Revue de plan

Fin de l'été - 1 mois 5 jours après (voir la timeline)

Eluria


Inventaire

(vide)

« Mais quelle idiote… J’étais tellement enthousiaste à l’idée de partir que j’ai oublié de prendre l’essentiel, et me revoilà à mon point de départ. »

Eluria ruminait sa frustration depuis son retour prématuré à Elimith. Ne sachant pas chasser et n’ayant absolument rien prévu en ce qui concerne les vivres, elle dut rebrousser chemin pour revoir ses plans et remettre son expédition à plus tard. Elle en connaissait une qui aurait bien rit d’elle si elle l’avait vue de retour aussi tôt.

« J’aurais dû me fier à ses remarques, aussi peu flatteuses fussent-elles… »

Elle arpentait le chemin allant de son domicile au centre du village. Depuis quelque temps, elle se sentait en cage dans ce laboratoire. Elle se demandait comment ses parents adoptifs faisaient pour y passer leur vie sans pointer le bout de leur nez dehors. Quant à elle, ses seules sorties étaient dans le but d’aller acheter des provisions ou alors se rendre à Cocorico pour jouer la messagère auprès d’Impa. Canel et Pru’Ha étant trop occupés par leurs recherches et expériences. Et, honnêtement, elle commençait à en avoir assez, bien qu’elle continuât de jouer le jeu pour éviter de se mettre du monde à dos.

La fille au regard bleu acier avait envie de découvrir le monde. Mais Uzoamaka l’avait prévenue qu'il était bien plus hostile qu’elle le pensait. Elle réfléchissait donc. Comment le parcourir si elle ne savait ni chasser, ni se battre ? La seule solution était bien évidemment de rejoindre un groupe. Mais avec qui ? Et pour aller où ? Un groupe implique un intérêt commun pour rester soudé. Son seul intérêt étant sa soif de connaissance sur la technologie archéonique, comment convaincre les autres que sa place serait aussi importante que la leur ? Quels étaient ses atouts ? Canel lui avait appris la lecture et l’écriture, Pru’Ha lui avait enseigné comment restaurer une partie de l’énergie utilisée par les armes utilisées par les gardiens. Mais l’extrême rareté de ces dernières rendait cet atout quasiment invalide.

De plus, elle ne savait pas se défendre. En cas d’attaque elle resterait une cible privilégiée qu’il faudrait protéger, mettant en péril la vie de celles et ceux qui s’attèleraient à cette tâche. En clair, elle ne serait qu’un fardeau. Et cette conclusion n’aida pas à lui remonter le moral, bien au contraire. Elle sortit de sa poche une pomme qu’elle avait cueillie sur le chemin, avant de s’arrêter au bord de l’étang de la place du village pour la laver, s’asseoir au bord de l’eau et croquer un bout, perdue dans ses pensées.


Sen


Inventaire

« N'es-tu point las de ces mêmes falaises qui t'entourent depuis ton plus jeune âge? »

Sa voix bourrue, de paire avec un ton faux mais bien que calme, fit presque hausser les sourcils du garçon. Al'ma ne connaissait pas son fils. Lui manquer de respect de la sorte ne pouvait être bon présage pour la suite de la discussion, qui venait à peine d'être engagée. 
Un silence s'installa dans la caverne, mais le plus vieux semblait quelque peu impatient. En fait, il était sur le point d'abandonner toute subtilité dans ses propos, cherchant simplement la clarté et non plus le poids de ses mots.

« J'imagine qu'il est inutile de tourner autour du pot avec toi. A vrai dire, j'aurais pensé pouvoir agir comme un père normal, mais il est évident que c'est impossible en ta compagnie. »

L'homme pressa dans sa main une pauvre tasse de céramique dont il but le contenu, le visage comme éteint. On n'aurait pu déterminer s'il jouait la comédie, ou si, au contraire, il se livrait ouvertement à son garçon. Ce dernier se contentait de le regarder de loin, l'allure droite et les poings légèrement serrés.
Après tout, il savait à quoi s'attendre.

