Comme la rivière le bruit court...

Milieu de l'automne - 3 mois 2 semaines après (voir la timeline)

Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

De tous temps, Slo’Anh avait était sous l’autorité d’autres personnes. Elle avait commencé par répondre aux exigences de sa mère, pour être ensuite la décharge bien pratique de son frère aîné et de sa grande sœur. Chev’Anh était celui des deux qui se révoltait, qui refusait catégoriquement, qui avait du caractère, lui au moins. Toujours était-il qu’au fil de presque un siècle, la Zora avait appris à rester silencieuse en faisant ce que l’on attendait d’elle, et quand elle dérogeait aux règles, elle savait se faire si discrète que d’autres se faisaient souvent accuser à sa place. Or, sous ses airs très lisses, cela amusait beaucoup la jeune-femme malicieuse qu’elle avait conscience d’être.

Cette réputation lui était bien pratique depuis qu’elle s’était installée à Elimith. Peu appréciée au laboratoire, comme un certain nombre d’êtres vivants quels qu’ils furent, elle passait le plus clair de son temps terrestre entre l’apothicaire et le dispensaire du village. Ainsi, les Hyliens et Sheikahs qu’elle fréquentait s’étaient habitués à son mutisme et avaient commencé à parler devant elle, presque en ignorant sa présence. Mais une communication discrète n’était pas forcément un manque d’intelligence, ce que certains ignoraient, et ce dont elle tirait profit pour peaufiner ses connaissances.

Elevée dans le culte de la chasse, et donc d’une forme de destruction, bien que leurs proies fussent honorées au maximum, Slo’Anh découvrait non sans émerveillement l’autre versant de la science. Aujourd’hui elle réparait, et elle adorait cela. En économisant ses ressources intellectuelles, elle apprenait rapidement, et l’apothicaire qu’elle assistait s’en rendait bien compte. Il ne lui avait pas dit directement, mais il lui confiait des tâches de plus en plus complexes. Mais depuis la veille, l’homme était de plus en plus désagréable.

Au détour des conversations qu’elle entendait par ci ou par là, la femme d’écailles avait toutefois capté des détails moins inintéressants qu’à l’habituelle. « On ne sait pas trop ce qu’elle est. On dit qu’elle fait de la magie avec des aiguilles, et que toutes les maladies disparaissent ! » …Voire très intéressants, finalement.
***

Elle avait passé les heures les plus chaudes de la journée sous l’eau, pour soulager sa peau et se reposer pleinement. Au vu de son efficacité, on la laissait très libre d’aller et venir quand elle le souhaitait. Sans parfaitement l’accepter, ses compagnons avaient conscience de ses différences. Et le manque d’eau avait tendance à lui peser sur les nerfs, or ils ne voulaient pas vraiment la voir énervée.

« Bonsoir. » s’annonça-t-elle à une petite femme rabougrie derrière le comptoir de l’auberge. Elle avait eu l’occasion de s’y rendre à plusieurs reprises, et elles avaient convenu qu’elle devait parler pour éviter la panique et montrer qu’elle n’était pas un monstre venu terrifier la ville. Elle surprit la réceptionniste à pianoter sur le bois usé de manière ostentatoire. « Et vos douleurs ? » s’enquit-elle de son état. La vieille se plaignait en effet régulièrement de son arthrite. Ses mains paraissaient cependant moins déformées, et ses mouvements plus aisés.

Le visage de son interlocutrice s’éclaira alors qu’elle lui confirma la rumeur qu’elle était venue vérifier. « C’est cette femme ! Elle a sauvé mes mains ! » Et elle n’eût pas besoin de la relancer pour en savoir davantage. Après quelques négociations appuyées mais non ardues, la Chasseuse put se rendre à l’étage. Elle croisa une jeune femme qui sortait de la chambre qu’on lui avait indiquée. Ses traits étaient tirés par une certaine fatigue, mais elle semblait sereine. Soulagée, même, sans doute.

Sans se dévoiler tout de suite, elle s’adressa à la personne encore présente dans la chambre. « On parle beaucoup de vous dans tout le village. » Elle s’éclaira discrètement la gorge pour avoir une voix un peu plus agréable. Les voix des Zoras étaient proches de celle des rosés mais celle de la presque-centenaire était rauque de n’être pas davantage utilisée. « L’apothicaire n’apprécie pas votre concurrence qu’il juge déloyale. La nouveauté l’effraie sans doute. »

Elle vit à l’ombre de la magicienne aux aiguilles que cette dernière était très tendue. Une personne méfiante, donc intelligente. Levant les mains pour montrer qu’elle n’était pas armée, elle avança tout doucement dans le cadre de la porte pour se dévoiler. « La différence m’agresse moins que lui. » avoua-t-elle en souriant légèrement. « Je viens voir si vous êtes effectivement plus efficace que lui. » Elle montra rapidement son anatomie générale d’un mouvement de bras maladroit. « Sortir trop longtemps de l’eau me fait un peu mal. Peut-être sauriez-vous m’aider ? » Elle lui jeta un regard curieux. Elle était toujours sur la réserve, mais son sérieux la rassura, en un sens. C’était quelqu’un qui semblait mettre du cœur à l’ouvrage, qualité que Slo’Anh partageait et estimait.


Célyse


Inventaire

« On parle beaucoup de vous dans tout le village. »

Sans grande surprise, Célyse releva la tête de ses aiguilles d'acupuncture, qu'elle était en train de désinfecter soigneusement suite au passage de sa dernière patiente. La luminosité de la chambre commençait doucement à décliner, il devait être un peu plus de 16h. Encore un, voire deux visiteurs, et la jeune femme fermerait sa porte pour la journée.

« Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? » S'enquit-elle poliment, mais en allant droit aux faits. Elle n'avait pas de temps à perdre en bavardages.

« L’apothicaire n’apprécie pas votre concurrence qu’il juge déloyale, lui rétorqua la nouvelle venue. La nouveauté l’effraie sans doute. »

La doctoresse redressa le menton d'un geste vif de la tête, le regard alerte et incandescent. Cependant, tous les mots décapants qui lui montaient aux lèvres s'évaporèrent lorsque ses yeux se déposèrent sur sa visiteuse. Une non-humaine. La première, en réalité, que Célyse rencontrait. Oh bien sûr, elle avait entendu parler des Zoras et de leur royaume, niché quelque part dans le nord, taillée dans les falaises escarpées de Necluda. Mais rien n'aurait pu la préparer à la réalité de cette espèce. Pendant quelques secondes de silence stupéfait, elle détailla du regard la peau bleu et lisse de son interlocutrice. Des écailles outremer parsemait ses poignets, ses coudes et ses épaules. Des dents acérées fendaient son sourire rassurant. Son étonnement était tel qu'elle semblait avoir oublié son rôle de médecin.

Fort heureusement, la femme Zora la rappela à l'ordre lorsqu'elle lui assura être venue pour une consultation. Elle se désigna d'un geste de la main, avant de lui faire part de ses douleurs problématiques. Célyse hocha dans un mouvement un peu sec, comme pour se remettre les idées en place. Les douleurs, elle connaissait. Elle pouvait gérer.

Du moins, pour quelqu'un qui avait le sang chaud.

« Installez-vous, » lui proposa-t-elle en lui désignant un tabouret posé à côté du lit, d'un bref signe de tête. « Je ne connais pas votre peuple lui indiqua-t-elle en toute franchise. Est-ce que vous fonctionnez comme moi ? Ou est-ce que vous avez le sang froid ? » Le regard qu'elle déposa sur elle était, cette fois, purement analytique. Toujours imprégné d'une certaine curiosité, mais plus proche d'une soif de découverte et d'intérêt médical que celui, plus émerveillé, de l'enfant qu'elle peinait à restreindre depuis l'entrée de la Zora dans cette pièce.

L'exercice s'avérait particulièrement difficile.
Une longue nageoire couverte d'épines parcourait la colonne vertébrale de la Zora. Peut-être était-elle même venimeuse, pour ce qu'elle en savait.

Elle n'avait jamais rencontré quelqu'un d'aussi fascinant de toute sa vie.

L'humaine passa sa main dans l'ondulation de sa chevelure, pour s'assurer que celle-ci restait bien attachée à sa nuque. Elle nouait ses cheveux en queue de cheval lorsqu'elle pratiquait, maintenant qu'ils étaient assez longs pour se laisser dompter. Ce geste habituel et familier lui permit de reprendre un peu sa contenance professionnelle, avant de rentrer dans une explication plus approfondie de sa médecine, sur un ton toujours prudent et neutre : « Pour soulager les douleurs d'une personne à sang chaud, je pose mes aiguilles sur des points précis, qui stimulent le flux sanguin et les organes internes. Après plusieurs séances, le corps continue le travail et finit par se réparer seul. »

Son regard sérieux croisa celui, jaune et perçant, de sa nouvelle patiente. Elle avait des yeux de chasseresse.
Concentre-toi, Célyse. Tu es médecin, bon sang. Comporte toi comme telle.

Plus fermement, la doctoresse reprit : « Sur une journée, combien de temps restez-vous dans l'eau ? Et combien de temps restez-vous hors de l'eau, avant que les douleurs vous viennent ? Est-ce que c'est une douleur commune à votre espèce, ou est-ce que vous êtes la seule à l'avoir ? »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

Docile, la Zora écouta la guérisseuse et prit place sur le siège qu’elle lui indiqua. Elle dut s’appliquer dans ses mouvements, ses jambes étant un peu plus courtes que des jambes humaines, et son aileron dorsal l’empêchant de prendre appui sur un dossier. Au moins sa cambrure lui donnait-elle des airs un peu plus éduqués que la désinvolture qu’elle affichait d’ordinaire.

C’était la curiosité plus que sa loyauté – assez pauvre en réalité – envers l’apothicaire qui l’avait poussée à venir observer la femme. Et lorsqu’elle sentit son regard sur elle, ce ne fut pas la peur ou la gêne habituelle qu’elle y sentit. Elle la décortiquait comme elle l’aurait fait avec n’importe quel crustacé qui lui ressemblait. Ce regard, elle le connaissait bien, puisqu’elle portait exactement le même sur tous les non-Zoras qu’elle avait côtoyés. « Est-ce que vous fonctionnez comme moi ? Ou est-ce que vous avez le sang froid ? » lui demanda-t-elle, brisant ce silence où les deux semblaient s’apprivoiser discrètement.  La pertinence de la question lui alla droit au cœur, tant elle était révélatrice d’un pragmatisme des plus appréciables. Elle avait dépassé ses écailles, sa grande taille et ses grandes dents pour s’intéresser à la base de la connaissance.

Lui adressant un franc sourire, celui qui plissait aussi ses yeux, elle lui répondit aussi précisément qu’elle le put. « J’ai appris auprès des vôtres que le sang pouvait être chaud. J’ai l’impression que mon corps prend toujours la température de l’environnement où je me trouve. Bientôt je serai à la température de la pièce. » Elle regarda le feu qui crépitait dans l’âtre, en dehors de la chambre. « C’est beaucoup plus chaud que chez moi. » Elle voulut se perdre dans toutes ses considérations sur les différences et points communs qu’elle avait pu observer. Comme si toutes les paroles qui gardaient pour elle depuis un moment voulaient enfin franchir ses lèvres. Mais pourtant, elle ne connaissait pas la femme qui se tenait près d’elle, alors elle se contenta de se retenir. « Je trouve une grande satisfaction dans l’étude des peuples et leur… Fonctionnement. » choisit-elle comme résumé.

