Chroniques d'un monde en ruine — Le mal qui ronge les Landes

"C'est là le visage de la haine. Contemple cette abysse, fils, et comprend. Ce qui se dessine sous tes yeux gangrène le Royaume depuis des décennies" —
Rhoam Bosphomarus Hyrule, tué lors de l'assaut du Fléau Ganon

Sous son poids, la roche grince et se fend. Son fiel malsain érode la terre, enserre les forêts et sape la vitalité des fleuves. Hostile et dangereux, cet agrégat pourpre se répand comme une maladie sur les Landes, qu’il tue à petit feu. Malédiction portée par les vents, la Malice semble s’accrocher à toute forme de vie qui demeure, âprement, plus de quatre générations après le grand Cataclysme. Elle ne corrompt pas seulement la terre : les hommes et les bêtes tombent aussi sous l’ardeur pernicieuse de son joug. A certains égards, elle  serait donc plus meurtrière que les Cerbères mécaniques Sheikah — qu’elle serait même capable de réanimer après des millénaires d’inactivité, à croire les horrifiants récits de survivants terrorisés.


"Les eaux souillées du sang et de la rancœur du Dieu Démon charrient avec elles sa hargne et sa colère" — 
Ka'shi-Oko Impa, Doyenne de Cocorico

L'amarante maudite, dont les noms varient d'un pan à l'autre des Landes, est peut-être la plus dangereuse des afflictions. Sa nature même demeure méconnue, quoique maintes fois expliquée. Les mythes et les superstitions qui entourent cette fièvre de grenat dessinent autour d'elle un voile aussi obscur que nuageux.

Si nul ne saurait dire ce qu'elle est exactement, ils ne sont pas beaucoup plus nombreux à comprendre d'où elle vient où ce qu'elle est véritablement capable de faire.

Certains voient dans la Malice l'incarnation même de l'amertume et du courroux du Seigneur Sanglier, jadis dépeint comme un Gerudo. Sa démence et sa frustration se manifesteraient sous la forme d'un ouragan de violence, maculant l'ancienne Hyrule d'un triste linceul écarlate.

D’autres assurent qu’elle est là depuis bien longtemps déjà. Les Dieux, profondément agacés par l’arrogance et le manque d’empathie de leur création l’auraient ainsi condamnée. Le Fléau qui incendia les Anciens serait alors issu des entrailles de ce voile violacé.

Chaque clan un jour entré en contact avec la Malice l’explique et la nomme différemment. Ces esquisses hasardeuses empruntent d'ordinaire largement aux nouvelles mythologies qui façonnent la perception du monde de ces tribus autonomes. Toutes, cependant, n'ont pas eu cette malchance. Certains peuples, portés par leur périple dans les lieux les plus reculés du vieux Monde, ont été épargnés. C'est le cas, dit-on, de certains Rito protégés par les neiges éternelles de l'Hébra, par exemple.

Celles et ceux qui savent comment se comportent la peste de cinabre la craignent souvent plus que tout au monde. Quand elle s'accroche à une bête, elle la ronge et la dévore de l'intérieur. Comme un parasite, elle grouille sur son pelage, y laisse ses marques sombres et cramoisies. Exhorté par la souffrance et les tourments, l'animal laisse généralement court à la folie, jusqu'à mourir. La maladie, dont les stigmates jalonnent la carcasse, pourrit la chair autant que l'esprit.


"Ses yeux noirs brillaient d'un éclat malsain, orange vif. Il était partiellement englouti sous la gerbe rougeâtre... Entre ses crocs ruisselait une salive sombre" — 
Une rescapée terrorisée, sauvée par une troupe Sheikah aux abords de la Forêt des pommes

Sur ses larges défenses dansaient d'étranges filins rouges. Ses yeux aveugles, laiteux et injectés de sang, fixaient l'Hylien d'un regard insondable et sépulcral. De ses immenses naseaux marqués par la maladie, la bête humait l'air à grand bruit, flairant la peur du petit homme acculé. Avant qu'il ne tire le sabre qui pesait sur ses hanches, elle laboura la sol de sa patte, abandonnant derrière elle un suaire corrosif et rougeoyant. Sous le poids du fardeau magenta, la terre siffla de douleur avant de se décharner, flétrie et fanée.