« Je pense que tu auras bien remarqué que mon discours manque cruellement d'adresse. Et tu as sûrement dû entrevoir que je cachais quelque chose. N'est-ce pas, Sen? Ça ne pouvait pas être aussi simple, tu le sais? »

Le regard du vieux était dirigé vers la table, qui était couverte d'une soyeuse nappe probablement volée. Il avait à peine osé regarder ailleurs depuis le début de son monologue, sans doute trop lâche pour lever ne serait-ce qu'un œil vers l'enfant qu'il avait élevé. Sa tête se secouait au rythme de ses paroles, comme s'il chantonnait, ou qu'il avait appris sur le bout des doigts l'ordre dans lequel ses mots devaient être placés pour sonner le plus sincère possible.

« J'aimerais que tu partes. »

Le silence ne se fit que plus lourd. On n'entendait plus que le son des criquets qui stridulaient; la nuit était tombée bien vite, une nouvelle fois.
Le jeune homme ne bougea pas plus, mais un pénible et langoureux soupir se fit entendre en guise de réponse. Cela avait le mérite d'être clair. Un rire nerveux et à la fois sarcastique manqua de lui échapper, les traits tirés.
Il savait pertinemment que son géniteur allait poursuivre sans qu'il n'ait besoin de donner aucun signal. C'est vrai, il avait toujours ce besoin de se justifier, même si cette apologie n'avait pas lieu d'être. S'expliquer et étayer ses arguments alors qu'aucun d'entre eux n'avaient de fondements était une nécessité primordiale chez lui. La mâchoire de Sen se resserra.

« Ici, beaucoup en ont après toi. Nombreux sont ceux qui espèrent t'arracher la peau. Ils sont avides de pouvoir, tous.
- Et tu l'es aussi. »

L'homme ne put s'empêcher de nier cela, mais le gamin n'allait pas le laisser poursuivre une fois de plus.

« Ne fais pas l'abasourdi; tu en as aussi envie qu'eux, Père. » Le brun passa machinalement une main dans ses longues mèches ébènes, l'air presque impassible. « Mais si ton désir est de me voir partir, je partirai. » Il ne laissa toujours pas l'autre reprendre la parole, car bientôt il s'agenouilla pour le saluer. Il était d'une soumission presque orgueilleuse, ce qui avait le don d'étonner et d'agacer la plupart de ses supérieurs. « Je quitterai le désert demain, à l'aube. » 
 
 
 
 
Elimith. Un village simple, lui aussi touché par le chaos depuis la Victoire. Quelques petits commerces faisaient leur place par-ci, par-là, mais cela restait globalement minime en comparaison avec ce qu'on y trouvait auparavant. 
C'était la destination idéale pour reprendre un cours de vie normal, ou semblable à celui que Sen pût avoir sous les épaisses falaises au bout du désert. Il ne savait encore rien de ce hameau, mais il comptait bien en faire son nouveau refuge. Par ailleurs, il s'était fait connaître de quelques marchands sous le nom de Narcisse. Ça lui ressemblait bien. Cacher sa réelle identité derrière ce simple mot allait probablement beaucoup l'aider, même s'il n'en voyait pas vraiment l'utilité pour le moment.
Vagabondant dans les chemins du bourg, il scrutait les alentours, sans vraiment être à la recherche de quoique ce soit au final. Il avait choisi de se séparer de son arme afin de n'éveiller aucun soupçon -pour le coup, posséder une monture n'était pas si inutile dans ce genre de situation-, mais il restait sur le qui-vive. En cas d'attaque surprise, il était plutôt désavantagé, ce qui ne le laissait pas aussi serein qu'il semblait le faire paraître.
Au bord de l'étang sur la place, il vit une jeune femme. Elle attira son regard parce qu'il ne l'avait jamais aperçue. C'est vrai, quelques-uns des visages des habitants lui étaient familiers, mais pas le sien. Curieux mais toujours méfiant, Sen dirigea ses pas vers le bord de l'eau, passant à seulement quelques centimètres de la brune. Aucune odeur spécifique ne semblait émaner d'elle, mais elle l'intriguait. Il se pencha pour ramasser une pierre, qu'il glissa entre son pouce et son index.

« Tu es d'ici? »

Il faut dire que c'était plutôt indiscret, pour un premier échange, mais cela suffisait.


