Les petits poissons dans l'eau nagent aussi bien que les gros

Milieu de l'automne - 2 mois 1 semaine 5 jours après (voir la timeline)

Slo'Anh

Sourire d'enfer

Inventaire

(vide)

Tout expert dans quelque domaine que ce fût avait débuté au moins un jour par des bases et des tentatives bien peu reluisantes. C’était là tout à fait normal, mais on avait souvent tendance à l’oublier. La jeune Zora, en tout cas, n’y avait pas songé en quittant sa famille et son foyer pour devenir la plus grande soigneuse d’Hyrule. Et cet après-midi-là elle était particulièrement abattue par la lenteur de ses progrès, et les ressources intellectuelles et physiques que lui coûtaient son apprentissage auprès de Nikolas, l’Apothicaire du village hylien.

L’intérêt qu’elle suscitait chez son vieux maître - bien que plus jeune qu’elle en réalité - reposait surtout, selon elle, sur son métabolisme particulier qui lui permettait de l’assister très tôt le matin, et très tard le soir. Cela le changeait, lui avait-il confié, des tire-au-flanc que la vie avait menés jusqu’à lui. Elle avait préféré ne pas trop creuser cette question, s’attirant déjà quelques regards courroucés des autres apprentis et assistants du médecin.

« Et tombent les voiles dans l’eau...  » chantonnait-elle entre ses grandes dents, pensant être seule. Elle s’appliquait à nettoyer les outils que lui avait confiés son maître alors que celui-ci s’affairait de son côté. Cela lui convenait, en un sens, car elle commençait à fatiguer après une matinée auprès des malades. Mais dans chaque instant de repos, elle se mordait les doigts de perdre de précieuses heures de savoir à intégrer.

« Et voilà ! » s’exclama-t-elle, fière d’elle, après avoir enlevé le plus gros de la saleté avec un linge imbibé d’un liquide désinfectant, infusé de différentes plantes qu’elle identifiait avec de moins en moins de difficultés. Nikolas lui avait même offert des gants qui allaient à ses “drôles de mains” pour éviter que le produit ne pénètre dans ses tissus bien plus perméables que ceux des Terrestres. Elle devait à présent les laisser dans l’eau bouillante pour tuer la maladie. « Eh merde. » grogna-t-elle, nettement moins enjouée que précédemment, en voyant la vapeur s’échapper d’un grand récipient.

Un coup d'œil derrière son épaule gauche. Un coup d'œil derrière son épaule droite. Personne. Elle pouvait donc user de stratégies un peu ridicules pour ne pas se brûler, pour ne pas s’approcher de cette fournaise si dangereuse pour son espèce. Gardant ses gants, elle utilisa le tison pour ouvrir la marmite. Déjà la chaleur qui approchait la fit suffoquer. Elle inspira de l’air frais derrière elle, et fit glisser les outils un à un dans l’eau à l’aide d’un second tison. Tout ceci lui demanda une grande minutie, mais elle avait au moins la qualité d’être fort patiente, quand il ne s’agissait pas de ses progrès.

Une fois sa tâche accomplie, elle referma la marmite et recula bien rapidement, se prenant les pieds dans un tabouret mal rangé. Elle étouffa un juron, quand ses sens quasi inconscients de chasseuse lui indiquèrent la présence d’une autre personne, certainement témoin de sa maladresse. « Qui est-là ?  » demanda-t-elle sans prendre la peine d’être aimable. Elle savait qu’il ne pouvait pas s’agir de l’Apothicaire, qui était occupé ailleurs.


