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« Tu avais raison Sofrène, cela fait des semaines que nous repoussons des bêtes sauvages et même ces maudits boko ! Maintenant, ils semblent enfin avoir compris la leçon. Nous allons pouvoir affronter l'hiver ensemble, ça paraît tellement plus facile que je ne l'avais imaginé...
- Oui, nous avons eu de la chance de rencontrer des artisans et commerçants qui eux aussi en avaient assez d'une vie nomade... Grâce à cet emplacement, nous n'aurons bientôt plus à craindre tous les dangers que nous avons croisés ! »
Même s'il paraissait serein, la voix de Sofrène avait toujours été plus proche d'un murmure que d'une exclamation franche et son plumage ambré n'était pas moins pâle qu'à l'accoutumée. C'était un piaf aux si nombreuses phobies qu'il avait tout fait pour encourager son ami à établir un campement provisoire, puis à le convaincre par une prouesse oratoire qu'ils feraient mieux d'y élire définitivement domicile. L'hylien qui s'était laissé persuadé lui devait bien ça : il n'était pas toujours débrouillard, parfois trop bagarreur et se laisser emporter dans des situations compliquées, c'est pourquoi le rito avait toujours à son endroit des conseils efficaces... Et surtout, ses ailes les empêchaient de se perdre, comme son compagnon l'avait si souvent été.
Bien que Sofrène n'avait aucun but précis, sinon survivre, Ychros entretenait une haine furieuse contre tout boko ou lézal : il acceptait n'importe quelle requête qui lui permettrait de les combattre, principalement des escortes. C'est de cette manière que le duo avait rencontré plusieurs survivants, dont les villages avaient été réduits en cendres. Leurs errements les avaient conduits vers d'autres rescapés qui apprécaient la sécurité d'un groupe solidaire.
Ychros n'avait pas vraiment écouté la raison de leur vagabondage, ni la destination qu'hasardaient les adultes les plus autoritaires ou qui essayaient de commander. Seul le combat l'intéressait, or il ne voyait poindre qu'une seule bataille : celle d'un hiver difficile. Avec lui la plupart des adultes avaient perdu des membres de leurs familles, qu'ils pleuraient encore, et certains enfants, garçons comme filles... tous repères. La confusion, le doute et la peur les étreignait, ce qui renforçait leurs liens.
Alors la décision de reconstruire un village fut unanime. Elle n'avait pas abattu leur désespoir, ni découragé les bêtes sauvages de les observer, la nuit, avec avidité. Elle n'avait pas réchauffé les soirées, de plus en plus longues, ni écarté les monstres qui respectaient encore le nombre des survivants. Elle n'avait pas séduit toutes les femmes et tous les hommes qui devraient travailler pour fabriquer les abris ou récolter les vivres. À peine leur avait-elle apporté du réconfort.
Mais à ce qu'on dit l'Aurore luit, quelque morne que soit la nuit, avec l'or de l'optimisme.
Sous les yeux ahuris de Sofrène, un autre rito se posa. Ahuri d'abord, parce qu'il sentait l'intimité du village violé par cette présence déplacée ! (L'intrus se relevait avec une impossible indolence.) Ahuri encore, parce qu'il n'avait pas vu d'autre piaf depuis suffisamment longtemps pour rester interdit. La voix courroucé qui s'éleva derrière lui n'était pas celle de son ami, mais elle partageait son indignation.
« Qu'est-ce que... Mais que faites-vous là ? Notre village n'est pas ouvert à l'hospitalité des étrangers ! »
Redressé, le piaf avait laissé une capuche de fortune tomber à ses pattes alors que son torse bombé bravait l'interdit avec arrogance... Et son visage radieux trahissait un plaisir orgueilleux : sa posture n'avait pour but que d'irriter le patriarche qui l'avait alpagué. Voire défier son autorité.
« Sans murailles, votre village est bien ouvert pourtant ! Et pour un village... Il a plutôt l'air d'un campement. »
Le patriarche prit tout de suite son balai à deux mains - comme s'il s'était agi d'une arme - puis deux ou trois arcs s'armèrent, prêts à le défendre.
« Comment osez-vo...
- Je viens en paix, affirma le rito non sans couper sciemment la parole de l'ancien. De là-haut, on peut voir la faune prête à vous attaquer mais votre... Village m'intéresse. J'aimerais vous aider.
- Alors nous refusons ! Nous n'avons aucun intérêt à accepter l'aide d'un oiseau de mauvaise augure qui ne connaît pas les bonnes manières. »
C'était bien vrai : qui aurait confiance en toute la vanité qu'exsudait l'inconnu ? Qui voudrait...
Sofrène croisa les pupilles du rito à côté de lui, tandis qu'ils filaient d'un arc à l'autre. Le piaf du campement n'avait jamais été brave : le courage était souvent bon pour ceux que l'on ne revoit pas... Alors une telle démonstration l'écœurait, le choquait. Le fascinait. Pourquoi cette absurde mise en scène ?
« At... At-attendez... Nous avons besoin de tout le monde pour chasser, travailler et même nous protéger. Certains d'entre nous sont exténués, peut-être malades alors nous ne devrions pas rejeter un étranger aussi vite... »
Le jeune piaf à l'allure fluette n'avait pas parlé fort mais le silence et la tension l'avaient rendu complètement audible. Il n'avait pas non plus été convaincant, et pourtant les arcs avaient commencé à se détendre. Même sans charisme, la sagesse de sa voix résonnait dans le camp grâce à l'agrément, tacite, des paysans.
« Je n'ai aucun intérêt à vous mettre des bâtons dans les roues, croyez-moi. Mais j'aurai peut-être besoin d'une place chaude au près du feu pour les jours à venir, comme vous tous j'imagine. Et je suis prêt à travailler dur pour cela, plutôt que d'affronter le froid tout seul. Mais ne vous en faites pas, je compte bientôt m'envoler vers l'ouest alors ma proposition n'est que temporaire... Libre à vous de la rejeter. »
Même si autour de lui les "villageois" réfléchissaient, il savait qu'ils n'avaient pas beaucoup de choix. Trouver ce dont les autres ont besoin, faire une proposition alléchante et les forcer à la choisir rapidement : telles étaient les étapes grâce auxquelles il parvenait si souvent à commander, sournoisement.
Dans un soupir, le patriarche accepta, après avoir exprimé sa froide mésestime face à la roguerie du rito.
Il retentit alors le cri d'un ursidé, à l'orée des rives, là où les chasseurs vérifiaient leurs pièges. Ardolon les avait vus, juste auparavant, mais il attendait qu'on lui dise quoi faire. Sitôt, Ychros et Sofrène lui ordonnèrent de les suivre vers l'origine du bruit.
Le rito savait aussi que le feu de camp faisait s'élever une fumée qui ne tarderait pas à attirer d'autres dangers. Ce début de journée s'annonçait mouvementé.