Eluria


Inventaire

(vide)

Cela faisait déjà plusieurs minutes que l'hylienne ressassait son premier échec pour son premier projet. Elle avait beau chercher des solutions pour la préparation de sa prochaine expédition, à chaque fois qu’elle pensait en tenir une, elle croquait un morceau dans sa pomme d’un air maussade. Comme si cette pomme représentait ses espoirs et que chaque bouchée symbolisait une idée réduite à néant pour une raison quelconque.

Sauf qu’à un moment, il n’y avait plus rien à y grignoter. Elle regarda alors son casse-croûte terminé en haussant un sourcil. Cela signifiait-il qu’il était impossible pour elle de réaliser ses projets ? Serait-elle condamnée à rester dans ce laboratoire jusqu’à devenir trop vieille et trop fatiguée pour s’en plaindre ? Cette idée ne lui plaisait guère, et dans un élan de frustration elle jeta le trognon au milieu de l’étang, laissant ses derniers espoirs à la merci des poissons.

C’est alors qu’une voix, masculine aux premiers abords, l’interpella :

« Tu es d'ici? »

Eluria se releva et se tourna avec stupeur pour faire face à son interlocuteur. Il avait les traits fins, pour un homme. Si fins que la jeune scientifique se demanda si elle ne faisait pas fausse route sur son genre. De toute évidence, elle ne l’avait jamais vu dans le coin auparavant. Elle se demanda même pourquoi il était venu la voir elle, de toutes les personnes présentes sur la place du village. Néanmoins, elle lui répondit non sans une certaine méfiance.

« Bonjour…Et effectivement, je suis d’ici. Je suppose que ce n’est pas ton cas ? »

Elle nota toutefois l’expression stoïque sur son visage et son regard perçant. Ne le connaissant pas ni lui, ni ses intentions, elle préférait rester sur ses gardes avec lui, en attendant d’en savoir un peu plus sur sa personne. Elle remarqua aussi qu’il avait une pierre entre ses doigts. Il lui ferait sans doute connaître le même sort que ce trognon de pomme dont elle s’était débarrassée il y avait peu.


Sen


Inventaire

Il avait très rapidement analysé celle qui se trouvait à côté de lui: ses traits étaient fins et son faciès dénué du moindre signe de vieillesse. En clair, aucune ride n'avait marqué sa peau, qui était lisse et éclatante. C'était donc une jeune femme de son âge, qui semblait par ailleurs bien plus grande que lui. A dire vrai, Sen n'était pas une réelle référence pour les tailles, car n'importe quelle personne ayant eu une croissance favorable pouvait aisément le dépasser.
Du côté psychologique, il put remarquer que l'attitude de l'autre n'était pas menaçante, ni sévère. Elle inspirait la confiance, la tranquillité et peut-être même la candeur. C'était un premier point qui méritait d'être approfondi et qu'il comptait précieusement garder dans un coin de sa tête. D'ailleurs, lorsqu'elle se tourna vers lui, cette hypothèse se souligna rapidement. Son visage lui aussi transpirait la pureté, ce qui fit narquoisement sourire le jeune garçon, à l'abri du regard de la brune.
Seulement, une autre possibilité s'offrit à lui: peut-être était-elle seule?

« Bonjour…Et effectivement, je suis d’ici. Je suppose que ce n’est pas ton cas ? »

Non. Elle était donc simplement sûre d'elle. Le Sheikah se crispa faiblement pour à nouveau sourire, comme si le fait de l'avoir entendue parler l'avait fait frissonner.
Cette réponse, cette expression qui se dessinait sur le visage de la femme, cette situation dans laquelle ils étaient tous les deux; tout cela signifiait qu'il allait devoir socialiser, voire même sympathiser. D'un geste plein de mollesse, il jeta la pierre qu'il avait entre les doigts dans l'eau. Il prit une inspiration assez longue, puis tourna à nouveau son regard vers son interlocuteur. Il était peut-être temps de porter ce masque.

