Posté le 22/09/2021 21:12
Le bois grinça, comme à son habitude, tandis qu'il poussait la porte de l'ancien silo à grains où il avait établi son atelier des années plus tôt. Ereinté, le vieux Nikolas portait la fatigue en masque. La pénombre ambiante qui régnait sur la tour n'aurait su dissimuler les labeurs du temps ; l'angoisse des jours derniers. Le mal qui rongeait Elimith le travaillait bien plus qu'il n'avait laisser Baldin le voir. Bien plus, sans doute, que ne l'avaient réalisé les deux étrangers qui lui avaient rendu visite dans le courant de la matinée. Thorin était absent alors que la jeune Hylienne et son camarade Gerudo étaient venus s'enquérir de l'état des enfants qu'on lui avait confié. Malgré l'obscurité, il devinait la silhouette d'Etu qui occupait encore l'une des deux paillasses de pierre dressées au rez-de-chaussée de la masure. Il entendait aussi les sifflements de sa respiration qui, s'ils l'inquiétaient, rappelaient tout de même qu'il était encore en vie. Le pauvre homme poussa un profond soupir, avant de profiter de la faible lumière que projetaient les étoiles par l'interstice entre le battant et le crépis pour allumer l'une des bougies de cire qu'il laissait toujours près de l'entrée.
Rabattant enfin la porte et fermant le loquet, le vieillard se défit du lourd sac de jute pesant sur ses épaules. Sans un mot, récupérant la tour de cire et sa dolente lueur orangée, il s'approcha du métayer. Le jeune adolescent dormait. Enfin. Conscient du mal qu'il s'infligeait lui même, l'Hylien décida toutefois de prendre sa température. Bientôt, le plat de sa main brûlait avec autant d'ardeur que le front du jeune garçon. « Ventre-Dieu... — », cracha-t-il seulement, se dirigeant doucement vers l'établi. Le cœur serré, espérant que son propre petit était rentré, il entreprit de préparer un baume pour lutter contre la maladie. Il mit également de l'eau à bouillir ; de sorte à pouvoir hydrater Etu. La thèse de l'empoisonnement lui semblait la plus probable, quand bien même il n'arrivait pas à s'en satisfaire. Il lui fallait au moins nettoyer l'eau en provenance de la rivière et refuser celle venue du puits.
En vérité, l'Ancien craignait la peste de cinabre, dont il avait parfois entendu parler. Il ignorait beaucoup de ce fléau, sinon qu'il n'obéissait à aucune des lois du monde des mortels. Et qu'il ne pouvait en aucun cas être soigné.
Cette seule idée, qu'il ruminait en boucle depuis qu'il avait abandonné Arkaï et Zelda pour se rendre au chevet de l'enfant du Pêcheur, labourait son esprit comme la bèche du fermier éventre la terre arable. Le vieux Nikolas avait déjà affronté milles afflictions et aidé au moins cent naissances. Pourtant, il ne s'était jamais senti aussi impuissant que ces trois ou ces quatre derniers jours. Rien de tout cela n'avait de logique ; de sens. Il avait vu des situations parmi les plus désespérées et s'était retrouvé incapable de sauver les siens. Mais au moins avait-il pu tenter ! Aujourd'hui, il avait l'impression que le destin se jouait d'eux. Dès lors, les superstitions des villageois lui semblaient moins étranges à concevoir qu'il ne le pensait. L'armure de science qu'il avait su se forger, au fil des années, montrait les signes des premières fêlures. « Peut-être les Dieux se rient-ils vraiment de nous, en effet — », se surprit-il à peine a murmurer dans sa barbe, tandis que tremblaient ses doigts osseux au dessus de la mixture en préparation. Il n'avait pas l'arrogance de penser que rien d'invisible ne pouvait exister… mais n'avait pas pour autant d'avis très tranché sur la question. Cependant, l'Apothicaire savait combien l'espoir pouvait changer les choses. C'est pourquoi il voulait encore croire.
Laissant au feu l'occasion de jouer son rôle et à l'onguent le temps de reposer, le thaumaturge s'avança vers les escaliers en colimaçons qui descendaient vers la cave ; où les étrangers s'étaient occupés des dépouilles des autres métayers. Déverrouillant la trappe qui en bloquait l'accès après avoir déposé son petit falot dans l'entaille forée à cet effet dans le mur, il s'arma de lumière et commença à descendre. Nikolas n'entendait pas aller jusqu'en bas : il souhaitait simplement voir si Gonzo était passé récupérer les cadavres pour les derniers rites.
