Posté le 16/10/2021 17:27
Il ignorait comment il était parvenu jusqu'au laboratoire sans se faire remarquer. Probablement parce que là où Thorin passait, les villageois préféraient détourner le regard. Le garçon en haillons attirait aisément la pitié. Mais surtout, il leur rappelait cette relique qu'était Nikolas, et la relation si particulière qu'entretenaient les habitants d'Elimith avec le vieil apothicaire. A ces regards, l'adolescent leur répondait souvent par une remarque acerbe. La discrimination naturelle auquel il faisait face avait rendu sa parole plus acide qu'un citron juteux. A présent, beaucoup évitaient la conversation avec le garçon. A croire que les chiens ne faisaient pas des chats, le jeune homme devenait d'aussi mauvaise compagnie que son vieux père.
Pourtant aujourd'hui, le jeune homme était ravi de ces regards détournés. Il avait fait au mieux en franchissant le portail du village, mais alors qu'il traversait les rues d'Elimith, le garçon avait eu peine à cacher sa souffrance. Son pas était devenu légèrement boitant, imitant presque celle de Nikolas. Des enfants qui s'étaient approchés de lui crurent à un jeu. Thorin alimenta le mensonge. Ainsi, peu après son passage, les plus jeunes s'amusaient à copier les allures des plus grands. L'un devint le forgeron, tandis que l'autre singea l'un des pochtrons de la taverne. L'adolescent remercia sa chance aujourd'hui. Bien que doué dans l'art du mensonge, il était certain ne pas pouvoir tromper qui que ce soit aujourd'hui.
Il était à présent sauf, tant que son père ne rentrait pas. Il ôta sa ceinture, et souleva sa tunique. Il n'avait pas encore constaté les dégâts. Il ne saignait pas, c'était déjà une bonne chose. Peut-être lui fallait-il simplement un peu de repos, et de l'onguent. Une marque violette se colorait sur sa peau. Ce n'était guère encourageant, mais au moins, c'était une blessure qu'il pouvait cacher à Nikolas. Hésitant, il posa ses doigts sur la zone qui contrastait avec le reste de son corps. Il interrompit immédiatement le toucher lorsque la douleur se fit plus vive encore. Il laissa sa tunique recouvrir la marque alors qu'il inspira et expira. Contrôler son rapport à la douleur n'était jamais chose aisée. Pas le choix, il devrait soigner sa blessure.
Il s'approcha des escaliers qui menaient au laboratoire de son père. Il était absent à cette heure. S'il recevait quelques malades dans son propre laboratoire, le vieux père s'en allait souvent ausculter les alités incapable de quitter leur demeure. Souvent, cela signifiait calmer la douleur avant que la faucheuse ne les emporte. Thorin détestait cette façon qu'avait Nikolas de tromper l'espoir des familles. Ses interventions les persuadaient que le souffrant se relèverait à nouveau. Ce n'était guère le cas. Et une fois la dernière seconde achevée, le vieil apothicaire ne recevait des proches qu'une haine endeuillée. A quoi bon aider pour recevoir un tel traitement, s'était toujours demandé son fils. A croire que le vieil homme appréciait d'être traité comme un scélérat, et ne ratait aucune occasion pour alimenter ce feu.
Il descendit les marches, et chaque pas fut un combat. Thorin ignorait encore comment il était parvenu à rejoindre le laboratoire, qui plus est Elimith. Malheureusement, si aujourd'hui, il se promettait d'en faire une leçon, le lendemain, le jeune homme en aurait déjà oublié la teneur. C'étaient là les risques de la liberté se dictait-il. Qui plus est, quelqu'un lui rappellerait bien que les aventuriers n'avaient guère un foyer où se retourner en cas de nécessité.
Quelqu'un chantonnait. Un instant, Thorin crut à malade qui divaguait ou, qui sait, se portait mieux. Il se fit discret, car il ne souhaitait guère être aperçu. Il grognait intérieurement, assis sur l'une des marches qui menait au laboratoire. Il était si proche du matériel de son père. Le temps était compté, Thorin devait se soigner, et faire en sorte de cacher toute trace de son passage. Il ne le pouvait si un malade l'observait et allait tout répéter à son père.