« En effet. » Sen se pencha, mettant finalement à l'oeuvre ses talents de beau-parleur. « Je viens de l'Ouest, ma famille a péri avant d'avoir pu arriver jusqu'ici. » Il décida de s'asseoir non loin de la fille, histoire de garder un minimum de contact avec elle. Le jeune homme avait besoin de découvrir du monde ici, ainsi que de connaître la mentalité globale des habitants. Ses yeux fixèrent l'horizon devant lui, l'air ailleurs. « Je me sens presque coupable de ce qui leur est arrivé. » Il y eût un doux silence et le vent vint légèrement siffler à ses oreilles, alors que ses cheveux valsaient au gré de la brise. Il était serein. Chacun de ses propos et chacune de ses actions étaient minutieusement calculées avant d'être exécutées, de sorte qu'aucun doute ne fasse place dans la tête de l'autre. « Mon nom est Narcisse. Et toi, comment tu t'appelles? » Il la regardait, les yeux plissés.


Eluria


Inventaire

(vide)

L’homme à la chevelure étrange confirma par deux fois ses théories, la première étant le sort réservé à la pierre qu’il tenait entre ses doigts, la seconde sur ses origines étrangères au village. Cependant, en une seule réponse, Eluria se rendit compte qu’ils avaient déjà deux points communs. Elle non plus n’était pas originaire du village, bien qu’elle y ait passé toute sa vie. Elle avait aussi perdu sa famille biologique sur le trajet, son père l’ayant quitté en dernier sur le pas de la porte du laboratoire. Du moins, c’est ce que Canel lui avait raconté.

Elle avait fini par se douter que quelque chose clochait durant son adolescence, elle ne ressemblait à aucun de ses « parents » et bien que Canel et Pru’Ha étaient toujours ensemble au fil des années, elle n’avait jamais remarqué quoique ce soit d’autre qu’une relation purement professionnelle, bien qu’elle eût toujours reçu de leur part l’amour d’un père et d’une mère. C’est pourquoi elle osa aborder le sujet et elle sut enfin toute la vérité sur son passé. Le fameux monticule de terre à l’extérieur du laboratoire avait enfin un sens pour elle, sépulture qu’elle ne tarda pas à décorer des plus belles fleurs qu’elle pouvait trouver aux alentours, les dernières en date étant des Princesses de la Sérénité qu’elle avait cueillies lors de ses aller-retours entre Cocorico et Elimith. Elle adorait particulièrement cette variété et trouvait qu’il n’y avait rien de mieux pour à la fois décorer la tombe de son père et lui apporter un symbole de tranquillité.

Mais la suite de la réplique de son interlocuteur la tira de cette remémoration.

« Je me sens presque coupable de ce qui leur est arrivé. »

Cette révélation la rendait de plus en plus curieuse. Elle voulait vraiment savoir ce qu’il s’était passé, tout comme elle aurait voulu savoir dans quelles circonstances elle avait perdu sa famille. Après un moment de silence, l’étranger prit une nouvelle fois la parole

« Mon nom est Narcisse. Et toi, comment tu t’appelles ?»

Le regard qu’il lui lança au même moment la gêna quelque peu. Comme s’il attendait quelque chose de sa part, autre que le sujet de sa question. En restant néanmoins aussi stoïque que lui, elle lui répondit d’un air nonchalant.

« Je m’appelle Eluria. »

Son regard se détourna sur l’étang, où les poissons avaient fini par avoir raison du trognon de pomme qu’elle y avait jeté, avant de lui demander.

« Qu’est-il arrivé à ta famille pour que tu te sentes coupable de son sort ? »

Bien que la question pût paraître déplacée, elle avait besoin de le savoir. Peut-être qu’il était arrivé quelque chose de similaire à la sienne.


Sen


Inventaire

« Je m’appelle Eluria. »

Contre toute attente, ce nom ne lui dit rien. Les cultures variaient nettement d'une région à l'autre, surtout entre le cœur d'Hyrule et le désert. Cela allait jusqu'à en toucher les titres que l'on souhaiter donner à ses enfants. Ici, les prénoms sonnaient plus complexes aux oreilles de Sen, simplement parce qu'ils ne lui étaient pas familiers. Il peinait déjà à retenir ceux des marchands à qui il échangeait des plantes contre quelques vivres, ça n'était pas pour garder en mémoire celui de cette femme.

Seulement, son innocence l'intriguait et il pouvait toujours être intéressant de le mettre dans un coin de sa tête. Le garçon se mit donc à mimer avec ses lèvres la prononciation de son nom, murmurant presque chacune de ses syllabes. Eluria. Finalement, ça n'était pas si compliqué. Il ne fit aucun commentaire de plus et poursuivit son analyse, qui s'avérait toute juste: la fille était réceptive quant à ses paroles, ce qui fut évidemment prévisible.