Sur les froides parois de la cavité, la bougie jetait un halo fauve et dansant. Le vieil homme referma tant bien que mal sa chasuble, tandis que la main du Seigneur-Frimas cherchait après sa gorge, grimpant une à une les marches comme un démon enragé. L'hiver n'était pas encore là ; et pourtant le flegme de son manteau de gel tombait déjà sur les plaines de Necluda.
Ne discernant aucun des corps qu'il lui avait fallu préparer - dont certains avec l'aide de mains presque inconnues -, le vieux guérisseur décida de ne pas s'attarder. Il n'aimait pas cette pièce. Elle respirait beaucoup trop la mort à son goût. Tournant talon, il remonta vers la salle de soin. L'eau devait être prête désormais ; et le baume applicable. Puisque le Fossoyeur avait déjà fait son œuvre, il lui fallait aussi alerter Thorin et lui dire de quelles plantes il aurait besoin le lendemain. Il n'avait qu'une hâte, désormais : enjamber ces marches de malheur jusqu'au dernier étage de la Tour et s'assurer que le Petit allait bien. A bien des égards, il avait l'impression d'avoir été trop dur avec l'Enfant, et sans doute le réalisait avec d'autant plus de clarté qu'il craignait désormais de le perdre. Il devenait urgent de parler. De trouver une façon de communiquer, de l'ouvrir — de s'ouvrir, lui aussi.
Une fois revenu au premier niveau, l'Apothicaire récupéra l'eau qu'il avait fait bouillir et la laissa refroidir un temps, dans un bol de terre cuite que lui avait un jour vendu Opar en l'échange de ses services. L'écuelle, à l'évidence, avait jadis été décorée de motifs Gerudo mais les âges avaient fini par en effacer les entrelacs. En attendant, il étala l'onguent sur les tempes et le front du jeune métayer. Intérieurement, il remerciait les parents qui avaient eu la bonne idée de lui couper les cheveux suffisamment court pour faciliter son travail. « Courage, petit. Tout ira pour le mieux. Tes parents ont hâte de te retrouver », fit-il, comme pour l'encourager. Impossible de savoir avec certitude si le malade l'entendait ou non. Dans le doute, cela ne coûtait rien que d'essayer de le guider de nouveau vers le monde des vivants. S'éloignant une seconde, il revint ensuite avec le récipient préalablement rempli, et releva doucement la tête de l'adolescent. La terre cuite appuyée contre ses lèvres brûlées, il l'aida à boire doucement. Etu n'avait eu de cesse de tousser jusqu'à en cracher ses poumons à chaque fois qu'il avait essayé de l'abreuver par le passé.
Hormis les plaies autour de sa bouche, il avait la peau d'un noyé.
"Continue de te reposer", souffla-t-il finalement, avant d'abandonner enfin le petit au domaine du Poisson-Rêve. La lune brillait haut dans le ciel et lui même était à bout. Engourdi par la fatigue, il se hissa à grand peine jusqu'à la pièce à vivre... qu'il regrettait amèrement d'avoir fait aménager au sommet de la bicoque. La lumière du falot lui permis aisément de repérer son fils adoptif. La vieillesse avait travaillé son corps avec acharnement mais même sans ses loupes ; sa vue restait plus que correcte. « Thorin — », lâcha-t-il seulement, par saccades. L'effort pesait lourd sur ses poumons. « Content... — content de voir que tu... tu vas bien. Tu ne t'es pas approché d'Etu, rassure-moi ? », questionna-t-il, la gorge en feu. Rien ne lui permettait de dire que le Garçon était à l'abri du mal qui, un à un, prenait tous les autres. « Il y a deux Gerudos en ville. Evite celui qui ne travaille pas pour Soje et sa compagne. Ce sont des gens biens, mais c'est important de limiter les risques pour le moment », ajouta-t-il. Ses dents grinçaient en silence, alors qu'enfin il retrouvait le confort de son couchage. S'asseyant finalement, il posa une ultime question au jeune homme. La seule qui comptait : « Comment te sens-tu, fils ? »
Le regard plongé dans celui du Petit, Nikolas remercia celles et ceux qui, venu d'ailleurs, l'avaient peut-être protégé jusqu'à lors. Il avait tant à lui dire, tant à lui demander. Mais pour l'heure, tout cela pouvait encore attendre.
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