Posté le 19/03/2024 05:19
"Assez, vous deux !", souffle le Prince, visiblement agacé. Son regard ocre se pose, plus sévère qu'à l'habitude, sur le Sergent-Démon et sur Méryth tandis que sa tête, lourde, vient s'appuyer sur sa main palmée. Tout cela le fatigue. La table de nacre autour de laquelle ils sont tous trois réunis se fait sans doute plus proche ; à mesure qu'il ne s'affale. Depuis la reprise de Rutah, son père exige de lui qu'il se comporte comme le monarque qu'il sera à terme amené à être. La mission l'excite, il doit bien le reconnaître, mais il ne prend conscience que maintenant de ce qu'être un chef veut dire. Il ne s'agit pas seulement de faire preuve de bravoure, d'agir héroïquement et de rouler des mécaniques comme il a pu lui arriver de le faire auparavant : il faut aussi, hélas, faire des choix et prendre des décisions plus difficile qu'il n'y paraît. « Je sais votre fatigue, votre rancœur. Je sais aussi que la reprise de Rutah ne suffira pas à effacer la rage », reconnaît-il après un instant, alors que le silence tombe sur la salle. Seul résonne encore le bruit de l'eau qui glisse sur l'opaline enceinte du Domaine. Il a quelque chose d'apaisant, qui, sans cesse, lui rappelle sa sœur.
Devant lui, Etorpe retient sa grimace par respect du protocole et de la tradition. Le vieux conseiller, pour sa part, est plus calme. Les soldats et les héros, souvent, ont plus de mal à se taire. Le dauphin à la peau écarlate en sait quelque chose : lui même n'a jamais su garder sa langue dans sa poche (tout hypothétique soit, elle, quand bien même il a déjà entendu parler de l'étrange affection d'un certain Zora pour les atours humains). « J'ai dit assez, Etorpe », insiste-t-il alors qu'il devine le Sergent-Démon sur le point de reprendre la parole. « Tu es le premier officier du Domaine, rappelle Sidon, non sans se redresser, j'attends de toi que tu fasses respecter mes ordres, indépendamment de ta colère. »
En proie à une forme de lassitude certaine, le prince se surprend à pianoter des doigts sur la table. Il cherche une façon polie de mettre un terme à leur assemblée, durant laquelle il a déjà l'impression de s'être trop répété. Loin de lui, pourtant, l'idée de ne pas prendre au sérieux de tels réunions : c'est bien de la sécurité du domaine tout entier qu'il est question ! Mais le jeune héros a du mal à composer avec l'inépuisable ire de ses anciens précepteurs. A les entendre, parfois, il a l'impression qu'ils étaient les seuls à l'avoir aimée. Il n'en a pas fallu plus pour qu'il voit rouge à son tour.
Heureusement pour lui, un jeune garde s'élance d'un bond maladroit dans la Grand-Salle, où siège usuellement son père. Le guerrier, appuyé sur sa pique, halète, en nage. Il a, à l'évidence, couru à grandes foulées. « Prince », fait-il en usant de son arme presque comme d'une béquille. Et lui de reprendre, presque immédiatement : « Prince ! » Une urgence inénarrable perce dans sa voix, encore fluette. Le regard des trois Zora pèse sur le pauvre hère, qui ne se doute pas de la teneur de l'échange qu'il vient d'interrompre. « Eh bien quoi, Gaso ? », répond le futur suzerain, après un instant, qui quoique surpris ne prend pas ombrage de la soudaine intermission. « Ne me dis pas que Simyn a encore fait des siennes... », lance ensuite le Requin-Roux un large sourire dans la voix. Il n'a pas besoin de jeter un œil sur Etorpe pour le deviner fulminant, piqué par la remarque comme s'il avait attaqué en plein cœur. Il sait de toute façon que cela lui passera.
Rien, en vérité, n'aurait su le préparer à l'annonce qui allait suivre.
Quand il arrive finalement à l'entrée du Domaine, après avoir traversé le pont de pierre irisée que ses ancêtres ont sculpté en d'autre temps, une longue lame de nacre alourdit la ceinture qui encercle ses hanches. Etorpe a insisté pour l'accompagner et a souhaité qu'il parte entouré d'au moins deux gardes, évoquant le piège grossier que d'aucuns pourraient tendre. Il se souvient des quelques mots que Link a pu avoir à propos de Sheikahs félons qui pourraient encore connaître le nom de la Reine légitime d'Hyrule, mais il ne voit pas pourquoi ceux-ci viendraient jusque chez lui (ni comment ils auraient pu passer les vigies du Sergent-Démon) et invoqueraient un tel lignage. Loin de partager les inquiétudes de son ancien maître d'armes, c'est seul qu'il s'avance à la rencontre de la jeune femme. De longs cheveux blonds cascadent sur des épaules recouvertes d'un tissu bleu clair, réimmiscent de la couleur que portait Mipha, la dernière fois qu'il lui a été donné de la voir. Elle partait pour le Mont de la Sagesse, où elle devait retrouver les autres Prodiges.
Il y a bien longtemps qu'il n'a pas vu l'héritière de Rhoam, Zelda fille de Zelda, souveraine des Landes. Le visage qu'il contemple ne lui évoque que de vieux souvenirs, distants et embrumés. Pourtant, la seule vue de la reine le réjouit : il n'en a jamais douté, mais il réalise à présent que la quête de Link a été couronnée de succès. Pourquoi serait-elle là, sinon ? « Bienvenue à toi, Zelda Nohansen Hyrule ! », tonne-t-il d'une voix puissante, non sans se souvenir que la jeune femme porte le nom de sa mère et non celui du roi consort, tué il y a plus d'un siècle désormais. Quelques pas le rapprochent enfin de la jeune Hylienne, que les gardes n'ont pas laissé avancer d'un pouce. « Laissez la », souffle-t-il seulement à leur attention, avant de les inviter à reprendre le cours de leur veille, d'un geste de la main. « Elle est avec moi. »
Son regard, pétillant d'une liesse qu'il ne cherche pas à masquer, revient sur la demoiselle. Il a hâte de retrouver Link, qui a certainement accompagné sa souveraine. « Je suis Sidon, le prince héritier des Zoras. Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais nous nous sommes déjà rencontrés. C'est un plaisir de te savoir bien portante, Zelda fille de Zelda ! », lance le fils du roi, plein d'entrain. Ses paumes épousent celles de la jeune femme, alors qu'il se présente, le visage fendu d'un large sourire. « Link est-il avec toi ? », s'enquiert-il tout de même, après un bref instant. « Je ne le vois pas. »
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