Elle voulait savoir.

« Tu es sûre de vouloir m'entendre bavasser pendant je ne sais combien de temps ? Je veux dire, c'est assez long... » A présent, il n'avait plus qu'à jouer sa pièce et la laisser voguer sur les atrocités qu'il s'apprêtait à lui faire croire. Empli d'une excitation intense, il ne put s'empêcher de commencer son monologue. Après tout, la réponse de l'autre ne pouvait qu'être positive. Le prétendu Narcisse prit une longue inspiration, faisant entrer le plus d'air possible dans ses poumons. Se jouer des autres allait être son plus beau passe-temps, au cours de ce périple. « Nous étions une famille de vagabonds et nous errions de droite à gauche; sans avoir de réel endroit où vivre, finalement. » Il caressa instinctivement l'herbe qui s'étendait devant lui, comme pour rendre chacun de ses propos un peu plus naturel et crédible. S'imaginer pouvoir utiliser du monde grâce à ces belles phrases le faisait littéralement bouillir sur place. En fait, cela lui donna même un élan de confiance qui en dépassait les limites du possible. Il était inatteignable, invicible.

Son géniteur n'avait qu'à bien se tenir. D'ailleurs, il en profita pour le mentionner. « Le souhait le plus cher de mon père fut de venir ici, à Elimith, afin d'avoir une vie on ne peut plus paisible. » Tout se faisait sur l'instant, et c'en était presque ahurissant. Il créait une histoire de toute pièce sans la moindre difficulté, ni sans laisser paraître un seul faux raccord. D'un geste à la fois lent et doux, il écarta quelques brins, dévoilant une jolie coccinelle qui traînait là. L'insecte escalada l'index du gamin, qui pencha sa main en arrière pour regarder l'animal de plus près. Il se tourna alors à nouveau vers Eluria, la transperçant du regard. « Nous nous faisions très souvent attaquer par des monstres la nuit. C'est lui qui s'occupait de les éloigner de nos camps. Il se fatiguait très vite, mais c'était pour notre bien. Sa bonté et son courage nous faisaient vivre. » Il prit un temps de pause, hochant la tête pour confirmer ce qu'il venait de dire. Il était comme absorbé par ces faux souvenirs, dont il semblait parler avec une certaine mélancolie. L'animal se mit à tourner en rond sur la paume de Sen, comme à la recherche d'un endroit propice pour prendre son envol.

« Ma sœur était malade depuis sa naissance, il nous fallait à tout prix la protéger. » Sa mâchoire se serra, ce qui permit à quelques-uns de ses os de se dessiner, dissimulés derrière une fine couche de peau. « Ma mère disait que c'était une maladie respiratoire, elle était botaniste. En fait, elle en savait pas grand chose. Quand la petite ventilait, elle s'empressait de lui donner des plantes broyées mélangées à de l'eau, dans l'espoir qu'elle puisse reprendre son souffle. » Le garçon se mit à sourire, les yeux focalisés sur l'eau qui brillait en face de lui. Il avait l'air de se remémorer des histoires enfouies au fond de lui, dont il n'avait probablement jamais osé parler à quiconque. C'en était presque triste. « Ça allait toujours mieux. Je sais pas si ma mère y était vraiment pour quelque chose, mais ça avait toujours fonctionné. C'était plutôt bon signe, tu vas me dire, mais... » La bestiole qui errait sur sa main avait finalement décidé de s'envoler. Ce qu'il s'apprêtait à dire semblait avoir marqué un important moment de sa vie, et la comédie était si bien jouée qu'on sentait la douleur émaner de ses mots.