Ignorant les appels paniqués du chasseur, la géante laie s'élança finalement sur sa proie. Entre ses crocs difformes brûlait une écume plus noire que la nuit. La roche derrière laquelle s'était réfugié le vagabond vola en éclat, sans parvenir à stopper l'animal. "Caú'bhr —", feula l'homme dans sa fuite, implorant l'aide des bois. Sur sa nuque, il sentait déjà le souffle du monstre, la fièvre de la Malice. Frappé de désespoir, il se retourna un instant, le bras levé et le javelot prêt à partir. Le blême de ses prunelles vira à l'exsangue tandis qu'un sanglot rauque quittait ses lèvres. Au sol, l'acier poussa un râle discret, étouffé par la mousse qui tapissait le lacis formé par les cimes.

Les larves de sang agrippèrent le braconnier, dont le cadavre disloqué pendait déjà au bout d'un ivoire faisandé. Sur son échine, elles rampaient doucement, glissant peu à peu le long de ses omoplates — jusqu'à gagner le trou béant duquel ripaient ses intestins. Les autres grimpaient çà et là sur son visage, envahissant ses narines, le creux de ses lèvres mourantes, ses oreilles. A chacune des secousses de la lourde course de la bête, quelques unes de ces larmes de parme épousaient - et étouffaient - le terreau de la Forêt. Sur le corps du pauvre homme, elles laissaient les traces ardentes d'une brûlure malade.


"Animés par la rancœur, le ressentiment, ils marcheront le regard frappé de sang et la douleur nouée au ventre" — 
C'ilk a-Geikh, chanoine Sheikah et poète à la Cour de Lynna, province antique de Labrynna

Ils ont vu sur eux marcher la mort. Ces hommes et ces femmes qui n’ont pas succombé au mal qui a pris leurs camarades font parfois des récits des plus sordides. Ils évoquent le cliquètement étrange des dents, les vociférations silencieuses qui s'échappaient de mâchoires vides et à nues. Tous parlent d’un effroyable regard : des yeux noirs et des pupilles injectées de sang.

Ces survivantes et ces survivants disent une réalité  impie qui ne saurait être. Ces gens-là prétendent avoir vu de véritables dépouilles se relever, inspirées par la haine. Ils narrent toujours des faits surréels : des squelettes dépecés, suffisamment intelligents pour prendre les armes, des cadavres flétris, putréfiés par le mal et la peine. Tous ne s'avancent pas dague au point mais la motivation qui les galvanise jusque après le dernier cri du glas est la même.

Impossible de dire si cette peste colorait déjà le Royaume jadis, puisque toute trace écrite concernant ce second fléau semble laissée au passé. Les textes archaïques, aujourd'hui illisibles, recèlent peut-être de précieuses informations mais elles sont pour la plupart inutilisables...

Certains indices - quoique bien cachés - laissent cependant penser qu'il s'agit d'un supplice ancestral. D'antiques gravures, aujourd'hui érodées par le temps, brossent parfois l'images de scènes assez similaires à celles décrites par ces survivantes et ces survivants traumatisés.

Éveillés par la haine, ces morts qui continueraient à marcher sont cependant suffisamment rares pour n'être perçus que comme d'étranges légendes à dormir debout par les quelques uns qui ont pu recueillir les témoignages de celles et ceux qui en ont réchappé. Ceux-là même, si rares qu'ils soient, sont considérés comme de tristes lunatiques, victimes oubliées de l'affliction. La crainte qu'ils suscitent les tient presque systématiquement à l'écart du reste du monde.

D’aucuns, néanmoins, le sont toujours. C’est le cas des malheureuses et des malheureux qui portent avec eux les stigmates cramoisis de la rancœur. Passées par l’épée ou condamnées à l’exil, les victimes de ce désastre vermillon finissent toujours par s’éteindre.

Avant cela – et avant la folie, dit-on – la rage rouge décuplerait la force de son hôte. Elle ferait de lui un être plus puissant, plus rapide et, parfois, plus agressif. Certains, quoique cela ne soit jusqu’à présent jamais le cas pour les humains et les autres peuples de l’Ancien Hyrule, deviendraient plus massifs — plus dangereux. Comme pour mieux porter la corruption sur leur chemin.

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