Frayeur dans les bois

Thème : Halloween

Milieu de l'automne - 2 mois 3 semaines 4 jours après (voir la timeline)

Ardolon


Inventaire

Le spectre d'un grondement craquait dans sa gorge. Ardolon fulminait car il était au cœur d'un spectacle effarant de surréalisme : la forêt, d'ordinaire si paisible, paraissait un cimetière et les lumières du ciel, un souvenir. Pour la première fois de sa vie, il était perdu.
Sa colère le gardait de l'effroi qui le guettait, de ses glauques prunelles tapies dans le halo spectral de la nuit. L'arbre devant lui était un hêtre ; sa posture singulière, presque surnaturelle, mimait une sorcière qui se gausserait ! Quel maléfice pouvait l'y avoir reconduit alors même qu'il s'en était sans cesse éloigné ? Il aurait parié toutes ses plumes que là-haut la Lune, feu-follet d'un autre univers, l'aurait aidé à s’extirper de ce piège sylvestre. Mais rien n'y faisait. Et pire encore, il entendait le chant nocturne des insectes comme s'ils incantaient un requiem répugnant ; comme si Bémol & Dièse eux-mêmes avaient traversé les siècles pour le tourmenter.


Quelque chose lui proposait de raison garder ; mais privé de sa liberté, il y tenait d'autant plus. Se déplacer était déjà difficile alors voler serait stupide... mais il poursuivait un phantasme de liberté si puissant que ses ailes ignoraient son sort. Il voulut se projeter à travers la frondaison, faisant l'expérience horrifique d'un papillon qui se vautre dans dans la toile des Moires. Pris de panique, se débattant convulsivement, le piaf fit l'expérience terrifiante de la caresse de mil-et-un bras hantés. Des pincements poisseux parcouraient son plumage alors même que des griffes fantomatiques mordaient dans sa chair.
Il était terrorisé par les rais macabres de l'ombrage, écrasé sous le poids de sa propre force devenue une furieuse épouvante. Mais bien qu'il tremblait de frayeur, il refusait de céder ses derniers spasmes de lucidité. Il allait faire un dernier effort et s'envoler au-dessus des branches, il les surpasserait quoi qu'il lui en coûte, il n'y avait qu'à...


Catapulté hors de l'emprise de la flore horrifiante, Ardolon fut éconduit par terre à s'en rompre les ailes. Sa rage, elle, s'était tue.

« Ya-ha-ha ! »

Sur une feuille d'érable... Un visage ? Est-ce là le zénith de la folie ?

« Es-tu là pour te moquer de moi ? »

La créature agita des branches et se déhanchait à quelques centimètres du piaf. Il tenta, malgré sa souffrance, d'en faire de la charpie ! Mais sa carcasse, dolente comme dans un rêve, n'arriva qu'à articuler coup de bec mou et faible.

« Pourquoi es-tu si violent ? La forêt n'aime pas les tempêtes ! Brrrrrr... »

Dans un déhanché indécent, le petit être fuit. Mais sa voix s'évapora dans un dernier message : « Tu ne partiras pas tant que tu ne seras pas calme comme la forêt ! »



Alors que le rito, un instant plus tôt, était tétanisé par la fatigue, il se surprit à se relever. Comme si la créature minuscule lui avait jeté un sortilège ! Incapable de s'orienter, impuissant puis plongé dans l'ignorance... Ardolon était sur les nerfs, probablement plus timoré qu'il n'aurait osé l'imaginer.
Brsh Brsh
Le bruit d'un buisson le fit sursauter mais ce n'était que le vent... Pas vrai ? Déglutir lui coûta un effort alors qu'il écoutait son cœur battre la chamade. Un souffle le fit frissonner, dans un silence effrayant. Il savait... Il savait quelles étaient ses peurs... Cette maudite créature avait des pouvoirs incompréhensibles, alors elle devait savoir...
Brsh Brsh
Ardolon fit volte-face et son rythme cardiaque s'accéléra encore cependant qu'une nuée de chauve-souris s'abattit sur lui. Une horde ailée volant ensemble, non sans lui rappeler le clan duquel il était né ; la réminiscence ajouta à sa terreur. Son crâne percuta le sol et la douleur l'aveugla un instant.
Brsshhhhhhhhhh
Là-haut, enfin ! Le ciel lui offrait sa vue, délicieusement accessible. Trop épuisé pour se relever, il apprécia les nuages dévoiler les étoiles et... Une brûlure vermeille lui éclata la rétine ! C'était la Lune rouge, l'annonciatrice d'une nuit terrible. Autour de lui, des monceaux de fumée laissaient déjà s'échapper des rires d'enfants éteints depuis bien longtemps. Il devait se lever, il fallait se lever ! Juste à côté, une vapeur menaçante prenait forme, comme si la Camarde entendait prendre vie. D'autres fumerolles, un peu partout, semblaient provenir du chaudron céleste.
Lève-toi !
Brrrrrrr
Une main, puis une autre, percèrent la terre qui les condamnaient. Le piaf ne pouvait qu'observer, spectateur paralysé, les squelettes émerger hors du terreau. Les yeux de l'un d'eux étaient rouge vif mais il était bloqué par un obstacle souterrain alors son visage, à demi enterré, illustrait l'impuissance noyée dans sa propre haine.
« Allez, lève-toi, gémit le rito ! »
Dos au piaf, une autre carcasse avait réussi à s'extraire des ténèbres. La glaise dégoulinait de son corps voûté que ses doigts grattaient de toutes parts. Il se pencha soudainement, à en tomber par terre, tout en poussant un grognement étouffé, comme s'il... Vomissait ? Dans un subit retournement, l'abomination exhiba la montagne d'insectes qui dégoulinaient de ses globes oculaires, lesquels parvenaient à conquérir le titan contre-nature. Et ils y parvenaient car après plusieurs instants, eux, seuls, continuaient à gesticuler dans un concert de gargouillements indécents.
Ce répit n'accordait pourtant aucun repos au rito qui, ahanant à force de ne rien faire, abandonnait peu à peu l'idée de se relever.