« Elle a disparu. On l'a cherchée pendant des jours et des jours, sans trouver la moindre trace qu'elle aurait fortuitement pu laisser. Mes parents étaient dévastés. On était dévastés. Ils étaient tellement rongés par cette perte qu'ils se sont abandonnés à leur sort. Et je n'ai rien pu faire... » Des larmes se mirent à ruisseler sur ses joues rosées. « La dernière chose qu'ils m'ont demandé, c'est de partir. J'étais trop faible pour me protéger moi-même; alors imagine pour les protéger eux... » Il replia ses jambes sur son torse et enroula ses bras autour de ces dernières. « Et puis... Quand les monstres sont revenus ce soir-là, je n'ai eu d'autre choix que de courir. » Son corps tout entier se crispa et ses mains se mirent à tirer l'étoffe qui lui servait de bas. C'était comme si s'imaginer cette scène le mettait absolument hors de lui.

 

Narcisse reprit doucement ses esprits et expira profondément, n'osant plus regarder la jeune femme dans les yeux comme il avait pu le faire auparavant. Conter cet épisode de sa vie l'avait rempli de honte jusqu'aux oreilles. Pour qui allait-il passer à présent? Un lâche? Il avala timidement sa salive et se frotta les mains. « Je suis désolé, je n'aurais peut-être pas dû... Ça ne fait même pas une heure que tu connais mon nom. C'était un peu déplacé de ma part. »


Eluria


Inventaire

(vide)

« Tu es sûre de vouloir m'entendre bavasser pendant je ne sais combien de temps ? Je veux dire, c'est assez long… »

Sa réponse l’avait quelque peu surprise, elle qui s’attendait à ce qu’il soit plutôt offusqué. Sa curiosité était désormais des plus grandes et elle n’eut pas d’autres choix que d’acquiescer. C’est alors que Narcisse prit une profonde inspiration, comme pour se préparer psychologiquement à lui conter un douloureux passé dont les souvenirs risqueraient à nouveau de blesser son être.

Eluria ne loupait aucune miette de ce que Narcisse lui racontait. Elle l’observait attentivement. Plus il avançait dans son récit, plus son comportement lui inspirait peine et tristesse. Sa famille n’avait vraiment pas eu de chance. Ils voulaient simplement trouver un endroit pour s’installer et s’assurer une vie tranquille, et voilà le lourd sacrifice qu’ils avaient dû faire pour qu’une seule personne puisse y arriver. Exactement comme son père l’avait fait pour elle alors qu’elle n’était qu’un nourrisson. Son histoire se termina lorsqu’il évoqua sa course à la survie pour rejoindre Elimith.

« Je suis désolé, je n'aurais peut-être pas dû... Ça ne fait même pas une heure que tu connais mon nom. C'était un peu déplacé de ma part. »

« C’est plutôt à moi de m’excuser, c’était peut-être trop demander. Et je suis désolée pour ce qui est arrivé à ta famille. Mais au moins tu peux être heureux d'être en vie et en sécurité. »

Elle lui adressa un sourire plein de compassion. Puis elle regarda le ciel, marquant un long silence, se demandant si elle pouvait lui raconter à son tour dans quelles circonstances elle était arrivée à Emilith. Malheureusement elle n’en avait gardé aucun souvenir car beaucoup trop jeune. Elle ne pouvait se fier qu’à ce que Canel lui avait rapporté. Elle finit par se décider.

« Quant à moi, je suis arrivée ici il y a déjà vingt-cinq ans, lors d’une nuit orageuse. Je n’ai aucune idée de pourquoi ma famille était en fuite, mais tout ce que je sais, c’est que mon père était mortellement blessé et il eut tout juste le temps de frapper à la porte du laboratoire avant d’y rendre son dernier souffle. Ma mère n’était pas avec lui au moment des faits, elle nous avait certainement déjà quitté... Depuis cette nuit, ce sont Pru’Ha et Canel, les occupants du laboratoire du village, qui m’ont élevée comme si j’étais leur propre fille. Je leur dois tant… »

Elle repensait à ces histoires. Narcisse, dans son malheur, avait quand même eu la chance d’avoir connu sa famille. Elle, en revanche, n’en avait pas eu l’occasion. Eluria constata à quel point elle avait perdu toute notion du temps avec cet homme qu’elle venait à peine de rencontrer. Comme si sa présence l’avait enfermée dans une bulle dans laquelle le temps n’avait aucune emprise. Ils avaient tant en commun. Puis, une fois de plus, sa curiosité la relança.