Thorin


Inventaire

Il ignorait comment il était parvenu jusqu'au laboratoire sans se faire remarquer. Probablement parce que là où Thorin passait, les villageois préféraient détourner le regard. Le garçon en haillons attirait aisément la pitié. Mais surtout, il leur rappelait cette relique qu'était Nikolas, et la relation si particulière qu'entretenaient les habitants d'Elimith avec le vieil apothicaire. A ces regards, l'adolescent leur répondait souvent par une remarque acerbe. La discrimination naturelle auquel il faisait face avait rendu sa parole plus acide qu'un citron juteux.  A présent, beaucoup évitaient la conversation avec le garçon. A croire que les chiens ne faisaient pas des chats, le jeune homme devenait d'aussi mauvaise compagnie que son vieux père.

Pourtant aujourd'hui, le jeune homme était ravi de ces regards détournés. Il avait fait au mieux en franchissant le portail du village, mais alors qu'il traversait les rues d'Elimith, le garçon avait eu peine à cacher sa souffrance. Son pas était devenu légèrement boitant, imitant presque celle de Nikolas. Des enfants qui s'étaient approchés de lui crurent à un jeu. Thorin alimenta le mensonge. Ainsi, peu après son passage, les plus jeunes s'amusaient à copier les allures des plus grands. L'un devint le forgeron, tandis que l'autre singea l'un des pochtrons de la taverne. L'adolescent remercia sa chance aujourd'hui. Bien que doué dans l'art du mensonge, il était certain ne pas pouvoir tromper qui que ce soit aujourd'hui.

Il était à présent sauf, tant que son père ne rentrait pas. Il ôta sa ceinture, et souleva sa tunique. Il n'avait pas encore constaté les dégâts. Il ne saignait pas, c'était déjà une bonne chose. Peut-être lui fallait-il simplement un peu de repos, et de l'onguent. Une marque violette se colorait sur sa peau. Ce n'était guère encourageant, mais au moins, c'était une blessure qu'il pouvait cacher à Nikolas. Hésitant, il posa ses doigts sur la zone qui contrastait avec le reste de son corps. Il interrompit immédiatement le toucher lorsque la douleur se fit plus vive encore. Il laissa sa tunique recouvrir la marque alors qu'il inspira et expira. Contrôler son rapport à la douleur n'était jamais chose aisée. Pas le choix, il devrait soigner sa blessure.

Il s'approcha des escaliers qui menaient au laboratoire de son père. Il était absent à cette heure. S'il recevait quelques malades dans son propre laboratoire, le vieux père s'en allait souvent ausculter les alités incapable de quitter leur demeure. Souvent, cela signifiait calmer la douleur avant que la faucheuse ne les emporte. Thorin détestait cette façon qu'avait Nikolas de tromper l'espoir des familles. Ses interventions les persuadaient que le souffrant se relèverait à nouveau. Ce n'était guère le cas. Et une fois la dernière seconde achevée, le vieil apothicaire ne recevait des proches qu'une haine endeuillée. A quoi bon aider pour recevoir un tel traitement, s'était toujours demandé son fils. A croire que le vieil homme appréciait d'être traité comme un scélérat, et ne ratait aucune occasion pour alimenter ce feu.

Il descendit les marches, et chaque pas fut un combat. Thorin ignorait encore comment il était parvenu à rejoindre le laboratoire, qui plus est Elimith. Malheureusement, si aujourd'hui, il se promettait d'en faire une leçon, le lendemain, le jeune homme en aurait déjà oublié la teneur. C'étaient là les risques de la liberté se dictait-il. Qui plus est, quelqu'un lui rappellerait bien que les aventuriers n'avaient guère un foyer où se retourner en cas de nécessité.
Quelqu'un chantonnait. Un instant, Thorin crut à malade qui divaguait ou, qui sait, se portait mieux. Il se fit discret, car il ne souhaitait guère être aperçu. Il grognait intérieurement, assis sur l'une des marches qui menait au laboratoire. Il était si proche du matériel de son père. Le temps était compté, Thorin devait se soigner, et faire en sorte de cacher toute trace de son passage. Il ne le pouvait si un malade l'observait et allait tout répéter à son père.
Puis enfin il la vit.

