise, lorsqu'il vit une flèche s'engouffrer entre les plumes de l'étranger. Sur quel victime allait-il l'abattre ?
Ah... La flèche partit à tavers les arbres, jusqu'à rebondir sur l'un d'eux... Quel nul, il n'y avait aucun animal par là-bas. Ou peut-être que c'était un avertissement ? Peut-être qu'il avait senti la présence de l'habitant d'Elimith ? Nan, aucune chance, sinon il aurait au moins tourné la tête vers lui. Et puis, il l'aurait grondé de l'avoir suivi. Et puis...
Un bruit interrompit le flux des pensées saugrenues de l'enfant. Comme si une bête se déplaçait, le tumulte fit s'envoler un couple d'oiseaux. Heureusement qu'il avait une cachette aussi dense, nul ne le trouverait sous ce buisson. D'ailleurs, l'étranger l'avait pas vu, c'était de bonne augure.
Près de la flèche lancée par l'étranger, il y avait une sorte de créature musclée, comme un bovidé. Même si elle était petite, la masse difforme se tenait sur ses pattes arrières et poussait des grognements hideux. D'un coup elle fit volte-face. Alors l'enfant vit la malice luire dans ses iris. La surprise fut si violente que le môme eut un soubresaut. Désormais, les iris le fixaient ; alors l'enfant vit les portes de l'enfer s'ouvrir et se fermer, à mesure qu'ils l'étudiaient. Se pouvait-il que l'horrible créature le voyait ? Non, c'était impossible... Il devait fuir, il fallait fuir. On lui avait toujours dit de fuir s'il voyait un monstre. Il fallait fuir, il devait fuir.
Mais il restait interdit, face au péril devant lui. La tare humanoïde s'approchait, attirée par l'effroi qui paralysait sa victime. Pareille à un cauchemar, elle paraissait inexorable.
Brusquement, un buisson se trémoussa vigoureusement. Une petite voix fluette s'y échappa. Pour sûr, l'habitant d'Elimith avait trahi sa présence. Comme prévu.
Le bokoblin repéra immédiatement l'enfant qui s'était faufilé sur les pas du piaf. Ces monstruosités étaient stupides, mais pas aveugles ni faible. Habitué à réfléchir ainsi, Ardolon s'interrogea un instant sur l'intérêt qu'il avait à le sauver. S'il ramenait un enfant mort, on ne lui accorderait pas beaucoup de confiance, voire l'incriminerait du méfait. Non, il devait le sortir de l'étreinte de la panique. Comme prévu.
Dans un seul geste, l'étranger encocha une flèche et s'envola. S'il ne put pas prendre de l'altitude, il se percha sur le branchage le plus robuste qu'il trouva. Une autre flèche fit mouche. Quand le bokoblin entreprit de le pourchasser, sans trop se demander comment, d'autres traits pleuvèrent. Il s'apprêtait à frapper l'arbre avec sa masse mais Ardolon plongea hors de son promontoire vers le petit d'Elimith. Comme prévu.
« Que fais-tu là ? La forêt est dangereuse, ce n'est pas un jeu. Reste derrière moi. »
Bien sûr, il avait toujours su qu'il était suivi ; bien sûr il s'amusait de cette aventure. Pour autant, son adversaire était juste devant lui et le danger, plus réel que jamais. Son arc fit siffler un nouveau projectile qui manqua sa cible et quand il prit une nouvelle flèche, il comprit que c'était sa dernière. Un tir précis fila vers la jambe du bokoblin qui en fut fragilisé et le rito profita de l'ouverture pour se lancer de tout son poids sur le gourdiflot, lequel lâcha sa masse sous l'impact. Ardolon l'empoigna aussitôt ; il prit de l'élan, l'enfonça sur la crâne de l'infâme et répéta jusqu'à briser l'arme. Comme prévu.
Dans son dos, le mioche ne voyait pas la violence des chocs. Pourtant les attaques qui fracassaient le crâne produisaient une terrible cacophonie. Le traumatisme oppresserait les nuits du petit curieux, mais cette peur renforcerait son admiration pour l'étranger ; car il l'avait sauvé, pas vrai ? Il tremblait encore quand Ardolon s'approchait de son petit corps. Bienveillant et presque apaisant, il l'enveloppa de ses plumes, murmurant que c'était terminé. Il ne restait plus qu'à le raccompagner mais... L'autre bokoblin ne tarderait pas à venir et le rito n'avait plus d'arme pour se battre. En les voyant fuir, les gardes prendraient conscience du danger qu'il avait dû affronter, alors il était impératif qu'ils rentrent prestement, comme prévu.
« Je vais t'escorter jusqu'au village, tu peux marcher ? »
Le gamin était encore sous le choc, mais il pouvait tenir debout c'est pourquoi le piaf le força à avancer. Pendant qu'ils progressaient lentement, il sondait les horizons car même si l'autre bokoblin était encore loin, son pas se faisait moins discret. Il devait avoir compris que son compagnon avait disparu et avait commencé à le chercher. Puis d'un coup, sa démarche lointaine sembla s'accélérer ce qui fit brusquement s'interrompre Ardolon. Bien, ils pourraient atteindre le bourg en quelques minutes, comm...
Dans son dos, Ardolon entendit un craquement. Se retournant, il encocha son arc avec un fragment de la masse qu'il avait utilisée. Le menace, bien que factice, révéla bien vite ce qui se cachait dans les fougères. Ce n'était pas prévu ! Un autre civil l'aurait suivi ? Depuis combien de temps ? Avait-il été entendu ou vu ? Si elle s'était découverte si vite, elle ne devait pas avoir remarqué que les bois étaient habités par des bokoblins. Et si elle n'était pas pressé de fuir, alors...
L'autre bokoblin ! C'était vraiment pas le moment !
« Quoi que tu fasses ici, il faut fuir. Vite ! »
Le rito tâcha de s'assura que le garçon avait lui aussi bien compris, mais il en doutait. Comment pouvait-on être aussi lent sans même être blessé ? Il allait lui ordonner de se dépêcher, lorsqu'il le vit écarquiller les yeux. Un véritable vacarme agita le bois, signe que la menace s'approchait. Cette fois, le petit eut le réflexe de s'enfuir comme si sa vie en dépendait.
Mais l'autre habitante d'Elimith ne pouvait pas savoir ce qui l'attendait. D'un coup d'aile, le piaf s'élança vers elle. Il ignorait si elle pouvait courir assez vite, mais une idée lui vint à l'instant où il lui murmurait de ne faire aucun bruit. Peut-être que s'ils étaient suffisamment discrets, le bokoblin n'entendrait et ne verrait que les traces du gosse, puisque les siennes ne pouvaient pas révéler vers où il s'était envolé. C'était un pari sur lequel il paraissait judicieux de miser et il voulut le partager...
Cependant les ronchonnements porcins étaient on ne peu plus clairs : au moindre mouvement, il suspecterait la présence des deux intrus. Alors Ardolon se figea, une plume devant son bec intimant le silence à sa nouvelle camarade.
S'ils avaient de la chance, le bokoblin poursuivrait bientôt l'autre marmot.
S'ils avaient de la chance...