« Et que comptes-tu faire désormais ? »


Sen


Inventaire

Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas tenu compagnie à qui que ce soit, et vice-versa. Cependant, il ne semblait même plus penser à cette période de solitude qu'il avait vécue pendant des mois, voire des années. Attentif aux moindres paroles de son interlocutrice, il ne laissait aucun mot passer à travers le filet. Chacun d'eux avaient leur importance, aussi minable et imperceptible soit-elle.
Ses iris turquoises ne quittaient plus la femme, qui avait l'air aspirée par ce qu'il avait pu dire. Une sorte de bulle les avait en effet englobés tous les deux, comme si plus aucun repère temporel ou spatial ne les atteignait. C'était une expérience étrange à laquelle il n'avait jamais goûté jusqu'ici.
Sen jouait son rôle à la perfection et faisait en sorte d'avoir des réactions compatissantes vis-à-vis d'elle. Un hochement de tête de paire avec un relâchement des sourcils lorsqu'elle se montrait attristée; un coup d’œil vers l'étang pour lui faire croire qu'il était pris par ce qu'elle disait; un soupir quand les mots qu'elle utilisait dégageaient un sentiment trop douloureux... Ça n'était qu'un simple jeu de gestes et d'attitude.

« C’est plutôt à moi de m’excuser, c’était peut-être trop demander. Et je suis désolée pour ce qui est arrivé à ta famille. Mais au moins tu peux être heureux d'être en vie et en sécurité. »

Elle n'avait pas tout à fait tort. Narcisse était à présent en sécurité, même si sa famille n'avait pas la chance d'être à ses côtés. Il haussa les épaules, la lèvre inférieure repliée. Ses deux personnalités étaient trop éloignées pour pouvoir les gérer en même temps et c'était en fait devenu impossible. Il se contenta par conséquent de se comporter comme le garçon sociable, jovial et ouvert qu'il avait décidé d'imiter, délaissant Sen pour un moment. Ça n'était pas par plaisir, mais seulement pour se faciliter la tâche.
Pourtant, son instinct de Yiga le rattrapa rapidement, notamment lorsqu'elle s'occupa d'à son tour conter son passé. Ce qu'elle énonça le fit vivement relever la tête, comme si elle venait de dépoussiérer de lointains souvenirs. Ou plutôt de vieux rappels.
Le laboratoire d'Elimith. Il se put que son père l'eut déjà mentionné dans une de leurs nombreuses discussions à propos du Héros. Au plus profond du désert, ils surnommaient d'ailleurs celui-ci "le chiard à l'épée", même si aucun d'entre eux n'étaient parvenus à mettre la main sur lui. En fait, il était la raison pour laquelle Sen était ici, au carrefour du monde d'Hyrule, à Elimith. Le jeune homme s'était donné l'objectif de le retrouver et de lui faire sa peau. Il voulait le faire pour son géniteur, pour Al'ma.
  
En conséquence, cela signifiait que la femme qui se tenait à côté de lui possédait un profond lien avec les scientifiques du laboratoire. Le jeune homme avait entendu dire qu'ils en connaissaient un rayon sur les machines archéoniques et qu'ils étaient en quelques sortes la fierté du peuple Sheikah, ou plutôt des membres du clan d'Impa. De plus, ces deux arriérés dont elle avait cité les noms avaient sans aucun doute déjà eu un lien avec le Héros. Et cela faisait donc d'une pierre deux coups.
Sen avait entre les mains un pouvoir d'une puissance incommensurable, qu'il allait cependant devoir manœuvrer le plus excellemment possible. Il devait garder cette fille près de lui. 
Maintenant, il devait répondre et ce, dans le plus grand des calmes malgré son excitation.

« Alors, tu viens du laboratoire qu'il y a en haut de la colline? Je ne savais pas qu'on y travaillait encore. » Narcisse passa sa main sur sa nuque pour la frotter légèrement avant de reprendre, comme s'il semblait gêné de lui demander certaines choses. « Mais... Ca veut dire que tu les aides, là-haut? Qu'y faites-vous exactement? » Il fronça les sourcils et agita sa main, histoire de lui faire comprendre qu'elle n'était pas obligée de répondre. Il faut dire que ces découvertes le faisaient frémir d'impatience; il voulait en savoir plus afin de mieux la connaître. Il décida malgré tout de ne pas s'éterniser sur le sujet, bien qu'il fut sérieusement intéressé par ce qu'elle s'apprêtait à répliquer. « Sinon, concernant ce que je compte faire à présent...  » Le garçon expira longuement, ne sachant pas lui-même ce qu'il faisait ici depuis la disparition de sa famille. « Je dois t'avouer que je n'en ai aucune idée. Je resterai à Elimith dans tous les cas... Je dois juste trouver quelque chose à y faire. »