L’autre l’écoutait presque religieusement. Elle sentait dans la vitesse de son pouls – légèrement élevé sans révéler la moindre panique – qu’elle était tout aussi excitée qu’elle. Elle ignorait cependant pourquoi, ni si ce sentiment lui était agréable ou non. « Pour soulager les douleurs d'une personne à sang chaud, je pose mes aiguilles sur des points précis, qui stimulent le flux sanguin et les organes internes. Après plusieurs séances, le corps continue le travail et finit par se réparer seul. » Lui expliqua l’Hylienne, comme pout étancher sa soif de connaissance avouée à demi-mot. « Pour ce que j’en sais, nous avons sensiblement la même structure sanguine. Les mêmes veines aux mêmes endroits. C’est assez amusant, non ? » Pas plus amusée que cela, la doctoresse l’ausculta doucement, sans trop la toucher pour l’instant.

Slo’Anh tâcha de rester immobile. Cela ne lui était pas très difficile, habituée à se tapir dans l’ombre en attendant ses proies. La comparaison, associée à son évocation précédente du sang manqua cependant de lui faire perdre ses moyens. Inspirant une grande bouffée d’air trop sec à son goût, elle ferma les yeux pour faire le point et se calmer. L’idée n’était pas de faire peur, même si elle était bien partie pour cela. « Pardon. Je n’ai pas encore l’habitude d’être… » Les yeux toujours fermés, elle fit mine de détailler la pièce une nouvelle fois, juste en bougeant la tête. « Là. » termina-t-elle, peu convaincue.

Elle rouvrit tout doucement les yeux, révélant un court instant ses secondes paupières. Elle posa son regard sur ses mains, posées sur ses genoux. Ce qu’elle vit la fit sursauter : dans l’ombre qu’offrait un environnement aquatique, on ne voyait rien. Mais à une lumière plus artificielle et moins diffuse que celle offerte par son antenne, d’anciennes cicatrices de morsures laissées par ses congénères zébraient ses bras.

Elle ne sut si l’autre avait senti son trouble, mais en tout cas elle y coupa court en lui posant des questions, toujours avec la même rigueur, sur son mode de vie, pour essayer de comprendre les douleurs dont elle parlait. « Sur une journée, combien de temps restez-vous dans l'eau ? Et combien de temps restez-vous hors de l'eau, avant que les douleurs vous viennent ? Est-ce que c'est une douleur commune à votre espèce, ou est-ce que vous êtes la seule à l'avoir ? » Réfléchissant un très court instant, la Zora répondit sur le même ton, très professionnel. « Les miens sortent très peu. Ils ne vous aiment pas. C’est donc difficile de comparer. » Pour sa part, elle fit exprès de ne pas se prononcer à ce sujet. « Depuis que je suis ici, je suis la moitié de la journée hors de l’eau. La pression que je ressens n’est pas la même qu’au fond de la mer. » confessa-t-elle.

Elle oublia toute la délicatesse dont elle avait fait preuve et tourna la tête un peu trop vivement vers la brune. Elle prit conscience de la sauvagerie de son geste un peu trop tard. Elle ne s’en excusa pas. « Je ne vous veux pas de mal. J’espère que vous ne m’en ferez pas non plus. » lança-t-elle en chuchotant, presque en sifflant, profitant des airs reptiliens que lui offrait la lumière dansante des flammes. « Pas volontairement, en tout cas. » Elle reprit son air plus amical et lui tendit un sourire presque malicieux. « Mais j’ai envie de vous laisser vous amuser. Je suis moi-même très curieuse de vous voir exercer votre art. » Sans cérémonie, elle détendit ses épaules et laissa pendre ses bras, laissant alors apparaître quelques veines qui roulaient sous sa peau. Elle se concentra pour écarter légèrement les écailles qui renforçaient ses épaules, offrant un meilleur accès à ses muscles. « Où souhaitez-vous que je m’installe ? »


Célyse


Inventaire

Célyse buvait chaque parcelle d'information que la femme Zora lui prodiguait sur son fonctionnement interne. Avide de constater par elle-même la véracité de ses propos, elle déposa son index et son majeur sur le poignet azur de sa patiente, pour déceler son pouls. En effet, sa peau était distinctement plus froide que n'importe quelle peau humaine. Mais cette première observation lui confirma également que ses veines traçaient les mêmes parcours sur son bras.

La doctoresse avait besoin d'en savoir plus.

Cela devait avoir un lien avec la profondeur des eaux dans lesquelles l'amphibienne avait pour habitude de naviguer, mais celle-ci possédait une curieuse fixité dans ses mouvements - ou plutôt, dans l'absence totale de ceux-ci. Après un long moment d'immobilité totale, sa patiente sembla s'arracher à sa paralysie volontaire, pour lui adresser ses excuses. Célyse se contenta de lui rendre son regard, tout en usant de tout son contrôle d'elle-même pour ne pas la déverser de questions sur la paire de secondes paupières qu'elle venait tout juste de repérer. « Ne vous excusez pas d'exister. » Elle ne s'attarda pas davantage sur le sujet. Elle détestait les sermons.

