Ceux qui s'aventurent

Fin de l'automne - 4 mois après (voir la timeline)

Thorin


Inventaire

Le fils s'était levé aux aurores. Il avait mal dormi. Chaque nuit suivant une dispute avec son père, Thorin souffrait de maux nocturnes. Sa colère affectait inévitablement son sommeil. Se levant tout en grommelant intérieurement, le garçon s'approcha du baquet. Comme son père l'avait fait la veille, le garçon se trempa le visage dans l'espoir de se réveiller. L'eau était froide et piqua sa peau. Cette fois, le fils grinça des dents dans un bruit légèrement audible. Le premier contact avec l'eau froide n'était jamais agréable.

Thorin tourna son visage vers la couche de son père. Nikolas n'était plus là. Déjà, il s'en était retourné à son travail. Il ne s'arrêterait que lorsque le mal serait guéri. Mais la situation devenait plus désespérée de jour en jour. Sur la table attendait un document manuscrit. Sur une feuille de papier légèrement chiffonnée, Nikolas avait noté chaque ingrédient qui nécessitait l'envoi de son fils. L'apothicaire n'avait pas menti. Le fils et le père n'aurait plus de contact avant la résolution de cette affaire. Leurs mots de la veille serait la dernière conversation qu'ils auraient eu. Thorin ramassa le papier et explora la liste. Chaque ingrédient se trouvait dans les alentours d'Elimith. Néanmoins, certains nécessiteraient d'escalader arbres et falaises. Une journée était bien peu pour réunir une telle liste. Mais Thorin s’acquitterait de sa tâche. Non pas pour son père, mais pour les enfants du village.

Le garçon s'approcha du garde-manger et attrapa le morceau de pain semi-rassis. Le jeune homme le plaça dans sa bouche et le craqua de ses dents. Cela serait son unique petit-déjeuner. Malheureusement, Nikolas était trop préoccupé pour entretenir le garde-manger. Dans ces périodes, le fils comme le père devaient s'acquitter de maigres repas. Ces derniers jours, Thorin s'était préoccupé de nourrir son père, cherchant au jour le jour de quoi le nourrir et lui apportant ses repas. Aujourd'hui, le vieil homme se débrouillerait seul.

Préparant son matériel, Thorin sortit un objet enveloppé et soigneusement caché sous son vieux matelas. Il révéla sa précieuse épée, trouvée lors d'une escapade en forêt. Il ignorait à qui l'arme avait appartenu et en était curieux. Il se l'était approprié, devenant ainsi le nouveau maitre de cette lame. Son père abhorrait la violence et interdisait la moindre arme dans la demeure. Probablement avait-il oublié les dangers de l'extérieur. Même à quelques kilomètres du village, une rencontre malheureuse était toujours possible. Le garçon l'avait appris à ses dépens. Mais cela, Nikolas l'ignorait.

Sortant de la masure qui leur servait de maison, le garçon se rendit comme lui avait demandé son père chez Soge et Seym. Il n'eut malheureusement pas accès au foyer. Le mari n'étant pas là, et la femme étant trop occupée pour donner cas au garçon. Thorin fut contraint de prendre une décision qui allait à l'encontre de celle de son père. Il s'approcherait du couple le soir venu quand il rentrerait. S'il rentrait.
Au moins, il ne s'était pas approché de l'enfant.
Se détournant de la masure, il se dirigea vers le forgeron. Comme promis, la serpe l'attendait. L'artisan avait vu la scène de la place du village la veille. La dernière chose souhaitée était d'être responsable de la moindre entrave dans les recherches de Nikolas. Le garçon plaça le précieux outil dans sa besace. Il était fin prêt.

L'heure était de se frotter aux gardes du village. Depuis la manifestation du bourgmestre, les portes étaient soigneusement gardées. Personne n'entrait, ou ne sortait, sans une autorisation officielle. Thorin espérait que son père avait fait le nécessaire. Dans le cas contraire, le mal ne pourrait être combattu. Le bourgmestre était stupide mais pas au point de condamner Elimith. Le fils se rassura de la sorte. Alors qu'il s'approchait, il comprit bien vite que la fermeture des portes n'arrangeait personne. Les gardes ne cessaient d'expliquer, souvent verbalement, mais parfois violemment, que nulle sortie n'était tolérée.
Note : Début de l'échange à Elimith, mais cela s'enchaînera vite dans la province de Necluda.


Renou

Narrateur

Métayer de profession, Renou est un milicien assez aguerri (au regard, à tout le moins, des standards Elimithois). Il a été appelé il y a plusieurs années déjà et se montre particulièrement assidu. Généralement, il officie en tant que veilleur et surveille donc l'une des trois portes de la Cité-Commerce.

Un long soupir perça les lèvres du milicien, tandis qu'il observait l'une des femmes du lavoir s'éloigner doucement de la barbacane qu'il lui fallait garder. Appuyé sur la fourche usée qui lui servait de lance, Renou tâchait de mettre un peu d'ordre dans ses pensées. La situation l'inquiétait et il avait beaucoup de mal à comprendre ce que le Bourgmestre espérait accomplir en mettant ainsi la ville sous cloche. Le mal qui frappait Elimith ne s'attaquait visiblement qu'aux enfants. Alors pourquoi empêcher tout un chacun de quitter l'enceinte de la Cité dans l'espoir de trouver secours par-delà les murs ? D'autant plus après avoir soi-même fait appel aux services des gens du Village Caché ? Le Métayer savait bien qu'une caravane avait été dépêchée la nuit précédente : Alistair avait un temps envisagé de l'envoyer avant qu'il ne fasse valoir combien il pourrait se montrer plus utile au ménil. Le vieux chasseur s'était montré sensible à ses arguments.