C'était la Zora. L'élève ou l'apprenti de Nikolas, entrée à son service il y a peu. Pour une raison qui échappait au fils, son père lui avait interdit de l'approcher. Elle ne devait pas être déconcentrée avait-il laissé entendre à un fils qui n'en crut un seul mot. Jusqu'à aujourd'hui, les deux êtres n'avaient fait que s'observer de loin. C'était à peine s'ils s'étaient échangés quelques mots, ou une politesse. Thorin avait pris ses distances, vaquant à ses occupations, et s'éloignant du laboratoire autant qu'il le pouvait. Cela l'arrangeait aussi bien que Nikolas. Au moins, le fils n'entrait pas en contact avec la Zora. Qui sait quelles idées saugrenues la femme pouvait elle implanter dans l'esprit de son fils.

Thorin l'observa comme il n'avait jamais eu le temps de l'observer. Il en oublia sa souffrance un instant, se découvrant une fascination pour cet être au physique si différent. Son corps, ses membranes, ses membres, tout différenciait de ce que le fils avait pu connaitre jusqu'ici. Cet être semblait sortir d'un conte lu dans son enfance. A cet instant, il comprenait à quel point Elimith était un village isolé, et les conséquences des efforts constants de Nikolas pour tenir son fils éloigné du tumulte du village. Thorin resta immobile, scrutant le moindre fait et geste de cet être au comportement plus humain qu'il ne le pensait. Elle faisait au mieux pour répondre aux lourdes tâches de son mentor, tentant de singer les actes d'un homme avec un corps qui ne lui correspondait pas. Nikolas, à sa façon, l'avait aidée à travailler au mieux. Mais la Zora, une fois loin des regards, usaient de ses propres stratégies pour accomplir ses devoirs. Ce ne fut qu'une fois sa tâche accomplie qu'elle se laissa surprendre un instant. Un simple acte de maladresse, trahie par le tapis posé à même le sol. Thorin ne put s’empêcher de sourire. Cette scène le toucha. Il était étrange de voir cet être aux prises avec un accident domestique, aussi banal soit-il. Son expression changea de tout au tout lorsque des mots furent prononcés, à son encontre.

Une pression se fit sentir dans tout le corps de Thorin, comprenant en un instant que la Zora avait détecté sa présence. Il n'était plus observateur, il venait de devenir interlocuteur. Hésitant une seconde, son esprit lui proposant plusieurs solutions, Thorin se releva, cachant au mieux l'effort demandé. Il se montra enfin, finissant sa descente des escaliers. Il répondit d'un ton sec, prétextant presque être outré par le ton de la femme à son encontre :

"Ce n'est que moi."

Il avança d'un pas lent, presque naturel. Il fit en sorte de ne pas  toucher sa blessure cachée par sa tunique. Il adopta une posture droite, bien qu'inconfortable à cet instant. Il n'avait pas pris la peine de remettre sa ceinture qu'il avait laissé dans la masure située au-dessus du laboratoire. Thorin faisait en sorte d'être naturel. Il s'approcha de la commode des ingrédients, passant à coté de la femme amphibie. Il commença à fouiller dans les ingrédients, comme si ce geste était tout à fait toléré dû aux privilèges d'être le fils de Nikolas. En vérité, cela lui était interdit. Mais cela, la Zora ne devait pas le savoir.

Thorin faisait au mieux pour ignorer cette femme qui pourtant, le fascinait tant. Il ressentait sa présence et il avait de nombreuses questions à lui poser. Mais aujourd'hui, ce n'était guère le moment. Il ne fallait pas que la vérité arrive aux oreilles de son père. Il se tourna enfin vers l'assistante, et lui demanda, d'un air distant :

"Tu sais où se trouve l'onguent pour les fractures ? Le vieux le range ici normalement."

Sous-entendu, si ce n'est pas là, quelqu'un y a touché. En vérité, il ignorait où se trouvait l'onguent. Mais il avait besoin de savoir où Nikolas avait rangé la fiole aujourd'hui.


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