Les réponses de la non-humaine à ses questions ne l'avancèrent malheureusement pas beaucoup concernant l'ampleur de sa douleur hors de l'eau. Elle lui signala en toute franchise, et sans chercher à édulcorer ses mots : « Si c'est une douleur commune à toute votre espèce, mon traitement ne changera rien. Mais si ça ne s'améliore pas, ça ne se dégradera pas non plus. Il n'y a pas d'effet secondaire négatif à ma pratique. » Elle ne chercha pas à survendre son art. Ce n'avait jamais été son fort. Sur un ton très pragmatique, elle lui indiqua : « Une séance vous coûtera 10 pièces. Il faudra venir tous les jours pendant une semaine, si vous voulez que ça fonctionne. » Le prix était dérisoire, surtout comparé aux tarifs habituels de l'apothicaire. Mais ça, Célyse ne le savait pas. Et en toute sincérité, elle s'en moquait.

Enfin, la femme Zora lui prodigua quelques éléments essentiels pour sa médecine. La doctoresse hocha très sérieusement la tête. Elle ne savait même pas que la pression pouvait différer selon la profondeur de l'eau : elle n'avait jamais vu la mer. Mais au moins, cela lui donnait une base de travail. « Ce n'est pas exactement pareil. Mais je traite aussi les problèmes de tension. Je poserai mes aiguilles sur ces points en priorité. On verra ce que ça donne après quelques séances. »

Elle s'éloigna de sa patiente pour remonter ses manches et préparer ses aiguilles. Elle sélectionna un panel de celles-ci, avec des pointes plus ou moins longues, et plus ou moins fines. Au vu des écailles qui parcouraient le corps de sa patiente, il lui faudrait faire preuve de plus de minutie encore. « Installez-vous sur le matelas, sur le ventre, lui indiqua-t-elle simplement. Je vais poser mes aiguilles sur votre dos et vos jambes. Dites-moi si vous sentez les aiguilles vous travailler. »

Elle désinfecta une nouvelle fois ses aiguilles, avant de se laisser distraire par une pensée de dernière minute. Elle se tourna de nouveau vers sa patiente, les sourcils froncés. « Si vous ne supportez pas les aiguilles, dites-le moi tout de suite. Je ne peux pas vous traiter si vous vous évanouissez. » Après une brève seconde d'hésitation, elle ajouta : « Dites-moi aussi si le prix ne vous convient pas. »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

La Zora se déplaça doucement vers le matelas indiqué par son interlocutrice. Elle sentit bien que ses réponses ne l’avaient pas particulièrement satisfaite. Mais d’une certaine manière, la chasseresse se félicitait de constituer un défi pour cette jeune femme qui semblait apprécier le savoir à ses heures perdues. Et, un peu provocatrice en son for intérieur, elle préférait ce savoir qu’elle apportait en la possession de cette parfaite inconnue, plutôt qu’en celle de cet idiot d’apothicaire.

Son expression sans sourcil se renfrogna lorsqu’elle fut parfaitement installée. « Je… » Comment lui annoncer qu’un sursaut pouvait la mener à lui sauter à la gorge ? Ça n’était pas franchement avenant. « Mon corps a grandi pour chasser. J’ai des réflexes qui peuvent impressionner. Soyez sur vos gardes. » dit-elle en tâchant d’adopter le ton le plus rassurant qu’elle avait en réserve. En ce qui la concernait, elle était soudain assez peu rassurée d’être à la merci de si petites aiguilles, qu’elle avait vues du coin de l’œil.

La brune accueillit la nouvelle d’un simple hochement de tête, puis elle annonça sans transition : « Une séance vous coûtera 10 pièces. Il faudra venir tous les jours pendant une semaine, si vous voulez que ça fonctionne. » Le professionnalisme de sa consœur lui arracha un sourire, bien qu’un peu tendu. La somme n’était pas vraiment un problème : puisqu’elle n’avait pas à se nourrir, le peu qu’elle gagnait dans la cité commerce lui permettait surtout d’acheter des fournitures pour ses propres recherches.

Elle redressa la tête pour la regarder. « J’aimerais, si ça ne vous ennuie pas, que vous m’expliquiez ce que vous faîtes. » Elle haussa légèrement ses épaules, en appui sur ses coudes. « Je suis moi-même guérisseuse pour les miens et je suis… Curieuse. » avoua-t-elle. L’Hylienne lui répondit en l’invitant à se réinstaller correctement sur le ventre, ce qu’elle ne prit pas mal, plutôt habituée à ce qu’on n’écoute qu’à moitié le peu qu’elle osait formuler à voix haute. Mais, alors qu’elle commençait à poser ses mains sur elle, elle s’appliqua à être claire pour elle.

Elle sentit une première aiguille traverser sa peau. Sa peau se contracta à la manière des flancs d’un cheval alors que les talons de son cavalier les effleuraient.  Ses pupilles se dilatèrent d’un seul coup, évoquant davantage celles d’un félin. Ses sens dans leur intégralité se réveillaient. « Je n’ai pas mal. » précisa-t-elle. Son corps réagissait juste pour elle, suivant des instincts écrits dans ses os et ses veines depuis des générations.

En réalité, si Slo’Anh oubliait cette sensation étrange d’être juste touchée, ce que personne à part Chev’Anh – voire ses parents en cas de crise familiale – ne faisait, c’était même plutôt agréable de sentir ses afflux sanguins se modifier sous la main experte de la piqueuse. « C’est comme si vous mettiez du chaud. » dit-elle pour donner des informations sur son ressenti.

Laissant le temps défiler, elle s’amusa des différences qui existaient entre la médecine de la jeune-femme, et ses pauvres cataplasmes à elle. Oh, bien sûr, la vie l’avait également menée à ouvrir des corps et à les refermer sans les tuer. Mais ici, l’art était tout aussi technique sans être aussi barbare. Se perdant de pensée en pensée, elle se détesta soudain d’espérer un peu.