Eluria


Inventaire

(vide)

Eluria se douta qu’elle avait piqué la curiosité de Narcisse lorsque celui-ci releva brusquement sa tête lorsqu’elle lui faisait récit de son passé. Si curieux qu’il s’adressât à elle en lui posant une question, avant de répondre à la sienne :

« Alors, tu viens du laboratoire qu'il y a en haut de la colline ? Je ne savais pas qu'on y travaillait encore.  Mais... Ça veut dire que tu les aides, là-haut ? Qu'y faites-vous exactement ? »

La jeune hylienne songea un moment à ce qu’elle allait lui répondre. Beaucoup de personne, si ce n’est tout le village, n’avait aucune idée de ce qu’il s’y tramait. Après tout, si le laboratoire était perché en sommet de colline en dehors du village, c’était non seulement pour pouvoir y pratiquer des expériences sans pour autant perturber le cours de la vie du village, mais aussi pour éviter les visites impromptues. D’ailleurs, depuis son arrivée, les visiteurs pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. La dernière fois que le laboratoire reçut de la visite, elle n’était même pas présente pour l’accueillir. Surtout qu’il ne s’agissait pas de n’importe qui. C’était quand même la personne qui mit fin au fléau qui sévissait depuis tant d’années.

« Ce laboratoire n’a jamais été à l’arrêt. Et je ne sais pas si je peux dire que je les aide, en ce moment nos recherches diffèrent. Je ne peux malheureusement pas divulguer ce sur quoi ils travaillent, quant à moi, tout ce que je peux dire c’est que je fais des recherches sur la technologie archéonique de manière à en tirer profits pour le village dans un premier temps, et pourquoi pas tous les autres si ça marche bien. »

Elle ne pouvait se permettre de donner plus de détails, estimant que ce qu’elle lui avait dit était déjà bien suffisant. Même s’il est vrai qu’à une époque cette technologie était maîtrisée, le fléau à réduit tout ce savoir quasiment à néant. C’est pourquoi elle s’était mise en tête de parcourir Hyrule dans l’espoir de retrouver des écrits à ce sujet, de les archiver et les synthétiser de manière à faire renaître ce savoir pour le bien de tous. C’était un projet noble sur le papier, mais passer à l’acte se révéla plus compliqué qu’elle ne le pensait. Mais ce n’était que partie remise, elle retenterait le coup une fois réellement prête. Pour retour, Narcisse lui répondit enfin à la question qu’elle lui avait posée, comme s’il ne voulait pas s’attarder sur le sujet de ses questions. Ce qui, quelque part, la soulagea.

« Sinon, concernant ce que je compte faire à présent… Je dois t'avouer que je n'en ai aucune idée. Je resterai à Elimith dans tous les cas... Je dois juste trouver quelque chose à y faire. »

Eluria se rendit compte que le soleil s’apprêtait déjà à disparaître derrière les reliefs entourant le village. Bien qu’elle fût adulte, elle ne tenait pas à faire de soucis à ses parents adoptifs qu’elle avait prévenus d’une rapide sortie pour se dégourdir les jambes et prendre l’air quelques minutes.

« Alors on se reverra sûrement ! Je suis désolée mais je vais devoir filer. J’ai encore du travail qui m’attend. En tout cas ce fut un plaisir d’avoir pu faire connaissance et converser avec toi. Bonne chance pour ta recherche et à la prochaine fois ! »

Elle ne lui laissa même pas le temps de répondre qu’elle fut déjà en route pour le laboratoire d’un pas pressé, limite au pas de course. De toute évidence, cette discussion lui fit du bien, cela lui permit de vider son sac et penser à autre chose que ses recherches. Quant à l’éventualité de se rencontrer à nouveau, elle espéra que cette fois, Narcisse trouverait ce qu’il cherchait.


1