Puis enfin il la vit.
C'était la Zora. L'élève ou l'apprenti de Nikolas, entrée à son service il y a peu. Pour une raison qui échappait au fils, son père lui avait interdit de l'approcher. Elle ne devait pas être déconcentrée avait-il laissé entendre à un fils qui n'en crut un seul mot. Jusqu'à aujourd'hui, les deux êtres n'avaient fait que s'observer de loin. C'était à peine s'ils s'étaient échangés quelques mots, ou une politesse. Thorin avait pris ses distances, vaquant à ses occupations, et s'éloignant du laboratoire autant qu'il le pouvait. Cela l'arrangeait aussi bien que Nikolas. Au moins, le fils n'entrait pas en contact avec la Zora. Qui sait quelles idées saugrenues la femme pouvait elle implanter dans l'esprit de son fils.
Thorin l'observa comme il n'avait jamais eu le temps de l'observer. Il en oublia sa souffrance un instant, se découvrant une fascination pour cet être au physique si différent. Son corps, ses membranes, ses membres, tout différenciait de ce que le fils avait pu connaitre jusqu'ici. Cet être semblait sortir d'un conte lu dans son enfance. A cet instant, il comprenait à quel point Elimith était un village isolé, et les conséquences des efforts constants de Nikolas pour tenir son fils éloigné du tumulte du village. Thorin resta immobile, scrutant le moindre fait et geste de cet être au comportement plus humain qu'il ne le pensait. Elle faisait au mieux pour répondre aux lourdes tâches de son mentor, tentant de singer les actes d'un homme avec un corps qui ne lui correspondait pas. Nikolas, à sa façon, l'avait aidée à travailler au mieux. Mais la Zora, une fois loin des regards, usaient de ses propres stratégies pour accomplir ses devoirs. Ce ne fut qu'une fois sa tâche accomplie qu'elle se laissa surprendre un instant. Un simple acte de maladresse, trahie par le tapis posé à même le sol. Thorin ne put s’empêcher de sourire. Cette scène le toucha. Il était étrange de voir cet être aux prises avec un accident domestique, aussi banal soit-il. Son expression changea de tout au tout lorsque des mots furent prononcés, à son encontre.
Une pression se fit sentir dans tout le corps de Thorin, comprenant en un instant que la Zora avait détecté sa présence. Il n'était plus observateur, il venait de devenir interlocuteur. Hésitant une seconde, son esprit lui proposant plusieurs solutions, Thorin se releva, cachant au mieux l'effort demandé. Il se montra enfin, finissant sa descente des escaliers. Il répondit d'un ton sec, prétextant presque être outré par le ton de la femme à son encontre :
"Ce n'est que moi."
Il avança d'un pas lent, presque naturel. Il fit en sorte de ne pas toucher sa blessure cachée par sa tunique. Il adopta une posture droite, bien qu'inconfortable à cet instant. Il n'avait pas pris la peine de remettre sa ceinture qu'il avait laissé dans la masure située au-dessus du laboratoire. Thorin faisait en sorte d'être naturel. Il s'approcha de la commode des ingrédients, passant à coté de la femme amphibie. Il commença à fouiller dans les ingrédients, comme si ce geste était tout à fait toléré dû aux privilèges d'être le fils de Nikolas. En vérité, cela lui était interdit. Mais cela, la Zora ne devait pas le savoir.
Thorin faisait au mieux pour ignorer cette femme qui pourtant, le fascinait tant. Il ressentait sa présence et il avait de nombreuses questions à lui poser. Mais aujourd'hui, ce n'était guère le moment. Il ne fallait pas que la vérité arrive aux oreilles de son père. Il se tourna enfin vers l'assistante, et lui demanda, d'un air distant :
"Tu sais où se trouve l'onguent pour les fractures ? Le vieux le range ici normalement."
Sous-entendu, si ce n'est pas là, quelqu'un y a touché. En vérité, il ignorait où se trouvait l'onguent. Mais il avait besoin de savoir où Nikolas avait rangé la fiole aujourd'hui.