« Vous arrive-t-il de recevoir des femmes pour les aider à donner la vie ? » demanda-t-elle, alors que l’autre n’avait pas eu tout le cheminement de ses pensées. Face à un léger temps de réaction, elle compléta. « Nous, Zoras, ne pouvons pas le faire. C’est en partie pour cela que j’ai décidé de devenir médecin. » Et voilà. Elle l’avait dit à une vraie personne, qui, selon toute probabilité l’avait entendue et écoutée. En quoi cela pouvait-il bien la concerner ? En rien, sans doute. Mais au moins comprendrait-elle que le sujet était sérieux pour elle.


Célyse


Inventaire

L'avertissement de sa nouvelle patiente ralentit le geste de Célyse. Elle maintint son aiguille dans les airs, pendant un bref instant d'indécision. Ainsi, la femme des eaux possédait des instincts de chasse. Elle ne serait sans doute pas capable de réprimer un mouvement protecteur, si son corps décidait de traiter les aiguilles comme une menace. Elle devrait redoubler d'attention afin de ne pas provoquer de douleur lorsqu'elle les déposerait sur elle. Et lors du retrait des aiguilles, elle devrait également s'assurer de ne pas la faire saigner par inadvertance. L'odeur pourrait bien provoquer une réaction malheureuse. Et la doctoresse n'était pas sûre d'être capable de se défendre en un laps de temps si court. Pas face à quelqu'un qui possédait les attributs d'un véritable prédateur.

Si la praticienne s'évertuait à la prudence, l'enfant qui se terrait tout au fond de son coeur n'avait jamais été aussi ravi par la tournure que prenait la séance. Une non-humaine, et qui plus est, une créature suffisamment puissante pour la terrasser si elle manquait de vigilance ? Elle n'aimait pas prendre des risques inutiles, mais elle avait toujours mieux travaillé sous pression.

La femme Zora s'installa sur le ventre, mais Célyse dut la reprendre lorsqu'elle se cala sur ses coudes pour lui parler. Sa patiente lui fit part de sa curiosité sur son art. Elle était elle-même praticienne pour son espèce. Pour une fois qu'elle se retrouvait face à une autre doctoresse, l'Hylienne se surprit à lui fournir des détails sur sa pratique : « Ma médecine se transmet depuis plusieurs générations. Nous avons développé une connaissance poussée de l'anatomie humaine, et principalement des flux sanguins qui traversent le corps. »

Elle posa sa première aiguille sur la nuque de sa patiente, d'un geste sec mais précis de la main. Pile entre deux écailles fines, sans douleur et sans effusion de sang. La pointe de l'aiguille vibra alors que la peau de la Zora se contractait, et Célyse retira prestement ses doigts. Elle ne voulait pas risquer de les prendre, si d'aventure sa patiente se livrait à ses instincts primaires. Celle-ci se maîtrisait pourtant, ce qui poussa la doctoresse humaine à saisir une seconde aiguille, qu'elle apposa sur un point diamétralement symétrique à la première, toujours sur la nuque de sa patiente, à un centimètre de sa vertèbre centrale.

Elle enchaîna son explication, comme pour la distraire de la sensation de chaleur qui émanait de ses aiguilles : « Le corps humain n'est pas si différent du fonctionnement d'un arbre. Nous sommes faits d'embranchements et de points d'attache. De la racine de nos pieds jusqu'au sommet de notre tête, tous nos muscles et nos organes sont reliés. La médecine de mon clan a juste identifié les lignes directrices. » Du bout de l'index, elle appuya légèrement sur plusieurs points qui parcouraient l'intérieur de son bras écaillé. « Cette ligne, par exemple, stimule le coeur. En y posant mes aiguilles régulièrement, l'organe travaille et se renforce. »

Poser les aiguilles était un art lent et fastidieux. La doctoresse repérait d'abord le point visé du bout des doigts, avant d'y apposer son outil de travail. Cela lui prit près de 15 minutes pour poser toutes les aiguilles sur le dos de sa patiente, de part et d'autre de sa colonne vertébrale. Tout en avançant, elle lui désignait les lignes directrices de telle et telle partie de son anatomie. Ici la ligne du coeur, ici la ligne du foie, la ligne des voies respiratoires... Parler à une autre praticienne rendait l'humaine, d'ordinaire si taciturne, presque bavarde. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion d'échanger sur son art qu'elle était presque ravie d'en avoir enfin l'occasion.

Une fois qu'elle ait posé ses dernières aiguilles sur les mollets et sur les chevilles de sa patiente, Célyse se redressa pour s'essuyer le front du revers de la manche. La concentration et la précision presque chirurgicale de ses gestes l'avaient essoufflée. « Je laisse les aiguilles travailler pendant près d'une heure. Après ça, vous vous placerez sur le dos et je traiterais l'autre face. »

Elle rapprocha un tabouret du lit où gisait sa patiente, afin de rester à proximité dans le cas où celle-ci a besoin d'elle. Aussi, elle n'eut même pas à redresser la tête lorsque la femme Zora lui posa sa question insolite. Célyse cilla à peine, avant de lui répondre : « Oui, sur le principe. Je sais quels points stimuler pour que l'enfant sorte sans complication. Mais j'ai jamais mis ça en pratique. J'ai rarement croisé des femmes enceintes, et les rares que j'ai vues préfèrent être accompagnée par leur herboriste ou leur apothicaire, qu'elles connaissent depuis très longtemps. »

Les bribes d'information que la femme des eaux lâcha sur son peuple fut accompagné d'un bref silence qui en dit beaucoup sur la gravité de la situation. Sensible au changement subit d'ambiance, l'humaine mit un peu de temps avant de reprendre, sur un ton plus bas et plus posé : « Lorsque vous dites que vous ne pouvez pas le faire. Est-ce que vous voulez dire que vous ne pouvez plus faire d'enfant ? »

Le sujet était plus que sensible, Célyse en avait parfaitement conscience. Plus elle y pensait, plus cela lui paraissait absurde. Mais sans doute avait-elle mal compris. Tout un peuple ne pouvait pas être voué à l'extinction ainsi. La nature était cruelle et impardonnable, certes, mais cela lui paraissait scientifiquement impossible.