Brshhhhhhh Brshhhhhhh Brrrrrr...
Ce qu'il oyait n'avait pas grand-sens, mais il en était désormais certain : le rituel de la Lune rouge et la malédiction de la petite créature l'avaient condamné. Impotent face à une telle horreur, sachant n'avoir plus rien à perdre, il reconsidéra les paroles de la feuille d'érable parlante dans une profonde expiration. Fouuuuuuuuum... « Tu ne partiras pas tant que tu ne seras pas calme comme la forêt ! » S'il ne pouvait pas se relever pour se battre, s'il était contraint au sacrifice, alors il acceptait de s'en aller dignement et d'au moins briser le maléfice pour mourir debout.
Brshhhhhhh
Le sang tambourinant dans tout son corps, le rendant presque aveugle. Néanmoins Ardolon parvint à tourner les yeux vers le Stalfos qui avait le mieux réussi son éclosion. Sa tête avait cependant fait la rencontre intempestive avec une citrouille mais loin d'en être gêné, le squelette s'était accomodé de cet accessoire. Sa bouche était zébrée d'un sillon terrifiant et l'abomination avait creusé deux cavités d'autant plus luisantes qu'il en coulait un jus putrescent.
Fouuum...
L'adversaire dont les organes avaient des contractions cauchemardesques était la quintessence de l'angoisse.
Shaaaaaaaaa ! Son cri glaçait les sangs.
Fouuuuuuum... Mais le rito expirait profondément.
Craquant sous la pression, le bras du monstre voltigea brusquement, manquant de peu les côtes du piaf.
Fouuuuuuum... Mais le rito expirait profondément.
Le Stalfos tâcha de charger vers lui, dans un mouvement dis-coordonné. Il voulut sauter à sa gorge mais sa jambe se déchira dans un craquement funeste.
Fouuuuuuum... Mais le rito expirait profondément.
S'agitant, gigotant dans tous les sens, raclant la terre comme un dément, il s'approchait du piaf qui était aussi vulnérable qu'une pie-grièche sans ailes.
Fouuuuuuum... Mais le rito expirait profondément. Ses muscles décontractés finirent par lui obéir.



L'astre d'argent, authentique fanal, guidait finalement l'oiseau à travers la frondaison. Il lui en avait fallu du temps, pour comprendre ! Ardolon n'avait affronté que des fantômes mais sa terreur, elle, était bien réelle ! Le rito s'était découvert une ectophobie qu'il ignorait mais surtout, l'apaisement qu'il avait ressenti lui ouvrait de nouveaux horizons. Sa véhémence lui avait toujours paru une force et pourtant, exposé à la même violence dont il faisait preuve, force était de reconnaître que ne pas y recourir lui offrait une sérénité... Presque addictive.
Une skulltula glissa sous son nez et lui arracha un hoquet de surprise. Elle l'avait arraché à sa méditation, et il s'était déjà mis en position pour la châtier... Mais il y renonça, ignora la bête, et poursuivit son introspection.
Peut-être que ses accès de colère n'étaient pas même un bien pour son propre combat, pas même un avantage auquel il avait tenu sans trop savoir pourquoi. Ces pertes de contrôle n'étaient-elles pas l'antithèse de ce à quoi il aspirait ?


« Ya-ha ha !
- Petit être, je ne sais pas si tu es un chat noir ou un thaumaturge, mais je te dois des remerciements... »

Chaque muscle du piaf semblait l'élancer, sa voix était douloureuse et sa posture n'était pas glorieuse. Il se serait même presque agenouillé devant la créature inconnue, tant il savait qu'elle pouvait être aussi puissante que la Macrale de ses cauchemars.

« Je ne quitterai pas seulement ta forêt, j'ai foi en ce que la Nature peut apporter, même ses agents les plus petits, affirma-t-il dans un clin d'œil. Alors je la protégerai à ma façon.
- Tu es rigolo ! Mais je ne sais pas de quoi tu parles... Tu ne m'en veux pas pour ton arc ? »

Ardolon vérifia son équipement d'un mouvement d'aile. (Par les Cieux, qu'il avait mal !) Son arc n'était pas sur lui, on le lui avait subtilisé... Quand est-ce que la créature avait pu le lui prendre sans qu'il ne s'en rende compte ? ! Le regard qu'il lui porta, hagard et confus, n'était pas empli de haine. Il était plein d'une bienveillante surprise, quoiqu'il fût encore plus effrayé par le petit être.

« Je... Non... Il tombait en miette de toute façon... Mais qu'es-tu exactement ?
- Je suis un korogu ! Et pour me faire pardonner, je t'ai préparé un nouvel arc mais tu as intérêt à protéger la forêt de toutes tes forces ! »

Brsh

L'individu avait disparu, ne laissant qu'un arc là où il se trouvait juste à l'instant. Les forces d'Ardolon s'éteignirent au même moment que s'évanouit le visage à la forme d'une feuille d'érable.

L'artefact était le seul indice qu'il lui prouverait, peut-être, que tout cela n'était pas un rêve. Même s'il en avait été un, Ardolon conservait une leçon qui serait ancrée au plus profond de son être.