Assoupi sous un jeune pommier, quelques brins d'herbe vinrent caresser ses joues encore rosées par l'effort. Un canasson à la robe noire broutait à côté de lui, le regard placide et les yeux vitreux. C'était une vieille bête que la vie n'avait pas vraiment épargnée: des cicatrices assez creusées décoraient ses pattes jusqu'à ses sabots, eux aussi marqués par les années. Une selle et un tapis protégeaient sa colonne fragile, tandis que sa bride à moitié déchirée avait été déposée autour de son encolure. Sa crinière crépue virevoltait au gré du vent, alors qu'elle jetait parfois quelques coups d’œil à son maître, qu'elle n'avait jamais vu aussi exténué.
En réalité, Sen ne dormait pas. Il pensait. Ces histoires de pouvoir, de fourberie, de tensions et d'envie ne cessaient de lui trotter dans la tête. Non pas qu'il était déçu, car il était toujours fier; ni qu'il était frustré, car il n'avait jamais été aussi satisfait, mais que l'incompréhension le mettait tout bonnement hors de lui. C'était le juste mot: il ne comprenait pas pourquoi son père, pour qui il aurait gravi les montagnes les plus abruptes, n'était pas dans la capacité de lui faire confiance à lui, son unique enfant.
En effet, l'homme en question ayant jugé la situation du clan trop dangereuse pour son fils, il lui demanda par conséquent de quitter le désert afin de « développer ses plus grands atouts et de revenir plus fort que jamais ». Il était vrai que trouver un chef aussi digne et honorable que le Grand Maître Kohga était source de conflits et de débats, mais le simple fait d'avoir demandé à sa progéniture de déguerpir n'était tout simplement pas pardonnable.
D'un geste rempli de haine, il enroula une de ses mèches teintées derrière son oreille. Ses yeux brillants s'étaient ouverts, mais ses lèvres étaient toujours aussi droites, rongées par la colère. Il se mit par ailleurs à les mordiller nerveusement, s'adossant au tronc qui se trouvait derrière lui. Il pensa à nouveau, le regard dirigé vers son fidèle destrier.
« Et toi, tu ne m'aides pas... »
L'animal, contre toute attente, continua de se délecter de l'herbe fraîche qui était à sa disposition. Mais Sen insista, la voix portante, comme s'il récitait des phrases qu'il avait apprises par cœur et qui n'attendaient que d'être annoncées.
« De toute façon, ça m'est égal. Ça m'est bien égal d'avoir dû quitter tout ce que j'avais pour me retrouver ici. »
Il répéta sa première phrase plusieurs autres fois, se persuadant que sa venue aux Landes n'était pas injustifiée.
« Ça m'est égal. »
Il resta immobile de nombreuses minutes, la tête à nouveau ailleurs, mais décida de finalement sortir de ses pensées lorsqu'il comprit que s'acharner sur des choses aussi futiles n'allait lui apporter qu'une incompréhension d'autant plus profonde.
Le jeune Yiga se redressa donc, prenant soin de tapoter ses vêtements avant de repartir vers son cheval. Son sabre n'avait d'ailleurs pas bougé de son fourreau, toujours bien accroché à une ceinture enroulée autour de sa taille. Cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas dégainé, mais après tout, ça n'était pas vraiment une mauvaise chose.
Au moins, si cette expédition en dehors de sa zone de confort lui avait bien fait remarquer quelque chose, c'était que les Landes n'étaient pas qu'un simple royaume aux horizons identiques et monotones, mais en réalité une contrée complexe qui cachait de nombreux secrets. Le climat était par ailleurs bien différent de celui du désert, qui était des plus extrêmes.
Sen glissa donc ses pieds dans ses étriers, puis donna quelques coups de talons dans le flan de sa monture pour se diriger vers Elimith. C'était un village très accueillant dont la plupart des habitations étaient faites de pierre. Le garçon fut curieux d'y trouver des plantations, ou même des boutiques, qui devaient malheureusement accueillir peu de clients.
S’emmitouflant sous sa cape noire, il se dirigea vers l'étang le plus proche. Ici, les enfants semblaient étrangement épanouis et s'amusaient à courir à tout va. L'ambiance était bien différente de celle que l'on pouvait trouver au repaire. Ces dernières années, les tensions s'étaient bien trop renforcées, rendant la vie en communauté plus difficile.
Le jeune garçon passa les rennes au-dessus des oreilles de sa monture pour la tirer vers lui, s'approchant doucement de l'eau. Tout avait l'air bien plus calme qu'au cœur même du village et jamais Sen ne se serait imaginé que quelqu'un les observait, juste là, jusqu'à ce que son regard se pose malencontreusement sur la rive. Là, à seulement quelques mètres de lui, se trouvait une sorte de femme-poisson, le corps à moitié plongé dans l'eau. Le Sheikah ne put s'empêcher de poser sa main sur le manche de son sabre intoxiqué. Il y eut un bref échange de regards entre les deux jeunes gens avant que le garçon ne décide de passer à l'attaque. D'un geste brusque, il commença à sortir sa lame de son étui, restant de marbre.
« Qui êtes-vous? »