Après un second instant de silence hésitant, elle finit par s'avancer encore une fois : « Si c'est un sujet douloureux, vous n'êtes pas obligée de m'en parler. Mais j'aimerais savoir ce qui a provoqué ça. S'il y a une source. Une cause. » Une épiphanie lui apparut soudain. Elle lâcha sans même réfléchir, uniquement poussée par sa soif de connaissance : « Attendez. Est-ce que vous avez le même appareil reproducteur que nous ? » La question pouvait paraître complètement déplacée. Mais Célyse ne parut même pas s'en rendre compte. Seul l'intérêt médical subsistait. Et le problème Zora, même à vue de nez, lui paraissait colossal.

Si c'était un défi si grand qu'il en impliquait la continuité de tout un peuple, elle, mieux que personne, pouvait comprendre pourquoi la femme Zora s'était dévouée corps et âme à cette cause. Dans des circonstances différentes, et pourtant combien similaires, n'était-ce pas pour assurer la survie de son clan qu'elle était elle-même partie ?


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

Afin de lutter contre ses réflexes qui commençaient à l’agacer autant qu’ils surprenaient la jeune Hylienne, Slo’Anh se concentrait de toutes ses forces pour se remémorer les sensations des courants sous-marins, et la manière dont elle aimait se laisser porter dedans. Imaginant alors que celle qui la manipulait dans tous les sens était un de ces courants, elle avait moins de peine à se laisser bouger et toucher sans réagir. Sans être réellement agréable, l’exercice lui parut de plus en plus simple à mesure que les minutes s’écoulaient.

Son interlocutrice sembla davantage piquée – elle sourit par ce choix de mot de son esprit – par la curiosité que l’apothicaire et ses assistants et assistantes. « Lorsque vous dites que vous ne pouvez pas le faire. Est-ce que vous voulez dire que vous ne pouvez plus faire d'enfant ? » La Zora hésita alors, fronçant ses arcades sans rouvrir les yeux. Elle n’avait pas vraiment fait de vœu de silence ni de promesse à quoi que ce soit, et la femme lui faisait bonne impression, même si elle ne pouvait pas vraiment lui faire confiance à ce stade naissant de leur relation qui ne verrait certainement jamais le jour. Toutefois, la haine de ses cousins envers les races mammifères de ce monde lui pesait sur la conscience. Leur condition actuelle apparaissant de fait comme une faiblesse, l’avouer à ceux qui constituaient pour beaucoup leurs ennemis était assez irresponsable. D’un autre côté, la chasseresse ne partageait pas ce point de vue sur la responsabilité des Hyliens quant à ce qui était arrivé à son espèce. Elle en voulait certes à ce Link et cette Zelda dont on parlait de ne pas avoir su protéger Mipha mais…

Mipha… Le souvenir très flou qu’elle avait de la Princesse à travers les récits qu’elle avait écoutés et lus maintes fois lui fut soudain très douloureux. Elle ne l’avait pas connue, mais la défunte future mère de son peuple constituait pour elle un exemple, un idéal à atteindre. Ses doigts se crispèrent sur son côté, s’enfonçant entre ses écailles, qu’elle grattait nerveusement du bout des ongles, générant un petit bruit.

Sentant qu’elle était mal à l’aise – ce qui était particulièrement visible pour quelqu’un qui guettait sa posture comme elle le faisait – Celyse ajouta : « Si c'est un sujet douloureux, vous n'êtes pas obligée de m'en parler. Mais j'aimerais savoir ce qui a provoqué ça. S'il y a une source. Une cause. » Elle lui répondit d’abord silencieusement en se décrispant légèrement et en esquissant un très léger sourire, teinté d’ironie. « A vrai dire beaucoup des miens s’accordent à dire que vous êtes cette source, cette cause. » avoua-t-elle. « Je pars du principe que vous, en tant que personne, n’étiez pas là quand c’est arrivé, aussi vous en vouloir serait une perte d’énergie pour moi. » Elle changea de position, guidée par une légère pression de la doctoresse.

Amusée, elle lui raconta comme elle s’était moquée de l’apothicaire en lui racontant tout et son contraire. A lui, tout particulièrement, elle ne faisait pas confiance. Et le manque de raisonnement dont il faisait preuve en était une raison, tant il était palpable, même par l’Hylienne qui surprit l’absurdité de certaines informations biologiques des bêtises avancées par Slo’Anh sans mal. Le temps passa ainsi à une vitesse folle alors que les aiguilles faisaient leur effet entre les écailles de la Zora.

Celyse comprit d’ailleurs rapidement que leurs espèces étaient différentes sur bien d’autres aspects que l’apparence et le milieu de vie, en la questionnant sur leur appareil reproducteur. Puisque Slo’Anh était encore en vie et capable de bouger malgré la vulnérabilité dont elle avait fait preuve face à l’étrangère, elle décida qu’elle pouvait faire un premier pas vers elle.

