Posté le 20/03/2022 23:45
Dire que le trio médical avait passé une journée noire aurait été un euphémisme.
Hébétés par ce qu'ils avaient vus chez l'employeur de Samir, le concerné et ses deux compagnes d'aventure s'en étaient retournés à l'auberge sans échanger un seul mot, ni même un seul regard. Après s'être isolés dans leurs chambres respectifs pendant quelques instants pour pouvoir se remettre de leurs émotions, Slo'Ahn ayant été invitée à partager celle de Samir pour des raisons de praticité, ils avaient fini par descendre prendre un repas de fin de matinée assez tardif, et sans aucun enthousiasme. A vrai dire, Célyse mangea très peu tant elle en avait l'estomac noué - et c'était chose rare pour cette doctoresse que même les actes chirurgicaux n'ébranlait pas. D'aucun n'osa évoquer la scène qui leur avait été exposée plus tôt.
Après cette maigre pitance, Célyse finit par lâcher un long soupir las avant de déclarer à ses compagnons qu'elle avait besoin de sommeil. Cependant, leurs autres compagnons partis aux quatre coins de la ville risquaient de revenir, aussi proposa-t-elle que l'un d'entre eux trois restât toujours à veiller dans la salle principale de l'auberge, afin de pouvoir les intercepter lorsque ceux-ci reviendraient.
Célyse partit la première se reposer. Une fois seule dans sa chambre, elle s'affala sans même se changer et s'endormit comme une masse. Vers la fin de l'après-midi, quelques coups à la porte l'arrachèrent au cauchemar qui l'assaillait, et elle s'éveilla en un sursaut difficile. Le visage de l'enfant lui restait gravé dans la rétine. D'un geste nerveux, elle tira à plusieurs reprises dans ses cheveux noirs de jais, un geste répétitif qui l'aida à reprendre pied, avant de quitter son couchage et de se diriger vers la porte. Passant devant le miroir de sa chambre, elle décocha un regard calculé à son reflet. Celui-ci ne lui renvoyait rien d'autre qu'elle-même, une jeune Hylienne dans la fleur de l'âge, pleine de vitalité. Le froid qui l'avait transi dans la chambre de l'enfant aurait presque pu paraître un mauvais rêve...
La voix de Samir retentit à travers le battant de la porte, comme une interrogation. "C'est bon, j'arrive, tu peux prendre ma chambre," lâcha la soignante d'une voix un peu rauque et agressive. Elle réarrangea un instant sa tenue avant d'ouvrir la porte, et de prendre la relève du Gérudo dans la salle principale.
Puis elle attendit.
Le soir tomba très vite, et l'heure du dîner passa, mais aucun compagnon ne revint.
Etant la dernière à tenir la garde, Célyse finit par remonter à l'étage, et par toquer à sa propre chambre afin d'y réveiller Samir. "Toujours personne," lui annonça-t-elle froidement lorsque celui-ci ouvrit la porte. "Va chercher Slo'Ahn, et revenez quand vous serez prêts. J'ai besoin de discuter avec vous de ce qu'on a vu ce matin chez Seym."
Tandis que Samir sortait appeler la femme des rivières, la doctoresse prit le temps d'attiser le feu de l'âtre qui commençait à s'éteindre. Les nuits se faisaient glaciales dernièrement. Par automatisme, elle sortit le baume qui lui servait de rouge à lèvres de sa sacoche, et elle appliqua une fine couche sur ses lèvres en attendant le retour de ses compagnons. La sieste n'avait pas suffit à effacer la fatigue de son regard, mais au moins était-elle un minimum plus présentable, tant qu'on ne l'observait pas de trop près.
Lorsque le Gérudo et la Zora revinrent et s'installèrent tous deux dans sa chambre, Célyse commença à retracer leur matinée chez Soje et Seym. Elle n'eut cependant pas l'occasion d'avancer longtemps sur le sujet car deux, puis trois coups répétitifs ricochèrent contre le volet en bois de sa chambre. Tout le corps de la doctoresse se raidit. Elle jeta un regard alerte à ses deux compagnons, comme pour les intimer à rester immobiles et silencieux, avant de pivoter sur la pointe des pieds et de saisir son wakizashi au passage. A ce stade, l'arme servait davantage à la rassurer qu'à la protéger d'un quelconque danger. Leur rencontre avec Sépharo le matin-même avait suffit à la rendre paranoïaque.
D'un pas de loup, elle s'avança jusqu'à la fenêtre de sa chambre, qu'elle ouvrit d'une main peu assurée. Poussant le battant de son volet, elle hasarda un regard inquiet à l'extérieur, et porta la main à la garde de son sabre lorsqu'elle aperçut une silhouette juste en contrebas. L'intrus se déclara cependant très vite, pour dissiper tout malentendu. Les yeux écarquillés, la soignante mit un temps à répondre tant les mots lui manquaient.
Le visage de Ludrick était si abîmé qu'elle aurait pu crier en croyant voir un fantôme vengeur si celui-ci ne s'était pas présenté tout de suite.
"On arrive," lança-t-elle d'une voix tout aussi basse, en espérant que la bise nocturne porterait ses mots jusqu'à son disciple médical. "J'amène de quoi te soigner."
Et sans perdre une seconde de plus, la femme-médecin claqua la fenêtre avant de préparer son sac en jonc, qu'elle bourra de compresses et de gazes propres, d'alcool de sauge, d'aiguilles et de fils au cas où un rafistolage plus conséquent était nécessaire, et quelques fioles dont elle seule connaissait le secret. Une fois prête, elle hissa le sac sur ses épaules avant de se tourner vers Samir et Slo'Ahn. "C'est Ludrick," annonça-t-elle très sobrement. "Il est blessé. Il nous attend derrière le bâtiment, près de la rivière, pour éviter les patrouilles. Il a des informations. Prenez une lanterne, et suivez-moi."
Elle n'attendit pas la réaction de ses compagnons pour quitter sa chambre. La précipitation ne la rendit pas plus maladroite : c'est en prenant garde à ne pas faire de bruit qu'elle parvint à quitter l'auberge, aussi discrète que la situation pouvait lui permettre de l'être. L'état de Ludrick était affolant, et elle n'était pas prête à perdre une seconde de plus pour pouvoir le prendre en charge.
Une fois derrière l'auberge, près de la rivière, elle aperçut bien vite le jeune Hylien, et elle fonça sur lui avec la rapidité d'un rapace sur sa proie. "Ne dis rien," lui intima-t-elle sèchement lorsqu'elle parvint enfin à sa hauteur. "Dis-moi juste où tu as mal. Le visage, où d'autres ?"
Avec une efficacité très clinique, la doctoresse palpa du bout des doigts le visage boursouflé de son patient, et les nombreuses coupures qui le parsemait. Sa bouche était enflée, du sang séché parsemait encore ses lèvres. A ce constat, elle leva des yeux alarmés vers l'Elimithois. "Tu as craché du sang ? As-tu ingéré ou respiré du poison ?"