Mais si certains étaient donc en droit de sortir, pourquoi l'interdire aux autres ? La logique ne lui semblait pas évidente. Cela ne l'empêchait pas de faire appliquer les consignes passées à l'intégralité des forces en faction, certes, mais il ne savait jamais quoi répondre au désespoir des pauvres hères qui venaient lui dire tout leur malheur. Il aurait aimé que le Kapitan ou que Baldin se déplacent eux-mêmes plutôt que de les voir fuir devant les angoisses des parents inquiets. « Pffff... », siffla-t-il encore, avant de finalement se détourner pour mieux reporter son regard sur la route qui menait vers les bois.

Les temps étaient plus simples autrefois, quand c'étaient encore les Rouges qu'il fallait garder à l'extérieur et non les siens à l'intérieur.

Doucement, le calme revint sur le petit chemin de terre qu'il veillait avec attention. Sans un mot, le presque trentenaire porta la main jusqu'à la petite sacoche de cuir ouvragé dans laquelle il conservait toujours quelques graines ainsi que le charme que lui avait autrefois donné sa mère. Le jeune homme ne s'était jamais étalé publiquement sur sa foi, comme l'essentiel des jeunes qui travaillaient les champs pour le Bourgmestre, mais il partageait avec eux un socle de croyances disparates et de superstitions anciennes. Les années passées à protéger - avec ferveur ! -  la Ville-Blanche des marauds, des bandits et des tribus Boko avaient fini par le convaincre qu'il connaissait assez les Landes pour ne plus rien craindre de ce qu'elles pouvaient cacher. 

Bien sûr, il avait entendu parler des Cerbères mécaniques. Gamin, il en avait même vu les carcasses : elles jonchaient encore les routes par dizaines - sinon par centaines - à quelques jours de marche du village, seulement. Pourtant, il avait appris à accepter que ces monstres de métal appartenaient à un passé révolu ; dont il ne savait rien et dont il n'apprendrait rien non plus. Les guerres des Anciens n'étaient pas les siennes et puisqu'il ne partageait pas leur arrogance, il n'avait pas à s'inquiéter de leur trépas. Leurs erreurs étaient mortes avec eux. 

Il n'avait pas non plus peur des Moblins et des géants n'arborant qu'un œil, qu'évoquaient parfois certains voyageurs de passage après quelques pintes. Les premiers existaient, il le savait de source sûre puisque l'un d'entre eux avait établi domicile dans les ruines du vieux Haras en contrebas de la forêt. Pour autant Renou savait aussi qu'il était possible de se défendre contre de telles créatures. La tâche était ardue, le combat impossible pour un seul homme. Lui avait des compagnons sur qui se reposer en cas de danger. Et puis... l'alcool embellissait certainement les récits.

Il n'avait donc aucune raison de se laisser aller à l'effroi. La prudence était pertinente — recommandée, même. La frayeur, en revanche, se montrait mauvaise conseillère.

Puis, le mal avait frappé. 

Le vieux Nikolas n'avait pas flanché et continuait encore à travailler avec acharnement pour trouver un remède. C'était un homme de science, au jugement respecté par les Métayers. Mais peut-être cela l'avait-il empêché de voir ce qu'eux voyait. Ce que nuls autres qu'eux ne souhaitaient voir — ce à quoi tous semblaient irrémédiablement aveugle à Elimith : il ne s'agissait pas d'une simple affliction, que l'on pouvait guérir comme n'importe quelle autre maladie. Quelque chose de plus profond, de plus malsain peut-être, se cachait à leur regard. Quelque chose que de simples âmes n'étaient probablement pas en mesure - en droit ? - de comprendre. Tout cela l'inquiétait et le milicien savait pour en avoir parlé avec eux que ses amis aussi étaient gagnés par l'angoisse. Qui pourraient les protéger d'un tel fléau ?

C'est le pas du jeune Thorin qui l'arracha à ses pensées, tandis qu'il devinait sous ses doigts le gri-gri camouflé par le cuir. « Halte-là ! », tonna-t-il alors, abandonnant son pendentif porte-bonheur pour mieux se concentrer sur le fils adoptif de l'Apothicaire. Cole, qui gardait la porte sans battants avec lui, ne bougea pas d'un pouce. Appuyé contre l'arche, la lance câlée entre la clavicule et l'échine, il semblait assoupi. De larges cernes ceinturaient en tout cas ses yeux. « Qu'est-ce c'e-est dont qu'tu vins-tu fair'-là, Thorin ? », s'enquit-il alors alors que l'adolescent approchait, armé d'une épée dont le fil avait rouillé il y a bien longtemps. « Ton vieux... l'sait-il qu't'as-tu une lame ? », questionna-t-il encore, assez surpris de voir le fer alourdir la hanche de ce gamin-là tout spécialement. La plupart des gosses d'Elimith rêvaient de devenir un jour bretteur, mais Nikolas honnissait les armes et la violence avec une rage presque effrayante. Renou n'aurait pas pensé que son propre petiot serait un jour autorisé à en porter une aussi fièrement.

"'Parait qu't'as-tu eul'droit d'passer", reprit le milicien, l'air inquisiteur. Il ne s'entendait pas très bien avec Thorin, dont il n'appréciait guère l'indolence. Pour autant, il n'avait jamais cherché à lui mettre des bâtons dans les roues. « C'est-y vrai, ça ? »

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