« Non, pas du tout. Je suis sortie d’un œuf et pas de… D’une personne ? » tâcha-t-elle d’expliquer. « J’ai autant à apprendre de vous que vous de nous… » admit-elle. Elle réfléchit un instant sur une manière d’expliquer son problème sans trop en dire. C’était pourtant sa spécialité, habituellement de ne pas trop en dire. Chev’Anh se serait fait un plaisir de la taquiner sur le sujet s’il avait été là. « Depuis le fléau, nous ne pouvons plus pondre d’œufs. Cela fait un siècle que ça dure. » Elle fut secouée d’un frisson résultant d’un mélange de plusieurs sentiments forts. « Les autres aussi se désolent. Mais personne ne cherche de solution. Moi si. » Elle voulut paraître plus déterminée, mais ces dernières semaines sans réellement avancer n’avaient fait qu’émousser son entrain. « C’est pour ça que je suis curieuse de vous voir exercer. Pour revenir étudier mes semblables avec d’autres méthodes, un regard nouveau. » Elle grimaça en ouvrant un œil pour la regarder. « Même si tout le monde n’est pas si progressiste. » Elle pensait notamment à ce vieux crouton d’apothicaire qui lui sortait définitivement plus par les yeux à mesure qu’elle y pensait.

Elle avait d’ailleurs déjà beaucoup appris sur son fonctionnement rien qu’en se concentrant sur les sensations de son corps sous l’effet de cette étrange médecine. Bien sûr, jamais une aiguille ne lui permettrait de pondre un œuf, mais à ce stade, tout était bon à prendre. « Vous avez parlé d’un clan ? D’expérience il est difficile d’en sortir. » Elle pensa à sa famille et aux générations de chasseurs qui l’avaient précédée. Et au vilain petit chinchard qu’elle constituait, avec ses projets aux antipodes de tout ceci. « Vous devez aussi avoir une noble cause après laquelle courir. Puis-je vous en demander davantage ? » demanda-t-elle, alors qu’elle venait de le faire, en réalité.


Célyse


Inventaire

Si Célyse fut surprise d'apprendre que les Zoras étaient ovipares, elle se garda bien de le montrer. Elle voyait bien que le sujet était difficile à aborder. Ce n'était pas la première de ses patientes à se montrer réticente à parler de son infertilité, mais contrairement aux humaines qui portaient ce fardeau individuellement, la femme des eaux parlait au nom de tout son peuple. Avec un détachement travaillé, la doctoresse retira une à une les aiguilles de la colonne vertébrale de la Zora, avant de l'inviter à se mettre sur le dos. Lentement, mais sûrement, elle commença à déposer de nouvelles aiguilles le long du torse, du ventre, des jambes et des bras de sa patiente. Se concentrer sur son ouvrage lui permettait de ne pas orienter toute son attention sur elle. Elle ne voulait pas lui mettre plus de pression que nécessaire. Son interlocutrice était libre de lui révéler ce qu'elle était en mesure de lui dire, et rien de plus.

Plus la femme Zora s'avançait dans ses explications, plus l'Hylienne sentait son regard changer. Se dédier corps et âme à sa cause, aussi perdue qu'elle pouvait sembler au reste de son peuple, résonnait en elle comme un écho inattendu. Avaient-elles donc toutes deux été vouées à un destin de chercheuses ? Ou bien était-ce au contraire leur volonté féroce de trouver une solution qui les avait orientées sur la voie de la science ? Dans tous les cas, la doctoresse déposait un oeil nouveau sur sa patiente imprévue. Au-delà des différences physiques qui la fascinaient tant, elle respectait cette femme qui lui ressemblait. Celle-ci était sa consoeur. Une collègue dévouée aux mêmes arts, et à la même ténacité. Animée par le même désir de protéger son peuple.

Ce curieux sentiment de proximité, voire de camaraderie, fut sans doute la raison pour laquelle elle ne se sentit pas menacée lorsque la femme des eaux orienta la discussion sur elle. Elle esquissa un bref sourire, sans joie aucune, lorsque celle-ci évoqua les difficultés à sortir d'un clan. Sans vouloir s'éterniser sur le sujet, elle répondit simplement : « Mon village est perdu dans les plaines glacées d'Hébra. Personne ne nous connaît. Personne ne s'intéressera à nos problèmes pour nous. Alors quand mes proches sont tombés malade les uns après les autres, je suis partie. Et je compte rentrer avec le remède, une fois que je l'aurai trouvé. » Elle effectua un roulement de l'épaule droite, légèrement crispée sous la concentration que nécessitait la pose des aiguilles. Son regard fuyait celui de sa patiente, sans doute par pudeur. D'une voix curieusement plus grave, elle poursuivit : « Je pense pas que ce soit noble de ma part. Je veux juste qu'on survive. »

Comme si sa vulnérabilité la mettait terriblement mal à l'aise, elle s'empressa de quitter son siège pour retirer les aiguilles qu'elle avait posées un peu plus tôt sur sa patiente. Le temps s'était suffisamment écoulé. Et se mettre en mouvement lui permettait de dépasser son accès de faiblesse. Sur un ton plus factuel, elle avança : « Je peux vous montrer comment je fais, si ça vous intéresse. » Comme à son habitude, elle restait pragmatique. C'était une femme d'actions plus que de paroles. « J'ai déjà quelqu'un que je forme sur les poisons. Il me suit le matin, je lui montre comment reconnaître les plantes. Mais avant midi, je suis rentrée ici. Et je reçois mes patients. » Elle ne regardait délibérément pas la femme des eaux, étant encore concentrée sur ses gestes médicaux. « Vous pouvez venir à ce moment. Et je vous partagerai mon art. »

Elle retira sa dernière aiguille de la cheville de la Zora, avant de se redresser. Elle s'essuya le front du revers de l'avant-bras, légèrement fatiguée par le degré d'absorption que son métier requérait. Après avoir déposé les aiguilles dans le bac qu'elle comptait désinfecter plus tard, elle retourna sur son petit tabouret de bois avant de reprendre, sans chercher à tourner autour du pot : « Vous ne serez pas mon apprentie. Mon art ne se transmet pas en quelques jours, et je compte pas m'éterniser ici. Mais je peux vous donner une base, que vous pourrez compléter plus tard avec d'autres connaissances. » Cette fois-ci, elle déposa son regard déterminé sur le visage de la non-humaine. « A une condition seulement. »

