De tous temps, Slo’Anh avait était sous l’autorité d’autres personnes. Elle avait commencé par répondre aux exigences de sa mère, pour être ensuite la décharge bien pratique de son frère aîné et de sa grande sœur. Chev’Anh était celui des deux qui se révoltait, qui refusait catégoriquement, qui avait du caractère,
lui au moins. Toujours était-il qu’au fil de presque un siècle, la Zora avait appris à rester silencieuse en faisant ce que l’on attendait d’elle, et quand elle dérogeait aux règles, elle savait se faire si discrète que d’autres se faisaient souvent accuser à sa place. Or, sous ses airs très lisses, cela amusait beaucoup la jeune-femme malicieuse qu’elle avait conscience d’être.
Cette réputation lui était bien pratique depuis qu’elle s’était installée à Elimith. Peu appréciée au laboratoire, comme un certain nombre d’êtres vivants quels qu’ils furent, elle passait le plus clair de son temps terrestre entre l’apothicaire et le dispensaire du village. Ainsi, les Hyliens et Sheikahs qu’elle fréquentait s’étaient habitués à son mutisme et avaient commencé à parler devant elle, presque en ignorant sa présence. Mais une communication discrète n’était pas forcément un manque d’intelligence, ce que certains ignoraient, et ce dont elle tirait profit pour peaufiner ses connaissances.
Elevée dans le culte de la chasse, et donc d’une forme de destruction, bien que leurs proies fussent honorées au maximum, Slo’Anh découvrait non sans émerveillement l’autre versant de la science. Aujourd’hui elle réparait, et elle adorait cela. En économisant ses ressources intellectuelles, elle apprenait rapidement, et l’apothicaire qu’elle assistait s’en rendait bien compte. Il ne lui avait pas dit directement, mais il lui confiait des tâches de plus en plus complexes. Mais depuis la veille, l’homme était de plus en plus désagréable.
Au détour des conversations qu’elle entendait par ci ou par là, la femme d’écailles avait toutefois capté des détails moins inintéressants qu’à l’habituelle.
« On ne sait pas trop ce qu’elle est. On dit qu’elle fait de la magie avec des aiguilles, et que toutes les maladies disparaissent ! » …Voire très intéressants, finalement.
***
Elle avait passé les heures les plus chaudes de la journée sous l’eau, pour soulager sa peau et se reposer pleinement. Au vu de son efficacité, on la laissait très libre d’aller et venir quand elle le souhaitait. Sans parfaitement l’accepter, ses compagnons avaient conscience de ses différences. Et le manque d’eau avait tendance à lui peser sur les nerfs, or ils ne voulaient pas vraiment la voir énervée.
« Bonsoir. » s’annonça-t-elle à une petite femme rabougrie derrière le comptoir de l’auberge. Elle avait eu l’occasion de s’y rendre à plusieurs reprises, et elles avaient convenu qu’elle devait parler pour éviter la panique et montrer qu’elle n’était pas un monstre venu terrifier la ville. Elle surprit la réceptionniste à pianoter sur le bois usé de manière ostentatoire.
« Et vos douleurs ? » s’enquit-elle de son état. La vieille se plaignait en effet régulièrement de son arthrite. Ses mains paraissaient cependant moins déformées, et ses mouvements plus aisés.
Le visage de son interlocutrice s’éclaira alors qu’elle lui confirma la rumeur qu’elle était venue vérifier.
« C’est cette femme ! Elle a sauvé mes mains ! » Et elle n’eût pas besoin de la relancer pour en savoir davantage. Après quelques négociations appuyées mais non ardues, la Chasseuse put se rendre à l’étage. Elle croisa une jeune femme qui sortait de la chambre qu’on lui avait indiquée. Ses traits étaient tirés par une certaine fatigue, mais elle semblait sereine. Soulagée, même, sans doute.
Sans se dévoiler tout de suite, elle s’adressa à la personne encore présente dans la chambre.
« On parle beaucoup de vous dans tout le village. » Elle s’éclaira discrètement la gorge pour avoir une voix un peu plus agréable. Les voix des Zoras étaient proches de celle des
rosés mais celle de la presque-centenaire était rauque de n’être pas davantage utilisée.
« L’apothicaire n’apprécie pas votre concurrence qu’il juge déloyale. La nouveauté l’effraie sans doute. »
Elle vit à l’ombre de la magicienne aux aiguilles que cette dernière était très tendue. Une personne méfiante, donc intelligente. Levant les mains pour montrer qu’elle n’était pas armée, elle avança tout doucement dans le cadre de la porte pour se dévoiler.
« La différence m’agresse moins que lui. » avoua-t-elle en souriant légèrement.
« Je viens voir si vous êtes effectivement plus efficace que lui. » Elle montra rapidement son anatomie générale d’un mouvement de bras maladroit.
« Sortir trop longtemps de l’eau me fait un peu mal. Peut-être sauriez-vous m’aider ? » Elle lui jeta un regard curieux. Elle était toujours sur la réserve, mais son sérieux la rassura, en un sens. C’était quelqu’un qui semblait mettre du cœur à l’ouvrage, qualité que Slo’Anh partageait et estimait.