D'un geste sec, elle tendit sa main à sa consoeur. Comme pour l'inviter à la saisir. « Vous m'apprenez tout ce que j'ai à savoir sur votre espèce. Quels organes, quels muscles et quels os vous composent. Comment vous soigner d'une fracture. Quelles maladies vous touchent le plus. » Elle ne souriait pas, mais il y avait une grande assurance dans ses yeux sombres. « En échange de quoi, je vous dirai tout ce que je sais. »


Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

« Je pense pas que ce soit noble de ma part. Je veux juste qu'on survive. » avait conclu la doctoresse après ses explications. Soudain, le poids qui pesait sur les épaules musclées de Slo’Anh sembla s’envoler. Bien sûr, tout restait à faire, et le problème subsistait. Mais à force de l’entendre, elle avait fini par se convaincre qu’elle était folle. Puis arrivait cette femme, qui différait en tout point d’elle, exception faite de ce qui la poussait à se lever chaque matin. Elle n’était plus seule dans ce monde si vaste qu’il la terrifiait bien plus que les profondeurs qu’elle avait connues toute sa longue vie. Le soulagement moral, mais aussi physique, fut le bienvenu. Elle esquissa une sorte de sourire rêveur.

La Zora s’était redressée pendant que cette collègue imprévue mettait de l’ordre dans toutes ses aiguilles. Elle observa ses membres, finalement assez impressionnée que toutes ces petites pointes aient pu entrer dans sa peau sans lui laisser de traces. Une sensation de chaleur jusqu’alors méconnue lui envahissait tout le corps. Elle en fut chagrinée de prime abord, peu enthousiasmée par les fortes températures qu’elle expérimentait sur terre. Mais cette sensation-ci était plus douce, car elle venait d’elle-même. Elle se sentait moins déshydratée qu’à l’ordinaire. Bien sûr, elle ne devrait pas tarder à retourner se cacher dans l’eau pour se sentir totalement à son aise.

Jusqu’ici, l’Hylienne avait tout fait pour éviter son regard, mais elle ne l’avait pas remarqué, elle-même perdue dans ses pensées et dans la contemplation de la fenêtre. Mais l’air fut soudain chargé d’une nouvelle tension, différente de la lourdeur apportée par l’évocation de leurs situations respectives. Je peux vous montrer comment je fais, si ça vous intéresse. » lui offrit-t-elle enfin. Sans répondre, Slo’Anh écouta sa proposition jusqu’au bout. Elle réprima un rire à l’évocation des plantes et des poisons. Elle avait eu le temps de les étudier à loisir aux côtés de l’Apothicaire et avait plus appris de son côté que lui en des décennies. Elle ne fut pas peu satisfaite d’apprendre qu’au moins deux personnes supplémentaires dépassaient son expertise dans ce village pourtant pas si grand.

« Je n’ai rien d’important à faire. Je viendrai. » répondit-elle, satisfaite d’avoir une excuse pour fausser compagnie à ces incapables avec lesquels elle travaillait. La limite de cette nouvelle aventure était le temps, puisque la femme aux aiguilles s’en irait très prochainement pour parfaire ses propres recherches. « J’ai prévu moi-même de rejoindre les miens bientôt. » précisa-t-elle, comme pour renforcer son accord. Mais, comme elle s’en doutait, cette opportunité ne se présentait pas sans contrepartie. Et la brune exposa sa condition, qui était très claire.

« Je… » commença la chasseresse, sans vraiment savoir quoi répondre. C’était une trahison envers son peuple que d’accepter cela. Bien sûr, l’autre parla des maladies et des soins, comme si leur bien-être lui importait. Elle n’en doutait d’ailleurs que peu. Mais ses frères et sœurs, qu’en diraient-ils ? « C’est-à-dire que nos lois sont peu permissives à ce sujet. » s’excusa-t-elle, réellement désolée de ne pas pouvoir aller plus loin dans cette collaboration qui l’enchantait pourtant.

Stoïque, elle commença à se relever, quand son coude effleura l’énorme cicatrice en forme de demi-lune qu’elle avait sur les côtes. Elle sursauta, cette zone lui étant encore parfois douloureuse lorsqu’elle était fatiguée. Le regard figé, elle se remémora alors toutes les morsures, toutes les blessures, et tous les coups bien placés, tant physiques que moraux, car il était bien connu qu’elle ne ressentait rien puisqu’elle ne l’exprimait pas. « Pourtant… » se dit-elle à elle-même comme elle le dit à son interlocutrice. Pourtant elle avait passé sa vie à obéir. Son sort serait-il vraiment différent si elle décidait d’arrêter de jouer les gentils petits travailleurs ? Au Domaine ils lui avaient appris la haine quand cette Hylienne lui apportait une compassion qui lui paraissait étrange. « Je me bats pour une nouvelle génération, pas pour celle-ci. » avoua-t-elle enfin.

Elle jeta un regard déterminé à la Guérisseuse. « Alors je pense que je peux l’ignorer un peu. » Elle la mit néanmoins en garde. « Nous différents en fonction de nos familles. Je ne pourrai pas vous donner beaucoup de généralités. Mais je ferai mon possible. » Puis, comme pour se rattraper : « Mais si votre route vous mène au Domaine un jour, je vous y ferai entrer. » promit-elle. Si d’autres pouvaient le faire, pourquoi pas elle.

Elle se redressa alors complètement, et s’avança doucement vers la porte, assez désireuse de retrouver le milieu aquatique qui lui manquait de plus en plus. « Alors à demain ? » demanda-t-elle pour toute confirmation.


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